|  Propos recueillis en juillet 2004
DERNIÈRE SORTIE : "The Cure" |
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|  |   |  |      | Par Olivier Hartmann | Photos Olivier Hartmann |
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|  | Les dernières activités de The Cure ayant plus un parfum de glorieux testament que de renouveau musical, on pouvait craindre que le groupe ne choisisse de terminer sa carrière sur la sortie de l'éblouissant DVD "Trilogy" et du coffret de faces B "Join the Dots". Le caractère commémoratif de ces objets, ajouté à la multiplication des collaborations individuelles d'un Robert Smith libéré des contingences d'un groupe avec une collection d'artistes aussi hétéroclite que Junkie XL, Blank & Jones, Blink-182, Junior Jack, Earl Slick et Chris Vrenna, ressemblait fort à un point final. C'était sans compter sur l'insistance de Ross Robinson, producteur de Korn et fan de Cure, dont l'acharnement auprès de Mr Smith parvint à convaincre ce dernier de retourner en studio. Il en résulte un album éponyme qui réussit l'exploit de faire l'unanimité de la critique. C'est début juillet, entre Rock Werchter et le festival des Voix du Gaou, que Robert Smith a fait escale à Paris où nous avons pu le rencontrer dans le cadre d'une conférence de presse. Ayant remarqué le teint cireux de Roger O'Donnell la veille en Belgique, c'est plein de sollicitude que nous en prenons des nouvelles.
"Il n'avait pas l'air très frais (sourire) ? Il avait avec lui un seau en plastique très rock'n'roll au cas où il aurait dû vomir sur scène. Je lui ai dit que si c'était arrivé, ça aurait été la seule fois dans sa vie où il aurait eu l'air d'un punk ! Il va mieux, mais maintenant c'est Jason qui est malade, après Perry il y a deux jours. Ce devrait donc être mon tour à Lyon après-demain !" Laissant là ces considérations gastriques, nous revenons à l'événement de l'avant-veille : le premier passage de The Cure à l'Olympia, vingt-deux ans après les concerts mythiques du "Pornography Tour" en juin 1982. À l'initiative de RTL2 le groupe clôture une soirée acoustique ouverte sur concours aux auditeurs de la station. Le public, très jeune, est aussi là pour voir Raphaël et son invité surprise Jean-Louis Aubert, ainsi que Calogero, lequel a convié Passy, suivis d'Etienne Daho, Mickey 3D et un Placebo tout mou... L'interlude à la guitare sèche façon Muppet Show qui suit chaque prestation est confié à Jean-Félix Lalanne et Michel Aumont qui s'efforcent de couvrir le bruit des roadies devant des spectateurs polis mais peu concernés par leur hommage pourtant éloquent à Marcel Dadi. Seule la moitié de cette affiche improbable aura joué le jeu du set acoustique et The Cure est de ceux-là. "Les titres ont été difficiles à choisir, contrairement à notre dernier concert acoustique, que nous avions donné à Paris il y a quelques années, à l'occasion de la sortie des "Greatest Hits". Ça avait été beaucoup plus facile parce que, du fait qu'elles sont plus rythmées et plus mélodiques, les chansons pop se prêtent bien mieux à ce genre d'interprétation. Elles ont aussi l'avantage d'être connues de tous alors si jamais elles sonnent un peu bizarrement le cerveau de l'auditeur corrige de lui-même. Mais je voulais faire quelque chose de différent : jouer Shake Dog Shake en acoustique a été un très bon moment, c'était hilarant, en fait." Et plutôt gonflé ! "Je ne sais pas, beaucoup de chansons marchent bien en acoustique. Le plus difficile a été de transposer les parties de clavier en parties de piano car nous avons alors réalisé combien nous employions souvent des notes prolongées. Comme nous avions joué à l'Olympia il y a très longtemps, nous avons eu une étrange impression de déjà vu quand nous sommes entrés en scène. J'ai trouvé agréable de jouer dans un lieu intime sans pour autant jouer dans une boîte comme nous l'avons fait à deux reprises ces derniers mois à Londres pour des concerts de charité. Je n'avais vraiment pas aimé, c'était oppressant plutôt qu'intime parce que les gens étaient trop près. Par exemple, s'il fallait que je me mette à chanter maintenant, je serais vraiment très embarrassé. Ça