Propos recueillis
en mars 2009


DERNIÈRE SORTIE :
"The Workers Party Of Haiti"


SITE OFFICIEL :
myspace.com/marchingdynamics

LABEL :
www.hymen-records.com
Par Bertrand Hamonou  
Photo D.R.  

Si Marching Dynamics ne vous évoque rien aujourd'hui, il y a fort à parier que cette interview avec l'adorable Shane Talada vous donnera envie de vous ruer sur les deux albums impeccables de son nouveau projet. L'homme n'en est certes pas à son coup d'essai, et il nous dévoile ici son parcours incroyable, presque irréel : vingt années d'activisme indus au cœur de Los Angeles, qui lui ont valu d'être signé pour ce projet sur Hymen Records en 2007 sur la foi de simples démos postées sur sa page MySpace. Un passé respectable, un excellent second album et des projets plein la tête, l'Américain, toujours masqué lors de ses prestations live, se livre à Prémonition sans aucune retenue.

Pour commencer, peux-tu nous rappeler quel est ton background ? Sauf erreur cela fait maintenant 20 ans que tu officies sur la scène industrielle américaine ?

J'ai effectivement commencé comme musicien dans ma chambre en 1985, j'expérimentais et je m'amusais avec des bandes et des pédales d'effets. J'étais alors complètement fan des premiers Cabaret Voltaire, Chris and Cosey, Coil, Click Click ou encore Sleep Chamber. J'ai ensuite publié plusieurs cassettes underground sous les noms de mes projets d'alors, Pagan Renewal, Noisivid, et Half Cut Again. C'étaient des trucs un peu bordéliques. Et puis KK Records s'est intéressé à certains morceaux de Pagan Renewal, et m'ont demandé d'enregistrer avec Chad Bishop, du groupe STG (Screaming to God, groupe industriel américain qui publia deux albums en 1991 et 1993 -ndlr). Nous avons commencé des sessions qui se sont révélées rapidement être en total décalage avec ce qu'on m'avait demandé de faire au départ, et nous avons commencé un projet appelé Dead Body Falls, qui ressemblait à un mélange entre les Virgin Prunes et Crash Worship (rires). Et au final, je me suis retrouvé comme chanteur bruitiste au sein de STG !

Comment se fait-il que Marching Dynamics soit un projet instrumental, alors que tu as été précédemment chanteur ?
Honnêtement, STG était parfait pour véhiculer et exprimer toute notre colère d'alors, à propos du monde, de la ville de Los Angeles et de nos vies personnelles. Aujourd'hui, je crois que nous avons dit tout ce que nous avions à dire au travers des paroles de STG et d'Element (dont on peut écouter des titres ici -ndlr). Marching Dynamics me permet maintenant d'exprimer tout ça d'une façon différente, grâce à la musique électronique, mais si l'occasion se présente et que des vocaux sont nécessaires au sein de Marching Dynamics, je le ferai.

Tu as commencé Marching Dynamics dès la fin de STG ?
Oh non, avec STG nous avons beaucoup tourné, nous avons joué partout où il était possible de jouer à Los Angeles, et nous avons atterri sur le label de D.R.I (Dirty Rotten Imbeciles) Rotten Records. Par je ne sais quel miracle, nous nous sommes retrouvés sur une compilation du label Zoth Ommog, je crois que c'était le volume 4 de "Body Rapture". Après STG j'ai commencé à travailler sur des choses plus électro-goth sous le nom d'Element, avec des anciens membres de London After Midnight figure-toi ! À peu près à la même période, j'ai été recruté comme clavier pour Kommunity Fk, avec qui je suis resté six ans, en faisant des allers-retours dans le groupe.

Et c'est après que tu t'es lancé dans ta carrière de DJ ?
Après cette expérience, j'ai en effet décidé de me concentrer sur mes activités de DJ, et sur ma propre musique. J'ai commencé à fréquenter un nouveau club à Long Beach, Das Bunker, où j'ai finalement obtenu un poste de DJ résident. J'ai pu commencer à jouer de la power noise, qui était pour moi d'une force extraordinaire, et j'ai alors ajouté plus de distorsion dans ma musique. Un soir, j'ai fait la première partie de Front 242 ; je ne rate d'ailleurs jamais une occasion de remercier Sean de Glis, Karloz de Manufactura et Rev. John de Das Bunker pour m'avoir permit de le faire. Ça m'a permis de sortir mon premier album sous le nom de The Operative, "An Adoring Circle of Radical Calamity", sur le label Crunch Pod en 2006. Parallèlement, j'ouvrais pour les concerts de Terrorfakt et Manufactura n'importe où à Los Angeles, pourvu qu'on me le demande, et je me suis même retrouvé sur scène au premier concert de Combichrist (rires). À partir de ce moment-là, ma priorité a été mon label Mechanismz, que j'ai fondé après avoir entendu W.A.S.T.E, un groupe de San Diego, et qui me permet de promouvoir les talents de la Californie du Sud. Aujourd'hui, je suis DJ à Das Bunker, ainsi qu'à d'autres clubs de L.A, et j'écris constamment pour Marching Dynamics.

