|  Propos recueillis en janvier 2008
DERNiÈRE SORTIE : "Amours Suprêmes" |
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|  |   |  |      | Par Christophe Labussière | Photos Rudy Waks |
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|  | Une rencontre avec Daniel Darc n'est jamais quelque chose d'ordinaire. Car Daniel connaît aussi bien l'histoire du rock que les ficelles de la presse musicale. Il en maîtrise les ressorts, les méthodes, les attentes et il en connaît très bien les protagonistes. Et surtout, il sait pertinemment qu'il en est lui-même un acteur, un bon acteur, et il ne manque jamais de le rappeler. Il joue. Pas un rôle, il joue, simplement, à être Daniel Darc, dans ce film dont il écrit lui-même le scénario. Et il le fait avec un plaisir évident. Derrière un discours en apparence désordonné (Daniel est un personnage hallucinant), on se surprend toujours à le découvrir guidé par une intelligence, en apparence instinctive, mais pourtant toujours très, très, réfléchie.
Prémonition ? Je connais, mais je ne sais plus ce que c'est, je te jure je connais... J'ai pas écrit pour vous ?
Si si, il y a pas mal d'années, tu nous faisais régulièrement des papiers. Oui oui. Je me souviens bien de toi. On se voyait régulièrement à l'angle de la rue Lepic et de la rue Cauchois. Tu te rappelles ?
Oui, très bien ! Ça s'est bien passé les interviews aujourd'hui ? Tu sais y a des moments où je deviens un peu taré. Là, juste avant, le mec était agressif... Tu enregistres là ? Faut le dire que tu enregistres !
Ça tourne oui. Quand je te dis c'est "off" c'est off.
Oui oui, bien sûr. Il était super gentil en fait, mais au début il me faisait flipper j'avais l'impression qu'il me faisait la gueule. Mais en fait je ne crois pas, je crois qu'il était carrément impressionné. Franchement je sais pas pourquoi... c'est vrai, c'est pas de la fausse modestie. Donc tu coup j'ai pété les plombs, j'ai fait n'importe quoi, j'imitais Artaud, j'ai fait le départ de Giscard d'Estaing !
C'était pour la chaîne Ciné Cinéma ? Ouais, Ciné Cinéma je crois... mais je ne sais pas, j'ai même pas de télé.
Tu as enchaîné un paquet d'interviews... Oui justement, c'est ce que je disais. D'ailleurs, ne t'inquiète pas, c'est possible qu'au cours de la conversation je ne sache plus si je viens de te dire un truc ou si je l'ai dit la fois d'avant. Ne te vexe pas si je te pose la question, je fais attention à toi, mais il y a des fois où je ne sais plus. Donc oui, j'en ai fait toute la journée.
Tu as fait récemment la couv de Technikart ? Ouais, Rock n' Folk, Technikart et un autre truc... le journal du TGV je crois.
C'est bien pour toi ou alors ça te fait chier ? Bien sûr c'est bien. Qu'est-ce qui est bien ? De faire les couvertures ?
D'être tant demandé. En fait, ça ne te pèse pas ? Tu sais, je pense qu'il y en a beaucoup qui font ce que je fais et qui vont te dire que ça les fait chier. Mais moi non. Même sur mon site, que je ne regarde pas souvent parce que je n'ai pas internet non plus en ce moment, il y a des gens qui crachent sur ce que j'ai fait, des fans de la première heure, parce que maintenant ça se vend. Je pense que pour toi c'est pareil, si tu montes une revue tu espères qu'elle se vende, c'est normal. Parce que pour moi, sans même parler de l'argent, même si évidemment je préférerais avoir de l'argent que de ne pas en avoir, si j'écris quelque chose, c'est pour que les gens le lisent, sans ça, tu gardes ton truc chez toi.
C'est une montre, c'est quoi, qu'est ce que c'est ?
(Il regarde ma montre)
Ha ouais, ha c'est marrant. Ça fait autre chose ou pas ?
Non, ça donne juste l'heure.
Régulièrement, tu parles de tes amis qui sont morts, dans tes chansons, sur scène ; toi, tu n'es pas mort, il y a une raison ? Oui, je pense.
