Propos recueillis
en juillet 2005


DERNIÈRE SORTIE :
"Sing-Sing and I"


SITE OFFICIEL :
www.sing-sing.co.uk
Par Bertrand Hamonou  
Photos D.R.  

Né des cendres de Lush et surtout d’une belle amitié entre Emma Anderson et Lisa O’Neill, le duo Sing-Sing a eu bien du mal à se faire entendre, ainsi qu’à continuer d’exister. Fort heureusement jamais à court d’idées, les deux courageuses Anglaises ont su ruser et faire preuve de patience si l’on en croit la véritable saga Sing-Sing telle qu’elles nous la racontent en détail, à l’occasion de la sortie de “Sing-Sing and I”, leur deuxième album en sept ans déjà.

Ce nouvel album a été rendu possible grâce à la générosité de vos fans. Comment cela s’est-il passé ?
Emma :
Nous n’avions aucun contrat pour ce disque, et nous savions pourtant que nos fans attendaient un deuxième album de Sing-Sing. Nous nous sommes alors dit qu’il fallait capitaliser là-dessus, et que nous devions sortir un EP dont les profits serviraient à payer la réalisation de ce nouveau disque. Rends-toi compte, notre appel à même rapporté plus d’argent que nous l’espérions puisque certains fans nous ont fait des dons bien au-dessus du prix du EP ! C’était vraiment génial, et ce n’est pas quelque chose qu’un tout nouveau groupe pourrait se permettre de faire.

Comment se fait-il que Sing-Sing soit si peu connu en France, d’après vous ?
Emma :
C’est assez simple : le premier album n’est jamais sorti dans votre pays. À l’époque, nous avions signé avec Poptones pour une distribution dans la plupart des pays d’Europe, excepté la France. Je crois me souvenir que les gens de Poptones n’avaient trouvé aucun label avec lequel travailler chez vous. Les fans français ont donc du acheter ce premier album en import, sans aucune promotion. Nous avions bien contacté quelques labels indépendants français, mais il n’en était rien sorti et c’est bien dommage.

Vous sortez seulement votre deuxième album en sept ans d’existence. Exercez-vous une activité professionnelle en dehors du groupe ?
Emma :
Lisa et moi-même n’avons jamais gagné un seul penny avec Sing-Sing, car tout l’argent que nous gagnons est systématiquement réinjecté dans le groupe. Nous exerçons bien sûr toutes les deux un métier en dehors de Sing-Sing. Lisa est graphic designer, et pendant ces cinq dernières années, j’ai travaillé en tant qu’assistante de Duran Duran ainsi que pour Goldfrapp ou Ladytron. Aujourd’hui, je travaille pour Hall or Nothing qui représente Oasis, Elbow et the Manic Street Preachers parmi beaucoup d’autres.

Trois ans séparent la sortie du premier single pour Bella Union et le premier album, puis encore quatre ans entre les deux albums, "The Joy of Sing-Sing" et "Sing-Sing and I". Pourquoi est-ce que cela prend chaque fois aussi longtemps ?
Emma :
Bella Union a effectivement sorti notre premier single en 1998, avant que nous signions sur Sanctuary pour un album que nous avions terminé en 1999. Deux singles sont sortis en 2000, et à la suite d’une fusion entre Sanctuary et un autre label, nous avons été virées avant même la sortie du disque, qu’ils nous ont heureusement laissé. Nous nous sommes alors tournées vers Poptones qui nous a proposé de le sortir fin 2000. Cela a pris une éternité d’établir le contrat, et le disque n’a finalement vu le jour en Angleterre et en Europe qu’en 2001, à l’exception de la France. Cet album est ensuite sorti en 2002 en Amérique du Nord, où nous avons aussi tourné, mais l’expérience n’ayant pas été concluante, nous nous sommes retrouvées sans aucun contrat en 2003. Nous avons alors enregistré le EP “Madame Sing-Sing” à la fin de cette même année, nous l’avons sorti en 2004. Puis nous avons enregistré “Sing-Sing and I” qui sort aujourd’hui. Comme je te l’ai dit, Lisa et moi-même avons toutes deux un emploi à temps plein, ce qui est certainement une des raisons pour lesquelles tout est si long. Nous n’apprécions pas tous ces délais qui sont surtout dus aux incessants changements de labels. Maintenant que nous décidons tout nous-mêmes, si nous sortons un autre album, ce pourrait être pour la fin 2006.

