Propos recueillis
en juin 2010


DERNIÈRE SORTIE :
"A Deceptive Calm"


SITE OFFICIEL :
www.neutrallies.online.fr

LABEL :
www.boredomproduct.online.fr
Par Bertrand Hamonou  
Photos D.R.  

Nouveaux venus dans le petit monde de la synthpop, fraîchement signés sur BOREDOMproduct, label français connu pour ses choix artistiques singuliers (Celluloide et Dekad), le duo franco-anglais Neutral Lies nous présente son premier album, "A Deceptive Calm", très largement inspiré par la pop électronique des 80s. Incontestablement sous influence, leurs compositions déclenchent tout autant l'intérêt que l’agacement. Car c'est clairement ici de Depeche Mode dont il s'agit. L’obsession du duo pour le groupe de Basildon, entretenue tout au long de l'album, transpire de chacune de leur compositions. Nicolas et J.F. s'en défendent pourtant comme des diables, et même plutôt bien, ils ont en effet presque réussi à nous convaincre : et si cette obsession était la nôtre ?

Ce qui me frappe dès la première écoute de "A Deceptive Calm", c'est l'influence Depeche Mode première moitié des 80s. C'est là votre inspiration principale, j'imagine ?
Nicolas :
Pas du tout, non, ce n’est définitivement pas notre inspiration principale. Maintenant il est vrai qu'il faut avoir vécu en ermite pour être passé à côté de Depeche Mode, donc comme beaucoup de groupes électroniques, on a forcément été influencé par leur musique, mais on n’a aucunement l'intention d'être des clones de Depeche Mode. Nos influences sont vraiment multiples et variées, elles vont de Kraftwerk à Nitzer Ebb pour les choses vraiment électroniques, et parfois d'autres styles musicaux improbables. Mais notre souhait est vraiment de mélanger les sonorités et les influences. Pour ma part, je citerais le courant minimal electro du début des 80's, ainsi que des choses orientées DIY electronics, la cold wave, l'EBM, l'electro pop, des choses plus techno comme la trance goa par exemple. Mais j'aime aussi les 50's/60's, notamment pour les qualités vocales de certains artistes, ainsi que d'autres courants qui n'ont rien à voir avec la musique dite alternative ou new wave.

J.F : D'un autre coté, que ce soit de façon consciente ou non, il est inévitable que les courants musicaux ou groupes qui nous bercent resurgissent par le bout des doigts un jour ou l’autre.


Il y a même des titres comme S.X Girls ou Waking Up on a Battle Field sur lesquels vous créez des harmonies vocales comme Gahan/Gore. Vous êtes fiers d'être arrivés à ce résultat ?
Nicolas :
On est surtout contents d'avoir réussi à poser des mélodies vocales propres et travaillées là où certains se contentent d'éructer. Malheureusement, lorsque tu fais de électro et que tu chantes dessus d'une manière à peu près organisée et structurée, on te compare forcément systématiquement à Depeche Mode. Si on avait voulu les plagier, on aurait forcé dans le souci du détail, j'aurais demandé à Jeff de porter une jupe en cuir et de se faire une coupe indéfrisable, et je me serais fait une queue de rat dans le cou, et j'aurais fait un brushing avec un balayage de mèches blondes… Non, sérieusement, on n'a pas cherché à faire des harmonies vocales Gahan/Gore mais vraiment du Dean/Delbarre, on chante tous les deux avec deux timbres de voix différents et on essaye de les mêler quand on le juge intéressant. Et sur Between Glasses and Rewards par exemple, j'ai laissé le chant à Jeff pour montrer autre chose aux gens, et lui permettre de s'exprimer sur un morceau qui lui tenait à cœur.

J.F : Fier est peut être un grand mot, je parlerais plutôt de l'émotion que peut procurer l'exercice, j'ai une approche assez intuitive de la musique et ce genre de partenariat vocal est assez agréable. Agréable, mais dangereux car il faut s’épauler, sinon c’est un champ de bataille cacophonique !


