Propos recueillis
en juillet 2005


DERNIÈRE SORTIE :
"Happy Mystery Child"


SITE OFFICIEL :
www.trisomie21.com

LABEL :
www.maquismusic.com
Par Bertrand Hamonou  
Photos D.R.  

Fin 2004, après sept années d’un silence injuste, Trisomie 21 sortait enfin un nouvel album que certains n’espéraient plus. Conjuguant retour aux sources et gros son inimitable, "Happy Mystery Child" est l’album de la résurrection, suite logique et moderne des fameux "Chapter IV", "Works" et autres opus incontournables. Le groupe est aujourd’hui en tournée européenne à la rencontre de son public, et c’est l’occasion pour Prémonition de faire le point avec son chanteur, Philippe Lomprez, sur les années d’errance, mais aussi sur les nouveaux projets d’une formation culte "made in France" comme il y en a trop peu.

"Happy Mystery Child" est votre troisième album en douze ans, et sept ans le séparent du précédent. Pourquoi avoir attendu si longtemps pour donner une suite à "Gohohako" ?

En fait, nous avons eu de gros problèmes de confiance avec Play It Again Sam, notre ancien label. Rajoute à cela le cortège de soucis contractuels inévitable, et nous nous sommes retrouvés condamnés au silence. "Gohohako" mettait un point final a nos obligations, et T21 s’est tu, contraint et forcé.

En 2003, Front 242 revenait avec leur premier album studio depuis près de dix ans. Puis il y a eu votre retour en 2004. Comment expliques-tu le retour de ces groupes si influents, tous distribués par PIAS à une époque, et après tant d’années de silence ?
Chaque cas est particulier, mais le point commun est la maison de disques, à toi d’en tirer les conclusions qui s’imposent. Lorsqu’Indochine nous a demandé un remix qui a plu au public, des gens qui nous avaient fait l’honneur de croire en nous se sont manifestés en faveur d’une renaissance du groupe. Nous n’avions jamais cessé de faire de la musique, et nous nous sommes dit que l’aventure Trisomie 21 valait la peine d’être continuée.

D’une certaine manière, "Happy Mystery Child" apparaît comme la suite de "Works", sorti en 1989. Était-il important pour le groupe de s’éloigner des ambiances cinématographiques des derniers albums ?
Chaque disque de Trisomie 21 est la suite du précédent, mais à l’époque de la sortie de "Plays the Pictures", qui suivait "Works", nous avions clairement dit qu’il s’agissait d’une parenthèse. L’aventure était d’ailleurs risquée puisque tout le monde n’a pas compris le concept, mais le succès fut heureusement au rendez-vous. À l’époque, nous ignorions simplement qu’il y aurait d’autres parenthèses à venir.

"Plays the Pictures" brouillait les cartes avec ses titres courts et cinématographiques. Pourquoi ce choix déstabilisant à ce moment-là ?
Le cinéma nous inspirait, et pour un artiste, être prévisible, c’est un enterrement de première classe. Chaque album de Trisomie 21 est une grosse prise de risque pour nous, nous invitons l’auditeur à nous suivre, mais cela n’est pas confortable pour lui, car nous l’entraînons vers un ailleurs à chaque fois. Chaque disque est une aventure : il s’agit de prendre des risques artistiques, d’explorer de nouvelles sensations, et c’est notre raison d’être.

Cet album était un travail de commande, "Gohohako" l’était aussi ?
Non, pas du tout. "Plays the Pictures" était une commande qui comblait notre souhait, et nous avions d’autres idées dans cette veine lorsque la rupture avec PIAS est apparue inévitable. Nous n’avions alors aucune envie de gâcher de nouveaux concepts, "Gohohako" nous permettait de finir le contrat.

À l’époque de "Works", T21 sortait ses derniers EPs et maxis, que l’on peut tous retrouver sur la compilation "Side by Side". Pourquoi avez-vous abandonné ce format et les titres longs comme pouvaient l’être Joh’Burg, Shift Away ou encore A New Outset?
Le format dépend aussi de la politique de la maison de disques. Les versions longues n’avaient plus les faveurs du public, et leur coût relativement important a achevé le concept aux yeux des producteurs. Artistiquement l’idée est pourtant intéressante, et aujourd’hui les remixes à partir des enregistrements originaux ont en quelque sorte pris la succession.

Comment choisissiez-vous les titres qui allaient figurer sur les EPs et ceux qui figureraient sur un album ?
Pour nous, le maxi appartient à une lignée, une logique de travail qui inclut l’album, même s’il est en marge de celui-ci. Le maxi représente l’actualité de l’inspiration du groupe, et les titres s’imposent d’eux-mêmes au format du EP.

