|  Propos recueillis en novembre 2004
DERNIÈRE SORTIE : Siouxsie & the Banshees "Downside Up" |
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|  |   |  |    | Par Frédéric Thébault | Photo D.R. |
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|  | Lorsque, un soir de juillet 1976, Susan Janet Ballion et Steven Bailey, alias Siouxsie Sioux et Steven Severin, décident de monter sur scène sans ne jamais avoir joué de musique de leur vie, personne n'imagine que presque 30 ans plus tard on parlera encore de leur musique avec autant d'admiration. C'est plus d'une dizaine d'albums après ce premier concert (auquel participent Sid Vicious des Sex Pistols à la batterie et Marco Pironi, futur Adam & the Ants, à la guitare) que Siouxsie & the Banshees décide de stopper sa carrière, las des conflits internes. Il est désormais temps de passer à ce qui pend au nez de tout groupe un tant soit peu connu : la période des reformations, des compilations, des best of, des concerts exhumés… exercices de style périlleux qui frôlent souvent l'escroquerie, plus rarement le complément indispensable à une discographie déjà conséquente. Siouxsie & the Banshees s'y colle donc aujourd'hui, avec la parution d'une compilation fleuve de B-sides, pour la plupart jamais éditées en CD, attendue et réclamée depuis des années par les fans. Steven Severin fait pour nous le point sur l'actualité de Siouxsie & the Banshees en 2004. Nostalgie, nostalgie...
Avant de parler de Siouxsie & the Banshees, peux-tu nous dire quelques mots à propos de John McGeoch ? Steve Severin : Que puis-je dire qui n'a pas déjà été dit ? John était un guitariste visionnaire, un esprit admirable. Mon seul souhait aurait été de passer plus de temps avec lui ces dernières années.
Concernant les B-sides. Vous avez toujours dit que ces chansons étaient aussi bonnes que les autres. Es-tu soulagé de les voir publiées en CD maintenant ? Je ne crois pas qu'il s'agisse de dire qu'elles étaient "aussi bonnes" ou meilleures ou plus mauvaises. Ce n'étaient simplement pas des morceaux faits pour les albums, ou prévus pour être des singles, la plupart ont été écrits en une après-midi ou une soirée, spontanément, et donc, habituellement, c'était très fun. Je crois que nous avions là quelques petites perles, et je suis vraiment heureux que sorte ce box set "officiel".
Quelles sont les chansons que tu aimes le plus parmi celles-ci ? Il y en a tellement. Je crois que Tattoo est vraiment ma préférée, suivie de près par I Promise. Il faut attribuer un prix d'honneur à Supernatural Thing. C'était un vieux morceau funk/disco que Siouxsie adorait, je n'en voulais pas à l'époque, mais avec le recul, le résultat est très cool.
"The Thorn" est plutôt à part, dans votre discographie. Je pense personnellement que c'est un des meilleurs disques que vous ayez fait, trop court hélas. Récemment Frank Black des Pixies a complètement réinterprété plusieurs vieilles chansons à lui, et le résultat est fabuleux. Pourriez-vous faire ce genre d'exercice, à la manière de ce que vous aviez fait avec "The Thorn" ? Merci. Je ne sens pas le besoin de réinterpréter aucun des travaux passés des Banshees, mais si d'autres personnes veulent le faire, ce serait quelque chose que je serais intéressé à écouter. Tant qu'il ne s'agit pas de l'un de ces albums de reprises épouvantables de Cleopatra. Mais je peux vivre sans.
La plupart des faces B sont plus expérimentales que les morceaux "habituels". Comment s'est effectué le choix, à ce moment-là, en faire des B-sides ou les mettre dans un album, étiez-vous conscients que les morceaux étaient différents, ou était-ce juste le hasard ? La façon dont ça se passe habituellement, c'est, pour des raisons évidentes, que les chansons les plus entraînantes finissent en singles. À l'époque du vinyl, il fallait combler par une B-side. J'ai grandi avec les belles faces B de Roxy, Bowie, etc., et en conséquence nous leur avons accordé l'attention qu'elles méritaient. C'était aussi une façon de montrer une autre facette du groupe. Il nous arrivait d'avoir des morceaux mis de côté pendant les sessions de l'album, des titres qui ne collaient pas au contenu du disque dans son ensemble, ou dont nous ne savions pas quoi faire à ce moment-là. Malgré tout, si nous n'avions pas déjà quelque chose, on se réunissait et on jouait pour voir ce qui sortait. Le style "expérimental" dont tu parles est dû au fait que ces morceaux devaient être composés rapidement, et, parce que ce n'étaient pas des singles, il n'y avait pas -inconsciemment- de pression sur nos épaules. On peut donc dire que c'était "artisanal".
