Propos recueillis
en octobre 2010


DERNIÈRE SORTIE :
"Steeltongued"


SITE OFFICIEL :
www.hecq.de

LABEL :
www.hymen-records.com
Par Bertrand Hamonou  

Hecq aime faire les choses à sa manière, à l'encontre des techniques conventionnelles. Si Ben Lukas Boysen se voit comme un artisan, Prémonition le considérerait plutôt comme un orfèvre. Depuis 2003, chacun de ses albums est un modèle du genre, d'une précision et d'une rigueur électronique exemplaires, enveloppé de sons vastes et volumineux, presque inhumains. Nous avons tout naturellement demandé à ce sound designer de quelle façon il travaille pour délivrer des travaux d'une richesse et d'une qualité si parfaite sur chacun de ses disques.

Ton dernier album, "Steeltongued", est un double CD massif avec un disque entier de remixes proposés par d'autres artistes, ce qui est assez inhabituel pour toi, car c'est en général dans l'autre sens que tu procèdes. Comment se fait-il qu'ils aient tous remixé le même titre ?

Steeltongued, en tant que morceau, est assez ouvert puisqu'en fait, je pense même que je ne l'ai pas réellement terminé. Je voulais voir comment des artistes que j'admire beaucoup allaient le traiter, l'emmener ailleurs, dans un sens le terminer. J'ai de la chance, car tous les artistes auxquels j'ai demandé de participer ont accepté ce challenge, ce qui m'a stupéfait, car tant d'idoles de ma jeunesse ont toutes répondu présente ! Michael Fakesch, Si Begg ou Team Doyobi, pour n'en citer que quelques-uns. J'ai été particulièrement ravi de voir comment tous ont été facilement abordables, amicaux et rapides. Je pense que le concept a très bien marché, parce qu'avec toutes les versions différentes de ce titre, je pense que c'était la meilleure façon de présenter cet album au public.

Tu viens de publier un nouvel EP intitulé "Sura". Comment la jaquette du jeu vidéo Doom a-t-elle atterri sur sa pochette ?
En fait, j'ai toujours adoré ce jeu ainsi que son esthétique globale. Un ami à moi m'a proposé quelques logos de marques de quatre lettres et les a ensuite détournées en "Hecq". Certaines étaient vraiment réussies, d'autres moins, mais dès qu'on s'est focalisé sur celle de Doom, on n'a même plus regardé les autres, celle-là était trop tentante.

À propos de tentation, cet EP est publié sur le label Ad Noiseam. Tu avais déjà sorti les EP "Zetha" et "Golden Pines" sur des labels différents. Tu as définitivement quitté Hymen Records ?
Non, je suis toujours sur Hymen, mais je voulais travailler avec d'autres personnes, sans pour autant quitter mon label actuel. Cela peut être vu comme un travail additionnel, qui permet de toucher un autre public, plus vaste.

Aujourd'hui, on dirait que Ant-Zen/Hymen et Tympanik Audio se sont spécialisés dans l'IDM et la dark-ambient électronique. Ne penses-tu pas qu'il y aurait cependant de la place pour ce genre de musique sur des majors ?
Je pense que cette scène est trop déconnectée du reste, et qu'il y a trop de genres et de sous-catégories tellement minuscules que ça ne pourrait pas marcher sur des majors.
Mais je suis d’accord avec toi, beaucoup d'artistes provenant de cette scène mériteraient une exposition bien plus large. Il y a d'ailleurs toujours eu beaucoup d'exemples de groupes ou d'artistes signés sur des majors qui s'inspirent de la scène électronique. D'une manière générale, je pense tout de même que l'IDM/Ambient est une musique qui nécessite de la part de l'auditeur qu'il s'assoit et qu'il écoute attentivement ; je la vois un peu comme un goût que l'on se serait forgé en grandissant, et c'est quelque chose que peu de gens sont désireux de faire, j'en ai bien peur.

