Propos recueillis
en février 2011


DERNIÈRE SORTIE :
"Eggs Are Funny"


SITE OFFICIEL :
mewsite.com

LABEL :
evil-office.net
Par Bertrand Hamonou  
Photos D.R.  

D’une richesse mélodique exemplaire, le groupe Mew est injustement méconnu dans notre pays. Originaire du Danemark, ce trio aventureux fabrique des disques d’une qualité pop irréprochable, brillante et tellement intelligente, où les très bonnes idées se télescopent à la manière d’un jeu de piste, titre après titre. Après cinq albums studio au sujet desquels les superlatifs ne manquent pas, la dernière sortie du groupe est une compilation rétrospective, l’occasion pour les membres de faire une pause avant d’enregistrer un sixième opus que l’on attend impatiemment. Entretien avec Jonas Bjerre, le chanteur de Mew, qui nous livre quelques secrets sur le jeu et la méthode de composition Mew.

Mew ne bénéficie pour ainsi dire d’aucune promotion en France. Les disques ne sont pas faciles à trouver, et l’on ne sait rien du groupe. Quelle en est la raison, à ton avis ?

Oui, tu as tout à fait raison, c’est une véritable tragédie, et c’est assez difficile de savoir pourquoi ! Nous n’avons joué que deux fois en France. Il y a des pays où les choses décollent vite, d’autres où ça prend un certain temps, et enfin ceux où tout va très très lentement. J’imagine que c’est une question de chance et de bon timing. Il y a l’éternelle question de savoir s’il faut jouer beaucoup de concerts dans un pays pour y promouvoir un disque ou bien s’il faut tout d’abord sortir le disque, attendre que les choses se fassent, et ensuite tourner. C’est très différent d’un pays à l’autre à vrai dire. Je dois admettre que pour le dernier album, nous avons surtout tourné aux USA, au détriment de l’Europe. Mais bon, on a quand même joué deux fois à Paris avec ce disque ! J’ai vraiment apprécié ces deux concerts, surtout notre propre concert (à la Maroquinerie -ndlr) qui était super intime et le public était vraiment incroyable, c’était un peu comme être chez soi. Je pense qu’il faut qu’on revienne jouer chez vous.

Très bonne idée. Anticipons donc votre prochaine venue et présente-nous le groupe.
Nous sommes donc Mew, et ça fait longtemps que nous avons oublié pourquoi nous nous appelons comme ça. C’était de toute façon bien avant le Pokémon du même nom, et cela n’a d’ailleurs rien à voir. Nous venons tous de Copenhague au Danemark, et certains d’entre nous se connaissent depuis l’école, c'est d'ailleurs là que nous avons commencé à jouer de la musique ensemble. Aujourd’hui, le groupe se compose de Bo Madsen à la guitare, Silas Graae à la batterie et moi, Jonas Bjerre, au chant. Quant à notre musique, je crois qu’elle est assez difficile à définir de manière précise.

Vos chansons sont souvent plus complexes qu’elles n’y paraissent à la première écoute. J’ai souvent l’impression que plusieurs morceaux sont rassemblés en un seul. Comment faites-vous cela ?
Hmm... ça dépend. C’est un processus très collectif en fait, et c’est notre manière de fonctionner depuis nos débuts. Au démarrage, l’un d’entre nous apportait une idée, et les autres l’embellissaient ou la retravaillaient en ajoutant d’autres éléments. Mais aujourd’hui c’est plutôt devenu un processus collectif qui a lieu dans notre salle de répétition, lorsque nous jetons les bases du squelette d’un titre. Ensuite, nous passons des mois à nous creuser la tête pour savoir qu’en faire. Il arrive aussi que ce soit très instinctif, nous commençons à jouer et c’est un peu comme si la chanson savait d’elle-même où aller. Mais comme tu le dis, nous avons effectivement la volonté d’insérer plusieurs idées dans chacune de nos chansons, des choses que tu peux découvrir au fur et à mesure des écoutes, et qui vont te surprendre. Donc oui, cette partie-là est faite consciemment. C’est une sorte de mixture à la fois immédiate et mystérieuse, et c’est exactement ce que nous voulons arriver à créer. Non pas que nous voulons à tout prix être mystérieux, ni quoi que ce soit, mais d’une certaine manière la musique doit rendre perplexe, même pour nous qui la jouons.

D’une certaine façon, cela me rappelle les constructions des titres des Boo Radleys, lorsqu’ils écrivaient leurs chansons de manière conventionnelle, pour ensuite les déconstruire au moment de l’enregistrement. Est-ce un groupe qui vous a influencé ?
Pour être franc avec toi, je ne connais pas bien les Boo Radleys, et je doute fort que les autres dans le groupe les connaissent. Mais ils ont l’air vraiment intéressants si la description que tu en fais est vraie ! En plus, si leur nom provient du personnage mystérieux du livre "To Shoot a Mocking Bird", alors ils doivent avoir de très bons goûts en matière de littérature également. (il s’agit en fait du livre "To Kill a Mocking Bird" de l’écrivain Américain Harper Lee, dans lequel trois enfants sont à la fois terrorisés et fascinés par leur voisin Boo Radley -ndlr).

