|  PROCHAINE SORTIE : "Dreamtime Collectors" (8 novembre 2010) |
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|  |   |  |        | Par Christophe Lorentz | Photos D.R. |
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|  | Pilier trop méconnu de la scène électro-indus, Attrition fête cette année ses trente ans de carrière. Une carrière luxuriante, qui aura vu le projet initié par Martin Bowes et Julia Niblock traverser un peu toutes les tendances de la musique sombre, de la cold-wave synthétique à la musique expérimentale, en passant par la synth-pop, l'EBM, l'heavenly-voices ou le néoclassique... Depuis 2006 et la création de son propre label, Martin Bowes pratique aussi une politique de rééditions, de remasterisations et d'exhumations d'inédits, tout en continuant à produire de nouveaux albums inclassables et à multiplier les collaborations. De fait, Attrition ne sort jamais vraiment de l'actualité : à ce jour, en effet, un best-of ("Dreamtime Collectors") est prévu pour le 8 novembre, un nouvel album s'annonce pour le printemps 2011, un concert anniversaire doit se tenir le 11 décembre à Londres, et un show exceptionnel a eu lieu le 7 octobre au Klub, à Paris -sachant qu'Attrition ne s'était jusqu'ici produit en France que trois fois en trente années d'existence ! Il y a quelques mois, nous avions longuement interrogé Martin Bowes sur l'ensemble de sa carrière, mais cet entretien n'avait pas encore été mis en ligne. À l'instar des nombreuses pépites enregistrées par Attrition au début des années 80, il vient donc d'être exhumé, mais reste, lui aussi, aussi passionnant qu'intemporel...
En 1980, lorsque tu as créé Attrition avec Julia Niblock, avais-tu un but précis, un concept, derrière la musique que tu faisais ? Martin Bowes : Non, pas vraiment. J'avais juste un désir brûlant de m'exprimer. Il y avait tellement de choses dans ma tête qui n'avaient pas trouvé de porte de sortie, que j'avais besoin de la musique pour les expulser. Je n'étais pas musicien, donc je n'avais pas prévu de jouer un style particulier. Nous avions nos sources d'inspiration et nos influences, et à partir de là c'était surtout beaucoup d'expérimentation : on cherchait à voir ce qui se passait quand on faisait ceci, ou cela... Peut-être que, finalement, c'est suffisant comme concept !
Quelles étaient justement ces influences à l'époque ? Mon inspiration d'origine était tout le mouvement punk : le fait que n'importe qui pouvait se lever et faire quelque chose. D'un point de vue politique, culturel et créatif c'est toujours mon inspiration principale. Avec la scène punk du début, il y avait un très large éventail de possibilités au niveau créatif. Malheureusement, la plupart des choses s'étiolent lorsqu'elles deviennent populaires : des limites et des frontières sont dressées, des règles sont édictées... En ce qui concerne mes influences musicales concrètes, je suis vite passé au mouvement post-punk, qui représentait une force créative majeure en Angleterre à la fin des années 70 : des groupes comme PIL, Joy Division, Cabaret Voltaire... Puis il y a eu l'apparition d'artistes électroniques, comme le Human League des débuts... Tout cela a eu une influence sur moi. Et bien sûr j'ai découvert Kraftwerk une nuit, en écoutant John Peel, et j'ai commencé alors à explorer les musiques plus expérimentales.
Quelle était l'atmosphère au sein de la scène musicale anglaise à ce moment-là ? C'était vraiment une époque importante pour le développement de la musique. Il se passait tellement de choses nouvelles et excitantes. Selon moi, cela a marqué la naissance de la plupart de ce que l'on fait et entend aujourd'hui. En même temps, on est tellement influencé par tout ce qui nous entoure quand on a 18 ans que je suis peut-être de parti-pris... Mais c'était comme si le punk avait détruit "l'ancien" et qu'apparaissait "le nouveau". Et j'adorais ça !
