Propos recueillis
en septembre 2002

DERNIÈRE SORTIE :
"Scissorgun"


SITE OFFICIEL :
www.crispyambulance.com

LABEL :
www.darla.com
Par Frédéric Thébault  
Photos D.R.  

Groupe mythique du début des années 80, Crispy Ambulance, originaire de Manchester, a été l'un des poulains tardifs de Factory (refusés par le label dans un premier temps, ils seront vite signés par Factory Benelux par la suite). Le groupe a côtoyé Joy Division de près, son chanteur Alan Hempsall remplaçant parfois même Ian Curtis au pied levé. Mais Crispy Ambulance, c'était surtout une forte personnalité, une musique plus dure qu'il n'y paraissait, bien que froide et, sans doute, passablement déprimée. "The Plateau Phase" paraît en 1982, et reste comme l'un des meilleurs témoignages de l'époque. Mais le groupe se dissout, et hormis quelques compilations et lives sortis après, ce sera le silence radio. Reformé en 1999 juste pour le fun, Crispy Ambulance a réintégré les studios récemment et offre un somptueux second album estampillé 2002, soit vingt années après le premier ! Alan Hempsall, chanteur au charisme toujours intact, s'est prêté au jeu des questions-réponses.

La plupart des groupes laissent passer un an ou deux entre deux albums. Dans votre cas, ça a pris vingt ans, pourquoi ?
Nous nous sommes en fait séparés en 1982. Si nous nous sommes reformés en 1999, c'est parce que notre discographie allait être rééditée en CD, et on s'est dit que ce serait bien d'en faire la promotion, que ça pouvait être marrant. La réaction du public nous a surpris, et beaucoup de gens ont commencé à nous demander si nous n'envisagions pas d'écrire de nouveaux morceaux. Et puis le label Darla, en Californie, s'est proposé pour sortir tout ce que nous écririons de nouveau. Alors nous nous sommes dit : "Super, allons-y !". Rien n'avait été planifié, tout est arrivé par accident.

La musique de Cripsy Ambulance est souvent décrite comme étant "sombre, sinistre, triste, angoissée, mélancolique, morne". Que pensez-vous de ces adjectifs ?
Je suppose que notre musique semble sombre ou angoissée à certains, ça dépend du niveau auquel tu te places. Je pense qu'il y a des groupes plus "lugubres" que nous. Je n'essaye pas de nous catégoriser pour cette simple et bonne raison, il faut laisser la musique venir à toi naturellement. En général les choses ne se passent pas bien quand tu essaies de faire de la musique avec un objectif particulier, c'est du moins mon expérience.

Pensez-vous vraiment que "Even now, in heaven there are angels carrying savage weapons" (titre d'un morceau de l'album que l'on peut traduire par : "Même aujourd'hui, il y a au paradis des anges avec des armes destructrices") ? Quels sont les principaux thèmes de vos chansons ?
"Even now, in heaven…" est une phrase de la bible, bien que nous ne soyons pas du tout croyants. Mais je n'explique jamais mes chansons, parce que j'aime que l'auditeur se fasse sa propre idée. Quoiqu'il en soit je peux juste dire que Loupgarou est l'histoire d'un homme qui se transforme en loup-garou (ce que nous autres Français avions compris (!), mais le titre en français pouvait intriguer les anglophones -ndlr)

Comment expliquez-vous le culte autour de Factory, avez-vous l'impression d'avoir participé à quelque chose d'exceptionnel ?
Ce culte qui est né autour de Factory est quelque chose de très étrange. Je ne sais pas comment ni pourquoi c'est arrivé. Il y a eu de très nombreux labels de disques intéressants pendant toutes ces années. Cela dit c'est bien pour nous d'avoir contribué à cette époque très spéciale, et c'est bon pour Manchester.

Graham Massey a produit votre album. Il est plus connu pour son travail au sein de 808 State ou pour avoir produit Björk. Pourquoi l'avoir choisi ?
Graham Massey jouait avec moi dans un groupe quand nous avions 16 ans. Nous sommes toujours restés amis depuis. Il a fait la pochette de notre premier 45 tours, il a participé à notre premier concert, et c'est même lui qui trouvé le nom de notre groupe.

