|  Propos recueillis en mai 2009 DERNIÈRE SORTIE : "All Sound / No Vision" |
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|  |   |  |      | Par Bertrand Hamonou | Photos D.R. |
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|  | En 2005, un jeune et obscur duo américain imposait son premier album "Horizon Grid" comme oeuvre noire absolue, si mécanique et tellement humaine à la fois qu'elle ne pouvait nous laisser indifférents. Quatre années ont passé, et Flatline Skyline revient en 2009 avec un second disque, plus dur, plus sale, plus rapide. Plus spontané ? En apparence seulement, comme nous l'expliquent Robert et Jacen (synthés/machines/voix), intarissables dès lors qu'il s'agit de parler de leur propre musique.
Jacen, Robert, comment et quand vous êtes-vous rencontrés, et quand avez-vous commencé à jouer de la musique ? Robert : Nous nous sommes rencontrés à l'automne 2002, lorsque Jacen vivait en Virginie. Nous étions inscrits au même cours de littérature de science-fiction au lycée. C'est notre intérêt commun pour la musique expérimentale et industrielle qui nous a rapprochés. Pour ma part, je jouais avec des groupes en live et j'enregistrais dans mon coin depuis des années. De son côté, Jacen n'avait jamais joué d'aucun instrument. Nous avons tous deux commencé à expérimenter avec des logiciels et avec des instruments que je collectionne. Nous avons immédiatement commencé à enregistrer des morceaux bruitistes ainsi que des instrumentaux plus ambients. Quelques mois plus tard, un groupe signé sur une major voulait acheter notre nom ainsi que celui de notre domaine sur internet. Nous avons négocié avec leur label, et avec l'argent qu'ils nous ont offert, nous avons acheté des synthétiseurs, des processeurs, des micros, des ordinateurs, des moniteurs, etc. Nous avons donc changé notre nom pour devenir Flatline Skyline, qui était à l'époque le titre d'une de nos chansons.
Mais quel était donc ce nom ? Robert : Tu te doutes que nous ne sommes pas supposés parler de cette transaction. Alors on va dire qu'on l'a oublié !
Vous vivez tous les deux dans des villes différentes. Comment cette situation géographique affecte-t-elle votre façon de travailler et d'enregistrer ? Robert : Depuis six ans, Jacen vit à Philadelphie alors que je vis en Virginie, et c'est vrai que ça rend notre collaboration difficile par moments. Mais nous utilisons le téléphone et internet pour échanger des idées, et nous arrivons à nous rencontrer régulièrement. Il en résulte que notre façon de composer varie énormément ; par exemple, certains de nos morceaux sont écrits entièrement par l'un ou l'autre. D'autres sont écrits à 90% par Jacen ou moi, et l'autre ajoute la touche finale, y rajoute différents sons ou différentes notes. Ceci dit, nous pouvons aussi travailler de manière totalement opposée, puisque nous avons enregistré certaines de nos chansons très rapidement ensemble, de manière purement improvisée : nous ne faisons pas vraiment de songwriting, puisque les mots et la musique sont écrits indépendamment et s'associent ensuite par heureux hasard. Et puis, nous incorporons constamment des éléments provenant de nos expériences en dehors de Flatline Skyline dans nos chansons. Il se peut que je sample un dialogue depuis un disque ou une cassette, que je répare un synthétiseur, que j'arrange une partie de cordes pour une production au théâtre, que j'utilise un certain logiciel, que j'écoute un disque en particulier de manière obsessive ou que Jacen écrive une nouvelle, et tous ces éléments se retrouveront alors dans nos enregistrements. Jacen : Je pense que de disposer d'autant de temps pour expérimenter et développer nos idées est une excellente chose, même si ça peut parfois être frustrant. Par exemple, ce nouvel album est terminé depuis l'an dernier, et il arrive que les décisions de ne rien changer d'important requièrent notre présence à tous les deux. Je pense qu'il y a maintenant plus de raffinement que si nous avions été capables de travailler ensemble plus souvent, et nous pouvons nous permettre de tolérer les éléments un peu bordéliques de manière intentionnelle. Si nous avions vécu plus près l'un de l'autre, nous aurions peut-être bien sorti quatre disques aujourd'hui, mais je ne peux pas imaginer qu'ils seraient aussi bons que l'est "All Sound/No Vision". Cela va être intéressant de voir comment nous allons nous adapter maintenant que j'ai déménagé à Manhattan.
