Propos recueillis
en septembre 2010


DERNIÈRE SORTIE :
"Immortel"


SITE OFFICIEL :
myspace.com/dernirevolont

LABEL :
Tesco
Par Christophe Labussière  
Photo Valnoir/Metastazis  

Geoffroy D. est le chef d'orchestre d'"Immortel", le dernier album de Dernière Volonté. On est maintenant bien loin de l'ambiance d'"Obéir et Mourir", son premier disque paru en 1998, soumis à l'époque aux concepts industriels, bruitistes et martiaux, et surtout chargé de tous les tics inhérents à cette scène. D'autant plus que Geoffroy s'est à l'époque rapproché de Der Blutharsch et autres formations dark folk à l'imagerie toujours... contestable. Douze ans plus tard, il sort plutôt "grandi" de cette expérience et se revendique plus simplement de Taxi Girl, Dominique A ou encore Étienne Daho, trois artistes biens plus fréquentables.

Pour commencer, j'aimerais savoir quel est le sens de ce nom, "Dernière Volonté" ?

Et bien, ça date de 1994, de mes débuts. C'est un nom qui est venu naturellement et qui correspondait bien à ce que je recherchais. C'était juste avant d'entamer des sessions pour "Obéir et Mourir", ma première cassette. C'est arrivé comme ça, complètement par hasard, sur un écran de télévision. Alors que j'écoutais une cassette que j'avais enregistrée (intitulée "Résistance"), j'ai vu un homme allongé sur une table qui tenait un petit cahier sur lequel était noté "Dernière Volonté". J'ai tout de suite su que c'était le nom qu'il me fallait, comme envoyé par le ciel au moment ou cela devenait important pour moi. Je l'ai gardé parce qu'il est toujours très représentatif des sujets qui m'intéressent. Certains le trouvent funèbre, morbide, pas moi. Il souligne à merveille l'équilibre fragile entre la vie et la mort, le soubresaut de l'ultime plaisir, de la dernière extase. Aujourd'hui encore je le trouve très pertinent.

Au vu de tes productions précédentes, ton dernier album, "Immortel" est bien plus accessible, c'est peut-être même ce qui le caractérise, son "accessibilité". Pourquoi ce choix, est-ce volontaire, qu'est-ce qui t'a animé en l'écrivant ?
Je ne me pose pas la question de savoir si ce que je fais est plus ou moins accessible... Bien sûr, j'ai conscience de faire des choses dures, ou légères, mais ça ne va pas plus loin. "Immortel" s'est construit avec comme seul et unique fil conducteur ma propre satisfaction. Et c'est comme ça que je travaille depuis mes débuts, je ne pense pas trop à l'auditeur. Pendant toute la phase de l'enregistrement d'"Immortel" je me suis efforcé de faire un disque qui sonne "différemment", de donner un autre élan, quitte à froisser des oreilles au passage. Je suis très content du résultat et il correspond à ce que je cherche aujourd'hui. Mais demain est une autre histoire...

Les morceaux d'"Immortel" sont extrêmement bien construits, comme de vrais standards pop, avec couplet, refrain, textes et gimmicks entêtants, mais malgré ça, il n'y a pas de compromis, et l'ambiance est extrêmement cohérente. Comment as-tu réussi ce prodige ?
Déjà, merci pour ton compliment. Mais je ne sais pas... J'écris lentement, en tous les cas rarement du premier coup. Je retourne une chanson parfois une dizaine de fois avant d'avoir une version finale qui me convient. C'est un peu comme une sculpture virtuelle, que l'on peut polir, lustrer, modeler indéfiniment jusqu'à ce qu'elle soit comme tu l'as imaginée. J'aime construire mes titres comme des entités indépendantes, mais en même temps connectés les uns aux autres par un lien invisible. Je ne peux pas expliquer le fait que ça fonctionne, il doit y avoir une trame mystérieuse qui se met en place à chaque album.