C'est parce que tu crois en Dieu, tu es plus fort que les autres, tu as pris des drogues de meilleure qualité, c'est juste le hasard ? C'est un peu tout ce que tu viens de dire. Alors bon, sur scène j'ai arrêté ça un peu, je crois, et puis dans les interviews, faut voir que je ne parle pas que de ça. Mais effectivement, c'est toujours ça qui reste.
Oui effectivement, et pour le coup, c'est moi qui en parle. Alors non, je ne pense pas que ce soit parce que je crois en Dieu. Je pense effectivement que peut-être il y a quelque chose de Dieu... mais en même temps mes amis qui sont morts, je ne vois pas pourquoi ils auraient dû être punis, tu vois. Pour rester très simple, je pense déjà qu'il y a un truc tout con, c'est que j'ai fait beaucoup de karaté et je pense que j'ai un corps assez résistant, et puis, et puis voilà quoi. Effectivement, j'ai eu des drogues un peu meilleures que les mecs dans la rue, enfin je sais pas, j'ai pas testé la leur, mais je pense. C'est aussi pour ça que je parle de mes amis morts. Je sais pas. Ça me gêne vachement, j'ai pas envie trop de parler de ça. Tu vois, enfin ça n'a rien à voir, mais quand j'entends les témoignages des gens qui sont revenus des camps de concentration, effectivement ça n'a absolument rien à voir, mais quand même, ils se sentent parfois coupables, et moi, des fois, je me sens coupable.
D'être encore là alors que tes potes sont morts ? Ouais. Enfin, quelques fois, moins maintenant, beaucoup moins maintenant, mais il y a encore quelques années oui. Maintenant non. Maintenant, à la limite c'est plutôt positif parce que je me dis que je suis un des derniers qui puisse témoigner.
Mais tu ne te drogues plus du tout maintenant ? Je bois encore.
Ha, donc tu picoles... Non pas énormément. Pour une interview, avant trois demis je ne me sens pas à l'aise. À trois demis c'est bon.
Si tu ne prends plus de drogue, tu es reparti pour 40 ans de plus. Tu sais, c'est pas forcément bon de ne pas prendre de drogue. Les gens disent qu'ils ont eu des problèmes de drogue, je n'ai jamais eu de problème de drogue, j'ai eu des solutions de drogue et d'alcool. Sans les drogues, sans l'alcool, je me serais tué depuis longtemps. Donc ça m'a aidé, ça m'a vraiment aidé. L'héroïne m'a aidé.
On parle de la vie et de la mort et... Ben tu veux parler de quoi d'autre ?
Je ne pense pas qu'il y ait d'héroïnomanes qui tiennent jusqu'à 90 ans... Tu connais un mec qui s'appelle William Burroughs, il est mort à 83 ans.
C'est vrai. Je vais essayer de battre le record.
T'es parti pour. Il y a 23 ans tu chantais "Sommes jeunes sommes fiers". C'est toujours valable aujourd'hui ? Si tu avais Daltrey tu lui demanderais si c'est toujours valable de chanter Hope I die before I get Old ?
Peut-être. Alors moi, j'ai envie de te répondre "fier toujours", "jeune non". Quand j'ai écrit ce titre-là, je me souviens très bien de ça, j'ai écrit justement en pensant que pour moi, dans ma tête (j'étais tellement plus jeune), que dans trois ans je ne pourrai plus le chanter. Je le savais très bien. C'était pas parfait du tout ce texte, mais je me suis dit, faut le faire vite. Je voulais mon My Generation. Je l'ai fait vite et voilà.
T'as lu le bouquin du mec de Technikart ? Gros enculé Benoit Sabatier, de la merde son livre de pourriture. Par contre, tu peux dire que j'aime beaucoup Technikart, à part Sabatier.
Ha bon, il est pas bien son livre ? T'en penses quoi ?
J'ai lu le début, et ça m'a appris des choses sur les années 50, sur Elvis Presley... Ça peut-être, je sais pas. J'ai pas lu le début. Elvis Presley... il connaît rien sur Elvis Presley.
Je trouve ça intéressant le fait qu'avant, la jeunesse n'existait pas, et que d'un coup elle s'est mise à exister. Je trouve ça complètement...
