|  Propos recueillis en février 2012
DERNIÈRE SORTIE : "Hunter, not the Hunted" |
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|  |   |  |      | Par Yannick Blay | Photos D.R. |
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|  | And Also The Trees est un des rares groupes qui, depuis près de trente ans de bons et loyaux services, ne déçoit jamais, que ce soit sur disque ou sur scène. "Hunter not the Hunted", le nouvel album des romantiques anglais est une nouvelle fois incontournable et c’est avec une joie non feinte que nous retrouvons les frères Jones qui nous reçoivent dans les bureaux de leur distributeur Differ-Ant à Montreuil. Malgré une nuit un peu trop arrosée de Côtes du Rhône et de Calvados, Simon et Justin sont toujours des plus affables. Il me semble que votre nouvel album s’est nourri de votre tournée acoustique. C’est votre disque le plus romantique, sans doute, avec ces nombreuses ballades… Justin Jones : Oui, il y a même deux morceaux très narratifs. Pour la tournée acoustique, on a parfois épuré les chansons au maximum et on avait aussi cela en tête en faisant l’album, sans doute… Simon Huw Jones : Oui, le récit est plus important que jamais, tu as raison. Et le côté ballades s’est nourri de notre projet acoustique, même si cela ne s’est pas fait délibérément. Pour les sets acoustiques, on a choisi les chansons qui avaient les plus fortes mélodies vocales, cela n’aurait évidemment pas fonctionné autrement. Alors on a choisi A Room Lives in Lucy. En fait, cette chanson n’est pas forcément le meilleur exemple… Belief in a Rose est un meilleur exemple. Et cela a eu une répercussion sur notre façon d’écrire ce disque, car ça m’a poussé à aller plus loin dans les paroles. Cela nous a amenés, de manière non préméditée, à considérer notre musique différemment, à prendre d’autres chemins. Vocalement, sur le fond donc, mais aussi sur la forme, avec le fait qu’on a laissé plus d’espaces dans notre musique. Sur le plan du son et de la dynamique, l’expérience acoustique a donc bien eu une influence sur ce disque, d’autant qu’on ne voulait pas faire un deuxième "(Listen for) the Rag and Bone Man" ; il nous fallait nous en éloigner un petit peu. Votre manière de composer a donc évolué ? Les chansons sont toutes parties du chant et de la guitare, la batterie est arrivée bien après. Mais encore une fois, rien de délibéré. Cela s’est juste passé comme cela. Vous vous êtes réunis juste tous les deux, peut-être comme à vos tous débuts ? Justin : Pas vraiment. C’était plus fragmenté. On a écrit une chanson en pleine tournée, chose que l’on n’avait jamais faite auparavant… C’était lors d’un voyage entre la France et l’Allemagne, entre deux dates. On est passé par les Vosges et on s’est arrêté dans une maison pour trois ou quatre jours. Il faisait très froid, la neige a commencé à tomber, et cela ne s’est plus arrêté durant tout notre séjour dans ces montagnes et c’était magnifique. Simon : On a alors juste composé la musique, on n’avait pas encore les paroles, je crois… Justin : Oui, juste la musique de The Woman on the Estuary. Simon : Mais pour les autres chansons, on a composé ensemble, guitares plus chant. On n’avait jamais travaillé comme cela, excepté peut-être comme tu le dis, aux tous débuts d’And Also The Trees. D’habitude, Justin m’envoyait une idée de guitare et j’écrivais les paroles à partir de celle-ci, chez moi. Là, j’ai chanté directement sur ses idées musicales. On est probablement revenu à l’innocence de nos débuts, oui. Justin : Ces changements nous ont fait du bien, mais le processus a été plus long et plus difficile. Mais il n’y a aucun intérêt en tant que musicien à se répéter, n’est-ce pas ? C’est clair. Et pourtant, votre son est toujours reconnaissable entre mille. Pour moi, vous êtes mon groupe italien fantasmé. Je n’ai jamais trop aimé les groupes italiens, mais quand je vous écoute, je pense plus à l’Italie qu’à l’Angleterre