Propos recueillis
en novembre 2003
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Bauhaus
Dead Can Dance
Joy Division
New Order
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Siouxsie & the Banshees
The Sisters of Mercy
SPK
Wire
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SITE OFFICIEL :
www.newwavephotos.com
Par Christophe Labussière  
Photo Philippe Carly  

Si vous ne connaissez pas encore Philippe Carly, cliquez immédiatement sur les photos ci-contre pour avoir un aperçu choisi des images que ce photographe belge de talent a réalisées depuis 1977. Car, coup de chance, depuis que Philippe a décidé d'immortaliser toutes ses rencontres, son chemin a croisé celui de The Cure, Joy Division, Sisters of Mercy, Bauhaus ou encore celui de centaines d'autres "jeunes" artistes de l'époque... Discussion à bâton rompu avec un petit génie de la pellicule.

Peux-tu me raconter ton cursus ? Étais-tu photographe indépendant et proposais-tu tes photos à différents magazines ou bien travaillais-tu avec un magazine spécifique ?

À l'époque, je collaborais avec des magazines spécifiques. J'ai commencé par "Pulsions" (1977) que j'ai quitté pour fonder un magazine avec quelques amis, "Ecoute" (1978), qui n'a malheureusement duré que 6 numéros. C'est au sein de ce magazine que je me suis intéressé au graphisme en plus de la photo. Puis, après la fin de "Ecoute", j'ai rejoint "En Attendant" (1979) et j'ai également commencé à collaborer à la rubrique Rock de Télé Moustique (1982). J'ai ensuite collaboré à deux publications hollandaises : "Vinyl" et "Tresspassers W" (1985). À ce moment je réalisais aussi des photos de presse pour le label Play It Again Sam. Donc, c'était une succession de collaborations plutôt que plusieurs en même temps. Cette année j'ai recommencé à faire de la photo de concerts alors que j'avais complètement arrêté depuis 1986-1987.

La photographie est-elle ton activité professionnelle principale ou est-elle toujours restée un "passe-temps" ?
À l'époque, c'était un hobby "sérieux", depuis que j'ai recommencé c'est une des cordes à mon arc professionnel. Je ne me limite d'ailleurs plus à la photo de concert au sens strict, mais à tout ce qui est reportage d'événements au sens large.

Tu as travaillé pour la presse, mais tu as aussi réalisé quelques pochettes de disques. Comment tes photos de Joy Division se sont-elles retrouvées dans le livret du coffret "Heart and Soul"?
Ces photos de Joy Division sont à la fois un malheur et une bénédiction... En fait, je n'ai jamais vraiment rencontré le groupe, mais j'ai fait parvenir gracieusement un jeu de ces photos à son management, et donc au label. D'après des sources bien informées, il n'était pas très organisé à l'époque et ces photos ont donc été disséminées un peu partout, pour la presse d'abord et pour d'autres choses ensuite, dont même Factory a perdu le contrôle. Je suis donc petit à petit en train d'essayer de faire valoir mes droits, notamment pour ce coffret. Une de mes photos s'est aussi retrouvé en couverture de la réédition du livre de Deborah Curtis "Touching from a Distance", créditée à Kevin Cummins, alors que celui-ci avait signé la photo qui avait été en couverture de la première édition. Apparemment il y a assez peu de photos de Joy Division. Kevin Cummins, photographe quasi officiel du groupe en a lui-même moins de 200 en tout ! Ce dont je suis le plus fier à propos de ces photos, c'est de les avoir vues épinglées au mur de la cuisine de Martin Hannet à l'occasion d'un article qui lui était consacré dans le NME et qui le montrait dans sa cuisine devant ma photo !

