|  Propos recueillis en septembre 2007
DERNIÈRE SORTIE : "High" |
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|  |   |  |    | Par Christophe Lorentz | Photo D.R. |
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|  | Qu'est-ce qui fait la particularité de New Model Army, hormis l'énergie convulsive transformant de chacun de ses concerts en un moment d'exception ? C'est justement d'avoir su composer de grandes chansons, des hymnes sans lesquels ses prestations seraient forcément moins exaltantes. Songwriter d'exception et chantre éternel de la classe ouvrière anglaise, Justin Sullivan possède une plume plus acerbe et affûtée que jamais, même si les compositions de son groupe n'ont pas toujours retrouvé -ces dernières années- le côté immédiat d'"Impurity" ou "Thunder and Consolation". À l'occasion de la sortie du dixième album studio de New Model Army, le très bon "High", nous avons demandé à Justin de nous parler de chacune des douze chansons qui le composent, parmi lesquelles se trouvent sans doute un ou deux futurs classiques de la tribu de Bradford...
Wired ? C'est une chanson simple, sur le fait de "décoller". Tu sais, durant ces nuits de pleine lune, lorsque tu conduis tout seul et que tout te paraît étrange, sombre et argenté en même temps... Je parle de ce sentiment : celui d'être comme "connecté".
One of the Chosen ? C'est un texte que j'ai écrit il y a longtemps, et pour lequel je n'avais jamais trouvé la bonne musique. Ça part de l'idée de se convertir à une religion, et sur le moment précis où ça se passe. Quand j'étais jeune, je me suis intéressé à différentes religions, et je me souviens qu'il y a toujours ce moment où tu te laisses aller, où tu dis "J'accepte". Je trouve que c'est quelque chose de très intéressant, surtout actuellement, alors que tout le monde parle du fondamentalisme religieux. Le thème de cette chanson est de savoir ce que cela fait au fond de soi de se laisser aller et d'accepter qe des idées religieuses prennent part de toi.
Dans la chanson suivante, High, il y a cette phrase : "All these things you fear so much depend on angles of vision" ("Toutes ces choses dont tu as tellement peur dépendent des angles de vision"). Est-ce là que réside le thème de ce morceau ? Oui, c'est exactement ça. "High" peut avoir plusieurs sens : ça peut vouloir dire être "perché", à cause de la drogue, "s'élever", grâce à Dieu, "planer", grâce à la musique, ou tout simplement être "en hauteur" physiquement, comme lorsque tu es au sommet d'une montagne et que tu contemples le paysage. La ville dans la quelle je vis est située dans une cuvette, et tu peux facilement atteindre les collines qui l'entourent. Lorsque tu grimpes en haut de l'une d'entre elles et que tu regardes en bas, tout t'apparaît sous une autre perspective.
No Mirror, No Shadow semble parler du groupe et de son passé... C'est une chanson personnelle, mais aussi plus générale : je suis sûr que tout le monde ressent la même chose. Un jour tu déclares quelque chose, que tu penses sincèrement à ce moment-là, et quelqu'un vient te voir dix ans plus tard en te disant : "Mais, tu as dit ça... ? - Oui, mais c'était il y a dix ans !". C'est bizarre comme notre histoire nous poursuit. Je ne l'ai pas écrite précisément à propos du groupe. Mais, ce qui est étrange c'est que, lorsque les gens chroniquent "High" et parlent du groupe, ils le font toujours dans le contexte de son histoire. Mais je ne m'intéresse pas vraiment à ce que nous avons fait auparavant : je ne m'intéresse qu'à ce que nous faisons maintenant. Aujourd'hui le passé n'est plus pertinent. Le passé c'est le passé ! Et quand je dis "I want my follies to have no echo" ("Je veux que mes folies n'aient pas d'écho"), je pense que tout le monde fait des erreurs. Il faut pardonner celles que fait chacun (rires). Tout passe, et ce qui compte c'est le moment présent.
