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DERNIÈRES SORTIES :

DAF
"Fünfzehn Neue Daf Lieder " (2003)



Gabi Delgado
"1" (2014)

La Gaîté Lyrique, Paris,
le 23 janvier 2014
Par Yannick Blay  
Photos Stéphane Burlot  

D.A.F. est un duo à la complémentarité incroyable, en studio, sur scène, ou en interview, où les deux compères répondent d’une seule voix ou finissent naturellement la réponse de l’autre. Gabi Delgado, chanteur performer toujours aussi énergique en live près de 35 ans après la formation du groupe, parle anglais avec un curieux mélange d’accent espagnol et germanique et une agitation toute méditerranéenne. Robert Görl, lui, pur produit teuton dans son allure et sa physionomie aryenne, a également conservé son apparence juvénile et s’exprime avec entrain, bonhomie, et fait preuve d'une candeur qui fait plaisir à voir et à entendre.
Les deux pionniers de l’électronique donnent l’impression de ne s’être jamais quittés et on pourrait presque croire qu’ils forment un couple dans la vie tels un prince et son voleur, en référence à leur fameux hit Der Raüber und der Prinz. Ce n'est pourtant pas le cas, Gabi et Robert sont juste deux amis et deux artistes brillants qui ont su puiser dans le punk les ressorts flamboyants de leurs compositions en utilisant alors leurs propres outils, notamment de vieux Korg, pour un résultat "synth-punk" des plus brillants et singulier…
Nous les avons rencontrés avec un vrai plaisir quelques heures avant leur passage à La Gaité Lyrique à Paris, pour un concert, soi dit en passant, somptueux et généreux, alignant tous leurs hits, de Verschwende deine Jugend à Der Mussolini en passant par Ich und die Wiklichkeit, Alle Gegen Alle ou Als wärs das letzte Mal.

Alors, prêts pour ce soir ?
Gabi Delgado & Robert Goerl :
Bien sûr !

Vous êtes très rares en live, d’autant que votre duo était un peu en stand-by. Prenez-vous le temps de répéter avant un concert ?
Gabi Delgado & Robert Goerl :
Jamais (rires) !
Gabi : On aime improviser. Il m’arrive souvent de changer les paroles, par exemple. Bon, on a bien sûr une formule, mais je me laisse le loisir d’intervertir des paroles ou d’en improviser de nouvelles.
Robert : Pareil pour moi. Je change parfois quelques petits trucs, on essaie de se surprendre l’un l’autre. Mais on n’a pas besoin de répéter, car on connaît parfaitement nos chansons.

Le public peut réclamer des titres en particulier ?
Gabi & Robert :
Oui, oui.
Gabi : En rappel, oui (rires).

Vous ne serez que deux ce soir sur scène ?
Oui.
Robert : Je suis à la batterie, Gabi chante et la musique est sur CD. On n’a pas besoin de tierce personne. Nul ne peut jouer de la musique électronique, synthétisée ou séquencée, en live. C’est impossible.
Gabi : Tu peux utiliser un laptop, mais à quoi bon… À nos débuts, on utilisait des bandes, des K7…
Robert : Que l’on remplace aujourd’hui par des CDs. Le son est plus puissant.

Mais même dans ce cadre, vous arrivez à improviser…
Gabi :
Bien sûr !
Robert : Les rythmes et la voix sont live. On peut donc modifier plein de choses. En fait, on n’a pas beaucoup changé par rapport aux 80’s…
Gabi : Sauf qu’à l’époque il m’arrivait de demander au public de patienter parce qu’il fallait qu’on change les piles ou qu’on retourne la K7 (rires).
Robert : En général, ça ne posait pas de problème. Mais il ne faut pas se méprendre, ce n’est pas du play-back. Ce sont juste les séquences qui sont jouées sur CD.

Mais à l’époque, les gens devaient être choqués par votre formation et manière de faire…
Bien sûr ! Ils ne voyaient pas de guitare sur scène, mais plutôt des K7, les gens pensaient donc que l’on jouait en play-back. On avait beaucoup d’ennemis. Une mélodie jouée par un séquenceur ne pouvait pas être de la musique selon certains.
Gabi :, Mais aujourd’hui, ça ne choque plus personne, avec tous ces musiciens qui utilisent des laptops. Les gens se rendent bien compte aujourd’hui qu’il y a du boulot derrière tout ça.

Même les punks vous crachaient dessus alors que votre approche de la musique était bien plus rebelle que beaucoup de groupes à guitares…
Oui ! Nous aimions l’énergie du punk. C’était tellement frais ! Mais pourquoi se cantonner à ces sempiternels instruments du rock…
Robert : Oui, le les groupes punk faisaient plus du rock’n’roll qu’autre chose.
Gabi : Nous ne voulions pas imiter la musique anglo-saxonne.
Robert : Nous voulions créer notre propre style !
Gabi : L’énergie….
Robert : Et la provocation du punk…
Gabi : C’est ce qui nous intéressait. Mais pas la musique. On n’était pas non plus spécialement branchés par le look, les cheveux roses, tout ça.
Robert : Oui, on peut dire en résumé que l’on a été influencé par l’énergie du punk, mais pas par le son.