Tu ne penses pas que cet album aurait mérité une meilleure production ?
Peut être, peut être pas. J'ai toujours fonctionné comme ça, avec mes propres moyens et une technologie adaptée à mes possibilités. Mais je ne vois pas vraiment quel en serait l'intérêt. Quand on voit les budgets de production de certains artistes (même indépendants) et que, à l'arrivée, 90% des gens vont écouter le disque en MP3 ou sur du matériel hi-fi complètement merdique. On peut se demander quel est le réel but d'une production coûteuse en studio si elle ne concerne qu'un pourcentage très limité d'auditeurs. Je ne me suis pas posé la question, et surtout Éric Débris à fait un bon boulot sur le mastering et m'a été d'un grand secours au cours du mixage.

Tu as fait le choix de chanter en français, la "facilité" de l'anglais ne t'a pas tenté ?
Jamais. Je déteste ça ! Le choix s'est imposé dès le moment ou j'ai ouvert la bouche. Je pense à peu près maîtriser une langue (et encore), la mienne. J'ai parfois du mal à verbaliser certains sentiments ; je n'ose même pas imaginer ce que ça donnerait dans une autre langue. Chanter en anglais avec un accent à couper au couteau, c'est tellement ridicule, je laisse ça à d'autres.

Tu n'as pas été tenté de démarrer un nouveau projet, comme tu l'as fait précédement avec Position Parallèle ? Tu as préféré faire évoluer Dernière Volonté ?
En fait, j'aurais pu faire un projet différent à chaque disque de Dernière Volonté. Ça aurait été facile, sans prise de risque, et bien plus confortable. Mais je voulais garder une certaine unité, car au final c'est toujours la même personne qui est derrière la musique. Position Parallèle est arrivé au moment ou justement, le processus créatif n'était plus le même et changeait considérablement la donne. Mais une fois le disque fini, je suis reparti sur des compositions complètement personnelles qui me rapprochaient une fois de plus de DV. "Immortel" est une phase de transition justement entre ces deux entités. J'ai toujours d'autres projets en réserve, mais je ne sais jamais vraiment quoi en faire.

Tu peux m'en dire plus sur Position Parallèle ?
Nous avons créé ce groupe avec Pierre Pi en 2005/2006. Au départ, il s'agissait de petits morceaux destinés à un single et puis, au fur et à mesure, le son c'est singularisé et on a avancé très vite dans les compositions. On avait rien au niveau matériel, juste un synthé Teisco 60f et un ordinateur avec quelques soft, rien de plus. C'était très motivant, parce que là je pouvais parler de choses très différentes et faire évoluer les textes dans des registres inhabituels pour moi, comme le meurtre ou le sexe. Notre idée était de faire la musique qui nous ressemble le plus, et ce, sans compromis. Pierre a ensuite tout produit et mixé avec un vrai sens de la mesure et de l'efficacité. De mon côté, j'ai travaillé sur la pochette et l'ambiance visuelle globale. C'est un disque que j'aime beaucoup et je pense avoir la possibilité de lui donner un suite bientôt.

Tu as déjà commencé à travailler sur un second album de ce projet ?
Pour ma part, oui, j'ai déjà des morceaux en cours. Pierre ne veut pas refaire de disque pour le moment alors peut-être qu'il se fera sans lui. À suivre donc.

As-tu déjà écrit pour d'autres ou t'es-tu déjà essayé à des choses différentes, éventuellement plus mainstram ?
Non, pas vraiment. Je reste confiné à mes propres aspirations. Mais ça pourrait être intéressant de faire une musique plus "commerciale", pas dans le sens populaire et racoleur du terme, mais un truc plus évident, accrocheur.

Qui a réalisé la pochette de l'album ?
Ovidie, qui avait une idée assez précise de l'image, a pris les photos. Et Metastazis en a fait les arrangements visuels. C'est une bonne collaboration et une parfaite illustration du disque. Je crois avoir eu sur ce disque une équipe sincère et avisée, ce qui me manquait sur tous les précédents.

