Propos recueillis
en mai 2005


DERNIÈRE SORTIE :
"My Little Fire-Filled Heart"


SITE OFFICIEL :
www.lyciummusic.com/tara.html

LABEL :
www.silbermedia.com
Par Stéphane Leguay  
Photo Tara Vanflower  

Dans la famille Lycia, on aime faire les choses lentement et en douceur. Ainsi, après le lent trépas du groupe et la sortie de deux albums pré-posthumes ("Tripping Back into the Broken Days" en 2002 et la version enfin achevée du nébuleux "The Empty Space" en 2003), Tara Vanflower nous présente enfin son second essai en solitaire. Après un prometteur premier album paru en 1999, il nous tardait d'apprécier le chemin parcouru par cette incarnation d'Emily The Strange version Ohio. Aussitôt dit, aussitôt fait : quelques kilomètres de câbles et d'océan et voici déjà Tara qui nous parle du passé (un peu), du présent (beaucoup) et de bien d'autres choses. Toujours très laconique mais sans langue de bois.

Tout d'abord, où en est Lycia ? Vous sembliez être de retour pour de bon après les sorties de "Tripping Back Into the Broken Days" et "The Empty Space" ?
Tara Vanflower :
On peut dire que Lycia est une histoire quasi-finie. Nous allons rééditer quelques anciens albums sur notre nouveau label Silber Records, mais à part ça l'affaire est pliée. Nous nous concentrons désormais chacun sur nos projets solo ainsi que sur quelques collaborations à venir.

Il semble y avoir eut une scission entre vous et votre label historique Projekt qui n'a pas édité "The Empty Space" ainsi que vos albums solo respectifs...
Beaucoup de choses se sont passées et je doute que cette histoire soit très différente des nombreuses autres du même type. Pour résumer, je préfère juste dire que nous sommes heureux d'avoir atterri là où nous sommes aujourd'hui. Point.

Ton nouvel album est très différent du précédent "This Womb Like Liquid Honey" ; bien que tout aussi expérimental, on ressent une plus grande homogénéité entre les titres. Que t'ont apporté les six années qui ont séparé ces deux enregistrements ?
Je ne suis pas sûre de pouvoir bien résumer les changements qui se sont produits en moi. Je dirais néanmoins que pendant longtemps j'étais assez appréhensive quant à l'utilisation de ma voix, et que ça n'est plus le cas aujourd'hui. C'est là certainement le plus gros événement qui me soit arrivé. J'ai aujourd'hui une sorte de confiance en moi qui me manquait hier. À présent je me fiche de savoir si les gens aiment ce que je fais ou non. Ainsi je me sens totalement libérée.

Il semble que des artistes tels que Current 93, Rose McDowall ou Nurse With Wound aient eu un certain impact sur ton nouvel album ?
Il n'y a jamais chez moi l'intention de sonner comme quelqu'un d'autre, donc si c'est le cas, c'est vraiment le fait d'un pur hasard. J'aime beaucoup Current 93 mais je n'ai pas eu la chance d'écouter Nurse With Wound, bien que des amis à moi m'aient assuré que je devrais sans doute adorer leur travail.

Avec son minimalisme et sa quasi-arythmie, cet album dégage une impression de désorientation, presque de vertige ; est-ce une option artistique voulue dès le départ ou bien as-tu passé du temps à chercher et expérimenter sons et atmosphères ?
Tout est accidentel mais aussi d'une certaine manière intentionnel. J'ai rarement cette idée de "plan" lorsque je décide de m'asseoir pour écrire car tout évolue à chaque fois autour d'un son, d'une voix ou parfois même d'un mot. Je laisse donc les choses aller où bon leur semble. Pour être honnête, ma musique n'est qu'une succession de couches recouvrant la précédente et ainsi de suite jusqu'à ce que le morceau me paraisse achevé. Ainsi, les chansons de "My Little Fire-Filled Heart" sont nées d'une manière très naturelle. Mis à part la pièce traditionnelle A Conversation with Death et la reprise de Death In June The Honour of Silence, rien sur cet album n'a été "inventé" à proprement parler, tout est arrivé par hasard. De fait, je trouve cet album très cohésif à mes oreilles, bien que d'un autre côté je pense que chaque chanson renferme ses propres vibrations.

Justement, à propos de The Honour of Silence, comment t'es venue l'idée de reprendre de manière très personnelle ce titre de Death In June ?
J'aime cette chanson depuis de nombreuses années et un jour en l'écoutant, je me suis dit qu'elle serait parfaite pour moi. J'ai néanmoins demandé la permission à Douglas Pearce de la reprendre. C'était important pour moi d'avoir son aval, j'aurais abandonné l'idée s'il avait refusé. Dieu merci, il a été suffisamment gentil pour accéder à ma requête.

Une fois de plus, on retrouve dans tes textes le mêmes champ lexical qu'à l'époque de Lycia ; est-ce dû à ton style propre ou bien peut-être n'as-tu pas complètement enterré les années passées avec ce groupe ?
Je ne peux pas changer mon approche des choses. J'ai toujours été très honnête dans ma manière d'écrire, peut-être même trop et parfois, lorsque je relis mes textes, il m'arrive de me demander si tout le monde a pu y déceler mes secrets les plus sombres. Lycia restera pour toujours la chose la plus importante qui me soit arrivée, quelque chose qui jamais ne s'en ira de moi, il serait donc fou de penser que son influence ne se ressente pas dans presque tout ce que je fais aujourd'hui et dans ce qui suivra demain.

