Propos recueillis en avril 2014


DERNIÈRES SORTIES :

Nimon "The King Is Dead"





Nomin "Long Live the King"





Keef Baker "Pen Fifteen"





SITE OFFICIEL :
keefbaker.co.uk

LABEL :
Ant Zen
Par Bertrand Hamonou  
Photo Sean Gummer  

Keith Baker est un multi-instrumentiste plutôt curieux, au parcours et aux goûts très éclectiques, pour ne pas dire atypiques. Ses trop rares disques sous le patronyme de Keef Baker ont été récemment remplacés par ceux d’un nouveau projet ambient à la guitare, Nimon, dont il a publié pas moins de quatre disques en moins d’un an. Le diptyque "The King is Dead" / "Long Live the King" vient tout juste de sortir et nous a donné envie de lui demander ce qui l’avait mené à faire ses choix si particuliers. Il se pourrait également que cet Anglais qui puise sa force dans sa propre musique nous réserve encore quelques bonnes surprises pour cette année, laquelle est bien partie pour devenir celle de tous ses records.

Keith, j'ai lu que tu étais à l'origine un guitariste/bassiste dans des groupes de death metal. Comment en es-tu arrivé à t'abandonner dans la musique électronique avec Keef Baker ? Ça a dû être un changement radical, non ?

Crois-le ou non, pour moi ça n'a pas été un changement si terrible que ça, non. Quand j'étais gosse j'adorais deux formes de musique : le métal, et l'electronica la plus expérimentale, comme celle des tout premiers Kraftwerk. À quinze ans, mes disques préférés étaient le "Master of Puppets" de Metallica et "Autobahn" de Kraftwerk. Quand j'ai commencé à fouiller un peu plus, j'ai suivi deux directions : j'ai appris la guitare pour le métal, ainsi que Soundtracker sur mon Amiga Commodore pour la partie electronica. J'ai conservé cette démarche tout en explorant grâce à des logiciels audio de plus en plus sophistiqués, et j'ai appris à jouer de plus d'instruments au fil du temps.
J'ai continué à jouer régulièrement dans des groupes jusqu'en 2002 ; je jouais tout ce que j'avais l'occasion de jouer, du métal au funk, en passant par la britpop. Quand j'ai déménagé à Leeds c'est devenu plus compliqué de continuer, et c'est tout naturellement que j'en suis venu à la musique assistée par séquenceurs. Ceci dit, je pense que tu peux entendre toutes ces influences dans les albums de Keef Baker, et tout particulièrement sur "Pen Fifteen" sur lequel il y a des tonnes de guitares métal ! L'idée première de Keef Baker était de représenter toutes les influences de la musique que j'aime, tout en gardant le plus possible un pied dans l'IDM.
Aujourd’hui je joue toujours dans des groupes, mais de manière plus occasionnelle. Par exemple, en ce moment je joue de la double basse électrique en live avec Be My Enemy, ce qui est assez fantastique pour moi tellement Phil (Phil Barry -ndlr) est un bon musicien, et puis je suis un de ses fans depuis Cubanate. Mon prochain concert avec Be My Enemy aura lieu dans le cadre du festival Infest en août (festival anglais EBM/Industrial/Synthpop/Noise qui aura lieu cette année du 22 au 24 août et qui verra se succéder, en autres, Haujobb, Project Pitchfork, Juno Reactor, et Be My Ennemy -ndlr).

« Et voilà toute l'histoire de ce premier disque de Nimon que ma femme est toujours incapable d'écouter parce qu'elle sait à quel point je souffrais lorsque je l'ai composé. »


Après cinq disques d'électronique imposante dans l'IDM sous le nom de Keef Baker, voici que tu changes de registre avec un répertoire ambient enregistré à la guitare. "Drowning in Good Intentions", le premier album que tu as sorti l'an dernier sous le nom de Nimon m'a complètement surpris. Qu'est-ce qui est à l'origine de ce virage musical ?
Pour faire court, ma mère est décédée. Et quand c'est arrivé, je me suis remis à jouer beaucoup de guitare pour me débarrasser de la douleur. J'ai essoré le résultat de ces sessions à travers les logiciels Ableton Live et Reaper, puis j'en ai fait un disque. Je le conservais sur mon disque dur depuis un moment, et personne n'avait pu l'écouter parce que je pensais que ça n'intéresserait que moi. J'ai fini par le réécouter, et après quelques délibérations, j'ai fini par l'envoyer à Stefan Alt, du label Ant-Zen, qui a émis le désir de le sortir. Et voilà toute l'histoire de ce premier disque de Nimon que ma femme est toujours incapable d'écouter parce qu'elle sait à quel point je souffrais lorsque je l'ai composé.

J'y entends des réminiscences de Slowdive et de Brian Eno ici ou là. Quelles sont tes influences sur ce projet ?
Eno, oui, carrément, mais aussi Stars of the Lid et Christian Fennesz dans l'esprit. Mais quand j'y repense, "Drowning in Good Intentions" était tellement dépouillé et basique que je suis surpris que ces influences se ressentent. En gros, ce disque est l'enregistrement d'un hurlement de douleur. Le second disque "The King is Dead" est nourri du même chagrin, à propos de mon père cette fois, et présente plus de détails. Je pense d'ailleurs que ces influences sont plus facilement identifiables sur ce nouveau disque que sur le premier.