J’ai interviewé Jürgen de Die Krupps récemment…
Robert et Gabi :
On le connaît bien !

Oui, je sais ! On a d’ailleurs beaucoup parlé de vous, de Düsseldorf et de Kraftwerk. Il me disait que, tout comme vous ou Der Plan, vous n’étiez pas du tout influencés par Kraftwerk qui n’était pas assez punk, justement…
Gabi :
Exact ! Les punks n’aimaient pas Kraftwerk !
Robert : C’était trop propre, pour nous.
Gabi : C’était de l’électronique de bureau. C’est tellement appliqué que cela en devient ennuyeux. Ça manque d’excitation, c’est trop propre et conventionnel…
Robert : Nos accords de musique sont pour leur part difficiles à identifier. Est-ce un fa bémol ou un si ? Avec Kraftwerk, tu n’as aucun problème à identifier les notes…
Gabi : Ce sont les journalistes qui ont déclaré que nous ou Die Krupps étions influencés par Kraftwerk, du seul fait qu’on était comme eux, de Düsseldorf. Nous étions bien plus influencés par les Sex Pistols ou James Brown que par Kraftwerk ! J’ai participé à deux groupes punk avant D.A.F., et Kraftwerk n’avait rien d’une influence ! Ses membres étaient, sérieux, conventionnels, vivant du mauvais côté de la ville, bref des bourgeois qui n’avaient rien à voir avec nous (rires).

Vous les avez rencontrés ?
Ils sont venus nous voir en concert, ils étaient curieux. Attention, on ne les a jamais considérés comme nos ennemis. Il faut juste être clair : c'est juste que contrairement à ce qu’ont dit bon nombre de journalistes, Kraftwerk n’a jamais été une influence !

Aujourd’hui, vous êtes une référence en matière de musique électronique, peut-être au même titre que Kraftwek…
Robert :
Oui. Pour qui aime l’électronique et les synthés, Kraftwerk est une belle référence…
Gabi : En revanche, leurs paroles laissent toujours à désirer. Elles sont même franchement bêtes (rires). Mais ils tiennent une grande place dans l’histoire de la musique. Tout comme Tangerine Dream ou Neu !, par exemple.

Et Suicide ? Voilà un groupe électronique qui a eu un peu cette approche punk de la musique dont vous vous réclamez et qui choquait autant les fans de Kraftwerk ou Tangerine Dream que les punks…
Oui !
Robert : Plusieurs personnes nous ont comparés à eux.
Gabi : Il est clair que nous n’étions pas les seuls à nous servir de l’esprit punk pour créer une musique personnelle. Il y avait Cabaret Voltaire aussi, par exemple.

Gabi, tu n’as pas participé au tout premier album de D.A.F., "Ein Produkt der Deutsch-Amerikanischen Freundschaft". Pourtant, il me semble que tu étais déjà officiellement dans le groupe ?
Robert :
On l’a formé tous les deux, ce groupe !
Gabi : Puis d’autres se sont greffés au duo, car nous expérimentions beaucoup, mais je n’aimais pas la tournure que cela prenait.
Robert : Ça a pas mal tourné, au début.

Avec des membres de Der Plan dont Chrislo Haas qui forma ensuite Liaisons Dangereuses…
Exactement ! J’ai moi-même produit le premier single de Der Plan, Das Fleisch. Je suis crédité sous le nom de Gogo Girl (rires)…
Gabi : C’était une scène très ouverte, tout le monde jouait avec tout le monde…
Robert : Puis, à force de tâtonner, on a su ce que l’on voulait vraiment.

Gabi, tu as joué avec Jürgen de Die Krupps également…
Gabi :
Oui, on a même fait un concert  (rires) ! C’était sous le nom de Deutschland Terzett.
Robert : C’est notamment pour ça qu’il n’apparaît pas sur cet album à pochette jaune. Pour nous, ce n’est pas le premier album, mais l’album numéro "zéro" de D.A.F.
Gabi : C’est du pré-D.A.F., en quelque sorte.
Robert : C’est vrai que c’est assez étrange comme genèse. On a tous les deux fondé D.A.F. mais Gabi n’apparaît pas sur la toute première sortie du groupe. Encore une fois, pour nous, c’est l’album "zéro", un disque de sessions et de collages.

Mais vous n’avez pas réutilisé ces sessions ou collages pour un autre album plus tard…
Non.

