7 au 11 mai 2008 - Lyon

SITE OFFICIEL :
www.nuits-sonores.com
PHOTOS :
Par Carole Jay  
Photo Carole Jay  

Créé en 2003 à l'initiative de l'association Arty Farty et sous l'égide d'une mairie bien décidée à rajeunir l'image de Lyon, Nuits Sonores s'est imposé au fil des ans comme le festival hexagonal de musique électronique à ne pas rater. Mais soyons clairs, impossible d'en faire un compte-rendu complet et détaillé à moins d'avoir le don d'ubiquité : 4 jours et 4 nuits de festivités dans une quarantaine d'endroits différents, 250 artistes internationaux présents, difficile de tout voir et ce malgré les navettes gratuites qui relient certains sites entre eux. Une des particularités du festival réside en effet dans sa capacité à investir de nombreux lieux, souvent atypiques (piscine, patinoire, usine désaffectée, jardins suspendus...) et toujours en milieu urbain. Et l'adjectif urbain n'est pas usurpé puisque tous les évènements se déroulent réellement au coeur de la ville... jusqu'à présent en tout cas, car trouver chaque année des emplacements originaux répondant aux multiples normes de sécurité et assez spacieux pour accueillir notamment les trois nuits principales relève de la gageure. Une autre particularité à souligner est la gratuité d'une bonne partie du programme ("Circuit Électronique", "Apéros et Siestes Sonores"...) qui permet d'attirer un public bien plus large que la cible de départ et qui constitue, selon les organisateurs, plus de la moitié des 54 740 festivaliers de l'édition 2008. En outre, les initiatives sont nombreuses et cette année un nouveau projet intitulé "Extra !" regroupait tout ce que le festival compte de "off", avec un choix qui dépassait largement le simple cadre musical (expositions, installations, performances culinaires, etc.). Enfin, n'oublions pas de mentionner l'aspect visuel de l'évènement qui, grâce au programme "Images Sonores", ne se limite pas à de simples effets de lumière, mais offre un panorama pluridisciplinaire des arts numériques en permettant à une pléthore d'artistes (architectes, graphistes, vidéastes...) de s'atteler à la scénographie des sites et d'animer concerts et DJ sets selon un thème donné. Cette saison, art génératif et motion design étaient à l'honneur, complétés par une sélection cinématographique.