Pourquoi est-ce que votre premier album n’est pas sorti sur Bella Union, le label de Robin Guthrie qui avait pourtant sorti votre premier single ?
Emma :
Comme je te l’ai expliqué, nous avions sorti le premier single avec eux, puis Sanctuary nous a accordé une avance et un bien meilleur budget que Bella union pouvait nous offrir. Quand Sanctuary nous a rendu l’album, Bella Union n’était plus intéressé. Nous sommes toujours amis avec Robin, même s’il est vrai que je n’ai pas eu de ses nouvelles depuis des lustres.

Et 4AD, ton ancien label de l'époque de Lush, il n'était pas intéressé ?
Emma :
J’ai effectivement réalisé quelques démos pour Ivo en 1997, après le split de Lush. Certaines de ces chansons ont d’ailleurs fini sur notre premier album, mais je ne connaissais pas Lisa à ce moment-là. Je chantais donc ces titres, et c’est sans doute pour cela qu’Ivo ne les a pas aimés ! Je me suis donc retrouvée sans label, mais de toute façon, Ivo a quitté 4AD depuis des années.

Et que penses-tu du label 4AD aujourd’hui?
Emma :
Je suis sûre qu’ils sortent de bons disques, mais pour être vraiment honnête, je n’en sais rien ! Pour moi 4AD c’était Ivo, et maintenant qu’il est parti ce n’est plus la même chose.

Pourquoi retrouve-t-on le nom du groupe dans la plupart des titres de vos disques ("Madame Sing-Sing", "The Joy of Sing-Sing", et "Sing-Sing and I")?
Emma :
Cela a toujours été l’idée de Lisa. Un jour elle a eu l’idée de “The Joy of Sing-Sing”, qui dérive de “The Joy of Sex” je crois, et ensuite “Madame Sing-Sing”. Pour “Sing-Sing and I”, c’est ma colocataire qui en a eu l’idée à partir de “Withnail and I” ou de “The King and I”, je ne sais plus. Je trouve que “Sing-Sing and I” est tout à fait approprié pour cet album, puisque nous le devons aux fans.

Comment fonctionnez-vous pour écrire les chansons de Sing-Sing ?
Lisa :
Nous n’avons pas vraiment de groupe donc nous ne répétons pas. Emma et moi et écrivons chacune de notre côté, chez nous, puis nous étoffons les titres ensemble en studio. Il m’arrive d’écrire des paroles pour des morceaux d’Emma, d’y rajouter des parties vocales, et Emma trouve toujours de bons accords de guitares pour mes titres. C’est une manière de composer que beaucoup de groupes trouvent extraterrestre, mais c’est celle qui nous correspond le mieux dans le sens où toutes nos chansons sont personnelles et individuelles. Je pense qu’Emma et moi sommes des personnes timides et réservées, et nous devons constamment prendre sur nous pour oser présenter nos nouvelles compositions à l’autre, pour nous dévoiler. Ecrire chacune de son côté signifie aussi que nous sommes très honnêtes au moment de la création.

Trouvez-vous qu’il est plus facile de travailler en duo ?
Lisa :
On peut se sentir vite seule dans ce business, et je trouve que c’est bien d’avoir une partenaire pour échanger des idées et préparer les concerts. Je n’aimerais pas faire une carrière en solo, et je ne serais sûrement pas allée aussi loin sans Emma. Comme nous faisons tout toutes les deux, sans maison de disques, il y aurait de toute façon trop de travail pour une personne seule. Nous nous répartissons les tâches : je fais les pochettes, Emma s’occupe du business.
Emma : Je suis d’accord avec Lisa, et je rajouterais qu’après avoir fait partie d’un groupe formé de quatre individus, il est plus facile de prendre des décisions lorsque l’on est deux plutôt que quatre ou cinq. De plus, nous travaillons avec des ordinateurs, et ça nous permet d’économiser du temps et de l’argent, tout en ne perdant aucune qualité, du moins nous le croyons.