Quels artistes ont eu une influence sur votre manière de composer ?
Je pense que c’est venu par vagues successives. En fait, et ce n’est pas pour flatter les Français que je dis ça, un de mes premiers artistes favoris a été Jean-Michel Jarre. Mon père écoutait beaucoup ses disques, et "Zoolook" était mon préféré. Sa musique ma parlait vraiment, je crois qu’elle nourrit énormément l’imagination. J’écoutais plusieurs de ses albums dans mon walkman lorsque je passais la plupart de mes vacances d’été chez mes grands-parents, sur une petite île. Pour chaque album, je m’inventais un voyage dans ma tête, imaginant des endroits qui n’existaient pas. C’était une échappée totale. Beaucoup de gens oublient ces abstractions aventureuses lorsqu’ils grandissent, mais moi je m’y tiens encore. Bo, notre guitariste, écoutait principalement Prince en grandissant. J’imagine que la plupart des choses que j’écoutais alors étaient les disques que mes parents passaient : Eurythmics, Supertramp, Grace Jones, The Beatles… Ensuite, bien sûr, est arrivée la vague du rock alternatif, et tout à coup il n’était plus cool du tout d’écouter de la musique pop. Mais après plusieurs années passées à écouter du rock alternatif, nous nous sommes replongés dans la pop. J’adore la pop lorsqu’elle est intelligente, comme peut l’être celle de Kate Bush et de Prefab Sprout. Ceci dit, je crois que le rock alternatif de Sonic Youth, My Bloody Valentine, The Pixies, Dinosaur Jr. ainsi que celui de la scène des années 80 en général est perceptible dans notre musique. Il y a encore aujourd’hui des choses très intéressantes qui proviennent de ce mouvement.

Je me souviens d’avoir lu un post sur votre site internet qui disait qu’une de vos chansons s’était retrouvée sur un programme de karaoké. C'est vrai ?
(Rires). Ah oui, c’est une histoire qui nous a été racontée par les membres de notre équipe lorsqu’ils sont sortis après un de nos concerts à Tokyo. On a trouvé ça cool qu’une de nos chansons se retrouve à ce stade, celui du karaoké, d’autant plus que ce genre de chose est très populaire au Japon. Je suis flatté qu’un de nos titres ait atteint ce niveau de popularité là-bas, c’est un pays vraiment génial et tellement intéressant.

Vous avez ouvert pour les concerts de Nine Inch Nails en 2009 lors de leur dernière tournée, où vous avez pu jouer au Zénith de Paris. Votre prestation ce soir-là était tout bonnement stupéfiante. Comment s‘est fait ce rapprochement ?
Merci ! Nous savions depuis déjà un moment que Trent s’intéressait à nous, plusieurs personnes nous l’avaient rapporté. Il nous avait déjà demandé de partir en tournée avec lui quelques années plus tôt, mais nous enregistrions un album à ce moment-là et cela n’a malheureusement pas pu se faire à l’époque. Nous avons été ravi qu’il nous sollicite une seconde fois. J’étais un peu inquiet sur le fait que son public trouve notre musique trop douce, ou du moins pas assez dure, mais j’ai vraiment trouvé que les concerts se sont très bien déroulés. Nous avons fait les tournées européennes et américaines avec Nine Inch Nails, qui étaient supposées être les toutes dernières du groupe, même si j’espère que ce ne sera pas le cas. Trent a été incroyablement sympa avec nous, et très généreux aussi : il n’arrêtait pas de nous complimenter, ce qui nous semblait complètement surréaliste.

Vous avez enregistré cinq albums et vous venez de publier votre première compilation, "Eggs Are Funny". Qu’est-ce qui vous a poussé à le faire, et comment avez-vous sélectionné les titres qui y figurent ?
Nous voulions juste nous faire de l’argent (rires). Non, ce n’est pas vrai, nous voulions simplement regrouper ces chansons pour faire une présentation du groupe aux gens qui ne nous connaissent pas, ainsi qu’à ceux qui nous connaissent déjà et qui désiraient une super sélection rétrospective de nos chansons, et leur présenter notre développement musical au fil du temps. La version "deluxe" du disque est sortie avec un DVD qui contient tous les clips que nous avons faits durant notre carrière, ainsi qu’un CD supplémentaire identique à l’autre, que l’on peut offrir à un ami qui ne connaît pas Mew. Honnêtement, je ne me suis pas tellement impliqué dans la sélection des titres, ce sont plutôt Silas et Bo qui les ont choisis. En revanche, je me suis occupé de la pochette qui est un morphing précis de nos trois visages et qui devient alors une tout autre personne, un nouveau personnage qui n’existe pas vraiment, mais qui représenterait exactement Mew.

Malgré vos tournées incessantes aux USA, en Europe et au Japon, avez-vous du temps à consacrer à votre sixième album ?
Bien sûr ! Même s’il est notoire que nous mettons très très très longtemps à finir nos disques. Espérons que ce ne sera pas le cas pour celui-ci. Comme tu le dis, nous avons beaucoup tourné depuis la sortie du précédent, et nous nous accordons un peu de temps de repos pour respirer. C’est probablement la première fois en dix ans que nous le faisons, quand j'y pense. Pendant cette pause, chacun d’entre nous se consacre à d’autres projets, tels que des musiques de film, de l’art, etc. Et puis nous prenons tout simplement le temps de vivre nos vies.