Propos recueillis
en juin 2004


DERNIÈRE SORTIE :
"Absente Terebenthine"


SITE OFFICIEL :
morthemvladeart.chez.tiscali.fr

LABEL :
www.pandaimonium.de
Par Laure Cornaire  
Photos Code@17  

En cinq albums, dont le tout récent "Absente Terebenthine", Morthem Vlade Art a réussi à asseoir un vrai succès d’estime tout en continuant sa route de façon totalement libre, sans ne jamais redouter la prise de risque. Histoire de parler de leurs multiples influences et collaborations (des remixes pour Clan of Xymox, Trisomie 21 et Indochine), nous avons demandé à Emmanuell D. et Gregg Anthe de se prêter au jeu du blind test. De Bowie aux Mamas and Papas, d’Autechre à Alizée, ils n’ont séché sur aucun titre !

DAVID BOWIE : Heroes

Emmanuell et Gregg (en chœur) :
Bowie !
Gregg : Heroes, oui là tu es gentille, c’est facile. Alors Bowie, non, ce n'est certainement pas une influence, j’ai découvert ça très très tard grâce à la pub Wanadoo… (rires)
Emmanuell : Moi j’ai découvert Bowie quand j’avais 11 ans en voyant le clip China Girl à la télé. Ça me faisait exploser de rage à chaque fois parce que je voulais être à la place de la petite Chinoise ! En fait, j’ai commencé par Let's Dance, et ensuite j’ai découvert les albums plus anciens. J’étais en sixième à l’époque et il fallait choisir son camp entre Bowie ou Michael Jackson.
Gregg : Moi c’est pareil, j’ai commencé par "Let’s Dance" et ses premiers disques ne m’avaient jamais vraiment branché. Ce n'est qu'ensuite que j’ai découvert "Low" et "Heroes" qui sont mes albums préférés.

Ta voix a parfois été comparée à celle de Bowie. Comment réagis-tu à cela ?
Gregg :
Je dois ressentir ce qu’a dû ressentir Peter Murphy. Ou ce que Bowie a dû ressentir au début quand on n’arrêtait pas de lui parler de Scott Walker. Inconsciemment je suis sûr que ça a influencé ma façon de chanter et j’essaie de me sortir de ça. Mais, même en essayant d’être vraiment moi-même, je m’aperçois que je chante comme ça.
Emmanuell : D’autant que nous aimons beaucoup les voix de crooners, notamment Scott Walker, Brian Ferry.

BAUHAUS : The Three Shadows, Part 2

Gregg :
Ah oui, c’est Bauhaus, The Three Shadows. On en a fait une reprise d’ailleurs… Bauhaus, c’est comme Virgin Prunes : excellent, monstrueux, très classe.
Emmanuell : Et avec tous ces artistes, c’est assez drôle de voir que ce sont des groupes de l’ombre qui ont eu une influence sur des artistes beaucoup plus connus. On a l’impression qu'ils ne recherchent pas forcément le succès, mais ils ont malgré tout un vrai succès d’estime. C’est étrange d’ailleurs ce qui fait qu’un groupe va devenir beaucoup plus connu qu’un autre. Je pense par exemple à Trent Reznor qui, à la mort de Rozz Williams, a reconnu qu'il avait été une grosse influence pour lui.
Gregg : Oui, c’est comme Martin Gore quand il parle de Tuxedomoon. Tuxedomoon est un groupe qui n’a jamais eu de gros succès mais qui a influencé énormément de monde.

Et pourquoi avoir repris The Three Shadows ?
Gregg :
Pour son émission de télé ("Rock Press Club" sur Jimmy -ndlr), Philippe Manœuvre nous avait demandé, trois jours avant, de faire une reprise sur le plateau. On s’est dit que l’expérience pourrait être intéressante, donc on a cherché, on a écouté Joy Division, Bauhaus… Il fallait que ce soit acoustique et comme c’était un morceau que je jouais à la guitare depuis longtemps, on s’est dit pourquoi pas celui-là. On en a fait une version guitare et voix, qui d'ailleurs n’est pas très bonne !
Emmanuell : Mais c’est vrai que les reprises ce n’est pas trop notre truc.
Gregg : Ce serait plus intéressant de faire quelque chose directement avec Peter Murphy par exemple.

Oui tiens, si vous deviez collaborer avec quelqu’un, ce serait qui ?
Gregg :
Peter Murphy, Gavin Friday… Quelqu'un avec qui j’aurais adoré collaborer, parce qu’on a eu la chance de le rencontrer avant sa mort, c’est Rozz Williams. Mais c’est difficile de répondre à cette question parce qu’il faut rencontrer les gens, c’est une question de feeling. Je dis Rozz Williams, parce qu’on en avait parlé avec lui et que je sentais qu’il y avait quelque chose qui passait entre nous. On l’avait rencontré dans les backstages de l’Arapaho, à Paris. Il m’avait d'ailleurs fait un cocktail terrible… même lui faisait la grimace ! On avait discuté musique et d’un tas d’autres choses, c’était vraiment bien.
Emmanuell : Sinon dans l’absolu, un groupe comme Sonic Youth. On vient d’horizons différents musicalement, mais par exemple, je sais qu’au niveau cinéma ils sont très branchés Nouvelle Vague donc il y aurait peut-être des atomes crochus…