Le second album de Flatline Skyline sort aujourd'hui sur le label Mechanoise Labs, qui publiait également votre premier disque, "Horizon Grid", en 2005. Comment vous êtes-vous retrouvés à signer sur cette petite structure française ? Robert : En 2003 nous avons enregistré l'instrumental Three Winter Months pour une compilation du label Zaftig Research, sans fonder de grands espoirs quant à l'attention qu'il susciterait. La seule personne qui apprécia suffisamment le morceau fut Tirdad du label Mechanoise Labs, qui nous demanda ensuite si nous avions d'autres titres dans la même veine que celui-là. Lorsque nous avons reçu son message, nous étions déjà en train de rajouter des vocaux au morceau, et nous travaillions alors sur suffisamment de titres pour former l'équivalent d'un album.
"Horizon Grid", votre premier album, n'a pas bénéficié de beaucoup de promotion ici alors qu'il est vraiment unique. Comment fût-il reçu aux USA ? Avez-vous tourné pour le promouvoir ? Robert : Pour autant qu'on sache, les USA ne l'ont pas bien reçu non plus ! Mais tous les Russes et les Tchèques qui en ont entendu parler ont immédiatement téléchargé le torrent de "Horizon Grid" ... Je plaisante ! Tirdad en a beaucoup parlé sur internet et a passé le mot à ses partenaires distributeurs. C'est grâce à lui seul que nous existons aujourd'hui, et je suis vraiment heureux qu'il ait vu du potentiel en nous.
Pouvez-vous nous expliquer l'origine du nom de ce nouvel album, "All Sound / No Vision"? Jacen : ça vient du titre d'un email que j'ai envoyé un jour à Robert. J'ai oublié le contexte, mais c'était un calembour autour de Sound and Vision, la chanson de Bowie. Si seulement je pouvais me souvenir de ce dont je parlais à ce moment-là... Quoi qu'il en soit, Robert a aimé ce titre et ça nous est resté.
Le tempo s'est accéléré sur cet album, si on le compare au premier, et les sons utilisés sont bien plus durs que sur "Horizon Grid". Est-ce quelque chose que vous avez fait sciemment ? Robert : Je suis d'accord avec toi. Nous avons toujours utilisé des sons sales et durs, mais il est vrai que nous cherchions constamment de nouvelles façons de les incorporer ou de les produire. Ce disque se libère des logiciels et fait un bond en avant vers la performance et le hardware. Je suis à fond dans les synthétiseurs et les effets des années 70, qui figurent d'ailleurs dans ce nouveau disque. Jacen : En ce qui concerne les vocaux, j'essaie de passer un cap depuis un moment : celui de trouver un moyen de sortir des sons durs et sales. Ça demande du travail et du courage de se lancer. Sur ce nouvel album, j'ai enfin réussi à le faire. Lorsque nous enregistrions "Horizon Grid", j'aurais aimé incorporer moins de chant conventionnel, mais à l'époque je n'y arrivais pas.