N'avez-vous pas peur que ce soit embarrassant pour un jeune groupe, d'autant plus que l'un d'entre vous est également originaire de Basildon ?
Nicolas :
Ca peut être embarrassant si l’on dit qu'on est un ersatz de Depeche Mode. Maintenant si pour certains notre musique rappelle celle de Depeche Mode, alors c'est plutôt un compliment. Une fois encore ce sont les gens qui ont un besoin viscéral de comparer, d'étiqueter. Tiens, par exemple, nous n’avons jamais mis de nom sur notre style musical, on ne se sent pas
spécialement "groupe de synth pop". On fait de l'électro, on utilise des synthés et des machines et sur ces bases musicales, on essaye de construire des mélodies vocales qui tiennent la route et qui sont bien placées et bien travaillées. Maintenant, l'histoire de Basildon, c'est une pure coïncidence : j'y ai atterri pour raisons familiales et personnelles, je n'ai pas décidé un jour d'aller y faire un pèlerinage. N'importe quel pèlerin y perdrait la foi d'ailleurs.


Que veux-tu dire par là ?
Nicolas :
Décidemment c'est toi qui semble être un grand fan de Depeche Mode ! Alors voilà, Basildon est ce qu'on appelle un "Shithole" en Angleterre. Je lisais d’ailleurs récemment un article sur le net car je me tiens toujours au courant de ce qui s'y passe, et un journaliste a fait cette description de Basildon ; je le cite : "Basildon is a concrete nightmare of rat runs designed by mentalists…" (NDLR : Basildon est un cauchemar de béton, fait de cages à rats imaginés par des déments). Cette ville est grise, ce ne sont que des blocs de béton emboités les uns dans les autres comme des Lego, il n'y a rien en terme d'architecture qui remonte avant les années 1950, c’est juste une ville nouvelle terne et froide pleine d'Essex girls qui sortent le samedi soir en mini jupe et qui ont les jambes bleues lorsqu'il fait -6° dehors, pour tenter de s'accoupler aux fans de tunings qui conduisent et bichonnent leurs Ford XR3i. Ca devrait donner quelques cauchemars aux fans hystériques de Depeche Mode qui pensent y trouver la révélation non ? Ce qui est amusant d'ailleurs c'est que là-bas personne ne connait les membres de Depeche Mode, ils sont de sinistres inconnus dans leur propre monde. D’ailleurs, la seule personne que j'ai pu rencontrer qui les connaissait est une dame de 70 ans qui s'appelle Lily et qui tenait le "Roundacre" ou «Youth Club », l'équivalent de la maison de la jeunesse où Depeche Mode a fait ses débuts sur scène en 1980…Tout ça pour te dire qu’à Basildon, je n'y ai pas atterri pour voir Depeche Mode. Je savais que Fletcher et Gore habitaient le même quartier que moi jusqu'à ce qu'ils décollent et ne remettent plus les pieds à Basildon, à part pour déguster la dinde de Noël, mais je n'ai appris que très récemment que Martin Gore habitait avec sa mère dans la même rue que moi, lui au numéro 14 et moi au 110. Je n'ai jamais cherché à les rencontrer car j'ai toujours détesté le cliché fan halluciné. Même chose en ce qui concerne Alison Moyet de Yazoo : elle habitait aussi la rue d’à côté, je l'ai déjà croisée et je l’ai toujours laissée en paix.
Pour en revenir à Neutral Lies, suite à ta remarque de «jeune groupe» tout à l’heure, je voulais te préciser que Jeff et moi avons multiplié les expériences musicales depuis les mid eighties, donc nous ne sommes pas complètement novices dans la musique. Il se trouve que cette fois, on a essayé d'aller au bout de notre projet et de finaliser ce qui n'était jamais allé bien loin avec d'autres groupes, principalement pour des raisons de divergences de point de vues, d’envies différentes, etc… Donc oui, nous sommes nouveau sur la scène electro avec enfin un projet abouti, mais nous ne sommes pas débutants, non.