Tu parles d'Ovidie, la réalisatrice de films X ?
Ovidie, réalisatrice, écrivain, ex-actrice C'est une personne très proche de moi et que j'admire beaucoup. Metastazis est quant à lui un graphiste assez talentueux, regarde son site à l'occasion, c'est assez intéressant. http://metastazis.com/

Il y a beaucoup de repères dark folk ou tout au moins martiaux dans Dernière Volonté, en particulier dans tes albums précédents, et surtout dans
le passé lorsqu'on te découvrait sur scène. De quels groupes de ce domaine te sens-tu proche ?

Le seul groupe avec qui je partage les mêmes points de vue, et ce, depuis longtemps, c'est Der Blutharsch. Lui aussi a beaucoup changé et je respecte sa nouvelle orientation au même titre que je la trouve très bonne. Les autres groupes dark folk ne m'intéressent pas vraiment. Bien sûr, je me suis intéressé à tout ce courant à un moment et j'ai fréquenté beaucoup d'artistes de cette scène, mais au final, il y en a peu avec lesquels je suis resté en contact. Curieusement, je ne me suis jamais vraiment senti concerné par cette étiquette. J'ai toujours eu l'impression de faire un truc différent, bien loin des ambiances "néo folk" que l'on m'a collées sur le dos. Déjà, je suis presque le seul à chanter en français et à pousser les BPM plus loin que la moyenne. Dark folk ?? C'est quoi ? Un mec qui chante des chansons tristes avec une guitare ? Alors, Léonard Cohen est dark folk, et Scott Walker aussi. Je ne comprends pas vraiment où est ma place là dedans, surtout aujourd'hui.

Cette scène d'obédience "martiale" se décompose en deux courants, il y a d'une part les fétichistes d'une imagerie et d'un esthétisme extrêmement particuliers, et d'autre part ceux qui sont porteurs d'un message politique, tout au moins philosophique. Où se positionnait Dernière Volonté ?
La politique ? Sûrement pas, car au final, ce qui compte, c'est l'émotion, le plaisir et l'intensité des intentions. Mais il y a des crétins et des gens intelligents partout. J'en ai vraiment vu et entendu de toutes sortes durant ces dix dernières années. Je ne crois pas à la politique dans la musique, dans les arts ou ailleurs, c'est une approche fumeuse qui ne peut que diviser et limiter ton public. Le seul groupe sincère à ce niveau-là et qui avait de vraies raisons de le faire c'est Test Dept, mais c'est une exception. Au delà de l'impact réel sur les gens et dans leur vie de tous les jours, la politique fait appel à une idée de "masse", de regroupement, de collectivité, d'unité d'esprit, et ça, c'est tout ce que je déteste ! Je suis écoeuré à la vue des tous ces troupeaux de regards hystériques prêts à soutenir, encourager jusqu'à en crever les prochains voleurs(euses) de la République. J'aime l'identité, le caractère unique de chaque individu, de chaque personne que je rencontre, c'est ça qui m'intéresse.
Fétichiste ? Oui, d'une certaine manière, surtout au niveau du vêtement militaire et de la puissance visuelle que cela confère. Mais ça a toujours été un peu plus loin que ça. Je savais qu'en portant ces "uniformes" nous retiendrions l'attention et que l'on se poserait un certain nombre de questions sur notre identité, tant philosophique que sexuelle. Ça a marché, beaucoup de gens se sont demandé ce que nous portions, qui nous étions, et pourquoi nous le faisions. Quand je dis "nous", je mentionne Pierre et moi.

Tu parles de Pierre Pi avec qui tu as fait Position Parallèle ? Vous êtes tous les deux derrière Dernière Volonté ou bien ça reste ton propre projet ?
En fait, Pierre est aussi percussionniste lors de nos live, mais il n'apparaît pas en tant qu'auteur chez Dernière Volonté. Sauf cas très exceptionnel en tant que musicien.

Est-ce qu'aujourd'hui tu t'es débarrassé te cette fascination ?
Tu sais, plus de 10 ans après, garder les mêmes obsessions peut carrément devenir très nuisible, et ce, tant sur le plan personnel que créatif. Ce qui m'animait à une époque m'indiffère complètement aujourd'hui et inversement. L'esthétisme totalitaire, militaire et fétichiste sont devenus des sujets que je laisse de côté parce que justement je crois être allé au bout de mes réflexions et les avoirs exorcisés à ma manière. Au final, je pense que ma démarche est celle qui est la plus saine, car si tu ne vas pas au fond des choses, il te restera toujours un terrible sentiment d'amertume et de frustration, et c'est ça qui est le plus dangereux.