Robert, tu mentionnes dans ton blog personnel que tu modifies des instruments de musique toi-même ? Ce n'est pas banal de faire ça, qu'est-ce qui t'a poussé à le faire, et est-ce que ces modifications sont responsables du son si particulier de Flatline Skyline ? Robert : J'ai réalisé qu'il y a des sons et des qualités de sons par lesquels je suis naturellement attiré, et j'ai passé des années à chercher les instruments et les effets qui les génèrent. Bien souvent, je vais modifier de vieux instruments pour une flexibilité extrême, afin d'en contrôler des paramètres additionnels, etc. Par exemple, j'adore le son des boîtes à rythmes analogiques, comme la section d'accompagnement des vieux orgues. J'ai donc retiré le circuit qui les génère sur un vieil orgue Farfisa –j'ai jeté tout le reste– et je l'ai branché en MIDI avec sa propre alimentation. Parmi les appareils dont je suis dingue et que j'ai modifiés ou reconstruits, il y a le EML101, le Minikorg 2, quelques modules de synthés que j'ai fabriqués, de vieux tubes d'amplis, la Tapco 4400 Spring Reverb, le DW-8000, le Poly-800, etc. Certains apparaissent sur "All Sound / No Vision", ainsi que des synthétiseurs dont je me suis séparé depuis comme le Prodigy, le MS-20, le Mono/Poly, etc. Notre musique est fortement inspirée par nos choix d'instruments et de technologie au moment de sa conception.
Le chant de Jacen s'associe parfaitement aux sons que vous utilisez. Comment avez-vous eu l'idée de cette confrontation cri / murmure sur Sleep Tight qui ouvre l'album ? Jacen : Pour tout dire, je crois bien qu'on n'a jamais réfléchi à cette confrontation, mais j'aime beaucoup la description que tu en fais. Cette fois-ci, nous avons juste voulu collaborer un peu plus sur nos vocaux. Nous l'avions déjà fait sur des morceaux qui n'ont jamais passé la phase de bêta test, alors quand nous avons enregistré Sleep Tight, c'est quelque chose dont nous avions déjà l'habitude. Robert avait fait beaucoup de voix d'arrière-plan sur "Horizon Grid" et il en a fait quelques-unes sur le nouvel album. Avec Sleep Tight, notre façon de travailler était similaire, mais poussées au premier plan et finalement ne correspondant à rien de ce que nous avions proposé sur notre premier disque.
Aujourd'hui, vous êtes les seuls auxquels je pense qui ajoutez des paroles et du chant sur cette musique intense qui reste d'ordinaire instrumentale. Comment en êtes-vous arrivés à cette formule plutôt excitante ? Robert : Je pense qu'il s'agit d'une progression naturelle. En plus, Jacen écrit tellement de mots et de textes que ce serait vraiment dommage de ne pas les utiliser au maximum (rires). Honnêtement, je pense pouvoir parler pour nous deux lorsque je dis que nous écoutons très peu de nouvelle musique électronique et encore moins de musique électronique instrumentale. Jacen : Personnellement, et même si je peux voir certains degrés de filiation, je ne considère pas ce que nous faisons comme étant proche de quelque type de musique en particulier. Je ne suis pas sûr que si nous avions sorti le même album sans chant, il aurait été considéré comme étant un album de power-noise. Nous avons tous deux été largement influencés par la vieille musique industrielle, qui bien sûr contenait plus de sons et de vocaux durs. C'est l'idée même que la musique inspirée de l'industriel est forcément instrumentale qui est nouvelle. Nous sommes loin d'être le premier groupe à ajouter du chant à de la musique dure, cela fait simplement un moment que personne ne l'a fait correctement (rires) ! En fait, si ça se trouve, nous sommes en retard par rapport aux autres. Nous nous intéressons énormément aux mots et à la langue, ainsi qu'à l'écriture. J'apprécie beaucoup la musique instrumentale, mais au bout du compte, l'une des raisons pour lesquelles je fais de la musique consiste à trouver un exutoire à mes textes, dont Robert n'exagère en rien le volume.
La démo de Fox Fight apparaissait sur "Re:automation 1.0", une compilation publiée en 2005 par le label Decisive Sound. Il aura cependant fallu quatre années supplémentaires pour faire figurer ce titre sur un album. Pourquoi cela ? Jacen : C'est une bonne question. J'aimerais avoir une réponse éloquente, mais la vérité est toute simple : c'est un titre qui a été difficile à terminer. Ma démo originale était complètement désordonnée. Je n'étais pas tellement à l'aise avec ma "nouvelle voix" à l'époque. Nous y avons incorporé une instrumentation live afin de la recadrer, ce qui nous a pris du temps, car c'était nouveau pour nous. Robert a dû la rendre cohésive et claire. La plus grande partie de cet album est vraiment collaborative, je suis devenu plus ordonné, Robert en revanche s'est laissé aller. Ce morceau date du premier disque, lorsque je vomissais des idées avec un minimum de potentiel, et Robert les transformait admirablement en chansons. Mais je pense que nous savions que c'était une chanson importante pour nous, et qu'il ne fallait pas la bâcler.
