|  Propos recueillis en avril 2007
DERNIÈRE SORTIE : "Super Ready/Fragmenté" |
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|  |   |  |      | Par Christophe Lorentz | Photos D.R. |
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|  | Comptant parmi les pionniers du rock industriel, The Young Gods avait partiellement abandonné son énergie rocailleuse depuis 1996 pour louvoyer entre expérimentations ambient et projets solos conceptuels. Même "Second Nature", en 2000, semblait indiquer que le groupe souhaitait désormais privilégier les sonorités electronica aux samples de guitares. Heureusement pour les fans de la première heure, "Super Ready/Fragmenté" marque la réconciliation du trio suisse avec les boucles saturées et les rythmes musclés, mais aussi avec leur producteur et leur label d'origines, Roli Mosiman et PIAS. Loin d'être une tentative opportuniste de reconquérir une partie de son public, ce retour aux sources s'avère au contraire salvateur pour un groupe qui a su rester profondément visionnaire.
"Super Ready/Fragmenté" renoue avec des sonorités proches de celles de TV Sky. Qu'est-ce qui a motivé ce retour à un son plus rock ? Franz Treichler (chant) : Deux choses. La première, c'est que l'on sortait d'une longue période pendant laquelle on s'était éloigné des guitares, à partir d' "Heaven Deconstruction". Puis, il y a eu "Second Nature", où l'on essayait d'éviter les "clichés Young Gods" des albums d'avant, où l'on tentait de plus écrire les morceaux à partir de logiciels. Ensuite, ça a été l'album ambient "Music for Artificial Clouds" et les collaborations multiples que l'on a faites dans ce genre de musique. Alors, à un moment donné, on s'est dit que les bonnes grattes, ça nous manquait un peu ! L'autre raison, c'est l'environnement sociopolitique actuel qui donne envie de pousser un coup de gueule, d'avoir une réaction un peu plus directe. "Second Nature" était beaucoup plus distant par rapport à tout ce qui se passait autour de nous, alors que là on a eu envie de bien enfoncer le clou.
Le fait de mettre un revolver sur la pochette, est-ce que c'était aussi une façon d'indiquer que vous reveniez à des choses plus directes ? Cette image symbolise un peu le rapport que les êtres humains ont avec la violence : une espèce de banalisation, de "glamourisation" de la violence. On l'accepte, elle fait de plus en plus partie du quotidien, on la laisse ramper vers nous. Il y a une grosse part de résignation dans la société d'aujourd'hui par rapport à tous ces problèmes. Et puis, ce flingue, ce n'est pas juste un flingue : c'est une vieille pétoire qui est sous une espèce de côte de mailles qui brille. C'est donc un peu plus compliqué. C'est assez symptomatique de choses qui se passent en ce moment dans notre environnement. Par exemple, en Suisse, il y a des statistiques qui peuvent te dire exactement le nombre de chiens, de cartes de crédit ou de téléphones qui existent, mais par contre, personne n'est capable de te dire combien il y a d'armes en circulation. Il y a donc quand même de gros paradoxes dans notre société.
Un morceau comme About Time a un vrai sens politique. Est-ce quelque chose qui se retrouve dans les autres textes ? Oui, bien entendu. Il y a plein de phrases à droite et à gauche qui se réfèrent à ça. Il y a Freeze, qui est un peu comme une demande d'arrêt sur image, de remise en question de ce qui se passe. Tu as par exemple une phrase qui dit "I am one, two, three, four tons of TNT". J'avais lu que si tu divises la totalité des explosifs qu'il y a sur la planète par le nombre d'habitants, chacun de nous correspond à quatre tonnes de TNT. Il y a toujours eu ce genre de choses dans "Only Heaven" ou "TV Sky", mais c'est peut-être un peu plus présent dans cet album. "Super Ready/Fragmenté" ça veut aussi dire : comment est-ce que tu te situes en tant qu'individu par rapport à une société qui, selon moi, est totalement fragmentée au niveau du savoir et de la mémoire. Je compare le cerveau humain à un disque dur, parce que lorsque tu as trop d'infos dans un disque dur, il devient fragmenté et la tête de lecture n'arrive plus à choper l'info là où il le faudrait. Et j'ai l'impression que le cerveau a tellement d'informations, de contre-informations, de propagande et de vérités qui lui arrivent dessus en ce moment, que tout se mélange et que tu n'arrives plus à savoir quelles sont les conséquences de tes actes. Et alors, est-ce que tu te résignes, est-ce que tu fais une fuite en avant dans le consumérisme, est-ce que tu t'impliques ? Toutes ces questions sont sous-jacentes.
