Propos recueillis
en octobre 2010


DERNIÈRE SORTIE :
"Void();"


SITE OFFICIEL :
www.accesstoarasaka.com

LABEL :
www.tympanikaudio.com
Par Bertrand Hamonou  
Photo D.R.  

Rob Lioy n’est pas un musicien comme les autres. Admirateur de la complexité des mathématiques, ce jeune Américain s’en inspire pour programmer une musique riche et tout aussi complexe, à la croisée des mondes de l’ambient, de l’IDM et de la glitch music. Créant au départ pour lui-même sous le pseudonyme d’Access to Arasaka, le voici signé chez le prestigieux label Tympanik Audio chez qui il vient de publier un troisième album d’une précision et d’une rigueur dignes d’un génie en physique quantique. Tout naturellement, nous avons voulu en savoir un peu plus sur ce bidouilleur d’équations.

Commençons par ton parcours et ton background musical. Qu’est-ce qui t’a poussé à composer le type de musique électronique que tu produis, quels artistes t’ont inspiré ?

Mon background musical est assez éclectique en fait : mes parents m’ont élevé à travers un mélange bizarre de rock et de jazz. Et même s’il est difficile de s’en rendre compte dans mes compositions, ces deux courants musicaux jouent un rôle important dans ma propre musique. J’ai grandi dans les 80s, et de ce fait, j’ai été exposé à toute la new wave ainsi qu’à l’avènement de la musique électronique. Certaines chansons comme le Saved By Zero de The Fixx paraissaient tellement futuristes à l’époque, j’adorais ça ! Ensuite, je ne sais pas trop ce qui m’a propulsé dans la direction de l’ambient et de la glitch music. J’ai toujours eu envie de faire quelque chose comme ça, ça me paraissait tellement séduisant. J’ai donc fini par m’asseoir et me jurer que je ne me lèverai pas de ma chaise tant que je n’aurai pas au moins essayé d’en faire. Et j’affine continuellement mon approche à chaque fois depuis ce jour. En ce qui concerne les influences, même si beaucoup pensent à Gridlock, j’avoue ne les avoir découverts que récemment. Et je suis devenu un énorme fan depuis. D’une manière plus directe, les trois disques qui ont le plus façonné ma musique sont le "Nine" d’Autechre, "Orblivion" de The Orb, et "Emit Ecaps" de Spacetime Continuum. Ces albums ont eu un impact indéniable sur celui que je suis devenu aujourd’hui, musicalement et personnellement.

À mon sens, ta musique doit beaucoup aux mathématiques, de la même manière que celle de Proem. Tout y est très précis, millimétré, un peu comme si tu avais le pouvoir de découper chaque seconde en milliers d’unités que tu pourrais réordonner à ta guise, en associant un son à chacune d’entre elles. Comment parviens-tu à ce résultat, comment créées-tu un titre d’Access to Arasaka ?
Merci pour le compliment ! Tu as raison, le travail de Proem est très mathématique, et je suis un inconditionnel de ce qu’il fait, sa musique m’inspire beaucoup et comme tu le dis, c’est comme s’il calculait chaque petite unité de chacun de ses titres. En fait, j’ai toujours adoré l’aspect mathématique de l’IDM, la façon dont le chaos est ordonné. De temps à autre, je m’en écarte complètement pour créer quelque chose sans rapport au temps, du moins sur une partie d’un morceau, un peu comme pour m’autoriser à ignorer les règles. Mais c’est dur pour moi, car je pense que mon esprit est focalisé sur l’aspect mathématique de la chose. Dès lors que je crée un titre, tout commence par un seul élément. Cela peut être une ambiance, un son au synthé, ou simplement une ligne rythmique. À partir de là, je le laisse évoluer comme il l’entend. Puis j’écoute et je réécoute, autorisant de nouveaux aspects à émerger dans mon esprit. Ensuite, je fais de mon mieux pour l’attraper, et je maudis la terre entière lorsque je n’y arrive pas, c'est-à-dire souvent ! Je suppose que la musique se joue de moi tout autant que j’en joue. Nous avons une relation en synergie l’un avec l’autre.

D’ailleurs, ton dernier EP "==null" et ton nouvel album "Void();" font directement référence à des langages de programmation informatique. Quelle est l’idée derrière ces titres ?
Les titres "==null" et "void();" sont clairement basés sur la programmation, oui. J’ai toujours été fasciné par la communauté des hackers, qui m’a d’ailleurs amené à aimer le cyberpunk. Pour le EP et ce nouvel album, j’ai passé beaucoup de temps à regarder des documentaires sur les hackers de téléphones et les débuts des hackers, tout en lisant et relisant "Burning Chrome" de William Gibson. D’une certaine manière, je voulais relier le passé et le futur de la programmation et du hacking à travers la musique. J’ai donc employé plus de sons analogues, tout en m’efforçant de me concentrer tout autant sur les aspects glitch. Je ne suis pas sûr d’avoir réussi mon coup, mais c’était marrant à faire. Le résultat est plus minimal que ce à quoi je m’attendais, et je pense que le manque de mélodie risque de dérouter certains auditeurs.