peut paraître idiot après tout ce temps mais plus je suis proche du public et plus je suis intimidé et mal à l'aise, alors qu'à l'Olympia ça s'est très bien passé. Ça a d'ailleurs eu des répercussions bénéfiques sur le groupe car lors du festival du lendemain à Werchter nous avons réussi à conserver un peu de cette intimité devant 70 000 spectateurs." Cette complicité était en effet palpable malgré le gigantisme de la scène flamande, mais vu du public, la grosse machinerie d'un festival majeur reste incomparable avec la chaleur d'un music-hall ou d'un théâtre. "Nous avons enregistré l'album dans cette configuration regroupée, et j'essaie vraiment de conserver cette atmosphère en concert, que l'on échange des regards et quelques mots plutôt que de retomber dans ce qui à mon sens n'allait plus chez nous en tant que groupe ces dernières années. C'est très subtil : nous cherchons à créer quelque chose entre nous plutôt que de faire face au public et de nous contenter de dérouler le concert pour lui. Ça a réussit à l'Olympia parce que nous étions très proches les uns des autres, Roger était assis, c'était intime. Non pas que j'aimerais faire ça à chaque fois ; je pense que c'était bien parce qu'inhabituel." En dépit ou à cause de cette intimité retrouvée en studio, les premières sessions d'enregistrement du nouvel album avec Ross Robinson ont manifestement traumatisé le reste du groupe. Il semble qu'elles aient été particulièrement difficiles. "La première semaine a été très tendue parce que pour que Ross parvienne à nous faire atteindre son objectif, il a fallu que nous mettions beaucoup plus de passion dans ce que nous faisions. Lors de la première session, il m'a demandé d'expliquer le texte de la première chanson, Lost, pourquoi je l'avais écrit et ce que je voulais que le public ressente quand nous la jouerions. C'était curieux pour moi car je n'avais encore jamais rien fait de tel, et ça nous a conduit à une discussion sur la conscience de soi. C'était bizarre parce que d'habitude nous aurions joué le morceau, vérifié qu'on était accordé et puis tout ce qu'on fait d'ordinaire quand on est en studio... Mais rien de tout cela n'intéressait Ross. Tout ce qu'il voulait c'était parvenir à nous faire tous partager le même espace mental de telle sorte que quand nous commencerions à jouer nous saurions tous pourquoi. Durant cette première semaine nous avons discuté de sujets dont nous n'aurions jamais parlé autrement, certaines choses dont cinq Anglais d'âge mûr ne parlent pas entre eux." Nul doute que l'âme californienne de Ross Robinson ait été surprise, voire choquée, par le côté réservé de musiciens qui semblent avoir traversé l'ensemble de leur carrière sans jamais parler entre eux de quoi que ce soit d'émotionnel. Et ce ne sont pas des sujets de discussion aussi délicats que celui de la mort, du deuil et de la colère que ceux-ci peuvent susciter, comme évoqué dans This Morning, qui auront rendu l'expérience plus aisée. "Ross a créé un environnement au sein duquel chacun se sentait à l'aise, mais il a fallu passer par pas mal d'absurdités avant d'en arriver là. À la fin de la première semaine, Ross était sur le point de rentrer chez lui tellement les autres étaient réfractaires à ce qu'il voulait faire, mais à la fin de la deuxième, ils ont tous décidé de tenter le coup et la situation s'est améliorée. Cela a affecté chacun d'une manière différente et le groupe bien plus que je n'aurais pu l'imaginer. Mais je crois que depuis la sortie du studio ils ont de nouveau changé d'avis et oublié à quel point c'était bien en n'en retenant que les mauvais côtés." Le portrait de Robinson tracé par Simon Gallup dans de récentes interviews est effectivement sans équivoque : "Qu'on ne me dise pas que c'est un grand producteur, pour moi il n'a rien été d'autre qu'un cauchemar et jamais rien de positif ne franchira ma bouche à son sujet. Ce n'est qu'un crétin." "Mais ça a vraiment marché, sur le moment", insiste Robert Smith. "J'avais l'impression d'enregistrer un album pour la première fois comme un vrai groupe, je n'avais jamais ressenti une chose pareille dans toute l'histoire de The Cure."