Ces B-sides, pour la plupart, sont complètement hors des normes musicales actuelles, même si certains groupes comme Interpol ou The Rapture réintroduisent un certain style de musique "sombre". N'as-tu pas peur que ça n'intéresse personne ? Non, pas du tout, puisque pour la plupart les gens qui vont acheter la box-set sont archi-fans des Banshees. Je suis satisfait qu'elles aient été réhabilitées. La moitié d'entre elles n'avaient jamais été éditées en CD avant, et la plupart sont complètement introuvables. C'est une compilation d'archives, ça n'a rien à voir avec ce qui est à la mode aujourd'hui. Les Banshees sont morts, et c'est un témoignage de la qualité que nous avions.
Pas mal de gens pensent que "7 Year Itch" n'est pas la meilleure chose que vous ayez faite... et toi, en es-tu satisfait ? Je suis plus étonné que ça soit arrivé que content. Ça a été un pur hasard que l'organisateur du festival Coachella m'appelle, et c'est ce qui a lancé tout le truc. On avait vaguement parlé d'une reformation, mais rien de bien sérieux. Je n'arrive pas encore à croire que ça soit vraiment arrivé.
Es-tu nostalgique de Siouxsie & the Banshees ? Oh bien sûr, le premier Lollapalooza a été tellement fun ! Heureusement, les meilleurs moments, et les plus drôles ont éclipsé les plus tristes.
Quelle a été la période la plus excitante avec le groupe ? Humainement et musicalement ? Musicalement de 82 à 87, c'était fantastique, car la technologie passait de l'analogue au digital. C'est une bénédiction d'avoir connu les deux. C'est bizarre, mais humainement, les meilleurs moments ont été aussi les plus catastrophiques, quand Morris et McKay ont quitté le groupe, et que Siouxsie et moi avons dû mettre toutes nos forces, et tout notre cœur pour continuer. C'était incroyablement stressant, et ça aurait pu être la fin du groupe, mais notre volonté nous avait dopés, au moins pour un moment. C'est aussi quand Robert Smith nous a rejoint, j'avais désormais un camarade.
Es-tu comme Peter Hook de New Order qui adore parler de Joy Division : est-ce que Siouxsie & the Banshees compte encore beaucoup pour toi ? Bien sûr, ça a été vingt ans de —et dans— ma vie ! Le projet suivant concernant les Banshees sera de remasteriser tous les albums studio, ils sortiront l'année prochaine.
Es-tu conscient que Siouxsie & the Banshees est devenu une référence dans l'histoire du rock, et qu'il y a encore des gens qui écoutent vos disques, aujourd'hui en 2004 ? Je pense que c'est en soit un immense compliment que des gens écoutent encore les Banshees !
Siouxsie & the Banshees n'a jamais eu autant de succès que The Cure. C'était délibéré, ou juste un manque de chance ? Étiez-vous jaloux d'eux ? Ce n'était certainement pas par manque de chance. Je ne crois pas à la chance. The Cure tournait incessamment partout dans le monde, alors que nous perdions nos managers et nos guitaristes... ou bien que ça nous faisait chier (sourire). J'aime Robert et je suis fier de tout ce qu'il a fait.
N'en avez-vous pas assez d'être toujours comparés à The Cure ? Je ne savais pas qu'on nous comparait à eux. Je pense que c'est juste parce que Robert a joué dans le groupe de 79 à 82. Musicalement nous sommes vraiment très différents, la comparaison est peut-être un truc typiquement français (sourire).
Si quelque chose devait être refait, qu'est-ce que ça serait ? J'aurais essayé de convaincre les autres de faire une thérapie de groupe, comme Metallica !
Qu'est-ce qui a amené Siouxsie & the Banshees à s'arrêter, est-ce que la relation entre Siouxsie et Budgie y a été pour quelque chose, ou était-ce juste la fin logique de quelque chose qui était allé jusqu'au bout ? Je sais que Siouxsie et Budgie voulaient s'occuper un peu plus des Creatures, et plus personne n'était vraiment heureux, mais chacun connaît cette vieille histoire maintenant. Il y a eu d'autres facteurs, mais rien de substantiel qui ait poussé le groupe à s'arrêter. Chaque chose a sa propre durée de vie, c'est juste terminé, et c'est la seule façon dont je vois cela aujourd'hui.
Qui a eu l'idée du come-back, l'argent a-t-il joué un rôle là-dedans ? J'ai eu cet appel de l'organisateur du festival Coachella, et j'ai transmis la proposition à Siouxsie et Budgie, en espérant vraiment qu'ils utilisent leur droit de veto. Bien sûr quand quelqu'un t'offre de l'argent, tu considères la chose. Et à ce moment-là, ça semblait sympa, le prix était ok. Mais au final on n'a pas vraiment gagné d'argent, et ça n'a pas été fun.