Tu composes une musique électronique à la fois détaillée, industrielle, mais aussi fragile et émotionnelle, quels groupes t'ont influencé ? On pense forcément à des groupes comme Front Line Assembly, Skinny Puppy, et Gridlock... Qu'en penses-tu ?
Bien sûr, ils ont tous été très importants pour moi, comme l'ont aussi été Hox, Duet Emmo, He Said, Chris and Cosey, Coil, Click Click, les premiers Test Dept, Autechre, Clan Of Xymox, Cindytalk, pour n'en citer que quelques-uns. Ce sont principalement les disques du début, lorsque cette musique est apparue, auxquels s'ajoute la découverte du bruit et des breaks underground et funky.

Tu as fondé ton propre label, Mechanismz, mais c'est Hymen qui sort tes propres productions. Pourquoi cela ?
Tu oublies que j'ai tout de même publié en 2006 les deux albums de The Operative sur Mechanismz, "Basic Shortwave Operations" et "Held Hostage To Skeptikal Intelligence". Ensuite, durant les quatre premiers mois d'existence de Marching Dynamics, j'ai posté cinq démos sur ma page MySpace. Elles ont tout de suite intéressé Stephan Alt d'Ant-Zen et Hymen Records, alors qu'il n'y avait pas encore de véritable album. Ce fut suffisant pour signer avec lui.

À propos, l'an dernier la page MySpace de Marching Dynamics proposait un nouveau titre, The Many Moods of Dynamite, qui ne s'est pas retrouvé sur "The Workers Party of Haiti". Cela signifie-t-il que tu enregistres bien plus de morceaux que ce que tu publies sur tes disques ?
Oh oui, j'ai un véritable arsenal de musique qui pourrait ne jamais voir la lumière du jour, bien que je garde certains titres au chaud jusqu'à ce que je leur trouve la place qu'ils méritent sur un prochain disque. Faire du stockage d'idées ne fait jamais de mal !

Une compilation de ces titres inédits a-t-elle été envisagée avec Stefan Alt ?
Effectivement, la sortie d'une compilation sur Hymen a été évoquée. Ce serait vraisemblablement sous la forme d'un download de MP3, mais ce ne serait pas une sortie physique en CD.

Tu es engagé pour combien d'albums avec Hymen Records ?
Pour être franc, on n'en a jamais vraiment parlé, et c'est ce qui me plaît bien avec ce label. On est en gros sur une vision plutôt du genre un album à la fois, sans précipitation, sans deadline. Je suis persuadé que si ce type de stress existait chez Hymen, comme des délais à respecter par exemple, cela interférerait avec la créativité des artistes.

À quoi fait allusion le titre énigmatique de ce second album, "The Workers Party of Haiti" ?
Il s'agit des Zombies, tout simplement !

Sur ce tout nouvel album, il y a ce beau morceau assez inhabituel pour ton répertoire, Situations Vacant. Comment un tel titre a-t-il vu le jour ? Faut-il y voir le début d'un nouveau side-project, ou est-ce une nouvelle direction musicale que tu envisages de prendre ?
C'est mon chat et mon saxophone qui sont les responsables de ce titre (rires). Plus sérieusement, non, je n'ai pas de nouveau side-project en vue, j'en ai déjà deux en ce moment qui sont BootyJazzHands et Healing Achilles. Tout nouveau morceau dans la même veine que Situations Vacant sortira sous le nom de Marching Dynamics, et il se pourrait effectivement que le prochain disque contienne un peu plus de titres comme celui-là.

Comment arrives-tu à programmer des rythmes aussi complexes ? Tu les entends ou bien proviennent-ils d'un processus mathématique ?
Pour être franc, je ne les trouve pas si complexes que ça. Ils découlent d'un processus d'écriture, comme tout le reste : je pense à la house, à l'IDM et au breakbeat. Et lorsque je rentre en studio, c'est vraiment une question de chance : ça fonctionne ou pas.

À mon sens, "The Workers Party of Haiti" a tout d'un classique du genre, tant il est riche, varié, inlassable. Combien de temps cela prend-il pour enregistrer un tel album ?
Merci pour le compliment ! "The Workers Party of Haiti" a été enregistré en huit mois dans mes studios de Los Angeles et de New Albany. Ensuite, quatre mois supplémentaires d'améliorations mélodiques sous influence magique du whisky ont été nécessaires dans le studio de post-production de Sleep Clinic, avec l'aide de l'alchimiste du son qu'est Jeff Swearengin, qui était d'ailleurs présent à mes côtés lors du premier album.

