DERNIÈRE SORTIE :
Art Plastique



SITE OFFICIEL :
celluloide.online.fr

LABEL :
BOREDOMproduct
Par Christophe Labussière  
Photos D.R.  

S'il est une formation difficile à étiqueter, c'est peut-être Celluloide qui bénéficie de ce furieux privilège qui, s'il protège en partie le groupe des raccourcis et amalgames, empêche l'auditeur de retrouver facilement ses marques, ou tout au moins les rend rapidement obsolètes. Bien que le groupe distille dans ses compositions des repères assez précis depuis maintenant quatorze ans, prouvant et rappelant constamment son érudition, ses affections, la qualité de son background, et son envie d'expérimenter et de se renouveler, la ligne de fuite qui se dessine disque après disque n'est pas une direction toujours évidente. L'inévidence est peut-être même avec le temps devenue leur marque de fabrique.

Le dernier album, "Art Plastique", s'il est imprégné d'une façon omniprésente et linéaire de références aux Beaux Arts, semble de prime abord reprendre la voie initiée avec le disque précédent, "Hexagonal" : les paroles de la plupart des chansons sont clairsemées avec les codes classiques d'histoires de couples.
Vous n'avez pas peur que ça donne à vos textes et à vos compositions une impression de "futilité" ?
Patryck :
 Au contraire, c'est la marque de fabrique de Celluloide, et c'est un thème qui parle à tout le monde.
u-0176 : Les sentiments, les émotions, l’amour, la déception, la conscience de la mort, c’est ce qui fait de nous des êtres humains... c’est tout sauf futile, et c’est un carburant puissant à nos actions. Et puis souvent il faut faire attention aux apparences... ça n’est pas toujours ce qu’on croit de prime abord.
Darkléti : Il y a au moins la moitié des textes qui ne se rapportent pas à des histoires de couple, mais plutôt à des faits historiques ou œuvres artistiques, témoignages du passé auxquels nous avons été exposés et qui nous ont marqués et inspirés.
u-0176 : Je ne disais pas "nos actions" pour dire celles de Celluloide, mais "nos actions" à nous êtres humains. Donc c'est un carburant universel. Quand tu dis "histoires de couples" ça sonne un peu réducteur, je trouve, mais oui, les émotions sont à la base de ce que nous voulons retranscrire dans nos textes. Plusieurs morceaux de cet album comme Le Baiser Géométrique, Le Salon Noir ou La Guerre De Cent Ans par exemple, traitent du ressenti face aux œuvres, peintures, sculptures... ça constitue la trame de l’album. 

C'est pour cette raison que l'album s'intitulé "Art Plastique" ?
u-0176 :
 Oui et  puis d’un autre coté, Art Plastique, ça sonne bien Celluloide, qui est une des premières matières plastiques...

Qui écrit les textes ?
u-0176 :
 Les textes en français, c’est toujours moi... c’est vrai que ça n’est pas facile de se lancer, et c’est surtout moi qui voulais absolument abandonner l’anglais.

Le format et la structure de l'album sont aussi une inévidence, là où le format pop, électronique ou non, amène habituellement les groupes à enchaîner les titres courts, et à les démultiplier sur la longueur d'un disque, Celluloide opte avec "Art Plastique" pour un format de huit titres, assez longs pour certains, avec des compositions vraiment matures. Un vrai principe de disque complet, réfléchi, calme... Comme si ici l'expérimentation était pour eux de tenter de s'installer dans une posture "classique". 

Qu'est-ce qui vous pousse à ne jamais prendre le chemin le plus facile ?
Patryck :
 Parce qu'être là où on nous attend ne nous intéresse pas. Et qu'on n'aime pas se répéter de trop. On aime tester, expérimenter, plutôt que refaire ce qu'on est sûr de savoir déjà faire.
u-0176 : Le principal c’est de faire ce qu’on aimerait écouter, s’amuser avec les machines. Rester dans un style attendu ne nous motive pas. Je pense tout de même que notre musique est de la pop, mais pas traditionnelle, infectée par d’autres influences plus sombres, plus bizarres... ce qui nous amène a beaucoup travailler nos morceaux. Sur "Art Plastique", certains titres sont assez longs, plus de huit titres, ça nous paraissait trop.
Darkléti : Le format huit titres est aussi un peu un hommage ou un clin d’œil à certains groupes qui nous ont marqués en leurs temps...