C'est un truc que je ne savais pas. Toi qui est intellectuel, qui est intelligent en tout cas, il suffit que tu lises un mec qui dise ça pour que tu dises je ne savais pas ? Tu peux pas penser que peut-être il se trompe ?
J'en ai parlé à mon père... Pour moi, il se trompe.
...qui n'a jamais été fan d'Elvis Presley, mais qui m'a dit qu'effectivement, avant, ils étaient un peu tous formatés, rien que physiquement, au niveau des fringues... Et moi je peux te dire que mon père était Zazou, il est né en 24. Tu vois ce que c'est les Zazous ? Ils étaient tous habillés pareil, c'était un mouvement de jeunes, il écoutaient Glenn Miller, Benny Goodman... Et les parents, pas spécialement ceux de mon père, mais les parents trouvaient ça honteux, dégueulasse. Avec les filles qui mettaient des robes courtes qui s'arrêtaient là, mais à cette époque c'était court. Sabatier, son bouquin, pour moi, du début à la fin c'est une connerie. Excuse-moi. Tu peux le dire en plus, ça me gêne pas.
C'est pas ton pote... Juste un truc, mais vraiment je t'explique, c'est pour ça que je te pose la question. Ça m'étonne vraiment ce que tu dis, en disant "Je savais pas". Attends, tu vois, si tu lis un truc d'un nazi qui dit "Les juifs sont des sous-hommes", tu ne vas pas dire "Je savais pas, il doit avoir raison".
Oui mais... C'est pas méchant ce que je dis..
Je sais bien. Mais si je lis le bouquin d'un mec dont la démarche est d'expliquer des choses... Elvis Presley, je ne connais rien, c'est pas mon truc, moi j'ai commencé à écouter de la musique avec la musique des années 80. (il me montre les tatouages sur ses poignets) Date de mort. Date de naissance.
Ha putain.. 1935, 1977.
Tu ne te considères donc plus comme jeune aujourd'hui ? C'est assez compliqué ce truc-là. Je vais répondre, mais ça peut durer des heures. En fait, en allant au plus simple, il n'y a rien pour moi de plus pathétique que les mecs qui disent "Je suis toujours jeune" et qui ont 70 balais. Tu vois, Guy Marchant, j'aime beaucoup Guy Marchant en plus, quand il se marie avec une pute russe de 30 ans, il peut dire "Je suis resté jeune, t'es resté jeune", mais derrière lui il a beaucoup plus de temps que devant. J'ai plus de temps derrière moi à 48 ans que devant. Voilà, c'est mathématique. Pour moi, jeune ça veut quand même dire que tu as toute la vie devant toi. Moi, dans le meilleur des cas, il me reste un peu moins de la moitié. 1/3 disons, il me reste 1/3. Tu vois ce que je veux dire ? Donc en même temps on peut dire ce qu'on veut, mais... Effectivement, il y a des gens de quinze ans qui sont vieux. Tu prends par exemple Fillon, le soi-disant ministre qui fait rien, lui, quand il était môme, il avait un poster de Charles de Gaulle dans sa chambre. Donc là tu peux dire...
...qu'il n'a jamais été jeune. Il a été au mouvement Occident, Ordre nouveau. Avec Charles Fillon.
(Le serveur) Daniel, tu veux un shot de quoi toi ? Un shot normal ? Ben un shot de moi.
(Daniel s'adresse à moi) T'en veux un de moi ?
De quoi ? Un shot de moi. Ça s'appelle "le Darc". Je te jure ça s'appelle le "Darc". C'est un petit verre.
Avec de l'alcool ? (Il me regarde et se fout de moi) Non non, il y a deux jus de fruit super bien. Y a pamplemousse et un truc rare, goyave, encore plus rare.
J'en veux bien un. Excuse-moi, je vais essayer de faire moins de digressions.
Non non, ça ne me pose pas de problème.
Donc, ce que je te disais, c'est que j'ai 48 ans. Je ne suis pas un teenager. Si on parlait anglais ce serait mieux, tu vois, je ne suis pas un teenager, teenager ça s'arrête à 19 ans. Qu'est ce que tu veux que je te dise, forcément, si tu me montres un vieux de 102 ans qui n'entend plus rien et qui pisse sous lui, à côté, je suis jeune. Quand t'es une femme, c'est facile, tu te repères très bien parce qu’on ne te dit plus mademoiselle, on te dit madame, mais quand t'es un mec c'est moins facile.