MORTHEM VLADE ART: Beyond Sorrow

Gregg :
Ah mais c’est nous ça ! C’est pour reparler du premier album ?
Emmanuell : En fait, il faut regarder nos cinq albums. C’est un parcours, et si tu prends les cinq à la suite, il y a un fil conducteur. Cette évolution de styles, c’est notre façon de travailler, on est des capteurs. Si on doit parler de changement, je pense que la cassure se situe entre "Organic But Not Mental" et "Antechamber", parce que sur "Herbo Dou Diable" et "Organic" il y avait toujours un relent de goth.
Gregg : Pour moi, de ces cinq disques, c’est "Herbo" qui est étrange. Si notre premier album avait été "Organic", je pense que les gens auraient moins insisté sur les différences entre nos différents disques.
Emmanuell : Mais ce qu’on explique assez souvent, c’est que quand tu démarres un truc, tu te cherches un peu. Et la nécessité c’est de poser une base pour démarrer. "Herbo" c’était cette base. Plus on avance, plus on prend du recul, plus on cherche à explorer d’autres facettes. Mais en fait c’est toujours la même chose qu’il nous faut redéfinir.
Gregg : C’est vrai que pendant un moment on a eu du mal à assumer nos premières productions : les démos et "Herbo". On ne trouvait pas ça très fini, pas très fin. Je pense que c’était bien nous à ce moment-là, mais il y avait une sorte d’immaturité.

AUTECHRE : Clipper

Gregg :
Ça peut être Autechre… J’avais un groupe avant Morthem dans lequel je ne faisais que de la musique électronique et Autechre a été une révélation pour moi. Le triturage du son, le travail sonore n’a jamais été aussi loin qu'avec Autechre. Après, ce que j’aime beaucoup, ce sont des groupes qui s’inspirent de ce son comme Notwist par exemple, qui met de l’electronica dans la pop. Ce qu’ils ont fait sur "Neon Golden" est très subtil. Il y a un autre album qui est aussi très très bien fait et qui est passé un peu à l’as, c’est "Vespertine" de Björk. Je le trouve très bon, alors que par ailleurs je n’aime pas Björk.

Et Radiohead, qui a aussi mélangé sons organiques et sons électroniques ?
Gregg :
"Kid A" n’est pas un mauvais album, mais les premiers Radiohead, ça ne me parle pas des masses…
Emmanuell : Je trouve Radiohead assez aseptisé. Je sais que ça peut sembler étrange de dire ça… Quelque chose qui ne m’a pas plu avec Radiohead, c’était un de leur clip : tout en images de synthèse, ça se passait dans la rue et tous les gens étaient gris, Tom Yorke était assis sur un banc et il y avait une rose qui poussait… J’ai trouvé ça assez démagogique, trop manichéen. Ce que je n’aime pas dans Radiohead c’est que ça ne va pas assez loin ! Mais si on ne parle que de musique, c’est sûr qu’il y a des choses intéressantes dans ce qu’ils ont fait.

THE MAMAS AND THE PAPAS : California Dreamin'

Emmanuell :
Les Beach Boys ! Ah non… California Dreamin’ ce n’est pas les Beach Boys, c’est les Mamas and Papas. J’ai écouté beaucoup de trucs des années 70 quand j’étais au lycée. J’ai eu ma période Doors, Joplin, Hendrix, etc… Et cette chanson, California Dreamin’, je l’aime énormément parce qu’elle me rappelle un souvenir particulier, quand j’étais partie en Écosse. On avait fait un périple assez marrant. J’étais partie rejoindre une bande de copains qui jouaient dans un groupe qui s’appelait les Beggars, et on s’était retrouvés dans l’appartement du dealer des Wet Wet Wet. Les Wet Wet Wet venaient le soir acheter leur drogue dans cet appartement, c’était assez drôle ! J’avais d'ailleurs trouvé le chanteur des Wet Wet Wet très sale, pas du tout comme à la télé ! C’était un grand appartement où vivait d'ailleurs aussi un des membres des Silencers… tout le rock écossais passait par là !!

INDOCHINE : Marilyn

Gregg :
Ah non… c’est dégueulasse ça (rires) !
Emmanuell : Que dire… que dire…

Comment en êtes-vous arrivés à remixer ce titre ?
Gregg :
C’est leur producteur qui nous a appelés pour nous demander de remixer Marilyn. Il nous a envoyé l’album, qu’on n'a honnêtement pas aimé. Après, en ce qui concerne le morceau Marilyn, bon, le texte ne me semblait pas… hum, c’est hard de parler comme ça…
Emmanuell : En fait, le texte de Marilyn est bien dans l’esprit Indochine ! Ce qu’ils faisaient avant, ce thème de l’ambiguïté sexuelle… Et puis, quitte à faire quelque chose pour un groupe commercial, autant faire quelque chose pour un groupe qui n’est pas né d’hier et qui est à fond dans son trip. On n'a absolument rien contre eux ! C’est sûr que ce qu’ils font ne nous fait ni rêver, ni réfléchir, mais je trouve que ce n’est pas irrespectable.
Gregg : Mais pourquoi cherche-t-on à se justifier ? C’est loin d’être les pires ! Ça aurait été bien pire de travailler pour Placebo par exemple ! Et le critère décisif pour accepter de faire ce remix, ça a aussi été ce que je pouvais en faire. Le texte parle de choses qui se passent derrière les portes, sous les escaliers, et j’ai eu envie d’en faire un truc très intimiste, en mettant la voix très en avant et en retirant la tonne de reverb. Et j’ai trouvé le résultat vraiment intéressant.