Pour moi, ta musique est assez unique dans le sens où elle combine à la fois des éléments rythmiques ultra précis et une richesse de sons tellement amples et volumineux qu'on les croirait venus de l'autre bout de l'univers, comme ceux que tu as utilisés sur "Night Falls" par exemple...
Merci pour ta description, c'est exactement l'effet que je voulais créer ! Ceci dit, je dois t'avouer qu'il m'arrive d'être tellement possédé par un certain son lorsque je compose un titre que je me concentre uniquement sur ce son, sans ressentir aucune émotion, à moins de laisser passer un peu de temps, en me distançant du travail pendant une période.
"Night Falls" était particulièrement intense. Ça peut te demander jusqu'à deux ans avant de terminer un album, comme ce fut d'ailleurs le cas pour "Steeltongued". Mais dans le cas de "Night Falls", ce fut complètement différent, car je l'ai écrit en deux ou trois semaines, presque d'un seul coup, et dans un état d'esprit vraiment particulier. Il m'a juste fallu une année pour m'y mettre, tant le processus de production était délicat, puisque je devais me débarrasser de certains sentiments.

Qu'utilises-tu comme matériel afin d'obtenir ce son si particulier ?
J'utilise deux ordinateurs avec Ableton live, ainsi que beaucoup de plug-ins d'instruments. Je ne suis pas très bon avec le hardware, et c'est peut-être pour cela que j'apprécie tout digitaliser presque artisanalement. Pour moi, tout est question de retravailler et de traiter des samples, en utilisant des softwares de synthés, d'une manière particulière, sans lire les manuels, et sans trop en apprendre à propos du matériel que j'utilise. Je l'ai fait par le passé, mais ça me distrayait tellement que je n'étais plus capable de composer quoi que ce soit, j'ai donc arrêté de le faire. Aujourd'hui, je fais des tests et je vois où ça me mène. J'enregistre vraiment beaucoup de choses de cette manière, puisque les samples n'ont pas souvent la profondeur ni les caractéristiques exactes que je désire, surtout lorsqu'il s'agit d'instruments. Heureusement pour moi, j'ai quelques amis proches qui sont des musiciens talentueux et qui sont toujours d'une aide précieuse lorsque je leur demande de m'aider sur mes projets. Donc en gros, je m'efforce d'ordonner un minimum le chaos, si je veux m'exprimer aussi directement que je le peux sans être coincé par des problèmes techniques.

Les sons de percussions que tu utilises sur les titres Steeltongued et Golden Pines sont uniques dans leur genre, presque ta marque de fabrique. Ils ont l'air de rebondir sur les mûrs. D'où viennent-ils ?
Voilà ! C'est un très bon exemple pour illustrer ce que je te disais tout à l'heure à propos du traitement que j'inflige à mes samples. Tous les sons de Steeltongued sont générés séparément les uns des autres. Le principal son de batterie dont tu parles est une suite de couches appliquées sur un son techno/trance propre et punchy, sur lequel j'ai rajouté un son de percussion chinoise afin d'en augmenter la frappe et le choc, et aussi afin de changer la texture du son de départ. En plus de tout cela, j'ai également utilisé une petite chambre de réverbération. Le travail le plus difficile à ce moment-là était de trouver le juste ratio entre la densité et les points hauts et bas du son, de manière à ce qu'il sonne aussi métallique que possible, puis je l'ai surcompressé. De cette façon, j'obtiens un son vraiment massif, avec une bonne réverb, sans qu'elle soit exagérée. J'ai fait la même chose avec les parties de percussions hautes et médianes, mais cette fois je les ai utilisées de manière séparée dans un nouvel arrangement, sans aucun effet, simplement en les éditant et les confrontant l'une à l'autre. Encore une fois, pour moi il est essentiel de garder le processus aussi simple que possible. Ça revient à distiller une idée et d'en extraire l'essence. Je n'ai pas besoin d'en faire un hit, mais il est crucial pour moi de pouvoir voir jusqu'où je peux aller avec un minimum de samples et d'enchaînements d'effets.