Et quand tu vieillis, si tu n'as pas fait de gamin, tu ne peux plus en faire... Oui, mais tu peux en adopter.
(La patronne du bar passe à côté de nous) Moi ça ne sera qu'avec elle si j'en fais un. Elle le voulait avec Leotard, elle m'a dit "À part Leotard t'es le seul mec qui me touche".
Leotard, le frère... Je pensais pas à François, je pensais à Philippe. Mais j'aime beaucoup François, parce que je l'ai vu à Ruquier... Haaaaa digression. Je l'ai vu à Ruquier, il a écrit un livre sur son frère, et tu vois, la vieille, la vieille qui parle comme une merde et qui a un cheveu sur la langue, celle qui fait des pièces de théâtre...
...Isabelle Mergault... Voilà. Elle lui dit (il l'imite) "Ça me dégoûte, c'est un peu comme Gainsbourg (parce que Thunders, elle connaît pas), c'est un peu comme Gainsbourg, parce qu'ils ont raté leur vie on les trouve bien". T'as envie de lui dire, putain, si tu pouvais rater ta vie ça serait pas mal pour toi.
À ce propos, tu dis "Rater sa vie". Je lisais Télérama hier et tu disais... Pourquoi y a un truc dans Télérama ?
Oui oui, du rédactionnel, je pense qu'ils t'ont rencontré, mais c'est du rédactionnel.
Tout le monde, tous les journalistes te présentent comme "le loser", "l'écorché". Magnifique !
Le mec qui a raté sa vie... Gâché, gâché.
Ça te plaît ? Tu n'aimerais pas qu'on te considère comme un mec "normal" qui fait de la musique et qui a du talent ? Quelques fois j'aimerais. J'aimerais être un mec normal, mais j'ai essayé deux, trois fois, ça ne marche pas très longtemps. Me lever tôt pour "travailler plus, pour gagner plus", c'est pas mon truc.
C'est bien "le Darc" non ?
Oui oui, c'est super bon.
Tu l'écris pas ça. Non mais, Off. Je te jure, vraiment tu l'écris pas.
(Je coupe l'enregistrement et il me donne la composition du "Darc")
Donc ce côté loser, ça te va vraiment bien ? Mais non. Tu sais quoi, à un moment ça me faisait chier. Maintenant ce qui m'éclate c'est qu'on me traite de loser au moment ou enfin je commence à gagner de l'argent. Tout le monde me demande, me demande des textes, tout se passe bien pour moi. Tu sais, c'est comme, je sais pas... ouais ouais j'aime bien ça. Tu vois perdant, je pense que c'est à peu près comme youpin. Avec mes potes, entre nous on se traitait de youpins, même les blacks entre eux ils se traitent de nègres. Perdant, je m'en branle, je suis un perdant et c'est bien. J'en ai rien à foutre. Franchement, j'en ai plus rien à foutre, ça ne me gêne pas.
Ça te va. Ça me va, attends. Les gens, les personnes qui écrivent ça, ça les regarde, et s'ils ne trouvent rien de plus inventif, je ne vais pas écrire leurs textes. Je pourrais trouver un truc mieux, mais ils ne me demandent pas d'écrire pour eux.
Mais quand tu dis dans tes chansons "j'ai gâché ma vie". Ouais ?
Tu le penses ? J'adore, j'adore ça.
Tu le penses vraiment ? Gâché, gâché, pas raté. Encore une fois c'est une chanson...
Ha oui, "gâché" pas "raté". Je pense que j'étais...
...que tu aurais pu faire mieux.. ...que j'aurais pu faire beaucoup, beaucoup, mieux. Mais bon voilà.
Mais tu n'as pas de regret sur ce que tu as fait ? Pourquoi j'ai une chanson qui s'appelle Les Remords d'après toi ? Excuse-moi hein. C'est pas Les Regrets, mais ça aurait pu s'appeler comme ça. Mais Souchon il avait déjà une chanson qui s'appelait Les Regrets, donc j'ai fait Les Remords. Je pense qu'ils restent. Je pense qu'ils restent, et j'aime bien ça.