Dirais-tu qu'il y avait alors plus de liberté pour expérimenter, plus de curiosité de la part du public et plus de créativité de la part des artistes dans les années 80 qu'aujourd'hui ? Au départ, il y avait en effet beaucoup de liberté d'expérimentation avec les nouvelles formes de musique : le fait de faire quelque chose de différent était bien accepté, il y avait un réel soutien de la part de la presse musicale grand public, tandis qu'il existait d'innombrables fanzines indépendants. J'ai d'ailleurs moi-même lancé mon propre fanzine, "Alternative Sounds", qui a existé entre 1979 et 1981, avant même que je ne touche le moindre instrument de musique ! C'était une époque formidable en ce qui me concerne. Mais j'ai commencé à voir que des limites se mettaient en place : beaucoup de gens se satisfaisaient uniquement d'une certaine dose de nouveauté. Nous avons découvert cela lorsque nous sommes allés plus loin avec l'électronique et avec les bandes en concert, car cela devenait très dur de trouver des gens qui n'avaient pas besoin de voir un guitariste et un batteur sur scène. Donc c'était un défi, car il n'y avait pas, comme aujourd'hui, de réseau clairement défini de clubs pour la musique "industrielle" ou "expérimentale". Mais je pense que cela a eu comme résultat le fait que les groupes qui sont apparus au début des années 80 –comme nous, The Legendary Pink Dots, In the Nursery, Coil, Test Dept, etc.– faisaient tous des choses différentes mais partageaient un désir commun de faire "quelque chose d'autre" : quelque chose qui n'appartenait qu'à nous. Je pense que cela nous a tous rendus plus forts et, dans certains cas, nous a rapprochés en tant que musiciens.
À l'origine, Attrition œuvrait dans un style post-punk/expérimental, puis ta musique est devenue plus EBM/électro-pop, avec des titres plus accrocheurs et dansants. Qu'est-ce qui a provoqué cette évolution ? Je dirais qu'il a eu deux styles musicaux bien séparés chez Attrition, et cela depuis les tout débuts. Par exemple, le premier album, "The Attrition of Reason", est très expérimental mais contient aussi le morceau Beast of Burden, un de nos premiers morceaux dancefloor, qui préfigure même l'EBM. Et à partir de là, il y toujours eu sur chaque album des choses qui relevaient de ces deux styles. Donc ce n'est pas réellement une évolution : c'est plutôt qu'à certains moments j'ai exploré différentes voies. J'ai besoin de cette diversité, je n'arrive pas à rester sans bouger. Je pense aussi que lorsque tu progresses musicalement tu t'améliores techniquement. Et ainsi, ce qui semblait être "expérimental" au début était en fait de la naïveté. Mais il n'y a rien de mal à cela !
En fait, quand on considère ta discographie dans son ensemble, on peut même dégager globalement trois grands courants : indus/expérimental, électro-goth et ambient/néoclassique. Comment expliques-tu ces différentes facettes de ton œuvre ? Comme je l'ai dit, je pense que ce sont là différentes formes de ma créativité. Certains groupes s'expriment globalement d'une seule façon –ou alors lancent parfois un projet parallèle pour explorer d'autres styles– mais je n'ai jamais souhaité limiter Attrition ainsi. Cela peut parfois désorienter les gens, mais ça ne me dérange absolument pas (rires). Je pense que ces styles variés sont comme des explorations des différentes parties de ma personnalité, ou du moins de mes humeurs : certaines sont contemplatives, d'autres sont plus physiques.
Depuis 2006, tu réédites l'ensemble de ta discographie dans des versions remasterisées. Quel effet cela te fait-il d'explorer ainsi ta carrière, et notamment tes premiers travaux ? C'est une expérience étrange mais j'y ai pris du plaisir. Cela faisait des années que je n'avais plus écouté ces albums, donc c'était bien d'être obligé de me confronter à mon passé : cela m'a appris beaucoup de choses. En fait, cela m'a même inspiré. J'ai tendance à déprécier mes anciens travaux et à toujours vouloir aller de l'avant, vers des choses neuves... Mais j'ai entendu là de bonnes choses et j'en étais plutôt fier.