Parmi la trentaine de journalistes présents lors de cette conférence de presse parisienne, une dizaine d'intervenants prendra la parole, posant des questions qui amèneront notre interlocuteur sur le terrain de son album solo, son implication dans le groupe, l'enregistrement de leur premier album ou les CD bonus à venir. "J'ai convaincu Universal de remasteriser tous nos albums, ce qui m'a donné l'opportunité d'accompagner chacun d'entre eux d'un CD bonus. J'ai d'ailleurs déjà compilé les quatre premiers. C'est quelque chose de très particulier parce que ces titres inédits montrent l'envers du décor. Avec le recul, je suis content de voir que le contrôle de la qualité de nos morceaux a été exercé à un très bon niveau." N'y a-t-il donc rien que Robert Smith regrette avoir sorti ? "Non, sur ces vingt-cinq années je suis satisfait. À l'écoute des premiers CD bonus, je pense que les petits groupes seront curieux de voir comment, étant au départ franchement nuls, nous sommes devenus un groupe capable de sortir un premier album raisonnablement bon sur une période très courte et ce, uniquement en jouant beaucoup. De temps en temps il y a des titres qu'on ne sort pas parce qu'il s'agit de chansons expérimentales, et c'est ce genre de chose qu'il y a sur les CD bonus, des morceaux qui n'auraient pas eu leur place sur un album et dont certains sont un peu étranges." Et c'est prévu pour quand ? "Au départ c'était prévu pour fin juin, la même semaine que le nouvel album, mais on en a repoussé la sortie probablement jusqu'à octobre parce qu'on va vraisemblablement sortir un deuxième single ("Taking Off" -ndlr). Les quatre premières rééditions sortiront cette année. Quant aux quatre suivantes, il me faudra environ un mois pour les préparer parce que je dois bien sûr écouter les bandes en temps réel. J'ai plein de cartons de cassettes jusqu'à la période "Kiss Me" et je crois que le reste est en DAT. Si tout va bien je quitterai les années 80 vers janvier 2005 !"
L'album solo de Robert Smith est l'un des serpents de mer récurrents de l'univers de The Cure. Apparu dès 1982 avec le morceau Ariel, joué lors d'une session radio puis évoqué à nouveau en 1989 sous le titre "Music for Dreams", il a failli enfin voir le jour cet année, Smith étant allé jusqu'à réserver le studio d'enregistrement avant de tout annuler pour se consacrer de nouveau au groupe. "Ce qui distingue mon projet solo du travail du groupe c'est une instrumentation complètement différente car elle n'est pas basée sur le trio guitare-basse-batterie. De ce fait, enregistrer un album de The Cure sans le groupe me semblerait encore plus bizarre que de faire un album solo sans eux, parce que The Cure ce n'est pas moi, c'est et ce sera toujours un groupe. J'ai toujours aimé jouer de la musique avec d'autres gens, je n'ai jamais rêvé de monter seul en scène et quand je l'ai fait, très rarement, ça m'a toujours fait paniquer. En jouant dans un groupe il est beaucoup plus facile de dépasser sa timidité en réalisant que c'est ensemble qu'on crée quelque chose de valable et ça permet de comprendre pourquoi le public aime le résultat. Je trouve étrange que beaucoup d'artistes solo le soient devenus parce qu'ils n'aimaient pas le contexte de groupe. D'un autre côté, je pense que la plupart des groupes de cette stature et de cette longévité fonctionnent autour de deux egos, en tout cas dans la perception du public. Nous sortons de l'ordinaire au sens où, pour nous et pour les fans, Simon fait partie intégrante de ce que nous faisons, mais pour les médias ça n'a jamais été le cas. Il n'a jamais voulu devenir ce deuxième personnage, probablement par un mélange de timidité et de fainéantise." Cette remarque est-elle parvenue aux oreilles de Simon ? Toujours est-il qu'au cours de la tournée américaine qui vient de s'achever, notre bassiste favori a multiplié les entretiens avec la presse locale, n'omettant jamais d'expliciter son opinion sur Ross Robinson. Robert précise : "Si nous avions été comme la plupart des autres groupes, j'aurai commencé une carrière solo il y a des années. Le fait que je sois resté dans The Cure est un peu curieux, mais j'aime ça. J'aime l'idée d'en faire partie plutôt que d'être un personnage complètement public. Le nom Robert Smith est toujours suivi par "de The Cure", ce que j'apprécie, par opposition à Robert Smith "qui va faire ses courses". C'est une sorte de façade qui m'aide à me convaincre que quand je fais quelque chose en public, c'est dans un groupe. Et puis comme je chante très peu sur cet album solo, ce serait bizarre d'enregistrer un disque instrumental avec des instruments à cordes et de l'attribuer à The Cure, je me sentirais floué. J'arriverais sur scène et il y aurait là seize musiciens dont aucun de The Cure. Ça va être étrange mais, oui, cet album sortira un jour."
