|  Propos recueillis en janvier 2007
DERNIÈRE SORTIE : "Mythmaker" |
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|  |   |  |      | Par Anthony Augendre | Photos Austin Young |
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|  | Skinny Puppy est un monstre. Énorme par ses capacités à engloutir et digérer un magma sonore, effrayant par le pouvoir de fascination qu?il exerce sur son auditoire, brutal dans sa façon de renvoyer les images hideuses du monde. On connaît moins la connexion spirituelle unissant le duo Cevin Key et Nivek Ogre, un état d?esprit qui trouve tout son sens dans "Mythmaker", leur dernier album en date.
"Mythmaker" est-il un réquisitoire personnel sur la manipulation ou une manière de questionner vos auditeurs ? cevin Key : "Myhtmaker" propose une façon de regarder au-delà des apparences. Mon interprétation de la chose est illustrée par la couverture de l'album. Cette peinture exprime le fait que les gens sont devenus crédules et incapables de faire la part des choses. Leur foi est si forte qu'elle matérialise en quelque sorte les mensonges propagés par les médias .
Cette perte de repères de l'individu face à un environnement saturé de messages résume tout le concept de Skinny Puppy depuis ses origines... C'est exact ! C'est aussi la manifestation de notre rejet des messages imposés par les médias. "Mythmaker" interpelle la notion de véracité bien que nous ne détenions aucune vérité.
Au début de votre carrière, les sources sonores de Skinny Puppy étaient principalement tirées du cinéma d'horreur, aujourd'hui, il est plus difficile de les identifier. Nous avions effectivement l'habitude de puiser des idées dans le cinéma. Nous avons ensuite réalisé que l'horreur ne se trouvait pas dans le cinéma d'épouvante, mais plutôt dans la réalité du monde. Nous n'étions que des témoins de cette situation, alors nous sommes devenus actifs. Selon nous la véritable horreur est de demeurer passif face à l'avenir.
Partagez-vous ce même regard décalé que vos compatriotes canadiens Atom Egoyan et David Cronenberg ? Le Canada est une sorte de territoire neutre, en tant que citoyen canadien, vous avez la sensation d'être un témoin extérieur tout en demeurant à l'intérieur du système. C'est en tout cas notre situation personnelle, puisque nous résidons aux États-Unis. Cette situation explique en partie le concept global de Skinny Puppy. Je crois fermement que ce que l'on présente comme une vérité génère une analyse critique et ce bien que je ne sois pas engagé politiquement. En ce qui concerne "Mythmaker", Ogre s'est focalisé sur des sujets intimes. Il s'est plongé en lui-même. Il ne s'agit pas d'un point de vue politique, mais plus une manière de stimuler les gens, les inciter à rechercher des réponses par eux-mêmes.
Existe-t-il des points communs entre "Mythmaker" et vos projets solos respectifs ? J'ai composé environ 25 instrumentaux, avec comme seul critère, le fait que ceux-ci devaient m'émouvoir. J'ai fourni ces ébauches à Mark Walk, qui s'en est servi de base pour notre collaboration. Ogre a restructuré l'ensemble avec ses paroles. Quand il m'a rendu son travail, j'ai eu l'impression de découvrir de nouveaux morceaux. Mark a essayé de produire un album qui reflète nos personnalités. Bien sûr, en tant que producteur des albums solo d'Ogre, il a apporté sa touche personnelle. C'est une collaboration très saine. J'ai aussi apprécié le travail avec Hiwatt Marshall. C'était l'ingénieur de "Rabbies" notre album de 1989.
Il s'agit toujours de la même famille. Comment faites-vous pour demeurer créatifs ? La créativité artistique est une question d'honnêteté et de respect envers chaque personne impliquée dans le projet. Ken Hiwatt est l'une des rares personnes à connaître les attentes profondes de Skinny Puppy. Il sait aussi comment concrétiser nos concepts. Nous sommes tous musiciens, ingénieurs du son, c'est donc parfois un vrai combat pour aboutir à une cohérence. Nous y insufflons nos personnalités, ce qui fait de Skinny Puppy une sorte de corrélation de nos projets solo. Je réalise aujourd'hui à quel point nous sommes de forte individualités. Skinny Puppy produit quelque chose en quoi nous croyons, peu importe le style musical. C'est dans certains cas, une histoire d'accidents techniques.
