Propos recueillis
en octobre 2007


DERNIÈRE SORTIE :
"Weird News from an Uncertain Future"


SITE OFFICIEL :
www.32crash.com


LABEL :
www.alfa-matrix.com
Par Christophe Labussière  
Photos Fabienne Cresens  

Même si c'est toujours la naissance d'un nouveau projet qui nous amène à nous rapprocher de Jean-Luc De Meyer, il est tout simplement impossible de s'y intéresser sans prendre au préalable quelques nouvelles de Front 242. On profitera même de cet entretien pour faire le point sur la situation en Belgique qui, on le sait, a atteint il y a quelques mois son point de rupture. Un petit cours géopolitique de luxe plutôt passionnant.

Richard 23 se présente sur une liste écologiste aux dernières élections, et c'est le chaos en Belgique, il y aurait un lien ?

Non, puisque le parti Écolo ne participe pas aux négociations gouvernementales actuellement bloquées.

Plus sérieusement, tu peux nous en dire plus sur ce qui se passe dans ton pays ?
C'est une combinaison de facteurs divers et exacerbés ; d'abord une tendance qui existe dans diverses parties d'Europe : une région riche -la Flandre, néerlandophone- qui considère que son développement est freiné par les transferts financiers vers la partie pauvre -la Wallonie, francophone- mal gérée, jugée fainéante et profiteuse, et où les scandales liés à la corruption se sont multipliés ces dernières années. Donc, la Flandre demande à l'entité Belgique une autonomie accrue dans des tas de domaines pour pouvoir utiliser à sa guise sa situation économique favorable en rognant sur la solidarité nationale. Les Francophones refusent cette autonomie accrue au nom de ladite solidarité nationale, et bloquent les propositions d'émancipation de la Flandre qui nécessitent une majorité des 2/3 au niveau national, car elles nécessitent des réformes institutionnelles profondes. Donc, pour l'instant, pas d'accord entre Néerlandophones et Francophones sur un programme de gouvernement, donc pas de gouvernement, et fatalement de plus en plus de voix en Flandre qui disent "Vous voyez, les francophones nous bloquent et bloquent le pays, il est impossible de travailler encore avec eux, séparons-nous". Le tout est saupoudré d'arguments démagogiques et systématiquement biaisés par le parti d'extrême droite flamand qui a su se faire une place "respectable" dans le paysage politique et qui verse constamment de l'huile sur le feu, au point que les Flamands sont systématiquement dupés sur la réalité de la situation (et notamment sur l'ampleur des flux financiers entre les communautés). Il y a aussi des éléments irrationnels, comme un passé pas si lointain où la Flandre était moins riche et s'est sentie opprimée économiquement et culturellement par la francophonie, ce qui est également assez éloigné de la réalité, mais qui a généré des frustrations encore très vivaces aujourd'hui. Et je ne parle même pas de Bruxelles, capitale de la Belgique et de l'Europe située sur le territoire de la Flandre, mais peuplée de 87% de Francophones, et où viennent travailler chaque jour plus de 200.000 Flamands...

Quels sont les scénarios les plus plausibles quant à la façon dont les choses peuvent évoluer ?
La Belgique, à mon sens, continuera à exister par nécessité, parce qu'une séparation serait catastrophique pour toutes ses parties, y compris pour la Flandre malgré sa richesse, et que les décideurs flamands le savent ; par exemple, c'est la Wallonie qui est son premier client, et en cas de scission elle se tournerait certainement vers la France ; la Flandre n'a encore en rien préparé la montée des océans et le paiement des pensions de sa population vieillissante, deux phénomènes qui pourraient suffire à l'étouffer financièrement.

Il y a encore peu de temps, on pointait du doigt la France. Et c'est finalement en Belgique qu'il y avait un vrai malaise ? Ce qui se passe était inéluctable ?
C'est une situation qui existe depuis longtemps et dont le pays s'est toujours accommodé, ce sont les circonstances exacerbées du moment et des politiciens pas très inspirés qui bloquent momentanément les choses et rendent la Belgique visible à l'étranger pour de mauvaises raisons.