Quand "Distant Voices" est sorti, T21 refusait de tourner de manière conventionnelle. Vous aviez d’ailleurs organisé une tournée de rencontres dans les FNAC. Qu’avez-vous retiré de cette expérience à l’époque ?
Avec "Distant Voices" nous avons monté deux concepts scéniques : "la performance", qui était un spectacle total avec vidéos, danseuses, décors et light show, sur lequel nous avons fait la connaissance d’Olivier Lechevestrier, qui est par la suite devenu notre manager. Le second projet était effectivement une tournée des FNAC, qui ressemblait plus à une conférence qu’à un mini concert. Nous y montrions notre façon de travailler, et cela répondait également à un constat : nous ne souhaitions pas être loin du public. Nous sommes des gens normaux et nous ne voulions pas de tour d’ivoire. Une fois de plus, certaines personnes ont paru désarçonnées par notre démarche, et c’est cela qui nous a donné l’envie de continuer.

Aujourd’hui, la tournée de "Happy Mystery Child" visite l’Europe. Qu’est-ce qui vous a donné envie de revenir à la scène ?
Nous répondons à une demande de notre public, avec toujours cette volonté de rester proches de lui, de le remercier et de l’encourager à rester dans l’aventure.

À propos de la scène, "Raw Material" est l’unique enregistrement live de T21 paru en CD. À l’époque, vous vouliez casser le marché du pirate. Y êtes-vous parvenu, et pensez-vous que c’est aussi ce que veulent faire beaucoup d’artistes aujourd’hui (comme Einstürzende Neubauten) qui enregistrent systématiquement tous leurs concerts et les vendent au public à la sortie de chaque prestation ?
L’objectif que nous nous étions fixé a en effet été atteint à l’époque grâce à "Raw Material", puis avec "The Official Bootleg", que nous avons remasterisé et sorti au format CD, alors qu’il n’a longtemps été disponible qu’en vinyle. On peut aujourd’hui se le procurer via notre merchandising. Je ne connais pas la démarche d’Einstürzende Neubauten et j’ignore s’il y a un rapport avec les concerts pirates, mais elle est respectable. Quoi qu’il en soit, pour le moment ceci est loin de nos préoccupations.

À propos, n’avez-vous pas envie de remasteriser toute votre discographie qu’il n’est pas facile de trouver ?
Cette réponse appartient à PIAS, la disponibilité des albums et la remastérisation est de leur compétence, pas de la nôtre.

"Chapter IV" est votre disque le plus vendu en France. Les sons de basses sur "Happy Mystery Child" rappellent d’ailleurs beaucoup cet album. S’est-il placé comme successeur de "Chapter IV" en terme de vente dans notre pays ?
Il est trop tôt pour faire des comparaisons en terme de ventes avec "Chapter IV". Ce que l’on peut dire, c’est que durant les deux premiers mois d’exploitation de cet album en France, "Happy Mystery Child" fait mieux que la moyenne de nos disques. Il est la suite logique de tout ce que nous avons fait auparavant, mais ce n’est certainement pas le deuxième épisode de "Chapter IV".

T21 a-t-il plus de succès en dehors de nos frontières ?
Au tout début du groupe, c’est certain, mais maintenant ça s’équilibre : l’Allemagne, le Benelux et le Canada nous apprécient toujours, et la France s’y est mise ; alors tant mieux ou tant pis, je ne sais pas.

Dans certaines chansons de ce nouvel album, les paroles sont assez étranges, comme si certains mots étaient inventés. Qu’en est-il vraiment ?
Tu as raison, certains mots et certaines expressions sont puisés dans du vieil anglais parfois moyenâgeux, ce qui produit cet effet de mots étranges dont tu parles.

C’est le premier album que vous réalisez pour un autre label que PIAS. Est-ce facile de trouver un nouveau label en France lorsqu’on s’appelle Trisomie 21, et qu’on a le statut de groupe culte, comme vous qualifiait l’autocollant sur la pochette de "Happy Mystery Child" ?
Nous voulions signer en France, car nous ne sommes peut-être pas fait pour les majors, ni elles pour nous d’ailleurs. De plus, le marché du disque n’est pas bon, beaucoup de labels ferment, et personne n’échappe au marasme. Quant au "groupe culte", la question s’adresse à notre maison de disques qui a décidé du sticker sans nous en informer.

Vous sentez-vous soutenus aujourd’hui par votre nouveau label ?
Un groupe ne se sent jamais assez soutenu par sa maison de disques. Le groupe défend son œuvre, sa carrière, alors que le label défend plutôt sa marge, son business. Il doit s’instaurer une relation de confiance, et ce n’est pas facile.