Lesquels ?
Darkléti :
Je pensais à Cure principalement, mais aussi Dead Can Dance, Cocteau, New Order, Siouxsie...

Les références de Celluloide elles aussi sont loin d'être évidentes... S'ils ont été bercés par les mêmes groupes que Prémonition, ils se défendent d'être sous influence, parce que leur son va effectivement là où personne n'est allé avant, et pour eux, faire que l'auditeur connaisse la musique qu'ils apprécient n'apportera rien à sa compréhension de leur musique. Mais cette posture souvent agaçante de l'artiste qui s'imagine vierge de toute influence ne résiste jamais très longtemps.

De quels artistes vous sentez-vous proches ?
u-0176 :
 Difficile à dire... beaucoup de choses en même temps, des références d’hier qui m’ont marqué, des choses d'aujourd’hui qui tournent en boucle...
Darkléti : Je ne crois pas que j’écoute aujourd’hui de groupes proches de Celluloide, c’est un peu une parenthèse de s’écouter soi-même et c’est en même temps une surprise pour moi de découvrir les nouveaux arrangements et les morceaux choisis pour constituer l’album final.
Patryck : Je n'écoute pas vraiment d'artistes de musique électronique. A part peut-être Calvin Harris. Je me sens plus proche d'artistes comme Florence and The Machine ou Thirty Seconds To Mars.

À part Patryck, vous ne répondez pas vraiment à ma question. Vous n'osez pas ? Vous vous interdisez de me dire "J'adore Kraftwerk", "Je suis fan de Atom HD", ou quoique ce soit qui vous engage personnellement ou vous cataloguerait ? Pourquoi être autant sur la défensive, tout au moins pourquoi vouloir se protéger ?
u-0176 :
Il me semble que citer des groupes serait très limité, il faudrait en citer tant... mais je peux dire sans aucun problème que je suis absolument fan de Kraftwerk, Lassigue Bendthaus, Autechre, Placebo, Tangerine Dream, Ciëlo, Clock DVA, OMD, Depeche Mode, DeVision, DAF, Klinik, Soft Cell, SPOCK, Nitzer Ebb, Second Decay, Anne Clark, Melotron, Japan, Syntec, Klirrfaktor, Human League, Deine Lakaien, Orange Sector, And One, Atom TM, Mothem Vlade Art, Résistance, SMPJ, Martin Dupont, Front 242, Elegant Machinery... mais ça serait infini... et ça n'est même pas vrai pour tous les albums de ces groupes et pour des raisons différentes à chaque fois.
Darkléti : Et Mesh !!! c'est le seul groupe qui ne m'a jamais déçue, pour lequel chaque nouvel album est un pur plaisir, et aussi en concert. je suis une vraie groupie !!!

J’ai l’impression que de mon côté je vous trouve particulièrement novateur et je suis assez admiratif de vos choix artistiques qui me semblent être des partis pris assez risqués, mais à vous entendre vous êtes de simples trentenaires/quarantenaires dont le background est ancré dans la musique que vous avez écoutée il y a 20 ans, sans que ce qui se passe autour de vous ne vous ai influencé le moins du monde. C’est moi qui me trompe dans la façon dont je perçois votre musique, ou c’est vous qui vous cachez effectivement derrière de vieilles références datées ? Je me dis que si je vous avais posé les mêmes questions il y a quinze ans vous auriez répondu exactement la même chose.
u-0176 :
Pourtant j'ai l'impression d'avoir cité des groupes de toutes les époques. C'est pour ça que je n'aime pas donner des noms, ça donne une fausse impression et puis j'en oublie... J'aurais du dire aussi Fad Gadget ou encore I Start Counting qui faisaient une pop électronique surprenante et parfois expérimentale. Mais on écoute des tas de choses, et toutes nous influencent plus ou moins. Par exemple en ce moment je réécoute les albums "Non-Recyclable" de Zero Defects, "New Drug" de Vomito Negro et "Render Audible" de Lassigue Bendthaus. C'est ma période 90's. Le mois dernier j'étais en boucle sur "Loud Like Love" de Placebo. Ça m'influence certainement tout autant, et je n'aurais pas pu te citer un album de 2013 il y a 15 ans.
En tout cas, c'est très gentil de nous trouver novateurs, tu ne peux pas nous faire plus plaisir !