Et maintenant que tu as "grandi", tu ne regrettes pas d'avoir joué avec cette imagerie ?
Non. Comme je le dis, cela fait parti d'un processus, d'un cheminement logique quand tu t'intéresses à des sujets forts. Dans la mesure où j'ai toujours été clair dans ma tête, je n'ai pas de raison d'éprouver une quelconque gêne. Je n'ai agressé ni blessé personne. Je n'ai jamais adhéré à aucun parti et je ne m'intéresse pas aux personnes qui fréquentent les milieux "militants". Si les gens se sentent mal avec ça, ce n'est pas à moi de leur expliquer pourquoi il perçoivent le sujet de cette manière. À l'époque d'"Obéir et Mourir" une personne avait crié "quelle horreur" en apercevant une photo que j'avais utilisée (un petit garçon au visage dur qu'une femme en pleure tient fermement) et m'avait fusillé du regard. Comme si j'étais responsable de la nature d'un tel document ou pire, du sujet lugubre qu'il représentait. C'est absurde, mais ça a été aussi la même chose lorsque j'ai évoqué Céline, Albert Speer ou Drieu la Rochelle, comme si je devenais le collaborateur de service, l'ennemi public. Ridicule ! Je crois que quoi que l'on devienne, il faut assumer ses responsabilités et je le assume quoique l'on puisse me reprocher. Je ne regrette rien !

Si on compare "Immortel" à Taxi Girl, Étienne Daho ou Rise and Fall of a Decade, ça te semble cohérent ?
Oui bien sûr, sauf pour le dernier.

Que penses-tu de chacun de ces artistes ?
Taxi Girl est une influence évidente que j'ai toujours très clairement affichée. J'ai eu mon premier disque d'eux en 1980 et je suis toujours très admiratif de ce qu'ils ont fait. Sans Taxi Girl, je n'aurai jamais écrit en Français. Je n'aurai jamais écrit tout court. Ni développé ma musique comme elle est aujourd'hui.
Étienne Daho, je l'aime bien, je ne suis pas fan, mais il a écrit de bonnes chansons. J'aime beaucoup "Le Grand Sommeil", et sa touchante reprise de Si je m'en vais avant toi de Françoise Hardy. C'est est un des rares artistes à avoir su reprendre Édith Piaf sans se couvrir de ridicule. Dans un registre un peu similaire, il y a aussi Dominique A dont certains morceaux m'ont beaucoup impressionné.

Par ailleurs, quels sont les disques importants qui t'ont marqué ?
Il y en a eu beaucoup bien sûr, c'est difficile de faire une liste exhaustive sans en oublier. Mais bon, je peux me prêter à l'exercice du listing : je commencerais par Taxi Girl tout de 79 à 86, Soft Cell les 3 premiers albums, Kraftwerk tout jusqu'en 1981, Suicide tout jusqu'en 1986, Robert Rental tous les singles et collaborations avec Daniel Miller et Thomas Leer, les deux albums de Yazoo, Erasure avec un grand faible pour "Wild, I Say I Say I Say" et "Nightbird", Depeche Mode avec "Speak and Spell", les 3 albums de Fad Gadget, Les Joyaux De La Princesse avec "Osternbraun" uniquement, Ain Soph avec "4", Joy Division avec "Unknow Pleasures", Laibach avec "Kapital", Test Dept avec "Gododin" et surtout "Proven in Action", Dead Can Dance tout jusqu'à "Into the Labyrinth", Boyd Rice & Franck Tovey sur leur unique album, Marc Almond tout jusqu'à "Jacques", Dominique A tout jusqu'à "L'Horizon", John Foxx notamment "Metamatic", Human League avec "Reproduction" et "Odyssey"...