bizarrement (rires)… Et ce disque me fait beaucoup penser à Venise… Simon : Oh (rires) ! Il faut dire qu’il y a beaucoup d’eau dans cet album. L’élément liquide y est très important. Avant d’écrire les paroles de The Woman on the Estuary, je savais que cela aurait un rapport avec la mer. Pendant quelque temps, j’étais dans une mauvaise direction avec ces paroles puis un jour, j’ai pris mon dictaphone et c’est venu tout seul (il chante un couplet -ndlr). Ca sonnait bien, ça parlait d’amour, pourquoi pas, tant que je parle de ma femme (rires). Et ça parlait finalement plus d’un estuaire que de la mer… Et ça m’a rappelé le passage d’un livre, une scène d’un film, tout se mélange si bien que l’on ne sait plus trop d’où tout cela vient, si ce n’est de la musique. Et je redécouvre encore aujourd’hui sur scène le sens de certaines de mes paroles écrites bien plus tôt. Ce n’est jamais tout à fait clair et ça évolue tout le temps. Pour en revenir à l’élément liquide, même sur un titre tel que My Face is Here in the Wild Fire où le feu devrait dominer, l’élément liquide semble pourtant plus fort, de par la fluidité du morceau… C’est vrai, je suis tout à fait d’accord ! La pochette représente d’ailleurs un paysage aquatique… C’est une peinture d’un paysage danois, peinte par un Danois. On a découvert cette œuvre par l’entremise d’un artiste allemand pour qui nous avons fait un concert au Konzerthalle à Berlin. Celui-ci nous a fait découvrir le travail de ce Danois qui fait beaucoup de paysages maritimes. Il aime notamment peindre répétitivement le même paysage, à différentes saisons et à plusieurs années d’intervalle. Et cette peinture nous a paru être la pochette parfaite pour illustrer notre nouvel album. On n’avait pas le Danemark en tête, ni même Venise lorsqu’on a composé, mais plutôt l’est de l’Angleterre et ses terres humides. Pourtant, cette peinture nous a paru parfaitement appropriée. L’élément liquide nous est apparu après la composition de l’album. On s’est rendu compte que cela était très présent. Mais je ne sais pas pourquoi je chante autant sur l’eau. Est-ce parce que je vis dans une maison à la jonction du Rhône et de l’Arve ? Mais comme tu l’as dit, la musique est très fluide, mes paroles et ces images de paysages au bord de l’eau se sont donc certainement inspirées de la musique. Stuart A.Staples dit souvent que la chanson réclame telle ou telle instrumentation et que par exemple, il va rajouter des cordes pour plus de fluidité, simplement parce que le morceau l’exige… Justin : On ne fonctionne pas comme cela. Nous nous réduisons délibérément au minimum de possibilités sonores, surtout pour cet album. Je pousse ma guitare dans ses derniers retranchements afin qu’elle sonne différemment et que se crée une sorte de paysage musical. Il pourrait y avoir du violon, cela pourrait être très joli, mais je crois que je peux rendre à peu près la même chose avec ma guitare. Je cherche à pousser au maximum de ses possibilités mon instrument, de la manière la plus créative possible, avant d’avoir recours à d’autres instruments. Simon : On voulait limiter les sons de manière à garder une certaine cohésion. J’aime la façon dont Justin fait parler sa guitare, c’est stimulant. Cette manière de faire et de limiter les instruments explique certainement que notre son soit reconnaissable entre mille. Hunter, not the Hunted, le titre éponyme, est aujourd’hui un de mes titres préférés et n’est pourtant pas un morceau qui accroche immédiatement l’oreille… Intéressant… ...tandis que My Face is Here in the Wild Fire accroche dès la première écoute. Oui, cela m’a fait la même chose lorsque Justin a trouvé cet air en grattouillant sa guitare. Je pense qu’il avait oublié que j’étais dans la pièce et je lui ai dit : "Attends une minute, ça c’est terrible !" Je l’ai laissé travailler dessus, on a ajouté une autre guitare et c’était magique. J’ai su tout de suite que c’était un merveilleux morceau