Cet album est aussi produit et mixé par Roli Mosiman, avec qui vous n'aviez plus travaillé depuis "Only Heaven". Le fait de collaborer à nouveau avec lui, était-ce un autre moyen de revenir aux sources ? Oui. "Second Nature", c'est moi qui l'avais produit, et j'ai vu les limites que j'avais en tant que producteur, surtout comme producteur pour mon propre groupe. Ensuite, on a produit nous-mêmes cinq morceaux de "Super Ready/Fragmenté" en 2004. Mais on était dans une position où l'on changeait de management et de boîte de disques. On était un peu livrés à nous-mêmes, on a fait ces cinq morceaux autoproduits et on pensait que le résultat pourrait être mieux avec quelqu'un d'extérieur au groupe. On a ensuite recontacté Roli Mosiman, parce qu'en plus il vit de nouveau en Suisse. Il est venu nous voir à quelques concerts, on avait envie de retravailler ensemble. C'est clair qu'il était comme un poisson dans l'eau avec les Young Gods, parce qu'en fait, on a grandi ensemble : le son des Gods est vraiment dû à la collaboration avec Mosiman et son travail de producteur a commencé avec nous. Même si je pense que c'était bien aussi de faire une pause à un moment donné, parce qu'il y avait une espèce de saturation. Et se retrouver comme ça, dix ans plus tard, c'était bénéfique. Ça s'est passé très rapidement, contrairement à "Only Heaven", où ça devenait très laborieux. C'est un peu inexplicable, mais il y avait peut-être alors des attentes de part et d'autre. Le fait d'avoir fait ce trou de dix ans, ça a remis les pendules à l'heure.
Depuis 2005, et la compilation "XX Years 1985-2005", vous êtes également de retour chez PIAS, votre label d'origine. C'est aussi quelque chose de symbolique ? Honnêtement, on s'est brouillés avec PIAS pendant pas mal d'années. Et puis, à un moment donné, on a vu que ça ne nous menait à rien, que l'on y perdait beaucoup de plumes et d'argent, vu que PIAS avait les deux tiers de notre catalogue. On est donc allé les voir, on a mis les points sur les i, et on a enterré la hache de guerre. C'est un peu comme avec Roli : ils étaient contents de remettre de l'énergie positive et de faire table rase du passé. Je pense que la compil nous a aussi bien botté les fesses ! Au début, quand ils nous ont proposé de faire ça, je me suis dit que ça faisait un peu "fonds de tiroirs". Mais en fait, c'était une bonne idée : ça nous a bien motivés, ça a resitué le groupe en Europe, et ça aide pour l'album qui vient de sortir. Si on l'avait sorti il y a une année, je ne sais pas s'il aurait eu le même impact.
Est-ce que vous avez d'autres projets dans la lignée de "Amazonia Ambient Project" ou de "Music for Artificial Couds" ? Dans la lignée directe, non. Mais en ce moment, on fait un projet assez marrant : un répertoire acoustique. On a choisi des morceaux d'un peu tous nos albums et on les joue avec trois guitares et percussions. On fait ça dans des petits théâtres, ça a un effet de proximité et d'intimisme vraiment sympa. Sinon, on va bosser sur un projet commun avec le groupe de hip-hop new-yorkais Dälek. Ce sera pour les Eurockéennes de Belfort cette année. Sinon, on continue de présenter "Amazonia Ambient Project" avec Jeremy Narby quand il y a de l'intérêt, comme ça a été le cas récemment à Prague ou New York. Mais créer un quelque chose de nouveau dans le même genre, ce n'est pas vraiment dans l'agenda pour l'instant. On va se concentrer sur l'album, sur le projet acoustique et sur celui avec Dälek.
Il y a eu souvent des doutes quant à l'avenir des Young Gods. Est-ce que tu penses que là vous êtes repartis pour dix ou vingt ans ? C'est toujours difficile à dire. Des albums comme celui-ci demandent quand même une certaine énergie. Dans vingt ans, j'en aurais 65. Je n'aurai pas exactement la même énergie (rires). Mais qui sait, le temps le dira. En tout cas, là on est partis pour l'année en cours et pour mener à bien le projet acoustique, dont on aimerait bien faire un disque. Il y a aussi le DVD du concert anniversaire de Montreux avec l'orchestre classique, qui va sortir en automne. Ça fait déjà pas mal de choses motivantes qui se dessinent à l'horizon. |  |  |  | | |  | |
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