Quand tu as commencé avec Taxi Girl, tu avais quoi comme but ? Tu pensais à autre chose qu'aux 5 mn qui allaient suivre ? Tu avais de vraies envies ? T'as arrêté le lycée en quelle... t'as fait des études après toi ?
J'ai fait 2 ans après le bac. Et tu pensais à quoi ? Après, quand tu as arrêté, tu pensais à quoi ?
Heu... Je sais pas. À prendre un appart. Quand t'avais 16 ans tu pensais à 5 mn plus tard ?
Non, je pensais au week-end qui arrivait. Ben voilà. Sauf que le week-end, c'est un long week-end depuis 48 ans.
Tu n'as jamais eu de vision d'une carrière, de quelque chose comme ça ? Tout ce qui m'intéressait c'était l'écriture. J'ai écrit. J'écris. Je vais écrire. Il n'y a que ça qui m'intéresse. Voilà.
Et aujourd'hui, c'est pareil, tu as toujours la même envie ? Écrire, écrire, écrire, toujours. Tu sais, je pense sincèrement, sincèrement, que Taxi Girl ce n'était pas le meilleur groupe de l'époque. Vraiment pas. C'était pas un "bon" groupe. Et c'était surtout pas le meilleur. On était simplement les seuls. On se disait "Jamais on va travailler, jamais on va faire autre chose, rien à foutre de ça". Moi, si ça n'avait pas été ça, je prenais les armes et je braquais. Qu'est ce que j'en avais à foutre de travailler 8 heures par jour ? Mais attention, parce qu'une fois un journaliste a interprété ça et j'étais vraiment en colère, ça ne veut pas dire que je n'ai pas de respect pour les travailleurs, bien au contraire. Mon père était travailleur, et justement, je ne voulais pas vivre comme il avait vécu, je le voyais malheureux, ça me faisait chier, je ne voulais pas ça.
Tu n'as jamais travaillé 8 heures par jour ? Mais si. J'ai travaillé à la Fédération protestante, puis quand j'étais môme, pour acheter ma première guitare, j'ai dû travailler à Babyliss, et aussi à Félix Potin. Après, j'ai fait de l'intérim un peu partout, dans des usines à la con, je me suis niqué le dos parce que j'allais à Simca Poissy. Si, j'ai travaillé, mes parents sont des prolétaires.
Au niveau de ta vie personnelle, tu n'as pas de regret, tu n'as pas de gamin... À ma connaissance non. Je ne pense pas. Je n'ai pas de femme, je n'ai pas d'enfant.
Et ça te tente pas ? (Silence)
Je sais que c'est idiot, c'est pas un truc qui tente, c'est un truc qui se fait... Ouais, non...
Tu ne te dis pas "J'ai 48 ans et j'ai "toujours" pas de gamin" ? Bien sûr, tous les jours, je me dis ça. Simplement voilà, c'est dur à suivre un mec comme moi pour une femme. Mon ancienne femme a résumé le truc en me disant "J'ai pas envie d'être veuve".
T'as été marié ? Non, enfin quand je dis femme, "woman", pas "wife". Non, j'ai pas été marié. J'aimerais avoir un enfant et je me dis plus le temps passe, plus je me dis que je n'ai pas envie d'être un petit vieux... Tu vois, j'ai pas envie à 60 balais d'un môme qui me dise "Papa tu cours avec moi" et que je lui réponde "Ben non", parce que je peux pas."
On en est tous là, sauf que j'ai pas 48 ans moi... T'as quel âge ?
J'ai eu 40 il y a 3 jours... Ha ouais, je croyais que t'avais moins que ça.
Merci.
40 ans, ça va. Quoiqu’en même temps, je me rappelle mes parents quand ils avaient 35 ans, ils venaient me chercher à l'école et ça me faisait flipper. Je les trouvais trop vieux par rapport aux autres. C'était une autre époque, aujourd'hui c'est différent... Keith Richards et tous ces rockers qui sont vieux et qui font des mômes, ils savent que quand ils ne seront plus là quelqu'un s'occupera de leurs gamins et que tout se passera bien. Mais quand t'es un prolo et que tu crèves, ton gosse après, il a toutes les chances de faire un groupe de rock tellement il sera malheureux. Qu'est-ce que tu veux qu'il fasse d'autre ?