Après avoir sorti quatre singles sur des labels différents, vous avez décidé de monter votre propre label “Aerial”, afin de vendre vos disques sur votre site Internet. Vont-ils être distribués de manière conventionnelle également ?
Lisa :
J’adorerais qu’ils soient disponibles chez les disquaires, et nous chercherons probablement des distributeurs pour l’Angleterre et le monde entier via des licences, comme nous en avons pour les USA et l’Australie. Cependant, pour être honnête, l’achat en ligne est tellement facile et répandu aujourd’hui, que c’est un bon moyen de garantir aux gens qu’ils trouveront ton disque, ce qui n’est pas le cas lorsque tu en confies la distribution en magasins via une licence.
Emma : C’est vrai que nous cherchons une distribution classique, mais nous conserverons toujours la distribution on-line via notre site Internet.

Quelles sont vos attentes et vos craintes avec une méthode aussi radicale ?
Emma :
Nous allons devoir faire un nombre incalculable de voyages à la poste ! Cependant, nous devrons payer moins d’intermédiaires, et l’argent nous reviendra directement dès les premières ventes. Le financement du groupe sera plus facile que lorsque tu signes avec un label : dans ce cas-là, tu dois attendre les royalties pendant des mois, et encore, lorsque tu en reçois ! Les inconvénients sont que beaucoup de gens ne réalisent pas qu’ils ne pourront pas se procurer l’album dans leur magasin habituel, et qu’ils devront attendre encore et toujours pour, au final, ne pas pouvoir l’acheter. D’autre part, il y a toujours des gens qui n’aiment pas acheter on-line par peur de la fraude.

Est-ce que d’autres groupes vous ont montré le chemin à suivre ?
Lisa :
Il n’y a, à notre connaissance, aucun groupe qui fait tout tout seul. Nous avons pris cette décision après toutes ces batailles avec différents labels. Nous pensons que nous aurons plus de contrôle et que nous pourrons accélérer les choses en faisant tout nous-mêmes. Ce n’est pas un travail difficile, mais cela demande beaucoup de temps. Il y a des inconvénients cependant : par exemple, nos ventes seront toujours limitées sans le poids d’un label derrière nous. Mais à moins de trouver le bon label qui te consacrera le temps et l’énergie nécessaire, tu dois de toute façon tout faire toi-même.
Emma : En ce qui concerne notre EP, personne ne nous a rien conseillé, nous avons décidé nous-mêmes et ça a marché. Ceci dit, lorsque nous avons raconté ce que nous faisions, les gens nous ont souvent parlé de Marillion (!) bien que je crois savoir que Marillion a en fait demandé aux fans de réserver l’album afin d’obtenir l’argent nécessaire pour le sortir. Les gens pourront au moins conserver notre EP pour toujours. Et si ça n’avait pas marché, nous n’aurions pas eu à rembourser les fans.

Sur votre site Internet vous offrez Lover, le premier single extrait de “Sing-Sing and I”. Allez-vous continuer à donner des titres gratuitement en mp3 ?
Lisa :
C’est de la promotion gratuite, donc je pense que nous allons effectivement continuer. Comme nous ne pouvons pas nous permettre de payer une campagne de publicité, nous devons offrir quelques petites choses gratuitement.
Emma : Je pense que c’est la même chose que de donner un titre pour une compilation CD offerte avec un magazine. Ceci dit, la prochaine fois j’aimerais bien faire un vrai single avec des faces B.

Avez-vous la liberté de donner ce que vous voulez à vos fans via votre site Internet ?
Lisa :
Nous ne pouvons rien offrir de nos enregistrements précédents, qui ne nous appartiennent pas. En revanche, ce nouvel album nous appartient donc en théorie, nous pourrions le diffuser entièrement. Mais nous ne le ferons pas, nous avons des factures à payer !