Mais venons-en à l'essentiel avec une question qui s'impose d'emblée : même s'il est clairement d'obédience électronique, le festival s'est toujours ouvert à d'autres styles, tant et si bien qu'il est maintenant précisé "Electronic & indie festival" sur tous les supports de communication. Alors, Nuits sonores tendrait-il à devenir plus généraliste ? Pour les organisateurs, il s'agit en fait de l'association logique d'une culture commune que Prémonition ne démentira pas : la musique électronique et le rock indépendant, le hip hop, la pop, voire le jazz, se mélangent de plus en plus, et le métissage innovant qui en résulte ne peut être ignoré aujourd'hui. Il n’est d’ailleurs plus rare d'entendre le terme "rock électro", et des artistes reconnus n'hésitent pas à transgresser les règles de leur propre univers sonore, à l'instar de Sascha Ring (Apparat) qui s'entoure actuellement d'un groupe en live. Apparat Band (c'est le nom de cette nouvelle mouture) se produisait d'ailleurs dans le cadre de la carte blanche à Berlin, ville que cette 6e édition mettait à l'honneur avec comme point d'orgue un concert "spécial" d'Einstürzende Neubauten le dernier soir, sauf que de spécial ce concert n'en avait que l'appellation puisqu'il était une étape comme une autre de la tournée du groupe, exilé au Transbordeur. Après plus de deux heures passées sur scène, Blixa Bargeld et les siens semblent néanmoins avoir fait l'unanimité, même du côté des curieux. On regrette seulement que leur prestation n’ait pas été intégrée à l’une des nuits principales qui se déroulaient sur une friche industrielle, ce qui leur aurait parfaitement convenu.
En effet, après les Subsistances, c'est le site de l'Ancienne Usine SLI qui a été choisi cette année pour accueillir les trois nuits payantes (et une étape gratuite du "Circuit électronique" proposée par le label lyonnais Jarring Effects, avec Dälek entre autres). Cette ancienne fabrique d'ampoules électriques, désaffectée depuis 2005 et qui sera bientôt détruite, était en partie réinvestie pour l'occasion, structurée autour de trois scènes couvertes et d'une esplanade, de plusieurs bars, d'un cinéma et d'un magasin de disques également fournisseur de bouchons d'oreilles. En relation avec le thème berlinois, les scènes étaient baptisées des noms de quartiers emblématiques de la ville (Kreuzberg, Alexanderplatz...), des kilos de Wurzt (saucisses) et des litres de bière étaient disponibles aux bars/restaurants (mais le choix était heureusement plus vaste) et le Kino Babylon (cinéma) permettait de faire un break transat en visionnant courts-métrages et autres clips expérimentaux. Côté décor, "Digital Paradise", l'oeuvre centrale interactive du collectif Premium Consortium faisait son petit effet, parfois à la limite de l'expérience psychédélique, grâce à son bestiaire graphique évolutif et très coloré. Précisons d'autre part que l'immense barbu projeté sur les murs extérieurs n'était pas une émanation subliminale de Sébastien Tellier, mais l'autoportrait de Stereotype, le créateur de l'identité visuelle du festival.
Côté programmation le choix était varié et, honneur aux anciens, commençons pas Wire qui en a dérouté plus d'un avec son attitude hiératique et ses morceaux secs et nerveux, du grand Wire en somme. Les Buzzcocks jouaient quant à eux beaucoup trop fort pour être appréciés à leur juste valeur, on peinait même à reconnaître certains morceaux, mais si l'âge rend sourd, l'énergie, elle, est toujours là. Autre tête d'affiche, Underworld se produisait devant une salle conquise d'avance et carrément au taquet lors de Born Slippy, pourtant leur prestation fut plutôt inégale. Malgré l'absence remarquée de Beans, le retour d'Anti-Pop Consortium a convaincu, grâce à un son énorme et une forte présence scénique. Jon Spencer (Heavy Trash), prouve lui aussi qu'il a toujours autant de fougue, mais voir son post rockabilly épileptique au milieu d'un public constitué essentiellement de clubbers teufeurs le rendait encore plus anachronique que n'importe quel vieux punk cité précédemment. Laurent Garnier et la star locale Agoria, tous deux squatteurs officiels des "Nuits sonores", s'étaient associés pour un marathon de 7 heures durant la troisième nuit (la seule à afficher complet). Et c'est avec entrain qu'ils ont gratifié la foule d'une collection de styles très variés, faisant parfois des enchaînements improbables tels que le Salut à toi de Bérurier Noir suivi du Blue Monday de New Order. Juste à côté, le consensus régnait autour de DJ Krush qui secouait la salle par saccades infernales, entre trip hop, drum'n'bass et abstract hip-hop, laissant ensuite la place à Battles, la nouvelle sensation Warp, dont l'entêtant Atlas prenait toute sa mesure en live. Zëro (le groupe formé de trois ex Bästard et d'Ivan Chiossone) et son mélange réussi d'expérimentations post rock, jazz et noisy jouait à la maison, tout comme, dans un autre genre, Danger (ersatz french touch cagoulé) et les énergiques frères Spitzer (d'anciens rockers convertis à la techno), en bref de la pure musique pour les pieds. Le set groovy et intense du Roumain DJ Pedro fut quant à lui une bonne surprise qui atteindra même notre cortex (en plus des pieds), grâce aux projections décalées de jeux vidéo old school de Super Emulator Bross. Robots in Disguise ayant annulé, c'est le duo électro punk Kap Bambino qui fit office de remplaçant, et le moins qu'on puisse dire est que l'on n'a rien perdu au change. Caroline Martial a l'énergie communicative et sa prestation tout en adrénaline fut sûrement la plus consensuelle du festival. Les Canadiens Duchess Says ont eux aussi une chanteuse très habitée qui manie fiévreusement le keytar et dont la voix rappelle parfois Lydia Lunch époque Teenage Jesus. Leur musique, plus punk électro que celle de ses prédécesseurs (notez la nuance) était aussi plus sombre et distordue, mais diablement efficace. La dernière nuit, Henrik Schwarz, minimal et hypnotique précédait judicieusement Chloé qui avait la lourde tâche d'assurer la fermeture. Et cette dernière n'a heureusement pas cédé à la facilité, restant en montée jusqu'à 6h du matin avec son électro convulsive, ne manquant ainsi pas d'égard envers une foule certes épuisée, mais au final comblée.