On n'a pas parlé de l'album. Tu le trouves bien ? Non non, c'est pour ça que je l'ai fait.
Sérieusement... J'ai fait une grosse merde et je me suis dit, tiens on va la commercialiser. Qu'est ce que tu veux que je te réponde ?
Mais je n'ai pas dit "Est-ce que tu trouves que c'est une grosse merde" ? Tu m'as dit "Tu le trouves bien ?". Non non, je le trouve nul.
Si tu mets "Crève-Coeur" et "Amours Suprêmes" côte à côte, tu le trouves comment le dernier ? Mieux ? Pareil ? Identique ? Non, mais je te jure, c'est pas pour t'emmerder que je dis ça... J'hésite entre "pareil" et "identique". Quelques fois je le trouve un peu mieux, mais quelques fois un peu pire. "Pareil", "identique", il faut que tu m'expliques la différence. J'ai du mal.
Il s'est quand même passé quelques années entre les deux. Voilà. La différence c'est ça.
Mais le nouveau est pourtant vraiment dabs la continuité. La différence pour moi... c'est ce que tu viens de dire. Là j'arrête de déconner. Il y a eu un paquet d'années effectivement, les années ont passé, la foi que j'avais à l'époque, c'était une foi de nouveau converti. Je dirais que maintenant j'ai toujours la foi, mais j'ai le doute qui est revenu, ce qui est tout à fait normal, et ce qui à mon avis approfondit la foi. Et puis, j'ai fait une sorte de deuil sur le sujet. Quand je l'ai écrit, je ne sais pas si ça se comprend, mais avec "Crève Coeur", le sujet principal c'était une relation qui s'arrêtait, sans le faire complètement, mais en le faisant, tout simplement. Voilà, je sais pas, Kerouac a très bien résumé ça en disant que les histoires inventées c'est pour les petits enfants. J'écris pas des contes de fées, j'écris ce que je vis, j'écris ce que je vois, je parle de mes potes. Je raconte ça et le temps a passé, il y a des choses qui ont passé. Si tu veux que je rentre dans ton truc, j'ai des amis qui sont encore morts, et voilà, donc j'écris d'une façon encore différente et en plus, là, on avait un peu d'argent et on a pu se permettre d'inviter des gens. Sur le premier tout le monde trouvait ça sublime que ce soit minimal, mais c'était minimal parce qu'on n'avait pas une thune, on faisait tout à deux, mais pour le dernier, on a pu avoir des gens, on a pu aller dans un meilleur studio, on a pu mixer d'une meilleure façon. Tu comprends ?
Oui. Bois, allez, cul sec.
Le prochain, il sort quand, dans quatre ans ? Cul sec !
Si je bois, quand je vais partir je vais oublier le walkman... Mais on s'en fout, je ne vais pas te le voler, on s'en fout. Je ne prends plus d'héroïne ! Ha tiens, tu veux que je te raconte un truc drôle ou pas ?
Dis-moi. La première fois que j'ai rencontré Frédéric Lo, c'est lui qui me l'a rappelé parce que moi... En fait, il jouait dans un groupe qui s'appelait Léonora. Éléonora ? Léonora ? Éléonora ? Faudra que tu vérifies, je crois que c'est Éléonora (c'es bien Éléonora -ndlr) . Et donc, il m'a rappelé simplement qu'un jour il faisait notre première partie, je ne sais plus où en France, il faisait notre première partie, et il m'a raconté en fait que je discutais avec lui et qu'il s'est rendu compte que je lui avais piqué une pédale wah-wah. Pour la revendre, évidemment, pour me faire un shoot ou deux. Il m'a raconté ça... j'étais grave, je suis désolé.
On n'arrête pas de parler de "Crève Coeur" et d'"Amours Suprêmes", pour toi, ce n'est pas important ce que tu as fait avant ? Je ne parle pas de Taxi Girl, je parle de "Sous Influence Divine", "Parce que" et "Nijinsky" ? Ouais, c'est important... Mais je m'en fous. Je sais pas si t'as vu dans l'émission sur Ciné Cinéma le truc de Claude Ventura... non c'était autre chose... on interrogeait Godard, c'était un truc sur "À Bout de Souffle". À la fin ils finissent par appeler Godard au téléphone parce qu'il ne veut pas les rencontrer et le mec appelle Godard en disant "On fait un reportage sur "À bout de souffle", est-ce que vous voulez bien nous voir ou parler de ça avec nous au téléphone". Godard répond "Moi, je travaille". Ben voilà, moi je travaille, je suis sérieux. Je travaille, ouais, y a des trucs biens, y a des trucs pas biens, moi je crois sincèrement que j'écris beaucoup mieux qu'avant et je veux continuer à écrire. Je ne te demande pas d'être d'accord, je te dis ce que je pense.