Cet album numéro "zéro" rappelle un peu le Cabaret Voltaire de la même époque…
Tout à fait ! Mais ensuite, on a trouvé notre style…

Vous vous rappelez la toute première chanson que vous ayez composée ensemble ?
Gabi :
Kebabtraüme, je crois.
Robert : Ou Ich und die Wirklichkeit ?
Gabi : Non, la première chanson que l’on ait composée, juste tous les deux, c’est Sato Sato.
Robert : Tu dois avoir raison. Je pensais à Tanz Mit Mir (face B du single Der Raüber und der Prinz et sorte de version alternative du fameux Verschwende deine Jugend -ndlr), aussi… Il y a un guitariste sur cette chanson, mais on l’a composée à deux. Même les tous premiers singles sont composés juste à deux, on utilisait d’autres musiciens à qui l’on donnait des directives.
Gabi :, Mais on s’est vite rendus compte que l’on n’avait besoin de personne d’autre, que D.A.F. était un échange artistique entre Robert et moi uniquement. Dès qu’il y a des gens entre nous, c’est moins direct.
Robert : Le dernier à partir a été le guitariste Wolfgang Spelmans. On devait faire trop de compromis. On lui demandait des riffs qui imitent telle ou telle boucle, ce qui l’agaçait un peu…
Gabi : Sans être de véritables dictateurs, lorsque tu sais exactement ce que tu veux, tu deviens vite insupportable pour les exécutants et cela crée des tensions. On est donc vite revenus au concept original puisque, à la base, D.A.F. a été fondé par nous deux seulement. Chaque séquence, boucle ou parole doivent être approuvées par chacun de nous, mais chacun son domaine. Robert s’occupe de la musique et moi des paroles. Un échange artistique très ouvert et basé sur l’énergie. Il n’y a jamais rien de planifié. On se retrouve en studio et on voit ce qu’il en sort.

Et les structures des morceaux ?
Gabi et Robert :
Elles se font automatiquement. Tout se fait dans le même temps.
Gabi : J’écris mes paroles au moment où Robert compose ses séquences.

Tu n’écris jamais de paroles en amont ?
Si, parfois, mais j’aime surtout écrire en étant inspiré par la musique. Il arrive aussi que Robert ait un nouveau morceau qu’il me joue par surprise en concert. J’improvise alors dessus. J’adore cette sensation. Tu te retrouves comme un enfant qui appréhende pour la première fois de sa vie un piano. C’est ce que je préfère dans la musique et j’ai envie de retrouver cette émotion particulière à chaque fois que l’on compose.

Vous travaillez sur un nouvel album en ce moment… Vous allez nous épater autant que vous aimez vous-mêmes vous surprendre ?
Oui, je joue du saxophone (rire).
Robert : Et de la flûte ! Ou un album de D.A.F. à capella (rires).
Gabi : Non, D.A.F. c’est D.A.F. ! On a préparé quelques petits trucs, mais on va enregistrer seulement à la fin de l’année. Il sortira donc en 2015.

Vous savez sur quel label ?
Oui.
Robert : Plus ou moins. Il y avait deux labels, il semble qu’il y en ait plus qu’un…
Gabi : On avait un contrat qui expire bientôt chez BMG…

Vous retournez sur Mute ?
Robert :
Mute ? Non.

Je trouve que c’est le label qui vous sied le mieux…
Gabi :
Je vois ce que tu veux dire, mais ce label n’a plus vraiment d’identité aujourd’hui. Est-ce Sony ? Est-ce Universal ? Bientôt, il n’y aura plus qu’un gros et unique label de musique au monde. C’est déjà presque le cas. 90% de la musique publiée paraît sous le même gros distributeur…
Robert : D’ailleurs, pour nous, cela a souvent été très drôle. On a été chez Mute, puis EMI qui a été racheté par Sony et lui-même par BMG. On a reçu un courriel nous souhaitant la bienvenue chez BMG (rires). C’est comme ça que l’on a su qu’on appartenait maintenant à cette énorme société. Daniel Miller contrôle encore une partie de son catalogue de manière indépendante, mais Mute n’est plus ce qu’il était…

Vos meilleurs albums ont été produits par Conny Plank, responsable de bon nombre de chefs d’œuvres de la musique électronique. Que vous rappelez-vous de votre première rencontre avec lui ?
Gabi :
C’était un grand producteur, car il savait se mettre au service des groupes. Il nous disait toujours : "Je suis un peu comme votre chauffeur de taxi'
Robert : Il disait plutôt "notre cocher"…
Gabi : Oui, pour marquer encore plus de déférence (rires). Il nous guidait afin d’obtenir ce que nous voulions…

Entre cocher et coach, il n’y a qu’un pas…
C’était notre coach pour le son, alors (rires).
Robert : Lorsqu’on s’est installés à Londres pour voir Daniel Miller et enregistrer notre premier single, Conny nous a contactés de lui-même afin de nous rencontrer. Il avait entendu parler de nous et nous respectait. Il nous a carrément envoyé un messager pour nous donner rendez-vous. Et on a fait trois albums ensemble…

Notez qu’un album de Gabi Delgado en solo paraît ces jours-ci avec 18 titres entre EBM et techno. Pas ultra convaincant à la première écoute avec en plus des remixes de seconds couteaux teutons tels Eisbrecher ou In Strict Confidence présents sur le single Nebelmaschine/Lippenstift. Cela aurait mérité une question, mais pas eu assez de temps. De même, les minutes ont manqué pour parler du projet de Gabi Delgado avec Marc Hurtado d’Étant Donnés qui est malheureusement tombé dans les oubliettes alors que l’album est masterisé depuis belle lurette !)