Les titres du EP ":Port" étaient également dans la même veine si je me souviens bien.
Les titres de ":Port" étaient en fait issus de tickets de compagnies aériennes provenant de vols que j’avais effectués. J’étais là, assis dans un aéroport, contemplant mon ticket, en essayant de trouver un sens à ces suites alphanumériques imprimées sur mon billet. D’une certaine manière, j’ai toujours été inspiré par les aéroports. À cette époque, j’avais en moi une envie de perte et d’aventure. Cet EP en particulier a commencé de cette manière, dans un aéroport, et je l’ai enregistré dès que je suis rentré chez moi.

Cette fascination pour la programmation et les chiffres me font imaginer que tu travailles comme programmeur informatique lorsque tu ne composes pas de musique ? Ton site internet s’inspire également de cette fascination pour les mathématiques.
Si seulement ! Mais non, je n’ai pas un job aussi cool que ça. En fait, j’ai plutôt un job banal qui ne m’aidera jamais à avoir une bonne retraite, ni une bonne couverture sociale, qui ne me sert qu’à payer mes factures en gros. Je suis allé à l’université pour y apprendre le graphic design, qui était en fait surtout orienté sur la création de websites. J’ai une formation en C++, mais n’ai jamais rien développé de substantiel. Mon esprit était ailleurs. Quant à l’utilisation du code sur mon site internet, il est à moitié basé sur l’esthétique du code lui-même, et à moitié basé sur mon admiration pour les gens qui écrivent tout ce code destine aux centaines de programmes que nous utilisons tous chaque jour. Beaucoup trop de gens oublient qu’il y a un design derrière ces lignes de codes, qui ont dû être écrites à partir de rien.

Tu as sorti des EPs et des albums gratuitement via ton site internet avant de signer sur Tympanik Audio. Maintenant que tu as un contrat avec un label, tu continues à offrir de la musique via ton site, comme tu l’as récemment fait avec le EP "==null". Qu’est-ce qui te motive dans cette démarche, et comment voient-ils la chose chez Tympanik Audio ?
Je pense qu’offrir de la musique gratuitement est ancré en moi depuis le début. J’ai principalement fait de la musique pour moi-même, puis je l’ai uploadée sur le net uniquement pour le fun. Je me disais qu’il y aurait peut-être une personne quelque part qui l’apprécierait, et qui étais-je pour l’en en priver ? Paul de Tympanik a été incroyable depuis que j’ai commencé à travailler avec lui et je crois qu’il comprend mon désir de diffuser librement ma musique. En plus, je sais que la politique de Tympanik est de sortir des albums plutôt que des EPs, je ne considère donc pas que je leur ôte le pain de la bouche en offrant des EPs gratuitement.

Mais dans ce cas, pourquoi avoir conclu un deal avec un label ?
J’ai simplement signé avec Tympanik en me basant sur leur amour de la musique propre à toute personne qui travaille avec eux. Tous les artistes, tous les employés du label, font ce qu’ils font car ils croient profondément à la présence de la musique dans nos vies. Leur but n’est pas de faire des millions de bénéfices et ils ne veulent pas limiter l’expression des artistes dont ils publient les disques. Avant même d’avoir sorti quoi que ce soit avec eux, je me sentais déjà comme chez moi. Malgré mon désir d’en vivre, ça ne me dérangerait pas si je devais ne jamais gagner un centime grâce à ma musique. Je le fais parce que j’adore ça, et aussi parce que j’en ressens le besoin, c’est ma thérapie. Même si mes premiers EPs ainsi que mes sorties sur le net label Illphabetik étaient gratuites, la première fois que j’en ai vu les torrents disponibles, j’étais à la fois choqué et heureux de constater que les gens les voulaient de cette manière. C’est un peu différent avec les sorties physiques chez Tympanik. Une partie de moi pense toujours que tout le monde devrait avoir accès à tout, sans aucune limite. Mais maintenant que le label compte aussi sur mes ventes pour rentrer dans ses fonds, je n’aime pas les savoir pénalisés parce qu’ils ont voulu croire en moi. D’ailleurs, tous les artistes que je connais doivent faire face au même problème. C’est à la fois flatteur et agaçant. De toutes les manières, et comme l’ont souligné mes collègues, ceux qui se passionnent véritablement pour la musique achèteront les disques quoi qu’il arrive.