Il y a cette image du "vieux" groupe qui joue une musique sereine après avoir été très en colère quand il était jeune. En ce qui me concerne, j'ai trouvé dans "Scissorgun" exactement ce que j'avais aimé dans "The Plateau Phase". Crois-tu que le fait de ne pas avoir sorti 10 albums entre 1982 et votre reformation a protégé votre processus créatif ?
Je ne suis pas certain que dix-sept ans de repos conservent ta colère, j'ai été vraiment tenté de faire quelque chose de plus tranquille, mais ça n'aurait pas correspondu à notre style. Au début j'ai eu vraiment du mal à me remettre dans le bain, mais c'est plus facile aujourd'hui. Nous écrivons de nouveaux morceaux en ce moment pour nos prochains concerts, et l'aspect que prennent les choses est plutôt intéressant. Tous ceux qui connaissent notre musique ont la même impression que toi, que nous avons repris les choses exactement à l'endroit où elles étaient restées quand nous nous sommes arrêtés, et bien que ça ne soit pas du tout calculé de notre part. C'est quelque chose qui me fait vraiment plaisir.

Aujourd'hui le rock a beaucoup changé, il y a moins de frontières entre les genres et les époques, alors qu'au début des eighties, si tu n'écoutais pas du punk ou de la new-wave, tu étais forcément un ringard...
Le rock n'est plus le même, mais toute l'industrie de la musique aussi a changé, et le profil du consommateur est très éloigné de ce qu'il était. Si tu observes la culture des jeunes depuis Elvis, tu t'aperçois que les kids ont toujours trouvé un moyen pour emmerder leurs parents. En tant que parent aujourd'hui, je pense qu'il n'y a plus rien de ce genre pour mes enfants.

Comment expliques-tu ce soudain engouement pour le punk et la période post-punk aujourd'hui : le retour de Fad Gadget, des Damned, les tournées de Bauhaus ou des Sex Pistols, de jeunes groupes comme Interpol ou Alpinestars, qui déclarent être influencés par The Fall ou Gang Of Four… n'as-tu pas peur que ce soit un nouveau mouvement de mode créé par MTV ou le NME ?
Je ne peux pas expliquer cet intérêt pour la musique de la fin des seventies / début des eighties. C'est drôle que tout ça soit arrivé en même temps. C'est aussi marrant d'en faire partie alors que ça n'a pas du tout été délibéré. Même Soft Cell est de retour ! Je ne crois pas que ce soit un phénomène créé par le NME parce que plus personne ne lit ça. Le dernier numéro que j'ai lu était tellement à côté de la plaque que je n'en croyais pas mes yeux. Quant à MTV, ce n'est que du mainstream soul et r'n'b.

J'aimerais avoir ton sentiment sur ce qui a changé dans le rock entre 1980 et aujourd'hui...
En ce qui concerne les changements de ces vingt dernières années, Genesis P-Orridge (Alan est connu pour être un fan de Throbbing Gristle -ndlr) a dit un jour "Everything changes as nothing ever does" (qu'on peut traduire par "Tout change et rien ne change" -ndlr). Cela semble vrai dans la musique et les arts. Combien de fois peux-tu inventer la roue ? Je crois que c'est Brian Eno qui a dit que "La pop music, c'est 95% de tradition et 5% d'innovation, et ça me semble être un ratio très correct". C'est pourquoi la pop est une chose jeune. Simplement parce que nous ré-emballons le passé et le revendons à des jeunes qui sont trop jeunes pour s'en souvenir. Quoiqu'il en soit, le marketing et la diffusion de la musique et de l'art ont changé plus qu'on ne pouvait l'imaginer. Il y a juste eu une réaction à l'évolution technologique, c'est tout ce qui s'est produit.

Qui aimes-tu, qui détestes-tu ?
Je ne déteste personne en particulier, plutôt bon nombre de musiques que je n'aime pas où qui me laissent indifférent. Je n'aime pas les groupes manufacturés, et ceux créés par la télé. C'est de la merde bidon. Par contre j'aime bien la drum'n'bass. J'ai aussi aimé le mouvement house et dance, de 87 vers le début des nineties, bien qu'aujourd'hui ça soit un peu périmé. Il n'y a personne pour faire quelque chose de différent.

Qu'espères-tu pour "Scissorgun" ? Y aura-t-il une suite ?
Je suis très content de cet album, et j'espère que d'autres l'aimeront aussi. C'est quelque chose qui n'a pas changé avec le groupe : nous faisons toujours cela pour nous-mêmes. Il n'y a rien de planifié. Nous ferons probablement un nouvel album, nous avons déjà écrit de nouveaux morceaux. Après ça, qui sait ? Nous ferons un concert en Angleterre en octobre, et quatre aux USA en novembre.

Le rock est-il important ?
Le rock est aussi important pour certains que les lave-vaisselle pour d'autres. Je suis heureux que les deux co-existent !