Une partie du groupe vit aujourd’hui dans le nord de la France, et l’autre dans le sud du pays. Comment est-ce que cela affecte votre travail ?
En réalité, cela affecte uniquement nos finances ! Pour le reste, à l’époque de la mondialisation, habiter à l’opposé dans un petit pays comme la France, ce n’est pas confortable, mais ce n’est pas insurmontable non plus.

Vous n’avez jamais été très présents dans la presse musicale française. Comment expliques-tu cela ?
Je crois que la presse française est en quête depuis toujours des Beatles ou des Rolling Stones français. Elle est trop cocardière et me fait penser à la diplomatie française du début du siècle dernier, jalouse de son indépendance, mais toujours à la traîne des Anglais. Durant toutes ces années, nous ne chantions pas en français et nous étions signés chez PIAS à Bruxelles : c’en était trop pour elle. Cela dit, aujourd’hui nous y apparaissons par flash avec "Happy Mystery Child". Mais les arrangements avec les uns et les autres, ce n’est pas notre truc.

On ne vous sent pas proche d’un univers musical ni d’un groupe en particulier. Comment réussit-on à ce point à ne jamais être comparé à un autre artiste ?
On nous rapproche pourtant d’autres groupes sur chaque disque, et je trouve ça normal. Longtemps l’ombre de Joy division et de New Order a plané sur nous. En 1981, j’avais beau parler de Kraftwerk, personne ne le remarquait, et maintenant c’est Depeche Mode qui nous colle un peu. Mais une seule chose est sûre : notre discothèque de tous ces groupes est infiniment plus petite que le respect que nous leur portons. Il ne faut pas oublier que nous sommes venus au rock par les instruments et l’envie de créer, mais certainement pas par l’écoute forcenée de disques.

Justement, de quels artistes appréciez-vous le travail aujourd’hui ?
Nous avons écouté beaucoup de remixeurs dernièrement, et j’avoue un faible pour Jack de Marseille, Millimetric, Caretta, DJ Maus… À part ça, nous n’écoutons pas beaucoup nos petits camarades.

Que penses-tu des reprises de vos titres par tous ces groupes qui ont participé au projet "Followers of the Moonlight", dont on peut trouver les versions au format MP3 sur votre site ? Avez-vous conscience d’être un groupe aussi influent ?
Ces groupes nous font beaucoup d’honneur, tout comme ceux qui viennent nous parler à la fin des concerts. Pour le reste, nous sommes très méfiants vis-à-vis du concept d’influence. Nous sommes conscients qu’il se passe quelque chose autour de Trisomie 21 aujourd’hui, mais cela ne nous appartient pas.

Jusqu’à quel point êtes-vous impliqués dans votre site Internet, maintenu par un fan américain, et quelle est votre popularité aux USA ?
Notre implication dans le site est réduite dans le sens où nous fournissons seulement quelques informations à Todd qui gère ce site librement. Quant à notre popularité aux USA, elle n’est pas très importante, mais il existe des noyaux qui s’agrandissent.

Y a-t-il un disque ou une chanson dont tu es particulièrement fier, que tu conseillerais à ceux qui vous découvrent aujourd’hui ?
Nous sommes tous très fiers de "Happy Mystery Child" parce qu’il correspond exactement au cadre que nous nous étions fixé. Par ailleurs, j’avoue un faible pour "Million Lights", que j’ai fait seul avec Hervé, dans des conditions spéciales.

D’habitude, les pochettes de vos disques ont toujours eu quelque chose de mystérieux, de très travaillé et réfléchi, comme ce qu’avait réalisé Gosseau pour le triptyque "Works". Cette fois-ci, il s’agit d’une photo du groupe en noir et blanc. Pourquoi ce choix ?
Le concept de l’album était de rendre notre musique plus accessible sans perdre la filiation avec nos débuts, d’où le choix du noir et blanc qui rappelle notre toute première pochette, et la photo qui montre le groupe. Toutes nos pochettes sont effectivement très réfléchies, "Happy Mystery Child" est accessible, c’est même un album assez dansant par moments, mais si tu l’écoutes attentivement, le noir n’est pas très loin, il est juste déguisé : c’est un album en trompe-l’œil.

Ce nouveau disque est-il le retour de Trisomie 21, ou faudra-t-il attendre encore plusieurs années avant de pouvoir écouter une suite ?
Plus qu’un retour, je dirais qu’il s’agit d’une renaissance, car pour nous, l’enfer avait l’apparence du silence. Notre objectif et notre joie sont de composer de nouveaux titres, nous voudrions sortir un nouvel opus dès que possible, en tout cas avant sept ans. En septembre, nous prévoyons d’ailleurs la sortie de "Woman Is a Mix" qui achèvera le triptyque commencé par "Happy Mystery Child" et "Man Is a Mix".