«  J’invite d’ailleurs tous ceux qui le peuvent à écouter ces deux disques en même temps sur des enceintes séparées, car c’est de cette manière qu’a été pensé ce package Nimon/Nomin. »


Les titres que tu publies sous le nom de Nomin vont plus loin que l'ambient à guitare de Nimon, ils utilisent plus de sons plutôt "bizarres". Pour toi, quelle est la différence entre ces deux nouveaux projets jumeaux ?
Eh bien, ces deux-là sont un cas un peu spécial puisque l'enregistrement et le mastering de "The King is Dead" furent terminés en mai 2013, alors que "Drowning in Good intentions" venait à peine de sortir. Je devais donc attendre février de l'année suivante, au plus tôt, pour pouvoir sortir ce second album. En même temps, j'avais depuis un bon moment déjà au fond de ma tête l'idée de créer deux disques pensés pour être joués simultanément, mais qui fonctionneraient également chacun de leur côté.
J'ai des exemples de musiciens qui ont à la fois réussi et échoué dans cet exercice. Par exemple Neurosis avec "Times of Grace" et son complémentaire enregistré sous le nom de Tribes of Neurot, "Grace", qui fonctionnent bien lorsqu'on les écoute séparément, mais ensemble ne produisent pas l'interaction promise tant et si bien qu'on n'a pas vraiment le sentiment qu'ils ont été pensés ensemble. Au contraire, les disques "Zaireeka" de The Flaming Lips interagissent très bien ensemble, mais sont proprement inaudibles l'un sans l'autre. Je me suis donc dit que j'avais un album de prêt avec plus de six mois de libre avant sa sortie, et que c'était le moment ou jamais de réaliser ce projet. Donc me voilà parti à composer "Long Live the King" d'après "The King is Dead", mais cette fois à partir de synthétiseurs et de sons piochés dans du field recording, et j'ai réalisé que je ne pouvais certainement pas l'appeler Nimon dont les titres sont exclusivement composés à la guitare ou uniquement créés à partir de sons de guitares. J'ai donc opté pour Nomin qui est Nimon à l'envers, tout simplement.
Je pense que j’ai réussi à faire deux disques qui fonctionnent bien seuls, et qui interagissent parfaitement l’un avec l’autre lorsqu’on les écoute ensemble, et que cela produit quelque chose de plus fort. J’espère que d’autres seront d’accord avec moi, et j’invite d’ailleurs tous ceux qui le peuvent à écouter ces deux disques en même temps sur des enceintes séparées, car c’est de cette manière qu’a été pensé ce package Nimon/Nomin.

À propos, d'où provient le nom de ce projet ? Ça aurait un lien avec la série télévisée "Doctor Who" par hasard ?
Oui, tu m'as repéré (rires) ! C'est bien ça, ça vient de là. Je voulais un nom que personne ne connaîtrait, et j'ai donc tout naturellement choisi un monstre particulièrement mauvais de la série "Doctor Who".

Ces nouveaux projets ont l'air de t'inspirer comme jamais, avec tout de même quatre albums déjà parus en 2013-2014, dont un enregistré avec Displacer. C'est un processus créatif plus rapide que celui de terminer un album de Keef Baker ?
Oui, le processus est bien plus rapide parce que plus naturel et surtout, il s'agit au fond de ne jouer que d'un instrument, la guitare. Les albums de Keef Baker sont tellement denses qu'il faut un boulot monstre pour en garder le contrôle. Ceci dit, il s'est quand même écoulé du temps entre ces disques puisque j'avais terminé "Drowning in Good Intentions" au début de l'année 2012, "The King is Dead" date de début 2013, alors que "Long Live the King" et "House of the Dying Sun", enregistré avec Displacer, datent quant à eux de la fin de l'année dernière.

Doit-on s’attendre rapidement à de nouveaux enregistrements de Nimon, et peut-on espérer d’autres disques de Keef Baker bientôt, avec une suite à "Pen Fifteen" qui date de 2009 ?
En 2014, attends-toi à pas mal de choses de ma part. Tout d’abord, il y aura la sortie d’un nouveau projet qui s’appelle Slipdrive et qui est basé sur des musiques de films de science-fiction. C’est un mélange du genre John Carpenter avec les premiers Kraftwerk, les jeux "Mass Effect" et la bande-son de "Tron Legacy". Et attends-toi non pas à un, mais à deux albums de Keef Baker également. Ce seront d’ailleurs les deux albums finaux de ce projet, l’un sortira en CD et l’autre sera une sortie uniquement au format digital. Il s’agit de collections de titres qui ont été enregistrés au cours des cinq dernières années, ainsi que des morceaux difficiles à trouver, agrémentés de titres que je trouvais bons, mais qui n’ont pas trouvé leur place sur les albums de l'époque quand je les ai enregistrés. Comme tu t’en doutes, il s’agit de morceaux plutôt variés.
Et ce sera la fin de Keef Baker; mes yeux sont désormais tournés vers le futur et ce que je vais pouvoir en faire. Je n’ai aucun doute sur le fait qu’il y aura des nouveaux disques de Nimon et de Slipdrive.