|  DERNIÈRE SORTIE : "Le Monde Saha"
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|  |   |  |        | | Par Christophe Lorentz | | Photos Chloé Jacquet |
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|  | Cela fait plus de dix ans que l’atypique Nehl Aëlin hante la scène indépendante française. À la croisée de plusieurs univers musicaux (heavenly voices, musiques du monde, trip-hop, musique japonaise, électro-pop, néoclassique), elle a réussi à créer son propre monde sonore et visuel, entre gravité et fantaisie, entre Tim Burton et David Lynch. Avec son dernier album en date, "Le Monde Saha", réalisé sous le parrainage du cinéaste Jean-Pierre Jeunet ("Delicatessen", "Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain"), la chanteuse-pianiste confirme son talent hors-norme et nous a donné envie d’en savoir plus sur sa personnalité.
Pour celles et ceux qui t’ont découverte avec "Le Monde Saha", comment décrirais-tu les deux opus qui l'ont précédé ? Le premier a déjà fêté ses 10 ans en 2012 ! Il est entièrement électronique, et je joue encore beaucoup de titres de cet album en live, réadaptées avec mes musiciens d’une manière plus acoustique. Il s’agit de chansons d’univers très différents, passant du trip-hop au gospel. Le second album, "Ghost of a Child", sorti en 2005, est un concept-album contant l’histoire d’une petite fille errant dans un monde étrange, qui connaîtra une fin tragique. Il a souvent été comparé à une musique de film ou de jeu vidéo assez sombre.
Avec le recul, comment juges-tu aujourd’hui ces deux premiers disques ? J’ai beaucoup de mal à écouter les parties électroniques qui font appel à des instruments virtuels, en particulier pour les cordes, vu que je joue depuis avec deux instrumentistes sur scène : violoniste et violoncelliste. Dans "Ghost of a Child", cela me gêne un peu moins, car les arrangements sont mieux gérés, mais j’aimerais pouvoir réenregistrer certains titres de mes précédents albums avec des instruments acoustiques. En attendant, je propose des versions alternatives acoustiques en live, avec batterie, basse, violon et violoncelle pour m’accompagner au clavier. Dans "Ghost of a Child" j’aime le côté concept, avec ses 56 minutes non-stop, cette histoire qui se développe et s’achève. Je pense refaire ce type de chose par la suite, peut-être dans le cadre d’une commande, qui sait…
On évoque Kate Bush, Tori Amos ou Dead Can Dance pour qualifier ta musique en général… Est-ce que ces artistes comptent effectivement parmi tes influences ? J’ai découvert le premier album de Tori Amos à 12 ans, et il m’a beaucoup touché. Puis, vers 18, j’ai écouté ses quatre autres disques, et j’ai été sous le charme de son univers. Tori Amos a elle-même été très influencée par Kate Bush : j’ai pris connaissance de son premier album bien plus tard, et on sent clairement son influence. Kate Bush est donc une influence indirecte. Dead Can Dance est aussi un groupe que j’apprécie beaucoup, leur musique est simple et transcendante, ils sont eux-mêmes beaucoup influencés par les musiques du Monde, et j’aime cette démarche artistique, je m’en sens proche. Ma plus grande influence reste la musique dite "classique" dans sa globalité, particulièrement l’époque romantique : j’ai grandi avec Tchaïkovsky, Saint-Saëns et Chopin, cela est en moi, et je découvre chaque jour une nouvelle œuvre sublime du répertoire classique.
Comment se fait-il que le disque sorte sur Danse Macabre, un label allemand principalement associé à la dark wave électronique ? Le label a tout de suite accroché, en me laissant totalement libre sur les titres présents sur le disque et le visuel, pas du tout "dark" pour le coup ! Et cela est très appréciable, ils me soutiennent et croient en cet album.
Comment composes-tu tes morceaux ? Est-ce le texte ou la musique qui vient en premier ? Composes-tu essentiellement au piano ? Je compose effectivement souvent au piano, mais pas uniquement. Il n’y a pas de règle : parfois le texte vient en premier, lorsque j’ai quelque chose de précis à raconter. Dernièrement, deux textes me sont venus au volant de ma voiture, et dans ces cas-là, ça rend les choses un peu compliquées pour noter les paroles qui me viennent ! D’autres fois, c’est la mélodie qui arrive, lorsque j’improvise au piano ; parfois le texte vient des mois plus tard, par exemple sur la chanson Dell. La création suit son propre chemin.
Il y a un unique titre en français à la fin du disque, mais tu chantes de toute façon majoritairement en anglais. Pourquoi ce choix de la langue anglaise ? Je ne choisis pas, les textes viennent à moi de cette façon ! Je vois une certaine pudeur dans l’utilisation de l’anglais : j’exprime mon ressenti par rapport à des faits souvent choquants à mon sens. Les dire en anglais, en utilisant des métaphores, me permet de ne pas trop en dire non plus. Mais depuis un peu plus d’un an, j’écris principalement en français et, étrangement, ces textes-là sont plutôt "cash" !
Qu’essaies-tu de transmettre à travers ta musique et tes textes ? Cela pourrait ressembler à une psychothérapie… Pour faire court, j’extériorise le mal. J’écris sur les choses qui me choquent, m’énervent, me révoltent, m’angoissent. Dans "Le Monde Saha", les chansons traitent des abus sexuels, du handicap, de la stérilité, de la perte de sa propre identité, jusqu’à l’arachnophobie ! Les textes se rapportent très souvent à des proches, et c’est ma façon de leur rendre hommage.
Tes disques proposent en général une certaine diversité d’ambiances, de styles et de sonorités. Est-ce que c’est le reflet de tes différentes émotions, ou t’es-tu donné comme objectif de ne pas te répéter d’un morceau à l’autre ? Non, il ne s’agit pas d’un objectif fixé, c’est totalement naturel de ma part. Je compose comme je suis, d’une façon passionnée. Et qui dit passion, dit émotions. Ces émotions-là ne peuvent pas être toujours les mêmes, ce seraient d’un ennui insupportable. Et je n’aime pas franchement m’ennuyer, tant dans la vie que dans la musique. J’ai besoin de me nourrir de musiques différentes, même si j’ai bien entendu mes disques favoris.
Tu as reçu des chroniques nombreuses et dithyrambiques sur tes deux premiers disques, et pourtant tu sembles toujours avoir du mal à diffuser largement ta musique… Comment expliques-tu cela ? Je ne l’explique pas trop, tout comme le fait que la seule production du disque "Le Monde Saha" par Jean-Pierre Jeunet ne fasse pas un buzz. En même temps, l’industrie du disque est difficile à décrypter, il faut avoir les bons réseaux. Il suffit parfois d’un seul contact pour déclencher une avalanche. Mais je suis quelqu’un de persévérant, à l’image du message de mon album. En musique, la patience est une vertu, et je sens que cette patience commence à porter ses fruits. Je suis distribuée dans toute l’Europe, on peut même acheter mon album au Japon ! J’estime que je suis déjà bien lotie. La suite dépendra, je pense, de ma prochaine signature sur un label, français de préférence.
Justement, quels sont maintenant tes projets en tant qu’artiste solo ? Je prépare mon prochain album, je travaille en ce moment sur le pré-maquettage des chansons. Le grand changement, c’est que les chansons sont presque toutes écrites en français ! À découvrir, je l'espère, pour 2014… |  |  |  | | |  | |
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