de musique, car il m’a ému dans la minute où je l’ai entendu. Ça me donne tout de suite envie d’en faire partie, de participer à la chanson, et même, de me l’approprier. C’est ce qui me pousse à faire de la musique, ce qui explique ma passion, je suppose. Mais ma première priorité a été pour ce morceau de ne pas gâcher cette mélodie avec mon chant. J’ai fait plusieurs essais en faisant attention à ne pas interrompre cette belle mélodie de guitare. Je n’ai fait qu’ajouter des couleurs et des images avec ma voix, et il n’y avait rien de plus à faire, je pense. Quant à Hunter, not the Hunted, cela fait partie des toutes premières idées qui nous sont venues pour cet album. Mais ce titre n’a cessé d’évoluer, je changeais constamment le chant. Je gardais les mêmes idées de paroles, mais cela évoluait sans cesse. Ce n’est pas une chanson qui s’apprécie instantanément. Alors, espérons que d’autres que toi l’écouteront plus d’une fois et rentreront dedans. Justin : C’est un album exigeant… ...Et riche. Il n’y a plus beaucoup d’albums comme cela, il me semble. Le dernier qui m’a paru riche et exigeant, c’était le dernier Portishead. Simon : Ah oui ! Il m’a fallu cinq ou six écoutes avant de l’adorer. Dernièrement, j’écoute aussi beaucoup A Place To Bury Strangers. Mais je sais que ce ne sont pas des albums qui dureront autant, ils n’ont pas la personnalité d’un Portishead, malgré l’attrait qu’ils peuvent avoir sur moi. Votre album est aussi plus personnel… Une chanson telle que Black Handled Knife est d’ailleurs assez surprenante, sans guitares… Justin : Merci ! Simon : Mais ce sont des guitares, en fait. Avec des effets spéciaux (rires). Justin : C’était assez intéressant de mêler ma guitare à de l’électronique sans vraiment savoir ce que je faisais. Le son obtenu me rappelait celui des prières au Moyen-Orient, le soir. Il y a beaucoup d’espace dans ce morceau… C’est peut-être le plus sombre de l’album… Et il s’enchaîne parfaitement avec The Woman in the Estuary qui pour moi, est indissociable de Black Handled Knife. C’est difficile pour vous d’ordonner les morceaux d’un album afin de le rendre le plus cohérent possible ? Oui, très ! On a un rapport très étrange avec chaque chanson. Pour certaines, cela fait trois ans qu’on est dessus, pour d’autres, beaucoup moins. J’ai tendance à être obsédé par chaque chanson, une après l’autre, jusqu’à ce qu’elle me paraisse terminée. J’y pense jour et nuit. Ce n’est que quand le morceau me paraît fini que je peux passer à un autre… Pour moi, chaque chanson est comme un gros plan d’un grand tableau. J’avance touche par touche et plan par plan, jusqu’à ce que ça me convienne et je ne prends pas de recul. Alors, quand l’album est fini et qu’il faut réécouter toutes les titres, c’est comme prendre du recul pour moi afin de regarder ce que donne l’ensemble du tableau et cela m’effraie, j’ai peur du résultat (rires). Et après, il faut les ordonner, argh… Justin : C’est encore plus dur pour un CD que pour un vinyle qui comprend des breaks naturels et qui peut plus s’appréhender comme une pièce de théâtre. Depuis vos débuts, vos chansons semblent en effet comme divers tableaux, plus impressionnistes qu’abstraits… Simon : C’est parce que je n’ai pas d’éducation musicale. Je n’ai jamais pris de cours de musique ou de chant. Je suis peut-être plus un artiste visuel. Je vois plus les choses que je ne les entends comme devrait les entendre un musicien. Justin est lui aussi autodidacte. La musique pour nous est très instinctive, on ne sait pas lire la musique. On est tous deux aussi passionnés par les Arts visuels, la photographie, la peinture et le cinéma, que par la musique. Mais c’est un désavantage de ne pas savoir la lire, car tu te retrouves un petit peu comme un aveugle en compagnie d’autres musiciens. Mais Justin est tout de même beaucoup plus musicien que moi, aujourd’hui (rires). Justin : Tout est question de communication entre nous, je