Tu n'écris que les textes ? Sauf le titre avec Alain (Bashung -ndlr), où c'est moi presque entièrement. Enfin bon, il y a un refrain très bien qu'a trouvé Frédéric. Mais le reste du temps il arrive avec sa suite d'accords et puis après, soit il me dit sa mélodie et je modifie, ou bien je la fais moi tout seul. Plus ça va, plus c'est moi qui fais tout seul, et si ça ne lui plaît pas il me dit "Là tu devrais faire gaffe". Et dans ce cas, on la refait ensemble. Et après, je fais le texte en fonction de la mélodie que j'ai trouvée .
J'adore l'album "Sous influence divine". Je trouve qu'il est mal mixé. Il y a de bonnes chansons. Ce qu'il y a dans tes yeux, je l'aime beaucoup, et puis Juste toi et moi.
Il n'y a pas un seul morceau à jeter, tout est bien. Le single est un peu un morceau à la con.
Quel titre ? Je ne sais plus... avec les violons. C'est Jacno qui a voulu ça, alors que moi je voulais le faire à la Burt Bacharach. Ça s'appelle... ha oui, j'aime bien le titre : (Ne m'en veux pas si je) Pars sans te retourner.
Le titre avec Bashung, ça s'est fait comment ? On se connaît depuis un certain temps. Pour moi, c'est le meilleur chanteur français, vraiment, mais vraiment. Et puis j'aime bien ce mec, plus que bien, c'est mon ami. On a fait une mini-tournée ensemble qui s'appelait "Les Aventuriers", on était deux par loge, on parle pas beaucoup tous les deux, mais moi je trouve qu'il y a un truc mieux que parler. Il a un côté Cassavetes, quand je suis avec lui j'ai l'impression d'être dans un film de Cassavetes. En plus, à un moment donné on avait le même tourneur, Laurent Castagné. J'ai dit à Laurent "J'aimerais bien faire quelque chose avec Alain parce que je crois que ça pourrait être bien" et Alain a dit "Si c'est pour Daniel j'arrive". Et voilà, il a lu le truc, il a dit "Ok on y va". Et il y avait deux rai... je peux parler un peu de ce titre ou pas ?
Oui, bien sûr. Ce titre, je l'ai fait en anglais, volontairement. Il y a plein de raisons. Pour moi, quand tu as tout un album en français, si tu as un truc en anglais, quand tu l'écoutes pour la première fois, tu fais moins attention. Enfin, je pense ça, c'est peut-être le contraire pour d'autres, enfin pour moi c'est comme ça. J'en ai profité pour parler de choses précises dans le texte, j'ai utilisé des expressions qui en français n'auraient pas permis de faire un single. Je voulais aussi un peu faire oublier le fait qu'on était deux chanteurs, c'est pour ça qu'on parle et qu'on ne chante pas. La veille, j'avais écouté, j'avais entendu par hasard, Le Bolero de Ravel et puis c'était une période ou j'écoutais beaucoup Le Sacre du Printemps et je voulais un truc très rythmique. Je me suis dit, avec nos voix, on va faire quelque chose. Et une des raisons pour laquelle j'ai pensé à Alain, c'est qu'Alain est pour moi une sorte de tom bass et moi une sorte de cymbale.
Vos voix collent effectivement super bien ensemble. Je sais pas pour moi, mais lui il est super. Justement, le truc, c'est marrant, je crois qu'on a un truc, je trouve qu'on a le même background, on connaît les mêmes choses. Donc je pense qu'il y a une unité, même si en même temps on est très différents.
Pour parler d'autres collaborations, j'ai vu que tu avais bossé pour Thierry Amiel... Ouais.