Parlons de Front 242. Suite à la sortie de l'album "Pulse", qu'est ce que le groupe dans son ensemble en a tiré ? L'envie de faire un autre disque ? L'envie de ne plus en faire ?
Clairement la seconde option. Ce disque, même s'il a été terminé assez vite, a demandé beaucoup d'investissement, sur des tas de plans, et n'a strictement rien changé à notre carrière. Nous nous sommes positionnés sur un autre terrain que celui où on nous attendait, et les réactions qu'a suscitées ce disque étaient parfaitement prévisibles. Nous ne l'aurions pas fait que la situation du groupe aujourd'hui serait exactement la même. Par conséquent, nous ne voyons guère l'intérêt d'en faire un autre.

Et toi personnellement, qu'en as-tu tiré ?
L'envie de faire d'autres choses, dans d'autres cadres.

Pourquoi n'avez-vous rien fait d'autre jusqu'à maintenant ? C'est parce que vous n'en avez pas envie, parce que vous n'en êtes pas capable ?
Nous avons les concerts -25 en 2007, un record-, et nos projets parallèles. C'est déjà beaucoup.

Est-ce que tes multiples side-projects ne sont pas des sortes d'exutoire, pour te permettre de combler ce que tu ne trouves pas dans Front 242 ?
Je n'éprouve guère de frustration dans le rôle que je joue au sein de F242, mais j'ai envie de trouver des endroits pour faire des choses qui ne cadreraient nullement dans l'esprit du groupe, comme par exemple inclure dans la musique un travail sur la langue française, ce que j'ai tenté dans Cobalt 60 mais qui n'a pas été bien compris et en tout cas pas accepté, et que je réalise dans Modern Cubism en adaptant des grands classiques de la poésie française sur de la zik électro. Ou encore, de prendre un référentiel totalement différent comme dans 32crash où l'on combine une musique minimale rétro avec des thèmes d'anticipation. Dans ces deux groupes, on essaie donc assez clairement de jeter des ponts entre des optiques sinon contradictoires, en tout cas très éloignées. Mais j'ai encore des tas de choses en préparation pour varier le menu. Par exemple, je viens de me mettre au violoncelle, j'ai entamé des contacts dans les milieux littéraires et dans ceux de la musique classique. Je verrai bien ce qui en ressortira.

Si l'on omet ta prestation "vocale", est-ce que tu veux bien admettre que 32crash n'arrive pas à la cheville de Front 242 ?
Oh que non ! D'abord, je pense que les projets ne sont pas comparables tellement les buts sont différents et qu'il vaut mieux mettre Front 242 et Implant complètement de côté pour aborder 32crash. D'autre part, si je compare au connu ancien, j'estime que je n'ai jamais auparavant reçu des morceaux aussi propices et inspirants : la musique constitue la "terre fertile" qui permet à ma voix de se poser et de passer dans des registres différents, et dans ce cas-ci, je suis persuadé d'avoir été plus loin que jamais, et c'est clairement grâce à la musique. Et enfin, les talents de Jan et Len en tant que musiciens et producteurs sont absolument indéniables. Tout cela est d'ailleurs sanctionné par la demande: 20 concerts signés avant même la sortie du premier album, aucun de mes groupes précédents n'a jamais suscité un intérêt pareil.

Comment t'es-tu retrouvé à travailler avec Implant et monter 32crash ?
J'avais du temps et eux aussi. On était sur le même label, tous fans de Bilal, des "Idées Noires" de Franquin, et de tas d'autres choses. On a travaillé un premier morceau sans se voir, via internet, on s'est rencontrés, et l'affaire a été pliée. On n'a pas eu besoin de se concerter beaucoup tellement ça nous semblait évident de travailler ensemble.

Il t'arrive de refuser des propositions de collaboration ?
Oui. J'en refuse plus que je n'en accepte, soit parce que la musique ne m'inspire pas, ou parce que ce que je trouve que ça ne marche pas, soit au contraire parce que je trouve qu'elle est déjà parfaite comme elle est et que la voix ne lui apporterait rien -ce fut notamment le cas lors d'une collaboration envisagée un moment avec Millimetric.