Ton site recèle des vrais bijoux, quelles sont de toutes ces rencontres celles qui t'ont le plus marqué ?
Les artistes qui m'ont le plus marqué sont forcement ceux avec lesquels j'ai eu l'occasion de passer un peu de temps : U2, vraiment charmants, Siouxsie qui est loin de mériter la réputation d'"Ice Queen" qu'on lui fait, Eyeless in Gaza qui ont accepté de venir jouer un concert privé pour mon mariage, Cosey Fanni Tutti, un regard noir qui te transperce, Vini Reilly (Durutti Column) un type d'une sensibilité étonnante, mais un vrai oiseau pour le chat, plus récemment Marka qui est un garçon vraiment gentil dans le sens le plus merveilleux du terme... Et tout le monde me parle de mes photos des Sisters of Mercy et surtout celles sans les lunettes ! À l'époque, c'est venu comme ça, ce n'était même pas une requête particulière. Je n'ai pas de souvenir très précis, mais c'étaient de braves gosses tout à fait normaux. Leur embarquement par la police était tout à fait immérité, si l'on excepte qu'ils étaient tout de noir vêtus. Depuis, je crois qu'ils sont devenus un peu "too big for their boots". Je crois qu'ils doivent avoir du mal à fermer leurs cols de chemise.
Quelques jours après avoir vu U2 en concert et après avoir fait leur interview, je me retrouve à l'aéroport de Bruxelles National : mon employeur (dans le domaine de l'ingénierie nucléaire) m'avait fait revenir d'urgence d'Angleterre pour repartir toutes affaires cessantes aux États-Unis pour une durée indéterminée. J'étais donc assez préoccupé : c'était mon premier vol, j'allais partir pour la première fois aux USA, pour un boulot important... bref, je n'étais pas du tout dans le mood rock'n'roll et j'attendais mes valises, absorbé dans mes pensées. Et j'entends vaguement quelqu'un qui m'interpelle "Eh ! Philippe", je me retourne et je vois un type qui vient vers moi, en m'appelant par mon nom avec un grand sourire, suivi bientôt d'un deuxième. Tout à mes problèmes, je me demandais qui étaient ces énergumènes et ce qu'ils me voulaient. Il a bien fallu une bonne minute pour que mon franc tombe : c'étaient Bono et The Edge !
C'est probablement un lieu commun, mais tous ces artistes sont des gens tout à fait normaux une fois sortis de scène, si on les aborde comme tels et pas comme un fan servile, tout se passe admirablement. J'ai toujours eu avec tout le monde une approche assez directe et prosaïque qui semblait porter ses fruits. En général on passait une bonne après-midi basée sur un deal correct : tourisme contre quelques photos. Hélas tout cela a bien changé. Probablement pas les artistes, mais plutôt leur entourage qui les surprotège.

Doit-on voir cette exposition de photos comme un reflet de ton travail ou est-ce le reflet d'une époque ?
C'est le reflet (incomplet) de ce qu’il se passait de plus excitant. De tout ce qui bougeait et bouillonnait. C'est le reflet de "mon" époque, c'est ce que j'ai vu, ce que j'ai entendu, comment j'ai vécu ces années-là.

Pourquoi avoir choisi le terme "new wave" pour regrouper tous tes travaux ?
Pourquoi pas ? C'était une étiquette que la presse avait collée à tout ce qui se passait après le punk, elle me semblait en valoir une autre. De plus, ce nom de domaine sonnait bien et était libre. Et au Scrabble il cartonne : 5 W !!!!

Si tu devais représenter ton travail avec trois photos, ce seraient lesquelles ?
Joker ! La photo de Joy Division ? Comment la renier même si on l'a trop vue ? Peut-on dissocier ce regard du destin tragique de son propriétaire ? Il y a quelques sessions que j'aime bien qui ont été magiques : Lene Lovich et Les Chappel dans les escaliers du backstage, SPK sur scène avec le bidon défoncé après leur concert, Clare Grogan dans les loges de la RTBF et Nina Hagen dans sa chambre d'hôtel avec son boyfriend (qui n'est pas encore sur le site).

Quelle est la situation où tu te sens le plus à l'aise, devant la scène pendant un concert, ou alors préfères-tu les séances où les artistes "posent"... ?
J'aime bien le concert s'il y a une fosse (pas vraiment obligatoire, mais c'est quand même plus facile), un bon light show, une bonne ambiance et qu'on n'est pas limité aux trois premiers morceaux. Alors je prends un pied d'enfer. Je n'aime pas trop les séances posées, je suis assez mal à l'aise pour diriger des poses. Par contre si je peux passer un après-midi à me promener et à bavarder avec le groupe tout en faisant des photos cela donne en général assez bien, et c'est très agréable sur le plan humain.