Et pour Alizée... Alizée. Ouais. Et ça, c'était un truc. Je l'ai rencontrée. C'est quoi ce sourire à la con ?
J'ai pas souri du tout ?! Elle avait un mec avec elle, Benjamin je-sais-pas-quoi... Chatelain.
Jérémy Chatelain. J'ai refusé des gens.
Tu as refusé qui ? Je vais pas te dire les noms. Maintenant, quand j'y pense, je me dis que j'aurais peut-être dû le faire. Mais bon j'ai refusé deux personnes très connues. Ok ? Un qui est très connu pour être de droite, et l'autre qui est très connu. Tu connais l'histoire de Marlon Brando avec Truman Capote ?
Non... Le dernier verre qu'a bu Marlon Brando, tu sais ce que sais, tu connais ça ?
Non... Marlon Brando était limite alcoolo, enfin il était baiseur surtout, mais il buvait, il buvait beaucoup. Truman Capote lui dit "Faut que je te vois, je voudrais faire une grande interview". Il dit "Attends, je bois moi, j'en ai besoin, tu veux boire avec moi ?". Alors il arrive, sur ses gardes, mais il commence à boire. Et alors qu'il était complètement pété, il commence à raconter qu'il enculait ses potes quand y avait plus de meuf, enfin tout ça, et de ce jour-là , il a lu le truc, il a foutu des mecs sur le dos de Truman Capote, et il n'a plus bu un seul verre d'alcool jusqu'à la fin de sa vie. Donc voilà, c'est pas parce que j'ai bu que je vais te donner les noms. Paye-moi encore un shot et tu verras, y a rien qui sort. Mais paye-m’en un pour essayer, on va voir.
Donc, concernant Alizée c'est un vrai choix ? Ou bien c'est juste une opportunité et... Pas une opportunité, d'accord ? C'est un choix. À vrai dire, je me voyais aussi un petit peu comme Gainsbourg avec France Gall.
Et le résultat est bien ? Je ne l'ai pas écouté, mais oui je pense que le résultat est bien. Je crois que c'est une meuf bien. J'ai aussi écrit pour Marc, Marc Lavoine, c'est un mec que je respecte vraiment. Pour Tchéky Kario, je ne le connais pas bien, mais je crois aussi que c'est un mec bien.
Et Thierry Amiel ? Thierry Amiel, c'est un peu plus compliqué parce que je ne l'ai pas rencontré lui. C'est le seul. J'ai demandé à voir des interviews de lui. Et franchement, je trouvais qu'il était pas con, vraiment. Et en plus celui qui s'occupait de ça, c'est le mec qui a mixé "Crève Coeur" et "Amours Suprêmes", François de la Bruyère. C'est lui qui m'a dit, il m'a dit comme ça, "Écoute, je sais que tu ne vas pas aimer parce que c'est Star Ac et tout ça, mais je pense que c'est un mec bien".
Tout ça, ça te fait en plus de belles rentrées d'argent. Ça, ça me fait chier ça par contre.
Qu'est-ce qui te fait chier ? Qu'est ce que tu poses comme questions attends...
Mais c'est pas une question ! Évidemment, je suis content d'avoir de la thune.
Mais je sais bien, c'est ce que je te dis. Encore une fois, les nouveaux rockers à la con qui te disent, parce qu'il y a des "nouveaux rockers", c'est le nouveau truc, ils disent "Ha c'est pas bien, ils sont vendus". Qu'ils aillent se faire enculer. Eux ce sont des fils de riches, moi je viens de chez les pauvres. J'aime bien l'argent d'ailleurs.
C'était vraiment pas un reproche Daniel. L'argent en plus, tu sais, l'argent il me sert à quoi ? À payer.
On va le dire autrement, c'est mieux d'écrire des chansons pour des mecs qui vendent que pour des mecs qui vendent pas du tout. En plus dans ce cas personne, n'"écouterait" ce que tu as écrit. Ben putain, j'y avais pas pensé, mais je pense que t'as raison en fait.
Daniel se lève, m'entraîne avec lui et me présente un vieil ami, un homme au physique incroyable, "C'est un des premiers qui m'a fait marcher". Qui rectifie lui-même, "Qui t'a aidé à te relever Daniel, quelque soit le sens." |  |  |  | | |  | |
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