Est-ce que Dawn parle aussi de toi ou est-ce l'histoire de quelqu'un d'autre ? Non, je parle de quelqu'un d'autre : j'écris souvent des chansons qui parlent d'autres personnes. C'est en fait une histoire de survie, je parle de quelqu'un que j'ai connu qui avait décidé de se suicider. Mais à la dernière minute, il a changé d'avis. Il avait pris beaucoup de drogues et des souvenirs sont remontés à la surface... Musicalement, il y a, à mon avis, quelque chose de magique à la fin de cette chanson.
All Consuming Fire ? Le texte avait été écrit à la base pour "Carnival", mais je n'avais pas de composition qui soit assez sombre, j'ai donc attendu... J'aime la façon dont cette chanson sonne sur "High" : c'est très violent. C'est presque comme de l'humour noir : tellement sombre, tellement violent, tellement exagéré. Et en fait, lorsque j'ai chanté ce morceau, j'ai eu un sentiment étrange : comme si j'étais possédé par une autre personne qui serait avec moi dans mon corps, un peu comme un prêtre vaudou. C'était très bizarre.
Est-ce que cela t'était déjà arrivé pour d'autres chansons ? Jamais vraiment de la même façon que cette fois-ci. Je ne savais pas comment chanter All Consuming Fire, parce que les paroles sont tellement colériques que c'en est presque comique ! Si je l'avais chantée de façon très rageuse, ç'aurait été trop ; mais si je l'avais chanté en étant moins enragé, ça n'aurait pas été assez. Je devais donc être quelqu'un d'autre pour la chanter correctement. C'est un peu comme le plaisir que l'on prend à détruire... Tu sais, il y a des artistes qui ont plusieurs facettes, mais qui, au final, ne traitent que de la dignité humaine et de l'espoir : U2, Bruce Springsteen... Et puis il y a les groupes qui ne parlent que de sexe, de drogues et de rock'n'roll, et qui font des choses très noires. Et je crois que l'une des raisons pour lesquelles les gens n'arrivent pas à cerner New Model Army, c'est parce que nous sommes ces deux genres de groupe à la fois. Je peux facilement écrire une chanson sur la dignité et l'espoir, et l'instant d'après écrire une chanson très sombre sur la joie de tout détruire. C'est contradictoire, mais c'est comme cela que sont les gens : plein de contradictions. Et c'est peut-être là qu'est tout le problème (rires).
Sky in Your Eyes ? J'ai connu tant de gens comme ça... Je parle d'un type en particulier, mais j'ai rencontré tellement de gens comme lui. Surtout des hommes, en fait : les femmes ont plus les pieds sur terre. Les hommes parfois, s'ils ont eu une vie difficile, ont en eux quelque chose qui a été comme effacé. Ceux qui escaladent des montagnes, qui sautent depuis des avions ou ont ce genre d'expériences extrêmes essaient toujours d'aller en quelque sorte "embrasser Dieu". Je connais plein d'hommes qui sont ainsi : ils peuvent accomplir toutes les tâches de la vie quotidienne, mais cela ne les intéresse pas. Une partie d'eux s'en est allée...
Into the Wind ? J'adore ce morceau ! L'album est divisé en deux types de chansons : celles sur ce qui se passe en ce moment même, le fait que l'on soit en colère par rapport au présent, et celles qui parlent du fait de partir, de disparaître, au sens spirituel, un peu comme lorsque tu fermes les yeux... Cela me rappelle lorsque j'ai traversé l'Atlantique en bateau il y a quelques années. Au milieu de l'océan, il n'y a rien : personne, pas de terre, le vide... Et je ressens une véritable paix dans de tels endroits.
Nothing Dies Easy ? C'est une chanson très réaliste, qui peut parler de l'addiction ou de l'amour. En fait, je pense que c'est plutôt sur l'addiction... Que ce soit une addiction aux drogues ou aux femmes, voire les deux, peu importe...
Breathing ? C'est à nouveau une chanson assez personnelle. Ce n'est pas mon histoire, mais c'est au sujet de quelqu'un que je connais, qui était dans le train lorsque cette bombe a explosé il y a deux ans, à Londres, le 7 juillet... Cette personne était dans le wagon d'à côté, et c'est son histoire.