Ces rééditions ont démarré avec la création de ton propre label : Two Gods. Mais pourquoi avoir attendu aussi longtemps pour créer ta propre structure et être totalement indépendant ? Tout d'abord, je ne pense pas que l'on puisse être totalement indépendant dans le business de la musique, ni dans n'importe quel autre business : tu fais toujours partie d'une grosse machine. En fait, je dirige Two Gods mais l'aspect financier et la distribution relèvent d'un gros label anglais nommé Voiceprint. Cela dit, j'ai en effet le contrôle sur ma production, si ce n'est sur toutes les décisions financières, et c'était bien de pouvoir revenir en arrière et remasteriser ces vieux albums, d'en améliorer les visuels (que j'ai moi-même recréés) et de faire re-presser certains des disques les plus anciens afin qu'ils soient à nouveau chroniqués, ce qui est également important. Donc tout cela est très positif, mais cela prend aussi beaucoup de temps. Et c'est pour cela, ainsi que pour l'aspect financier, que je ne l'ai pas fait plus tôt.
Au fil des ans, il y a eu un certain nombre de changements parmi les chanteuses d'Attrition, ainsi que différents musiciens qui sont venus travailler avec toi. Penses-tu que tous ces changements de formation ont pu avoir un impact sur ta musique ? Bien entendu ! Même si certaines personnes ont eu plus d'impact que d'autres. J'ai fait beaucoup de choses avec Julia durant toutes ces années : c'est une artiste et une chanteuse magnifique. J'aurais souhaité qu'elle collabore encore plus, mais elle s'est plus ou moins retirée du monde de la musique il y a déjà longtemps. Je la persuade quand même occasionnellement de revenir pour certains enregistrements... Un autre participant important fut le parisien Franck Dematteis : il a tellement fait pour nous grâce à son jeu de violon et d'alto que cela a donné une autre direction à Attrition au milieu des années 90. Peut-être que lui aussi reviendra ! Il y en a eu d'autres... Chacun laisse une trace, même si certains ont simplement amélioré ma musique au lieu de la changer.
Tu offres aussi de nombreux remixes ou des versions alternatives (acoustiques ou néoclassiques) de tes chansons. Est-ce que cela signifie que, pour toi, un morceau n'est jamais dans sa forme définitive et qu'il peut être perpétuellement retravaillé et réarrangé ? Je pense en effet que c'est exactement ça : il n'est JAMAIS vraiment fini. Et voila pourquoi c'est bon de jouer ces morceaux en concert : pour pouvoir expérimenter avec différentes versions. Les chansons sont des vecteurs d'émotions et je ne pense pas que ces émotions peuvent parfaitement transparaître dans un format de chanson de 5 minutes. Donc oui, je les réexamine sans cesse. Même s'il est quand même plus important d'essayer de nouvelles choses...
Attrition est généralement très prolifique, et tu collabores aussi avec un certain nombre d'autres artistes à côté de ça... Est-ce que tu arrives ainsi à gagner ta vie avec la musique ? Hé bien, oui et non... Je ne gagne pas assez d'argent directement grâce à Attrition, donc je suis professeur à mi-temps de technologie musicale dans un collège de Coventry –ce qui me permet de payer mes factures. Donc d'une certaine manière, je gagne ma vie avec la musique, mais peut-être pas comme je l'aurais voulu !
Attrition existe depuis trente ans maintenant. Quand tu considères l'ensemble de ta carrière, qu'est-ce que cela t'inspire ? C'est vrai que j'y ai un peu repensé ces derniers temps avec ce travail sur les rééditions... Ça a été ma vie et, comme dans la vie, il y a toujours tellement de choses que tu aurais aimé faire mieux quand tu les considères avec le recul. Mais on apprend à partir de nos erreurs et on devrait donc se réjouir de les avoir faites ! Donc j'accepte la façon dont les choses se sont déroulées, ça me convient. Il y a de toute façon encore beaucoup de chemin à parcourir, et peut-être qu'ensuite, dans ma prochaine vie, j'essaierai quelque chose d'autre...
Plus globalement, comment juges-tu l'évolution de cette carrière ? J'ai progressé : je suis plus compétent et je sais mieux ce que je fais aujourd'hui. D'une certaine manière, j'ai plutôt réussi. Je fais ma propre musique et je parcours le monde avec. J'avais quelque chose à dire et je suis au moins parvenu à exprimer quelque chose qui se rapproche de ce que je voulais dire en mon for intérieur. Et en plus ça a touché beaucoup de gens, ce qui est bien, non ? |  |  |  | | |  | |
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