Comme tu l'as vu toi-même sur le site de Prémonition, nous avons fait l'an dernier une interview de Siouxsie et Budgie. Budgie a dit qu'ils étaient heureux et qu'ils se sentaient bien dans leurs baskets, mieux que toi... Un peu plus loin, Siouxsie dit que "certaines personnes" n'étaient pas honnêtes et ouvertes, ce qui a empêché un véritable come-back de Siouxsie & the Banshees. Parlait-elle de toi ? Je ne vois vraiment pas comment l'un ou l'autre aurait pu avoir la moindre idée de ma joie de vivre, alors que je n'ai eu aucun contact physique avec eux pendant presque dix ans. Ça ressemble plutôt à une private joke entre eux deux. Oui, je suppose qu'elle parlait de moi, bien que je n'ai pas l'idée de ce qu'aient pu dire "certaines personnes". C'est vraiment hors de propos, car tu ne peux pas changer l'histoire. Je n'ai pas causé le split des Banshees, nous étions tous d'accord pour nous arrêter. Me reprocher de laisser le groupe non reformé est inutile et mesquin.
Ils ont aussi dit qu'au début de la tournée tu avais recommencé tes "sales tours". Que voulaient-ils dire ? Personne ne m'a jamais dit quels étaient/sont ces sales tours, alors ta question est aussi la mienne. Je suis venu, j'ai répété, pris ma basse et joué. À part mes vieilles pédales d'effet, je ne vois pas où est le mauvais tour en question. Nous avons dû changer le ton de bon nombre de vieux morceaux, parce que la voix de Siouxsie était moins forte depuis qu'ils avaient été enregistrés. C'était peut-être de ma faute. En fait, tout est/a été/sera de ma faute.
Un vrai retour, avec de nouvelles chansons semble donc être une illusion, ça ne pourra malgré tout jamais se réaliser ? Eh bien, la tournée "7 Year Itch" s'est tellement mal terminée et la biographie a ramené à la surface tant de vieilles rancœurs, qu'envisager une nouvelle reformation serait complètement débile.
Alors que vous jouiez tous dans Siouxsie & the Banshees, Siouxsie et Budgie sont partis former les Creatures. Comment as-tu pris la chose, t'es-tu senti blessé ? Puisque je faisais The Glove à ce moment-là avec Robert, comment aurais-je pu être blessé ? En réalité, je les ai encouragés à penser un peu par eux-mêmes.
The Glove est devenu un projet culte aujourd'hui, du moins pour les fans de Cure et de Siouxsie & the Banshees. Y a-t-il des B-sides ou des morceaux inédits qui pourraient être réédités ? J'ai déniché deux instrumentaux que j'aimerais ajouter à la remastérisation de l'album, prévue pour l'année prochaine. Robert les écoute en ce moment, et il voudrait bien chanter dessus. Ça se fera s'il a le temps.
Parlons de tes propres projets : que prépares-tu en ce moment ? Des musiques de film. J'ai trois films en préparation pour cet hiver, ainsi que la production du groupe Readers Wifes. L'un des films est dirigé par Richard Jobson, mon vieux copain et colocataire, et chanteur des Skids. C'est son troisième film, j'avais fait la musique du second l'an dernier, "The Purifiers".
Ta carrière solo est beaucoup plus discrète que celle des Creatures, en es-tu satisfait, socialement et financièrement ? Si j'ai fait la bande-son d'un obscur film que personne n'a vu, "Visions" qui a été interdit pour blasphème ("Visions of Ecstasy" en 1989 -ndlr), ou des musiques électroniques minimalistes pour des troupes de danse d'avant-garde, ce n'est pas parce que je voulais passer à "Top of the Pops" ! La nature de mon travail solo est anonyme, et un travail anonyme est forcément plus discret et moins commercial. Financièrement, c'est tellement étonnant que j'arrive à en vivre, après tout ce que j'ai fait. Je ne peux pas me plaindre que ce soit moins que n'importe qui dans ce milieu. Plus tu joues le jeu, plus tu es récompensé. Comme un petit chien.
Tu auras bientôt 50 ans, et les gens parlent encore de Siouxsie & the Banshees : comment aimerais-tu que soient les choses quand tu en auras 80 ? Dans 30 ans je serai mort, et ça m'est égal, mais je suis sûr que mon fils sera fier si les gens parlent encore de Siouxsie & the Banshees, de quelque façon que ce soit.
Qu'est-ce que ça fait de vieillir, quand on est un artiste accompli, est-ce qu'il est aussi facile de créer que lorsqu'on avait vingt ans, ou est-ce que l'on perd un peu de sa révolte ? Qu'est-ce qui pousse à créer ? D'une certaine façon, les choses sont plus simples quand tu es naïf. C'est inévitable que tu deviennes un peu las avec l'âge, mais cela a plus à voir avec la façon dont marche le monde, qu'avec l'essence de la créativité ou le fait que tu sois un artiste. Créer demande un peu plus d'efforts, tu te sens contraint de le faire, pour des raisons qui t'échappent. Tes priorités changent, ainsi que tes moyens, et ta façon de procéder, mais tu es qui tu es, et ça, ça ne change pas.
Quand vous avez commencé en 1976, vous vous battiez contre l'establishment. Ne penses-tu pas que, d'une certaine façon, vous êtes un peu une partie de celui-ci aujourd'hui ? Sans contrat avec une maison de disque et sans sponsor publicitaire, je ne fais certainement pas partie de l'establishment aujourd'hui. |  |  |  | | |  | |
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