Cette chanson me fait penser à Flying Through the Smoke, le premier morceau de "Eight"... Oui, d'une certaine manière c'est le cas. C'est effectivement le même genre d'histoire de survivant.
Rivers ? C'est une chanson très simple, qui parle de nous. J'ai commencé par écrire cette première phrase : "Our lives just break open in front of us/ Like pack ice before the bow" (Nos vies viennent de s'ouvrir en se brisant devant nous / Comme la banquise contre la proue), et tout est parti de là...
Mais quel est "The edge of the sky" ("Le bord du ciel") dont tu parles dans le refrain ? C'est en quelque sorte là où je suis (rires). C'est un peu la même idée que dans The Sky in Your Eyes : quand tu n'es pas tout à fait là, un peu dans l'autre monde. Finalement, cela revient aussi à ce dont je parle dans One of the Chosen : la part de moi qui s'intéresse à la religion est celle qui est dans cet autre monde. Ce n'est pas vraiment un monde rêvé, c'est juste un monde différent de celui-ci.
Ça ne concernerait pas l'"expérience de mort imminente" que tu as eue sur scène ? C'est le même genre d'endroit, oui. Pour moi, il y a d'autres mondes, et je suis à la fois dans ce monde matériel et dans l'autre. Je pense que les chansons qui sont sur "High" peuvent se partager entre celles qui parlent du monde matériel et celles qui parlent de cet autre monde...
La dernière chanson, Bloodsports, est donc visiblement sur ce monde matériel ? Oui, c'est le retour au monde réel. J'aime le fait que la dernière phrase de cet album soit "I am not at war" ("Je ne suis pas en guerre"). Bien sûr c'est écrit par rapport à l'Irak, mais c'est finalement plus en rapport avec Bradford, la ville où nous habitons. C'est la troisième ville musulmane du pays, dans laquelle vivent principalement des Pakistanais. Et il y a cette espèce de mythe selon lequel les médias, Bush, Ben Laden et tous ces gens rêvent d'une sorte de confrontation apocalyptique entre l'Islam et l'Occident. Je refuse de souscrire à ce gigantesque mensonge à propos d'un grand combat contre le monde musulman. La plupart de ces gens veulent simplement travailler, toucher un salaire et vivre avec leur famille, sans que d'autres ne viennent leur dire ce qu'ils doivent faire. L'islamisme, dans les pays du Moyen-Orient, n'est rien d'autre qu'une forme de combat indépendant. C'est comme au Vietnam : les Américains pensaient combattre des communistes, et les Vietnamiens pensaient combattre des étrangers. Je pense que c'est un peu la même chose en Afghanistan ou en Irak : certaines personnes en Occident et en Amérique pensent qu'ils combattent l'islamisme, mais en fait, au Moyen-Orient, l'islamisme n'est qu'une forme de combat pour l'indépendance. Le monde islamique est manipulé par le monde occidental depuis très longtemps, et c'est leur façon de combattre pour leur indépendance. Tout ce que l'on a à faire, c'est partir de là-bas et les laisser tranquilles. Ils ont besoin de vendre du pétrole, nous avons besoin d'en acheter : ce n'est pas un problème compliqué. Nous devons juste leur foutre la paix : la façon dont ils gèrent leur pays n'est pas notre affaire.
Penses-tu qu'avec l'engagement dans la guerre en Irak, l'Angleterre est toujours le "51st State of America" ? Oui. C'est très embarrassant. J'ai vraiment honte. Mais ce qui est intéressant, c'est de voir que c'est le gouvernement travailliste de Blair qui a fait cela. Notre gouvernement travailliste des années soixante, mené par le premier ministre Harold Wilson, avait refusé lorsque l'Amérique lui a demandé de s'engager au Vietnam. Et cela n'a pas mis fin à la relation entre les deux pays. Je pense que Blair craignait que cela ne mette fin à la relation privilégiée qui existe entre l'Angleterre et les États-Unis. Mais ce n'est pas possible : nous avons une histoire en commun, nous avons la même langue, il y aura toujours un lien particulier entre nous. Mais nous n'avons pas besoin d'obéir à leurs ordres pour autant ! |  |  |  | | |  | |
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