Comment expliques-tu que certains photographes ne sortent qu'une seule "bonne" photo à l'issue d'une session ou d'un concert alors que toi tu n'hésites pas à en présenter énormément ?
Je crois que l'approche est différente, je ne suis d'ailleurs pas sûr d'en sortir une seule de bonne ! Beaucoup de photographes sont de vrais artistes et ont donc en tant que tels une vision propre assez forte et ils recherchent dans le stock d'images qu'ils shootent la photo qui traduit le mieux leur vision artistique de l'artiste/groupe qu'ils ont photographié. Moi je suis beaucoup plus neutre, plus comme une éponge et j'essaie de "rapporter" le mieux possible ce que j'ai vu, ce que le public a vu, l'image du groupe tel qu'il s'est présenté. Ce n'est donc pas à moi de faire un choix. Je crois que sur toutes les photos d'un concert, des personnes différentes auront des préférences différentes. Au tout début du site, je faisais un choix, je mettais les photos que je jugeais les meilleures, et assez vite les internautes m'ont demandé de mettre "toutes les photos, même les ratées, même les floues". Et j'ai rapidement adhéré à ce point de vue, en effet toutes ces photos aussi ratées soient elles, sont des bribes de "feeling" de ces concerts, événements, entrevues. Je n'ai pas de problème d'ego à montrer que j'ai raté beaucoup de photos pour en sortir quelques-unes de valables. Je reste assez lucide et humble (la, ma femme s'étrangle !) je ne suis pas Kevin Cummins, Anton Corbijn ou Claude Gassian, mais j'ai néanmoins photographié un tas de groupes au bon moment ce qui confère à ce site et aux photos quelque intérêt. En plus, toutes ces photos sont ma "Madeleine de Proust" et me font revivre des moments formidables, des rencontres fabuleuses.

Y en a-t-il beaucoup qui sont ratées et que tu ne développes pas ?
Pour les anciennes, très peu depuis qu'on m'a demandé de les mettre toutes. Pour les récentes (depuis 2003), comme le numérique permet de faire beaucoup plus de photos, j'ai plus de matière de base et je sélectionne donc un peu plus.

Retouches-tu tes photos, ou les publies-tu telles que tu les as développées ?
Sur le site, les photos anciennes (couleur et noir & blanc) sont des scans bruts en basse définition. Par contre lorsqu'on m'achète des tirages, il y a un nouveau scan en haute définition et tout un travail de restauration de l'image. Mais la retouche se limite toujours à la restauration. Je n'enlève pas un micro qui traîne, je n'enlève pas un vilain bouton dans la figure. C'est du reportage, pas du photomontage.

Tu n'es donc pas tenté par la retouche logiciel ?
Je le fais pour des pochettes ou des affiches. Mais sinon je pense que les internautes viennent voir des photos de concert, ils ne viennent pas admirer mes prouesses en Photoshop. Je n'ai pas de vision personnelle à faire passer et je n'ai donc pas à altérer les prises de vues qui sont déjà de toute manière le reflet de choix que je suis obligé de faire en fonction du cadrage ou de la lumière.

Utilises-tu encore l'argentique ou bien t'es-tu mis uniquement au numérique ?
Sans hésiter et exclusivement au numérique. Et dès qu'on invente la machine à remonter le temps, je retourne shooter tous ces fabuleux concerts en numérique. Le numérique est tellement supérieur ! Les photographes qui prétendent le contraire sont 1) intimidés par l'informatique 2) trop feignants pour assumer le surcroît de travail que le numérique représente et qui était assumé par les labos. J'assume et je signe.

Préfères-tu travailler en noir et blanc ou en couleur ?
Au départ la question ne se posait pas vraiment : les journaux pour lesquels je travaillais publiaient exclusivement du noir & blanc, qui en plus était moins cher et me permettait de le développer / tirer moi-même. La question se pose maintenant pour le numérique : celui-ci donne de tellement belles couleurs en combinaisons avec les lights shows qui ont tellement évolué que je n'essaie même pas de voir ce que donneraient ces photos en noir & blanc. Et pourtant, je trouve que souvent le noir & blanc a un pouvoir évocateur tellement plus fort.