DOMINIQUE A : Le Twenty-Two bar

Gregg :
Dominique A ! J’adore !
Emmanuell : Oh oui, vraiment génial : poétique, textes sublimes, voix magnifique, des compos pas évidentes. Ce qu’il y a de plus intéressant dans la chanson française actuellement, c’est lui ! Pour moi, il n’y en a pas d’autres. Certes on ne connaît pas tout, mais souvent on entend "Untel, digne héritier de Brel ou de Gainsbourg", je trouve que c’est une honte de balancer des noms pareils pour des mecs pareils. Alors qu’avec Dominique A, on est vraiment dans le renouveau de la chanson française de qualité, vraiment ressentie, vraiment profonde, comme pouvaient l’être Piaf, Brel ou Gainsbourg. Dominique A est à part, parce que dans le renouveau de la chanson française, il y a un côté "J’suis un loser, j’fais ça pour me marrer et j’suis pas complètement vide… et en même temps je prends la thune !" qui sonne faux.

LTNO : Boys

Emmanuell :
On a joué avec eux la semaine dernière.
Gregg : Musicalement, je ne connaissais pas du tout Ltno. La seule chose que j’avais entendue était l’album "12 Têtes mortes" des Tétines Noires. On a donc rencontré Emmanuel la semaine dernière et c’est vraiment un mec adorable. Malheureusement, on n’a même pas eu l’occasion de voir leur concert parce qu’on jouait en premier et qu’on a enchaîné avec des interviews. Mais la prochaine fois qu’ils passent, je vais les voir. Par contre, on connaît un peu ce que fait Jérôme Soudan, leur ancien batteur, avec Mimetic, Von Magnet et dans Art Zoyd.

Vous avez des connections avec d’autres groupes français qui appartiennent à cette même scène ?
Emmanuell :
En fait, le groupe qu’on connaît le mieux n’est pas français, c’est Clan of Xymox. Ce sont nos super potes ! Pour la petite anecdote, on a passé notre réveillon du jour de l’an ensemble, à Amsterdam, et on a fait une bataille de boules de neige dans la rue ! Je tiens à préciser que Ronny est un lâche, il envoie des boules de neige à la tête des gens et se cache derrière les voitures ! Enfin, on les aime vraiment beaucoup.

ALIZÉE : Lolita

Emmanuell :
Ah ! C’est Lolita de… comment s’appelle-t-elle déjà ? Moi, j’aime bien ! Je la trouve très jolie et je trouve que c’est très bien de mettre en avant le côté pédophile de tous les hommes, qui est une réalité ! Je trouve qu’il y a une hypocrisie énorme dans le fait de faire tout ce battage autour de la pédophilie quand on voit ce qui se vend comme sous-vêtements pour les gamines de onze ans dans les magasins et qu’aujourd’hui les femmes doivent s’habiller en Petit Bateau pour faire baver les mecs… C’est le paradoxe énorme de la société moderne. Je crois qu’on est dans une société pédophile et qu’il faut l’assumer ! Aujourd'hui le pouvoir c’est la jeunesse.
Gregg : Ce qui est dommage, parce que les jeunes n’ont absolument rien à dire ! La preuve avec Lolita !
Emmanuell : Mais les artistes ont, je pense, tous en eux cette envie de lutter pour ne pas s’endormir. Et je pense que ça a forcément un rapport avec l’enfance et l’adolescence qui sont les moments les plus passionnants de la vie, ensuite on essaie toujours vainement de revenir vers ça.

D’ailleurs, grande question : peut-on continuer à faire de la musique, et en particulier du rock, quand on vieillit ?
Gregg :
En fait, on ne pouvait pas répondre à cette question avant. Les rockers vieux, c’est quelque chose de récent. Quand on voit Iggy Pop, on se dit que c’est possible. Quand on voit les Rolling Stones…
Emmanuell : Je pense que ce n’est pas une question physique, c’est plus une question d’état d’esprit, de lutte perpétuelle. Je pense qu’on peut faire de la musique jusqu’au bout. Regarde Gainsbourg, Johnny Cash, il y en a plein… je pense que la quête de la création, elle est là aussi. Chercher un renouvellement perpétuel. Et même si cette lutte est vaine, tant pis ! Même si, c’est certain, Mick Jagger n’a plus la même prestance qu’à vingt ans, et qu’il y a presque un côté désespéré dans cet acte-là, moi j’aime cet acte-là !