Parmi les autres lieux originaux du festival, la Piscine du Rhône recevait dans le cadre du "All Day Long", et pour la première fois en France, l'illustre Body & Soul (Danny Krivit, François K et Joe Claussell). Jeff Mills, qui jouait la veille à l'Ancienne Usine SLI, est venu observer une bonne partie de ce set très festif, égayé à un moment par la tentative ratée de freeze (ce recyclage de flash mob qui consiste à "geler" un groupe de personnes de façon inattendue) du photographe Richard Bellia, qui en conclut qu'"essayer de parler d'art à toutes ces tafioles de clubbers, c'était voué à l'échec" (sic). Précisons que c'est de l'humour. Juste après, le Marché Gare et sa brasserie attenante accueillaient deux des neuf étapes du “Circuit Électronique”. Dans le premier se tenait la soirée breakcore/micromusic "Micro Chaos Party V2.0", avec entre autres Patric Catani. Malheureusement, il fallait subir une file d'attente interminable pour espérer entrer dans ce bâtiment. Chaque année, bon nombre d'évènements gratuits sont victime de leur succès et c'était encore le cas ici, ce qui n'avait finalement rien d'étonnant puisqu'il s'agissait de la seule étape du genre pour tout le festival. "Beat Bindum Sonore", la soirée voisine, était par contre parfaitement accessible et permettait d'assister au set électrique et puissant de The Toxic Avenger qui s'acheva dans une moiteur extrême... La Patinoire Charlemagne était donc l'endroit tout désigné pour lui succéder afin d’apporter un peu de fraîcheur, et il y avait foule à cet évènement intitulé "La Boom !", où l'on pouvait entendre un live de Smith n'Hack, l'association des Allemands Errorsmith (toujours impeccable quand il s'agit de mélanger expérimentation et beats ravageurs) et Soundhack. Mais le plus impressionnant dans ce lieu hors du commun était la vue d'ensemble que l'on pouvait avoir en arrivant sur la piste, où un énorme échafaudage en forme de cube trônait, agrémenté de quatre écrans et sur lequel les artistes étaient placés. Quant à la glace en elle-même, elle était recouverte d'une moquette de couvertures afin de créer un dancefloor praticable, mais sa fixation aléatoire n'empêchait en rien les glissades frénétiques, pour le plus grand plaisir de tous !
Pour finir évoquons rapidement le cosy Jardin Pop, un coin de verdure secret situé près des pentes de la Croix-Rousse qui, dans le cadre d'"Extra !", proposait le samedi après-midi une "Électro Pétanque" à l'atmosphère bon enfant, rythmée par des DJ locaux efficaces (Wallas Syndicate). Côté "Apéros Sonores", la "Guinguette Électro" de la rue de l'Arbre Sec, organisée par le collectif The Exciters, faisait comme d'habitude le plein et invitait cette année l'Autrichienne Clara Moto dont le set minimal fut très apprécié.
Enfin, dernier lieu et pas des moindres, les Jardins de la Visitation, sur la colline de Fourvière, accueillaient les "Siestes Sonores" qui clôturent chaque édition en douceur. Malgré un temps orageux, le parc était bondé et les familles en visite dominicale croisaient les festivaliers en after qui profitèrent des pelouses pour un repos bien mérité.

En conclusion, ce millésime marquera notre esprit par son professionnalisme (bonne organisation générale malgré les quelques couacs des soirées gratuites) et sa très grande diversité, même si l'on regrette la disparition progressive de l'electronica et d'autres styles moins "vendeurs" lors des grandes nuits. Évidemment, un évènement d'une telle ampleur coûte cher et se doit d'être rentable, la contribution indispensable de plusieurs centaines de bénévoles chaque année est d'ailleurs un plus très apprécié, mais même avec la très (voire "trop" pour certains) généreuse subvention accordée par la municipalité (366 705 euros, sans compter les autres soutiens régionaux et un budget total qui dépasse largement le million d'euros), la trésorerie reste serrée et les comptes accuseraient un léger déficit pour cette édition... Quoiqu'il en soit, le résultat est là : le festival grandit doucement mais sûrement et n'est pas loin de tutoyer des pointures comme le Sonar à Barcelone, c'est en tout cas tout le mal qu'on lui souhaite.