D’accord, mais qu’est-ce qui vous a influencé ? Comment en êtes vous venu à choisir de faire ce type de musique ?
Nicolas :
Ce qui m'a influencé personnellement, c'est la froideur de l'Angleterre des années 80 et tous les courants musicaux de l'époque. Maintenant, c'est sûr que quand tu habites une ville comme Basildon, les distractions sont peu nombreuses et la musique est un exutoire. Ce qui influence peut être le plus ta musique, ce sont tes expériences personnelles, mais pas nécessairement le lieu. C'est parfois plus le moment, les événements ou les gens que tu rencontres.

J.F : Je ne pense pas que l’on choisisse de faire un style de musique, ou de faire de la musique tout simplement. Je ne sais pas moi même pourquoi je peins, mais ne fais pas de sculpture. Le mode d'expression est induit par notre personnalité, et d’ailleurs certains morceaux révèlent des événements qui l’ont forgée.


Si vous étiez originaires de Manchester, auriez-vous forcément été influencés par New Order ?
Nicolas :
je ne pense pas que le lieu soit important, Jeff est aussi en partie originaire de Corse, et ce n'est pas pour autant qu'il me chante des polyphonies corses avec la main sur l'oreille et un verre d'alcool de myrthe dans l'autre.

J.F : Ceci dit, les polyphonies vocales en général m'ont toujours fascinées, car il en ressort de telles émotions ! Derrière un effet de chœurs parfois puissant comme des cuivres, se cachent et se révèlent des voix fluettes, douces, à la limite de la rupture. Cela me fait penser à un orchestre de voix, on a un espace musical aussi riche que varié avec sa propre rythmique pouvant se passer de tout autre instrument.


Des groupes comme Mesh, Covenant ou Celluloide, issus de cette même scène synthpop ont su très tôt se démarquer, se singulariser. D'après vous, quelle est votre singularité, votre marque de fabrique ?

Nicolas :
Je pense qu'après plusieurs écoutes certains verront que l'on ne cherche pas à se cantonner dans des morceaux purement synthpop. Certains titres comme Laugh at First Sight ou Le Fou d'Echecs sont beaucoup plus dépouillés et minimalistes, un peu dans l'esprit des premiers Absolute Body Control. En revanche, un titre comme Nostalgia sonne plus pêchu et se rapprochera bien plus de l'EBM, la ligne de basse est assez proche des séquences de basses de "That Total Age" de Nitzer Ebb. Et enfin un titre comme Commuters a un côté plus pop et techno. Notre marque de fabrique ? La diversité. Nous voulons mélanger tous ses styles en essayant de faire onze titres aux sonorités et couleurs différentes. Une autre façon de nous démarquer est aussi de nous être intéressé à la vague techno et de bien la connaitre puisqu’on y a évolué musicalement dans les années 90, contrairement à certains musiciens synth/electro pop pur jus qui restent scotchés dans un trip 80's. On compte bien insuffler cette dimension techno à notre musique dans le futur, afin d'y apporter un côté pop et dansant.

J.F : Je pense aussi que cela vient du fait que l’on arrive à mélanger nos deux univers musicaux, mais aussi nos façons de faire de la musique sans désaccords majeurs. Nicolas est très minimal dans ses compositions syncopées, et « mathématique » dans leur création : rien
ne déborde. Alors que de mon coté je pars plutôt d’une base de mélodie sur laquelle je brode au feeling et en superpositions. C’est généralement le son qui fait le larron.


Justement, puisque tu parles de sons, il y a eu une époque où des groupes majeurs comme Depeche Mode, Front 242 ou Skinny Puppy créaient des sons nouveaux et excitants à chaque nouvel album, des sons que leurs machines d'alors n'avaient pas en preset. Cela ne vous a pas tenté d'essayer d'inventer quelque chose de totalement inédit, de proposer des sonorités complètement nouvelles et différentes de celles qui ont depuis envahi la plupart des disques de synthpop ?