À propos d'accidents, lorsque vous évoquiez les aspects techniques de vos compositions, vous utilisiez un système de batterie électronique, connectée à récepteur d'ondes courtes. Chaque fois que vous frappiez un pad de cette batterie, un son en sortait au hasard, sans que vous en connaissiez la provenance. Avez-vous toujours recours à ce procédé ? J'adore ça ! C'est une façon de capturer un instant fugace, chargé d'un maximum d'énergie. En tant que musiciens électroniques, nous sommes capables de canaliser les tensions électriques qui circulent à travers notre équipement. Maintes fois, j'ai tenté de mémoriser les dysfonctionnements de mes machines, ces enregistrements sont uniques et la restitution du son diffère de la source initiale. Je suis inspiré par les aspects singuliers de ces événements sonores. Je travaille à partir de ce matériel pour en créer des arrangements musicaux, comme si je me servais directement des champs d'énergie du monde.
As-tu entendu parler des E.V.P (Electronic Voice Phenomenom) ? Considères-tu cela comme des interférences ou des phénomènes paranormaux, des manifestations de voix d'outre-tombe ? J'ai déjà fait l'expérience des E.V.P. Il y a de nombreuses années, j'ai enregistré des éléments bizarres qui m'ont vraiment troublé. J'en ai discuté avec Dwayne à l'époque, car je pensais que j'avais probablement approché un truc hors du commun. Je crois à l'énergie psychique. Nos capacités cognitives ne sont pas encore suffisamment développées pour le comprendre, mais l'être humain progresse. Par exemple, le simple fait de communiquer avec un téléphone cellulaire était une chose impensable il y a une vingtaine d'années. Nous avons encore de nombreuses choses à apprendre sur l'énergie et les choses invisibles.
À ce propos, les vibrations de la Jamaïque semblent tenir une place importante dans ta vie. J'écoute énormément de reggae et de dub. Je me rends régulièrement en Jamaïque pour recharger mes batteries. Quelque chose de magique émane de cette île. Des amis Jamaïcains m'ont emmené voir une rivière qui prend source du haut d'une montagne. La couleur de l'eau était hallucinante, un genre de bleu intense, presque surnaturel. Le simple fait de poser son pied sur le sol te traverse de sensations fortes. Je me suis baigné dans cette rivière et j'ai senti que je me revitalisais. Je suis persuadé que cette eau de source a donné naissance à une partie de l'humanité. Tout ce qui nous entoure provient du sol et de ses vibrations. De nos jours, il n'est pas aisé de ressentir ces vibrations et la Jamaïque subsiste comme l'un des derniers endroits purs où l'on peut vivre ce genre d'expérience. C'est un endroit qui est aussi propice à des discussions profondes où les gens ont développé un sens de la spiritualité. C'est pour ces raisons que ce pays est si important pour moi.
As-tu vécu ce genre d'expérience ailleurs ? Mon père m'a envoyé au Japon lorsque j'étais adolescent.
Tu as dû être marqué par la religion shintô et le fait que l'on puisse ressentir l'esprit dans toutes choses. Je peux seulement attester que le Japon est l'un des seuls autres endroits avec la Jamaïque où je me suis senti en harmonie avec les vibrations spirituelles de la Terre. Tu ne peux pas y échapper. J'ai séjourné là-bas en 1978 et à l'époque le pays était bien moins occidentalisé. La culture traditionnelle était en quelque sorte inaltérée. L'influence de l'ouest a sans doute violé cette culture surtout quand tu vois se construire des restaurants McDonald's en plein coeur du Japon ancestral. Je suis vraiment heureux d'avoir connu cette expérience. J'ai grandi au Canada, c'est un jeune pays qui ne possède pas un sens profond de la culture. Cela m'a toujours manqué, je compense donc ce vide en voyageant et en m'enrichissant des autres cultures. C'est ma principale source d'inspiration artistique.