crois. En tout cas, je suis sûr que votre son si personnel vient de ce manque d’éducation musicale… Simon : C’est clair ! Nos désavantages peuvent être également un avantage. Mais, lors de mes récentes collaborations avec d’autres musiciens, cela a été plutôt un désavantage. J’ai l’impression qu’on ne parle pas la même langue, je ne comprends pas tout. C’est vraiment une question de langage, comme quand quelqu’un parle trop vite dans une langue dont tu n’as que quelques notions. Quand on te dit, il faut que tu soies en ré mineur et que tu ne sais plus trop quelle note c’est, avant que tu te rappelles : "Mais, bon sang, toutes nos chansons sont en ré mineur (rires) !" Justin, qu’est-ce qui t’a donné envie de jouer de la guitare, à la base ? Justin : (long silence -ndlr) Je ne sais vraiment pas. Si j’avais 14 ans aujourd’hui, je ne me mettrais certainement pas à la guitare. Ni à la musique… C’est illusoire, aujourd’hui. À mon école, il y avait un millier de personnes et aucun n’avait une guitare. Aujourd’hui, tout le monde en a une. C’est peut-être une bonne chose. Mais je pense qu’à l’époque, je trouvais ça élitiste et c’est ce qui m’attirait. Simon : Tu avais envie d’être différent. Faire un groupe à l’époque te donnait l’impression d’être unique et spécial, de faire quelque chose que personne d’autre ne faisait. Il ne faut pas oublier que l’on a grandi au milieu de nulle part, loin de Londres. Rien que d’entendre Justin jouer de la guitare, c’était excitant. Il reprenait les Buzzcocks sur une corde (il chante l’air de Boredom -ndlr) et c’était génial, car personne autour de nous ne savait jouer de la guitare. C’était un bel accomplissement… Justin : ...Et une magnifique découverte ! Je ne savais pas ce que je faisais, et je ne le sais toujours pas (rires). Si votre album était un film, quel serait-il ? Simon : Il y a un peu de "Ryan’s Daughter" de David Lean, je pense. Ces paysages grand ouverts avec de riches couleurs, mais aussi un aspect morne malgré la beauté de l’endroit. Un ami a décrit notre album comme à la fois beau et étrange, tout comme ce film, je pense. Justin : John Mills joue dans ce film, non ? Il joue l’idiot du village, je crois… Simon : Oui ! Je ne me rappelle pas de tout le film, ni même si je l’ai vu en entier, mais il y a des images marquantes. Ça se passe en Irlande ou en Écosse ? En Irlande, il me semble. Vous avez participé au projet "Terres Neuves" de Jérome Sevrette, un livre-objet illustré des musiques de divers artistes tels Ulan Bator ou Richard Pinhas. Oui. On lui a donné une chanson du deuxième album acoustique nommé "Driftwood" (paru à 1000 copies, pratiquement épuisé -ndlr), qui n’était alors pas encore sorti, car le projet a mis pas mal de temps à se faire. On lui a offert The Secret Sea. Justin : Quelqu’un nous a dit que "Driftwood" ressemblait à du National, et je suis assez d’accord. "Hunter, not the hunted" n’a rien à voir avec la chanson Hunter and the Hunted de Simple Minds, je suppose… Simon : Non, je ne connais pas ce titre. Je n’ai jamais vraiment écouté Simple Minds. J’aime entendre leurs chansons, à l’extérieur, mais je n’ai jamais acheté leurs disques… Et je ne les ai jamais vus en concert. Et toi Justin ? Justin : J’ai acheté un de leurs albums, "Sons & Fascination", que j’aime beaucoup. Pour finir, Simon, peux-tu nous parler de ton projet avec Olivier Mellano ? C’est un projet artistique singulier qui va se décliner sous la forme d’un triptyque mêlant différents types de musiques, acoustiques, électriques et électroniques. Cela sortira sous forme de coffret, à priori, avec trois versions du même disque : symphonique, électrique et électronique On doit tourner à la fin de l’année en proposant le tout sur une même soirée, ou bien des shows en versions séparées. J’ai dû chanter en plusieurs langues pour ce projet, ce n’était pas toujours évident (rires). |  |  |  | | |  | |
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