Tu parlais de "Night Falls" tout à l'heure. C'est un album à part dans ta discographie, très ample, sans rythme, beaucoup plus orienté ambient que tes autres disques, et qui s'est écoulé très rapidement. Qu'est-ce qui t'avait inspiré ?
Cet album n'a en fait jamais été planifié. Sans trop entrer dans les détails, son écriture a été déclenchée par la perte d'un proche (l'album est dédié au père de Ben Lucas Boysen -ndlr), et réaliser cet album fut plus une thérapie qu'autre chose. Pour cette raison, je n'étais pas sûr de vouloir le sortir, car je ne voulais pas donner l'impression d'utiliser cet événement pour quelque raison que ce soit. J'étais loin de me douter qu'il toucherait tant de gens, et comme tu le dis, oui, il s'est écoulé très rapidement. Je me demande encore aujourd'hui comment c'est arrivé, mais j'en suis heureux, car c'est carrément l'album le plus personnel que j'ai fait et j'étais assez nerveux des réactions qu'il allait susciter.

Qu'est-ce que ça te fait d'apprendre que tous les exemplaires se sont vendus aussi vite ?
C'est génial, on ne s'y attendait pas du tout, on était plutôt inquiets de savoir comment il serait reçu par les auditeurs. Je reçois aujourd'hui encore pas mal de demandes de gens qui veulent se procurer l'album physique. Je l'ai vu sur internet à des prix hallucinants, ce qui m'était déjà arrivé avec "Golden Pines". Pour être honnête, ça me surprend complètement.

Ça fait un moment que la collaboration "Hecq vs Exillon" est annoncée sur ton site internet, mais on ne voit toujours rien venir. Où en est ce projet ?
Cette sortie a engendré trop de difficultés. Tout ce que je peux en dire, c'est que je ne l'oublie pas et je tiens à m'excuser pour le peu d'informations que je donne à ce propos, ce n'est pas dans mes habitudes. En gros, c'est ma première tentative de sortir un album par moi-même, ce qui se révèle être bien plus compliqué que je l'avais estimé. Et mon boulot de sound designer occupe beaucoup de mon temps, ce qui n'a fait que repousser encore un peu plus la sortie de ce disque. Je ne l'oublie pas, mais ma devise est de faire parfaitement les choses ou alors de ne pas les faire du tout ; et ce projet n'a pas encore atteint ce niveau de perfection.

Justement, parle-nous un peu de ton travail de sound designer pour les films publicitaires de Rob Chiu films. Cela fait des années que votre collaboration perdure. Comment est-ce que ça a commencé ?
Rob m'a écrit en 2006 en me demandant si ça me tenterait de travailler avec lui sur un projet personnel. J'ai accepté, et depuis nous travaillons constamment ensemble. Je suis ravi de l'avoir rencontré, car je trouve que nous pensons de manière similaire lui et moi, et nous n'avons de ce fait pas besoin de tout discuter pendant des heures, ce qui rend le processus de création très naturel et commode, même lorsque nous travaillons sur un projet plutôt difficile.

Comment travailles-tu pour ces films ? Tu as des morceaux prêts à l'avance réservés à cet usage ?
C'est très rare que j'ai quelque chose de prêt en avance : les besoins et exigences d'un client sont en général bien trop spécifiques pour cela. J'ai bien un ou deux titres de référence, mais d'une manière générale, j'ai toujours une réunion ou au moins une conversation téléphonique avec le client ou l'agence pour faire le point sur ce qu'ils ont en tête, et ensuite seulement je prépare une composition originale. Bien sûr, il y a des morceaux déjà publiés qui sont parfois utilisés pour une publicité, mais c'est exceptionnel. C'est le bon côté de ce boulot : tu es forcé de réfléchir très vite et d'une certaine manière, tu dois laisser un peu de côté "l'artiste" en toi. Tu dois être très rapidement efficace pour trouver des idées en une soirée, même s'il s'agit d'idées générales, sans aller trop dans les détails, et cela peut parfois limiter ton temps de réflexion créative. Alors que lorsque tu travailles sur un disque, tu peux considérer que le processus est un processus de liberté totale qui peut te prendre des mois ou des années. Pour moi, il s'agit de trouver le ratio entre créer quelque chose d'original qui me plaît et qui satisfait aussi le client et l'agence.