Mais comment fais-tu pour te distancer à ce point de la vente de tes disques ?
En ce qui me concerne, je ne fais pas ça pour vendre des disques. Ce qui m’intéresse, c’est plutôt le processus de création, et plus récemment, le fait que des auditeurs écoutent ce que je fais. Je fais encore de la musique pour moi-même, mais aujourd’hui j’ai un stress supplémentaire, qui est d’espérer que quelqu’un d’autre va apprécier ce que je fais, et plus spécialement lorsqu’il s’agit d’un CD que l’auditeur achète. Mais bon, tout le monde doit gagner sa vie, et il se peut qu’un jour je sois obligé de compter sur la vente de mes disques pour vivre. Même si cela devait devenir le cas, ça ne m’empêchera pas de créer des titres spécialement destinés à la libre distribution. Il m’est moi aussi arrivé de devoir décider entre acheter un CD à $10 ou suffisamment de nourriture pour la semaine. Je pense que je veux continuer à ce qu’au moins une partie de ma musique reste disponible pour tout le monde, peu importe où l’on habite et les problèmes que l’on rencontre.

À propos, comment t’es-tu retrouvé sur Tympanik Audio ?
C’est une histoire un peu magique que je ne comprends toujours pas bien. Je ne suis pas trop sûr de qui en est à l’origine, mais l’un des artistes signés Tympanik a envoyé des titres à moi à Paul. Paul, en retour, m’a envoyé un email me demandant si je serais intéressé de sortir des disques chez eux. C’est un peu surréaliste et je suis aujourd’hui encore étonné que ça ait marché de cette façon.

Te sens-tu proche de la plupart des artistes du label ?
Oui, énormément. La communauté Tympanik est hors du commun. La plupart d’entre nous communique dès que nous en avons la possibilité, même si c’est parfois par le simple biais d’un message posté sur Twitter. Malgré le fait que Tympanik continue de grandir en signant de nouveaux artistes, les anciens envoient toujours des emails de bienvenue aux nouveaux arrivants. Nous partageons beaucoup de musique entre nous, et nous partageons aussi nos avis les uns les autres. C’est très motivant et personnellement, je me nourris des progrès des autres. Nous ne sommes pas des artistes qui attendent juste la sortie de leur prochain disque, nous nous intéressons à ce que chacun fait sans qu’il y ait de compétition entre nous.

Tu vas à l’encontre de beaucoup de musiciens appartenant à la même scène que toi en n’utilisant que peu de saturations, de hautes fréquences, ce qui rend ta musique encore plus belle. Est-ce un choix que tu as fait et auquel tu te tiens ?
Merci ! C’est partiellement un choix conscient, en effet. J’ai toujours aimé les sons durs, et j’en utilise dès qu’ils peuvent correspondre au morceau sur lequel je travaille. Mais comme mes créations tournent autour d’un concept, j’essaie de rester dans les barrières de celui-ci. Je pense que la face ambient de mon travail provient de ma passion pour la musique électronique pure telle que celle d’Orbital et de The Future Sound of London. Et puisque je considère le monde du cyberpunk comme à la fois violent et magnifique, j’essaie de capturer ces deux aspects moi aussi. Bien sûr, tout ceci est probablement dû au fait que j’ai simplement trouvé une équation qui fonctionne pour moi, et dont j’ai beaucoup de mal à me détourner. Ma musique évoluera si elle choisit de le faire, je suppose. Ou alors si j’apprends comment la faire différemment.

Tu as remixé Zentriert Ins Antlitz, ESA, Lucidstatic, Totakeke, Candle Nine, Klangstabil, la plupart d’entre eux sont aussi du même label que toi. Êtes-vous encouragés à vous remixer les uns les autres ?
Ce n’est pas tant de l’encouragement que des opportunités. En général, Paul nous envoie un email nous demandant si nous voulons faire un remix pour untel. Personnellement, je le fais dès que c’est possible. J’adore et je respecte chaque artiste du label, et je suis toujours honoré de pouvoir travailler avec eux même indirectement, sous la forme d’un remix.

En parlant de remixes, justement, y a-t-il des artistes que tu aimerais remixer, sans qu’ils fassent pour autant partie de la scène IDM/electro ?
J’adorerais faire un remix pour Fever Ray, oui. Et ce serait fantastique de pouvoir expérimenter avec la voix de Feist, par exemple. Il y a même les compositions et le chant de groupes de rock indé comme Warpaint qui sont absolument captivants. Bien que ces courants musicaux ne se mélangent pas forcément, j’adorerais avoir la chance d’expérimenter dans cette direction là.

À propos de chant, tu glisses de temps en temps un titre chanté sur tes albums. Tu l’as fait sur “METAX” et sur “Oppidan”. Est-ce quelque chose que tu vas continuer à faire ?
Certainement. Je n’en ai pas mis sur "==null" ni sur "void();", tout simplement parce que je ne sentais pas des vocaux s’incorporer dans le concept de ces sorties, je m’orientais plutôt vers une atmosphère machine-musique. Cela dit, les vocaux que l’on m’a fournis par le passé m’ont beaucoup inspiré. J’adorerais en incorporer encore plus dans le futur. Le plus difficile avec cet exercice est de ne pas minimiser l’importance de la musique face à la voix. Quand c’est bien fait, ce que je ne suis pas sûr d’avoir réussi à accomplir jusqu’ici, c’est quelque chose qui peut se révéler très émouvant.