Tu es intervenu sur autre chose que le chant sur cet album ?
Oui, sur les thèmes en général, ce qui oriente des choix de rythmes ou de sons, sur la structure des morceaux, et sur certains éléments de la production.

Où prends-tu le plus de plaisir, dans l'interprétation (comme avec Slow Crash), dans l'écriture de texte (comme l'excellent Hérissons et Porcs-épics), ou bien dans le live ?
Dans les trois. Mais encore plus dans le fait de travailler avec une équipe créative et dynamique, avec des gens qui rendent les choses faciles et intéressantes.

Je trouve que 32crash c'est d'une certaine manière la voix, l' "esprit", de Cobalt 60, mais avec pas grand-chose derrière. Si tu rebondis ainsi de projet en projet, c'est que tu ne trouves pas LE projet qui te convient ou bien ça fait partie de ton plaisir d'entamer des choses sans les faire perdurer ?
Hum, je trouve généralement mon plaisir plutôt dans la durée que dans l'éphémère et je pense au contraire que "derrière" 32crash il y a une vision artistique ainsi qu'une capacité et une variété de création tout à fait inhabituelles. En ce qui concerne le caractère éphémère de mes projets-groupes, il faut relativiser. C-Tec et Cobalt 60 étaient des groupes où les musiciens étaient géographiquement fort éloignés les uns des autres -plusieurs centaines de kilomètres- et mine de rien, c'est un facteur qui pèse lourd. C-Tec s'est arrêté assez vite parce que le processus créatif était lent et coûteux, et que Marc Heal a préféré devenir producteur. Avec Cobalt 60, même si le dernier album date de 1998, j'ai continué à travailler pendant des années avant de jeter l'éponge en 2006, parce que globalement on ne se voyait plus et on n'était plus d'accord sur rien -en fait, je m'aperçois rétrospectivement qu'il n'y a jamais eu de direction artistique claire et partagée. Par contraste, 32crash et Modern Cubism sont deux projets dont les membres travaillent beaucoup plus près les uns des autres et se rencontrent très fréquemment, dont les objectifs et modes de fonctionnement sont clairs, et où chacun voit clairement la direction à suivre et est en mesure d'assurer son rôle de A à Z. Je pense que ce sont des arguments décisifs pour assurer la cohérence et la pérennité de ces deux groupes.

Pourquoi ne pas monter ton propre projet, tout seul, de ton côté, et ne faire appel qu'ensuite à des collaborateurs, seulement lorsqu'il est lancé, et permettre ainsi qu'il t'appartienne vraiment ?
Parce que je ne me sens ni l'âme ni les qualités d'un compositeur-musicien-producteur, ni celle d'un uni-propriétaire, et encore moins celles d'un despote omniscient. Je suis fondamentalement un solitaire et je crée beaucoup seul dans mon coin, mais je ne peux concevoir le produit final que comme le résultat d'un travail d'équipe où chacun a pris en charge ce qu'il fait le mieux. J'irais même jusqu'à dire que la manière dont se passe le travail commun m'importe plus que le résultat final.

Est-ce que tu discutes avec Patrick, Daniel ou Richard de tes différents projets ? Ils osent te dire ce qu'ils en pensent ?
Bien sûr. Ils ont même parfois eu des mots très durs à l'égard de ce que je faisais. Et ils m'ont dit tous les trois qu'ils trouvaient que 32crash était -de loin- le projet le plus excitant de tous ceux dont j'ai fait partie jusqu'à présent. Par souci d'exactitude, j'ai d'ailleurs revérifié la chose avec Patrick aujourd'hui même...

Où va-t-on te retrouver maintenant, avec l'album de Modern Cubism... Et ensuite ?
Oui, l'album avec les poèmes de Baudelaire sortira à la fin de cette année. Je chante un morceau sur le premier album des excellents Cruise Ctrl également prévu pour fin 2007, je suis déjà bien avancé dans la création des seconds albums de 32c et MC, j'ai des dizaines de concerts en vue pour les mois qui viennent, et mes cours de violoncelle... Je n'ai jamais aussi à fond dans la musique qu'aujourd'hui.