Peut-on comprendre la portée spirituelle de votre démarche sans écouter vos paroles ? Si c'est le cas, c'est merveilleux. Quand nous avons commencé le groupe, je me posais pas mal de questions. Je n'ai d'ailleurs toujours pas trouvé de réponses 25 ans plus tard. Après le premier concert que nous avons donné en 1984, je me souviens avoir dit à Ogre que je ne savais pas ce que je faisais là. J'ignorais si Skinny Puppy était une bonne ou une mauvaise chose pour moi. Finalement, nous avons exploré certains thèmes sans que nous ayons personnellement les mêmes buts.
Nous pensions que Nivek était un être éthéré et que tu étais plutôt pragmatique, le technicien du groupe. Vous êtes finalement très proches. Oui nous sommes très proches dans un sens. Nous nous sommes rendus ensemble en Jamaïque récemment. Je ne crois pas qu'il ait ouvert les mêmes portes bien que je pense que nous sommes spirituellement semblables. Nous avons les mêmes racines, et nous avons vécu des chemins de vie similaires. Parfois nous sommes à l'opposé complet l'un de l'autre. J'ai tendance à voir le verre à moitié plein, Ogre le voit à moitié vide. Notre relation s'équilibre de la sorte, c'est l'alchimie de Skinny Puppy.
Skinny Puppy est-il toujours l'expression d'un animal blessé ? Notre premier disque s'appelait "Remission" parce que nos parents respectifs étaient en rémission au moment de l'enregistrement. Ils sont décédés quelque temps plus tard. Nous avons été tous les deux traumatisés, c'est certain. Nous partageons cette histoire commune. Notre relation nous a permis de ne pas nous perdre. Nous avons grandi ensemble comme des frères l'un pour l'autre, pourtant nous venions d'un background complètement différent. Nous avons trouvé une forme d'unité.
Tu as collaboré avec des jeunes artistes du label Schematic, plus particulièrement avec Otto Von Schirach. Es-tu surpris par son apport musical ? Quand j'ai rencontré Otto, je ne savais pas qu'il faisait de la musique. Nous avons été présentés par Omar Torres du groupe Hologram. C'est un proche des gens du label Schematic et d'Otto. Il m'a conseillé d'écouter sa musique. J'ai été bluffé. Il est brillant. J'aime vraiment les garçons de Schematic ; Joshua Kay (Jeswa, Phoenecia), Romullo Del Castillo (Takeshi Muto, Metic, Phoenecia), Richard Devine. Un jour nous sommes retrouvés chez moi, il y avait Richard Devine, Phoenicia, nous avons pas mal parlé musique. Leurs productions m'ont complètement épaté. Alors, Otto, qui est un véritable phénomène a commencé à m'envoyer des sons. Nous n'étions pas ensemble en studio à ce moment là. Nous avons travaillé à distance en nous en échangeant nos productions. Aujourd'hui je suis toujours curieux de découvrir ses nouvelles compositions.
Vas-tu produire un nouvel album de Download ? Oui, "Fixer" est le titre du nouveau Download. Si tu aimes ce projet, tu apprécieras beaucoup cet album parce qu'il sonne exactement comme je le souhaitais. Bon, même si le dernier Skinny Puppy sonne différemment, il y a Mark Walk, Ogre, cela reste proche de notre formule sonore. Download n'a aucun équivalent. On dirait des vieilles compositions de Skinny Puppy interprétées dans une perspective actuelle. Comme je dis souvent ; si Skinny Puppy est un groupe de rock alors Download est un groupe de jazz. C'est vital pour moi de pouvoir m'exprimer selon ces deux axes. Je vais aussi collaborer à nouveau avec Edward Ka- Spel. Tear Garden est encore une sphère musicale différente. J'ai terminé une trentaine de morceaux dans une veine électronique, proche du premier album. J'attends le retour d'Edward. Nous allons réaliser un coffret de 7 CD, intitulé "From the Vault II" qui comprendra un nouvel album de Plateau, des rééditions anniversaire de l'album "Furnace" de Download, de "Infidel" de Doubting Thomas, un album de Hilt, le volume 7 de "Back and Forth" de Skinny Puppy. Tout cela sera disponible via notre site internet subconsciousstudios.com. |  |  |  | | |  | |
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