Combien faudrait-il d’exemplaires de "Sing-Sing and I" vendus pour vous conforter dans l’idée que vous êtes dans la bonne direction ?
Lisa :
Nous savons que notre démarche est la bonne à chaque CD vendu et envoyé, et plus il y en a, mieux c’est. De manière réaliste cependant, un ou deux milliers d'exemplaires vendus, ce serait déjà bien, et dans un monde merveilleux, pourquoi pas 200 000 copies vendues ? Mais je n’ai pas assez de place chez moi pour stocker autant de CD !
Emma : Pour vendre autant de disques, nous devrions revenir à des modes de distribution plus conventionnels, mais nous n’avons pas à nous plaindre. Je pense même que nous pourrons enregistrer un nouvel album dans un futur proche.

Ce nouvel album n’est pas dépourvu d’un certain sens de l’humour, comme par exemple sur la chanson Mister Kadali. Comment est né ce titre?
Lisa :
Nos chansons sont toujours aigre-douces. Elles peuvent sembler drôles ou jolies à la première écoute, mais si on les écoute plusieurs fois, il y a un tournant inattendu. Les chansons qui composent ce nouvel album sont aussi basées sur des observations et des histoires vécues. Pour Mister Kadali, je me suis inspirée de l’endroit où je vis, où il y a une forte population nigérienne. Je reçois régulièrement des cartes provenant de "guérisseurs spirituels" dans ma boîte aux lettres. Ceux-ci promettent tout et n’importe quoi, et même si leurs cartes sont drôles à lire au premier abord, elles sont aussi le point d’entrée vers une société secrète que je trouve, en tant qu’occidentale athée, à la fois fascinante et extraterrestre.

Le nouvel album a été mixé par Alan Moulder, mais on ne retrouve cependant pas forcément le son qui le caractérise, comme celui qu’il a développé avec The Jesus and Mary Chain, Curve, Nine Inch Nails et tant d’autres. Pourquoi cela ?
Emma :
Alan Moulder n’a mixé que trois titres sur onze, qui sont Lover, A Modern Girl et Ruby. J’ai pourtant l’impression qu’il a insufflé à ces trois chansons un climat un peu plus dur qu’elles n’auraient pas eu sans son intervention. Le reste de l’album a été mixé par Ray O’Neill, qui n’a jamais vraiment travaillé sur de la musique comme celle-ci auparavant.

Allez-vous tourner en Europe pour promouvoir “Sing-Sing and I” ?
Emma :
Une tournée n’est pas prévue dans nos agendas à l’heure actuelle. Nous n’avons pas assez de fans pour donner des concerts ailleurs qu’à Londres : financièrement, cela n’aurait aucun sens. En plus, nous avons chacune un emploi et nous ne pouvons pas nous permettre de le quitter. La seule promotion que nous pouvons nous permettre se trouve à Londres, et nous pouvons faire des interviews par e-mail. Je sais que ce n’est pas idéal, mais c’est déjà quelque chose, car nous n’avons pas les moyens non plus de faire des voyages de promotion comme ce serait le cas si nous étions sur un label conventionnel.

Vous avez récemment réenregistré le titre Sunbathing de Lush. Qu’est-ce qui vous a amené à faire cette reprise ?
Emma :
Les gens du Club AC30 préparaient un tribute album au "shoegazing", le mouvement auquel appartenait Lush, et ils nous ont demandé de faire une reprise d’une chanson de cette période. Au début, nous avions hésité entre un titre d’Ultra Vivid Scene et un autre d’House of Love, et puis nous avons finalement pensé qu’il serait plus intéressant de refaire une chanson de Lush. Nous avons finalement choisi Sunbathing qui est le titre le plus ancien de Lush, même s’il n’est pas paru sur le tout premier disque du groupe.

Emma, as-tu des nouvelles de Miki Berenyi (la chanteuse de Lush -ndlr) ?
Emma :
Non, je ne suis plus du tout en contact avec elle. Tout ce que je sais, c’est qu’elle a deux enfants aujourd’hui, et qu’une reformation de Lush n’est absolument pas envisageable.