À l'instar de ton précédent disque, on a toujours l'impression que c'est la petite fille qui est en toi qui s'exprime plutôt que la femme que tu es devenue.
Oui, je crois que c'est vrai. J'étais un peu jeune lorsque j'ai enregistré "This Womb Like Liquid Honey" (en 1999 -ndlr) et à cette époque j'étais dans une phase où il me fallait me confronter à certaines périodes reculées de ma vie pour mieux les comprendre et m'en défaire. Mon nouvel album est plus ancré dans le présent. Il y a une certaine valeur fictive dans "My Little Fire-Filled Heart" qui était absente de "This Womb Like Liquid Honey". Certains titres tiennent ici parfois plus de personnages que de moi-même, bien qu'on puisse se demander en définitive si ces personnages ne sont pas des facettes de ma propre personnalité. La créativité est tellement pleine de mystères.

Mike (VanPortfleet, tête de pensante de Lycia) a récemment lui aussi sorti un album en solo. Dans une veine différente de la tienne, son travail est également très ambiant et minimaliste ; peut-on y voir une sorte de mimétisme entre lui et toi après toutes ces années passées à travailler ensemble ?
Je trouve son album "Beyond the Horizon Line" magnifique et étonnant. Des paysages se dessinent dans mon esprit lorsque je l'écoute. Je pense qu'il est tout naturel que nous ayons de l'influence l'un sur l'autre si l'on considère que nous sommes mariés, que nous avons passé du temps à créé avec Lycia et que nous sommes toujours fourrés l'un avec l'autre. Je dirais cependant qu'il a sûrement plus d'influence sur moi que je n'en ai sur lui.

Tu sembles être une personne très croyante ; de quelle manière ta foi se manifeste-t-elle dans ton inspiration artistique ?
La foi est une partie de moi, il est donc tout naturel qu'elle rejaillisse dans tout ce que je crée. Elle est la plupart du temps dissimulée derrière un certain symbolisme.

Pourtant, la religion ne semble paradoxalement pas être si présente dans tes paroles.
Oh, je crois que si. Je pense plutôt que certaines personnes ne saisissent pas exactement ce que je raconte, ce qui me va très bien car j'aime laisser les choses ouvertes à l'interprétation.

Tu sembles avoir des idées bien arrêtées sur certains principes chrétiens, je pense notamment à tes positions concernant l'avortement. Peux-tu nous en dire un peu plus ?
Je trouve ça marrant que tu mentionnes ceci et je me demande bien pourquoi mes positions sont si "connues". Pour être honnête avec toi, je continuerais de penser ce que je pense à ce sujet même si je n'étais pas chrétienne. En fait, je souhaiterais juste que les adultes apprennent à être plus responsables. Il est très facile de ne pas tomber enceinte. C'est certain qu'il n'y a pas de solutions simples à cette situation et je ne prétends pas penser autrement. Je comprends qu'il y ait des exceptions à tout, que certaines situations nécessitent des solutions spécifiques mais je pense personnellement que tuer des bébés n'est pas la meilleure solution ou la meilleure façon pour contrôler les naissances.

Pourtant, en Occident, le droit à l'avortement et à la contraception est considéré comme un progrès et une forme de liberté, notamment au regard de l'hégémonie masculine.
Ne pas tomber enceinte lorsque tu ne souhaites pas de gamin devrait être le plus sage des choix.

Mais tu peux imaginer que certaines personnes puissent être choquées par tes positions à ce sujet, spécialement ici en Europe où nous avons souvent une vision extrême du catholicisme "à l'américaine" ?
Tout d'abord, je ne suis pas catholique, c'est donc déjà une première idée reçue. Ensuite, je suis bien consciente d'être à l'écart au regard de mes croyances, ce qui ne me dérange pas vu que ça a toujours été le cas dans ma vie. Mon problème est que de nombreuses personnes qui se réclament d'une certaine ouverture d'esprit se révèlent en réalité être les plus critiques envers les gens qui n'approuvent pas leur philosophie et leur foi. Je laisse chacun libre de penser ce qu'il veut et j'ai suffisamment de respect pour ne pas les attaquer sur leurs croyances. C'est tout ce que je désire en retour : un respect mutuel. Je pourrais me foutre de ce que les autres croient, mais je n'ai pas envie d'attendre de me faire abuser par les gens qui pensent qu'il est de leur devoir de me faire changer d'avis.

Comment doit-on comprendre la phrase écrite au milieu du livret "Everything is intentional" ?
Je connais simplement les gens. Ils aiment bien tirer les choses hors de leur contexte, écouter les trucs les plus insignifiants et les descendre en flèche. Ça peut être une note qui sonne légèrement "faux", une phrase "incorrecte" etc. Mais tout dans cet album est fait exprès, chaque petite particule est née de manière accidentelle mais sciemment.

Parle nous aussi de cet extrait de "L'Epître aux Hébreux 2 :14" qui figurait aussi sur le livret de "This Womb Like Liquid Honey" .
"Ainsi donc, puisque les enfants participent au sang et à la chair, il y a également participé lui-même, afin que, par la mort, il anéantît celui qui a la puissance de la mort, c'est-à-dire le diable et qu'il délivrât tous ceux qui, par crainte de la mort, étaient toute leur vie retenus dans la servitude".
C'est un verset tiré du Nouveau Testament qui a toujours énormément compté pour moi. Il est exceptionnellement en accord avec cet album dans la mesure où une grosse partie de "My Little Fire-Filled Heart" traite de La Mort. J'ai perdu un certain nombre de bons amis ces dernières années, de plus Mike a vraiment été très malade pendant un moment et a bien failli mourir. Voilà pourquoi ces quelques lignes sont si importantes à mes yeux. Je ne suis pas un prêcheur et ne prétendrai jamais l'être, je laisse donc chaque personne lire ce verset pour elle-même et y discerner sa signification propre.