Nicolas :
On a vraiment cherché à varier les sons en évitant d’utiliser uniquement du preset d'usine. Ce qu'on ne veut surtout pas faire, c'est utiliser les mêmes types de sons pour les dix morceaux d'un album. Par exemple, on a pas mal bossé avec l'Orbit qui est un expander qui était plutôt utilisé dans les milieux techno 90's, pour te dire qu'on n'a pas cherché à ne prendre que du son 80's vintage et analogique. On n'a pas la prétention d'inventer quelque chose de totalement inédit car très peu d'artistes ont su le faire tous courants musicaux confondus, et la musique électronique n'échappe pas à cette règle. Cependant, on tentera à chaque nouvelle incartade de produire quelque chose avec nos tripes, avec des sons qui reflètent aussi les émotions qui nous sont propres. Après, chacun le percevra d'une manière personnelle : pour certains ce sera du déjà vu, pour d'autres ça sera peut être une découverte.

J.F : Comme certains morceaux datent des années 90’s, nous n’avons pas voulu non plus trop modifier leurs identités. On est parti d'un mix un peu neutre, mais Member U-0176 de BOREDOMproduct lui a donné une couleur et une puissance de feu bien supérieure depuis son Synthlabo.


A Prémonition, on connaît effectivement bien la marque de fabrique du label BOREDOMproduct, sur lequel vous êtes signés. Cela vous a rassuré d'être sur le même label que Celluloide et Dekad ? Avez-vous essayé de contacter d'autres labels, pas forcément orientés synthpop ?

Nicolas :
Pour être complètement honnête, on n'a pas cherché à signer coute que coute sur un label synthpop. D'ailleurs, lorsque l'on a commencé à envoyer nos demos, on en a envoyé à différents types de labels. Preuve en est qu'on ne s'inscrit pas dans une démarche unilatérale, car pour certains labels minimalistes on sonnait pas assez vintage, pour certains labels EBM, pas assez violents parce que justement on chantait et on ne trafiquait pas toutes les voix. Quant à certains labels synthpop, on n’était pas assez synthpop pure. Et je ne te parle même pas des labels indés ni de ceux un peu plus orientés charts. A la base on ne connaissait BOREDOMproduct que de nom et à travers les groupes du label. On a été présenté par un ami commun qui a une émission de radio et qui pensait que chacun y trouverait son compte. Il a fallu apprendre à se connaitre, mais ce qui est sûr, c'est qu'aujourd'hui on est heureux d'avoir rejoint un label qui est géré par des gens passionnés, super professionnels et qui s'investissent à tes côtés. Au fur et à mesure de notre collaboration, on a pu se rendre compte de la réputation du label sur la scène internationale de par leur sérieux et ça nous a évidemment convaincu d'avoir fait le bon choix.


Il y a un titre en français, Le Fou d'Échec, à la fin d’"A Deceptive Calm". C'est quelque chose d'assez rare dans ce genre de musique, et qui constitue une vraie prise de risque sur votre disque. L'exercice du français est-il plus difficile que celui de l'anglais ?

Nicolas :
Non, on a juste fait cela parce qu'on voulait se taper plein de gonzesses et que je n'apprendrai rien à personne en disant que la langue française fait triper les anglaises. Tu parles anglais en boîte à Basildon, et soudain tu te retrouves entouré de quinze Essex girls hystériques. Non, en fait c'est peut-être un risque à courir, mais c'est important de ne pas négliger une langue qu'on utilise aussi, donc je n'ai pas trop de problème à passer d'une langue à l'autre pour les
compositions. Mais il est vrai que quand j'écris les paroles, je pense souvent en anglais. Il me semblait cependant intéressant de présenter au moins un titre en français, ce qui ne devrait d’ailleurs pas déplaire à nos amis allemands ou scandinaves. Pour revenir au morceau Le Fou d'Echecs c'est aussi un bon exemple pour montrer que l'on ne veut pas verser uniquement dans la synthpop, car ce morceau a un côté binaire et minimaliste dérangeant, qui est bien loin des standards synthpop légers.