Vous semblez être des musiciens prolifiques à en juger par les side-projects auxquels vous participez. Parlez-nous de Hushes dont vous faites tous deux partie. Robert : Hushes est un nouveau projet qui nous tient à cœur à tous les deux, et qui est plutôt un projet post-punk live. Ma copine, Kate, en est le troisième membre. Pour l'instant, nous avons juste enregistré l'équivalent d'un EP. Jacen : Aujourd'hui, je suis dans Flatline Skyline et Hushes, principalement. Pendant un moment, j'avais un projet solo appelé Friendship Foundation, mais nous avons décidé d'intégrer la plupart de ses compositions dans Flatline Skyline, qui est très consommateur d'énergies, dans le sens où même lorsqu'il n'y a pas beaucoup d'activité nouvelle, il occupe beaucoup de place dans ma vie.
Vous devez forcément être des fans de musique, passionnés : quels sont les disques que vous attendez cette année ? Robert : Honnêtement, je n'attends rien en particulier, non. La dernière fois que j'attendais la sortie d'un disque, c'était après avoir lu une interview d'Adrian Utley, où il parlait du matériel et des techniques d'enregistrement utilisés sur le dernier album de Portishead. Leur nouveau son doit beaucoup à Broadcast ainsi qu'aux influences de Broadcast telles que United States of America, Can, Ennio Morricone, etc. Mais ils sont allés dans une direction plus encore plus libérée. Ces dernières années, j'écoute principalement de la musique des années 70 jusqu'à la première moitié des 80's, comme les albums solos de Brian Eno's, les premiers OMD, This Heat, Mute Records, ainsi que le krautrock, la dark folk, le post-punk, les premiers groupes de synth pop, les premiers groupes d'industriel. J'aime beaucoup de vieilles BO, et la plupart de la musique classique dite moderne. Et puis j'écoute pas mal de ce que Jacen appelle la musique de "triste connard" comme Jason Molina et les premiers disques d'Elliott Smith ! Jacen : La musique que j'écoute est pour la majeure partie celle que mes amis font, et j'ai la chance d'avoir des amis qui ont un sacré talent. Mon pote Brian Reichert est le musicien le plus brillant que je connais, mais il ne sort presque jamais rien. Les gamins de Br'er sont en permanence en train de composer des trucs qui déchirent. L'IDM de Sean Knauth's, avec son projet Knife_Jams, assure toujours autant ; il se peut d'ailleurs que je fasse la pochette de son prochain album. Et bien sûr, il y genCAB, l'invention de David Dutton, qui est à la fois un très bon ami et le fan numéro un de Flatline Skyline. Je ne sais pas trop s'il travaille actuellement sur de nouveaux projets, mais je sais qu'il joue beaucoup pour promouvoir son premier album qui est récemment paru sur Hive Records. À part ça, je n'ai pas vraiment d'idée, étant donné que le dernier album récent que j'ai aimé est "Drum's Not Dead" de Liars, il y a trois ans je crois... En ce moment, j'écoute surtout Fad Gadget, 16 Horsepower, Einstürzende Neubauten, et Psyche dont on m'a récemment conseillé d'écouter les premiers enregistrements, et dont je n'avais jamais entendu parler. Ah oui, et puis il y a aussi ce gars, Tamaryn, qu'il faut absolument découvrir.
Avons-nous une chance d'assister à un concert de Flatline Skyline prochainement en France ? Jacen : Probablement pas, non (rires)! Mais qui sait ? J'imagine que tout dépend de la façon dont l'album va être reçu. Public français, si tu veux nous voir, achète notre disque ! Même chose pour la Russie et l'Europe de l'Est (rires) ! |  |  |  | | |  | |
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