Comment s'est passé l'enregistrement de la bande originale du court métrage de Rob Chiu, "Fear/Love", que tu as composée avec Lucio Amanti ?
Lucio est un violoncelliste épatant. Nous étions amis avant même de commencer quoi que ce soit, et nous avions toujours eu envie d'associer nos forces. Ce projet était un peu comme un début de rêve, il nous a offert tant de possibilités dans la manière de composer ! Et puis c'est aussi la plus longue bande originale que j'ai écrite jusqu'ici. Avoir la chance de coécrire cet B.O avec un très bon ami musicien fut un réel plaisir. Lucio s'intéresse beaucoup aux différentes approches de la musique ainsi qu'aux techniques alternatives d'écriture et de production, et nous avons naturellement convenu de continuer à composer ensemble dès lors que l'occasion se présentera.

Dans une interview récente, Jairus Khan d'Ad-Ver-Sary décrivait à quel point il travaillait ses sets live afin de ne surtout pas ressembler à un type banal fixant son laptop durant toute sa performance. Comment appréhendes-tu tes propres concerts ?
J'ai bien peur d'être un type banal qui fixe son laptop (rires) ! Je pense que ça dépend beaucoup du concept du groupe. Il y a des groupes qui sont très très bons dès qu'ils préparent un concert et qu'ils le jouent. En revanche, d'autres concepts comme le mien ne requièrent pas tant de préparation. Pour tout te dire, je n'utilise même pas de visuels, tout simplement parce que je n'en veux pas. Je n'ai que des stroboscopes et des fumigènes. Je ne me considère pas comme un bon performer ni même comme un musicien live, car en vérité je suis bien plus un éditeur et un arrangeur qu'un musicien axé sur la scène. Et puis, j'adore les concerts où tu ne vois plus ton bras devant tes yeux tellement il y a de fumigènes que seuls les stroboscopes peuvent couper au couteau. Ça devient tout de suite bien plus physique, presque primitif, et c'est ce que j'aime le plus, c'est un peu comme si l'âme de la musique elle-même appelait ton corps, c'est un moyen non distractif de s'abandonner à la musique je trouve.

Je suis surpris que tu n'aies pas même fourni un remixe pour les deux EPs extraits de "La Parade Monstrueuse", le dernier album d'In Strict Confidence ?
Oui, c'est vrai, nous avions parlé d'avoir au moins un remix sur l'un des EP, et encore une fois, je manquais d'idées et de temps. 2009 et 2010 ont été des années de grands changement pour moi, ce qui signifie que je serai toujours en contact avec In Strict Confidence et que je travaillerai toujours avec eux, mais la direction, ou mon champ d'application, pourraient eux aussi changer au sein de cette collaboration. En fait, il était prévu de sortir un CD "La Parade Monstreuse Destruxxion" mais on ne va pas le faire, je n'ai pas envie d'anéantir une bonne idée en la recyclant de trop.

Une dernière chose : d'où vient ce nom que tu t'es choisi, Hecq ?
Ça vient de l'expression anglaise "What the heck" ("et puis merde, tiens"). Non seulement je ne suis pas bon dès lors qu'il faut trouver un nom, mais en plus je n'avais absolument rien planifié quant à ce que je voulais faire de ce projet, Hecq. Initialement, quand j'ai choisi ce nom, il a dix ans, je n'avais pas la moindre idée de ce que je faisais, je m'amusais avec le matériel que j'avais, et je dois t'avouer que cette approche m'a d’ailleurs amené à composer de très bons titres, que je n'ai jamais publiés cela dit. J'aime rester un peu naïf et non professionnel, comme je te le disais tout à l'heure, parce que je trouve que trop de connaissance empêche de faire ce que tu as réellement envie de faire. J'ai utilisé certaines techniques ou approches considérées comme mauvaises en studio, et franchement, je n'en avais rien à faire. Pour en revenir au nom Hecq, j'ai pensé l'abandonner il y a un petit moment, mais je l'ai finalement gardé. C'est peut-être ce qu'il se passe aussi avec un tatouage : il te rappelle pourquoi et comment tout a commencé.