Qu'est-ce qui t'a motivé à mettre toutes tes photos sur ton site, est-ce pour leur donner une sorte de "deuxième vie" ?
C'est pour les partager avec les internautes : à quoi bon les laisser dormir dans des boîtes ? C'est vrai que le site me sert aussi de carte de visite, mais le but premier était de les partager. Je surfais pour des raisons professionnelles depuis longtemps et je ne m'étais pas rendu compte qu'il y avait un tel engouement pour cette époque musicale. Quand j'ai commencé le site, j'ai honnêtement cru qu'il n'intéresserait que quelques vieux combattants comme moi. J'étais à cent lieues d'imaginer que des gamins (pardon, des jeunes gens) de 20 ans seraient si passionnés par Joy Division, The Cure et consorts. L'enthousiasme des internautes me redonne le moral (et un coup de pied au cul) quand parfois je suis découragé par l'ampleur de la tâche. C'est vraiment gratifiant et cela me permet de correspondre avec des gens vraiment sympa, quelques fêlés aussi, mais bon, on ne fait pas d'omelette sans casser d'œufs.

Comment choisis-tu les photos que tu publies sur ton site, est-ce uniquement en fonction des demandes des internautes ?
Non, j'essaie de ne pas tenir compte de leurs demandes. Parfois je fais des recherches quand on veut m'acheter des photos de tel ou tel groupe pour un livre ou un autre projet. Sinon c'est au hasard. Par exemple, il y a un mois j'étais dans l'année 1976 que j'ai abandonnée pour passer à... 1984 et 1985. Il ne faut pas chercher de logique, il faut prendre ça comme ça vient. Je me doute que le fan du groupe "x" est impatient de le voir, mais c'est vrai pour tous les autres, alors je ne m'en fais pas et je me laisse porter par mon inspiration. Sorry, no requests !

Combien t'en reste-t-il encore à scanner ?
En gros, je dirais que je suis plus ou moins à la moitié. Mais c'est très difficile à dire. Quand j'ai classé les négatifs et les diapos à l'époque, j'étais loin de penser que j'entreprendrais une telle aventure 15-20 ans plus tard. Mon classement est donc incomplet, imparfait et j'essaie de recouper plusieurs sources d'information comme mes agendas, mes notes, les listes de concerts de ma femme, nos tickets, les archives de Télé-Moustique... Je redécouvre des photos que j'avais totalement oubliées. Certaines diapos ont été irrémédiablement endommagées par de l'humidité dans mon grenier. Je découvre donc en progressant, tout comme les visiteurs du site. Ce n'est pas de la mauvaise volonté, ni de la coquetterie, je ne sais vraiment pas combien il y en a encore. Je préfère passer du temps à faire avancer le site qu'à dresser un état des lieux.

Sur ton site, il y a un grand "trou" avant 2003, pourquoi ?
J'ai arrêté après une dizaine d'années quand j'ai réalisé que même des petits groupes encore méconnus se pointaient pour un premier concert en Belgique et interdisaient les photos. Cela a coïncidé avec d'autres éléments comme une certaine lassitude (il n'y a pas 200 façons de photographier un guitariste), la naissance de mes enfants, le changement de la presse musicale en Belgique, le changement de la musique aussi.... De même, un faisceau de raisons convergentes m'a donné envie de recommencer : l'avènement de la photo digitale, le succès inattendu (pour moi) de mon site et les réactions positives des visiteurs, l'émergence d'une scène musicale intéressante et indépendante.

Envisages-tu d'en réunir une sélection et de les publier dans un" beau livre" ou sur un CD ou un DVD ?
Oui, c'est un projet plus que vague. J'ai reçu des propositions récentes que j'étudie.

Musicalement, qu'écoutes-tu aujourd'hui ?
Je suis pour le moment dans un trip surf, original et revival : Dick Dale, Fathoms, Nebulas, à part cela j'aime beaucoup Shania Twain, j'adore Marka sur scène ainsi que Vincent Venet qu'il faut à tout prix éviter de classer comme chanteur à minettes à cause de sa belle gueule : sur scène il met réellement le feu. Dingue ! Et je réécoute inlassablement mes groupes préférés X-Mal Deutschland, Skeletal Family, Siouxsie & the Banshees, Yello, Transvision Vamp, Stranglers, Front 242, Cocteau Twins, Pet Shop Boys... Et pour des choses plus récentes, les Corrs, Mylene Farmer, Cranberries, Offspring.