Si "Three Imaginary Boys", le tout premier disque du groupe, a en commun avec leur dernier album d'avoir été enregistré en live, l'expérience avait à l'époque été beaucoup plus facile. "Nous avions l'avantage quand nous sommes entré en studio d'avoir joué chacun de ces morceaux sur scène pendant au moins six mois. Nous avons enregistré près de vingt-quatre titres, dont certains seront sur les CD bonus. Certains sont extraordinairement mauvais, vraiment. Nous avions d'ailleurs composé un groupe de chansons à concept intitulé printemps, été, automne et devinez quoi ? Quand nous avons enregistré "Three Imaginary Boys" en trois nuits -pour ne pas avoir à payer le studio, nous y entrions à 22h grâce à des gens qui pouvaient nous ouvrir et utilisions le matériel de The Jam- Chris Parry, qui l'a produit, nous a dit : "On mixera la troisième nuit ; les deux premières, enregistrez tout ce que vous savez jouer". Mais heureusement je me suis dit "n'enregistre pas ces quatre morceaux !". Au bout du compte nous avons tout de même enregistré Winter. C'est la seule fois où Michael Dempsey a été bourré en studio et c'est la toute dernière chanson que nous ayons enregistrée la deuxième nuit. Elle sera sur le CD bonus. Elle est horrible, c'est vraiment très embarrassant." Ces sessions ont également infléchi la façon de travailler du groupe pour près d'un quart de siècle. "J'ai été un peu contrarié par cet album, n'ayant pas supporté de ne pas décider des titres qui allaient le constituer, c'est pourquoi nous n'avons plus jamais eu de producteur jusqu'à Ross Robinson, d'autant plus que j'avais accepté que nous enregistrions tous nos morceaux en partant du principe que je choisirais ceux qui seraient sur le disque. Par exemple, Foxy Lady a toujours été la chanson de The Cure que je déteste le plus parce que c'est Michael qui chante et qu'il n'avait encore jamais rien chanté de sa vie ! La chanson s'est retrouvée sur l'album et tout le monde a cru que c'était moi qui chantait, ce qui a été encore pire (rire). Mais j'ai oublié tout ça."
Et quant à la différence d'âge grandissante entre le groupe et son public, sujet sur lequel certains journalistes s'interrogent, cela ne manque pas d'agacer Robert Smith. "C'est un préjugé selon lequel nous avons un public jeune et sommes par conséquent immatures. Que nous soyons matures ou pas, je ne relève pas ce genre de propos parce que l'idée que je sois un enfant est vraiment ridicule. Compte tenu de mes activités, il me serait franchement difficile de rester un gamin. Mais je lutte sans cesse contre l'idée de grandir au sens conventionnel. Je déteste l'idée que, quand tu grandis, la spontanéité disparaît, je me bats contre ça. Mais l'expérience que j'ai m'a énormément changé ; je ne suis pas la même personne qu'à mes débuts. Je suis une bien meilleure personne, maintenant (grand sourire)." |  |  |  |  | 1/2 |  | | |  | |
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