Une marque de fabrique de ton son si particulier est l'équilibre sur lequel tu veilles constamment, entre des rythmes complexes et des paysages sonores électroniques colorés. Est-ce important pour toi, cette dualité rythmes / ambiance ?
Tu as tout a fait raison. Cela est dû au fait que je vis dans un monde dans lequel les paysages et les ambiances changent en permanence, et il est donc difficile de ne pas s'en imprégner. Quand je compose un morceau, il faut qu'il me transporte sur plusieurs niveaux : émotionnellement, physiquement et métaphysiquement. Il faut que je sente le morceau en moi, qu'il possède un groove qui me fait bouger, et quelque chose pour me transporter mentalement ailleurs.

Cette scène de musique électronique à laquelle tu appartiens est vraiment énorme, et des groupes vraiment intéressants sont apparus dernièrement, tels que Ad.ver.sary, Tonikom, Totakeke, Urusai, Keef Baker, Subheim ou encore Stendeck pour n'en citer que quelques-uns. Es-tu toi aussi fasciné par l'incroyable qualité de musique qu'ils composent tous ?
Figure-toi que tu viens juste de citer mes artistes préférés d'un seul coup ! Sérieusement ! Ce sont des artistes incroyables, et j'aime beaucoup le style d'écriture de chacun d'entre eux.

Cette scène est avide de collaborations et de remixes. Est-ce que vous vous connaissez tous ?
J'en connais quelques-uns personnellement, oui, mais pas beaucoup en vérité.

Ton chemin semble lié à celui de Tonikom : vous avez été signés sur Hymen en même temps, vos disques sortent à des dates très proches. Est-ce pure coïncidence, ou travaillez-vous de concert, en gardant un oeil chacun sur l'autre, et en intervenant sur les disques l'un de l'autre ?
Je crois que c'est pure coïncidence en fait, mais c'est vrai, nous sommes amis, et je crois bien que le fait que nous ayons été acceptés dans la famille Hymen en même temps me rend dingue ! Effectivement, tu as raison, nous nous sommes encouragé artistiquement l'un et l'autre. En ce qui concerne le titre 29° [Marching Dynamics Vs. Tonikom], ce qui c'est passé, c'est que j'ai fait un remix pour Rachel de Tonikom, et je le trouvais tellement bien que j'ai voulu l'intégrer sur mon nouvel album.

Quel genre d'équipement utilises-tu pour obtenir ce son si unique ?
J'utilise une basse et une guitare électriques bon marché, sans rire, ainsi que des bongos, des congas, un saxophone, un jouet accordéon. En ce qui concerne l'équipement électronique, je possède les synthés suivants : Yamaha Motif 8, Korg MS 2000, Korg Kaossilator, QuasiMidi Raven, Waldorf Microwave XT, MicroKorg, Roland Phantom X6, Yamaha MG16/4 & Mackie 1202 - VLZE mixers, et bien sûr je travaille avec Soundforge de Sony. Et puis j'utilise aussi de vieilles boîtes à rythmes chinoises dont je joue à travers divers effets électroniques.

Tu as offert un titre inédit sur la compilation "You Are Here: a Compilation of California Electronics (vol.2)", sortie sur le label portugais Connexion Bizarre l'an dernier. De plus, le label qui sort tes disques est basé en Allemagne. Penses-tu que l'Europe est plus réceptive que les USA en matière d'IDM ?
Après avoir compilé "You Are Here..." moi-même pour Connexion Bizarre, je me suis dit que je pourrais bien y glisser un de mes morceaux, après tout. Eh oui, je pense vraiment que l'Europe est bien plus ouverte à ce style de musique que le sont les USA, bien que le label américain Tympanik Audio fait aujourd'hui un très bon travail pour la promouvoir ici. J'ai l'impression qu'en Europe, c'est un son acquis par le public, alors que le public qui écoute de l'industriel ici aux USA est plutôt branché par les aspects EBM/TBM du genre.

À part Tonikom, y a-t-il un artiste dont tu te sens proche et avec qui tu aimerais créer de la musique, ou alors en produire ou remixer la musique ?
C'est une question difficile... Je ne me sens pas particulièrement proche d'un artiste en particulier, et en réalité, je suis bien souvent le premier surpris de savoir qu'on écoute mes disques, car j'écris surtout pour moi-même. Pour répondre à ta question, j'aimerais beaucoup travailler avec Murcof, par exemple. J'ai plusieurs projets en ce moment, puisque je travaille avec 100Blumen sur un titre, et qu'il est aussi question d'un projet en commun avec Mothboy, en plus d'un remix pour Zeller, qui est aussi un artiste Hymen.

Comment arrives-tu à mener de front Marching Dynamics, tes side-projects et ton label Mechanismz ?
Rajoute à ça un travail à plein temps de DJ, sept soirs par semaine ! Je n'en ai aucune idée en fait, même si j'avoue que ça peut parfois être éprouvant. En ce qui concerne le label, il est géré collectivement depuis peu : tous les artistes s'y sont collés, nous avons trouvé que c'était plus facile ainsi.

Y a-t-il une chance de te voir un jour jouer en France ?
J'espère bien ! Si quelqu'un m'invite, je serais ravi de venir jouer chez vous.