Novateur c'est certain, parce que la démarche est originale, singulière, parce qu'on ne peut pas comparer Celluloide à quelqu'autre groupe. De la même façon que Mohini Gesweiller a réalisé un album magnifique et très personnel, ou qu'Automelodi, bien qu'imprégné d'autres sons, impose son son. Unique en son genre, Celluloide semble avancer sans contrainte, tout au moins avec des contraintes mais qui lui sont personnelles, donc au détriment d'une scène, d'un mouvement, des modes. Un exercice loin d'être facile.
Patryck :
 Je ne pense pas qu'il faille se positionner par rapport à d'autres groupes, ou des styles musicaux en particulier. Généralement, soit on fait la musique qu'on a envie d'entendre sur le moment, soit on fait la musique qu'on a envie de créer, d'expérimenter, de tester pour les morceaux. Tout en gardant une cohérence d'ensemble pour faire un album.
u-0176 : Facile non. il y a beaucoup de travail et de réflexion entre deux albums. Une partie de la composition et de l'écriture des textes se fait à l'intuition, et l'autre partie consiste à mettre en forme cette intuition en quelque chose qui n'a pas été déjà écouté et réécouté de centaines de fois. Mais je ne crois pas que ça soit un risque, puisque nous ne vivons pas de notre musique, donc nous n'avons pas à craindre de perdre notre gagne-pain. Et puis il ne faut pas perdre le principal des yeux, c'est ça qui nous motive : essayer de faire des choses un peu différentes, avec un autre angle.

Je reviens sur vos affections, l'une d'entre elles est assez forte. C'est en effet au moins la deuxième fois que vous faites un tel clin d'oeil, ou un hommage, c'est vous qui allez me le dire, aussi appuyé à Kraftwerk. Les Quatre Coins De L'Hexagone sur l'album précédent rappellait "Tour de France", et aujourd'hui "Art Plastique". De surcroit, vous avez une affection pour le même type de sons. C'est pour vous LE groupe de référence ?
u-0176 :
 À vrai dire c’est totalement fortuit. je ne renie pas que Kraftwerk soit une influence majeure parmi d'autres, mais il n’y a aucune volonté de les copier, ni de leur rendre hommage dans Celluloide. On nous avait aussi dit la même chose sur le titre Ordinosaure. Mais pour moi ça fait référence à bien d’autres choses aussi...
Darkléti : Kraftwerk n’a pas fait d’album à huit titres pourtant ?!

"Electric Café" en compte six.
u-0176 :
Et Computer World, sept, à la bataille je gagne.

Une autre curiosité de Celluloide est que le groupe a depuis ses débuts choisi d'utiliser pour chacun d'entre eux des pseudos. Une lubie de jeunesse qui dix ans plus tard est toujours d'actualité. 

À vos débuts, vous avez tous les trois choisi de jouer avec des pseudos, est-ce qu'aujourd'hui vous assumez enfin vos identités respectives ? C'est quand même à votre âge plus élégant de vous appeler Laetitia, Éric et Patrick que Darkleti, u-0176 et Patryck. Vous avez passé l'âge non ?
u-0176 :
 Déjà à l’époque c’était pour plaisanter, pour jouer sur les clichés de l’électro avec des pseudo improbables. Tout ça n’est pas très sérieux, et malgré notre grand âge nous restons un peu pince-sans-rire.
Darkléti : Quand nous avons commencé Celluloide, nous n’avons pas réfléchi longtemps aux pseudos. si j’avais pensé que ça durerait plus de 10 ans j’aurais peut-être trouvé autre chose !

Je peux donc vous appeler Patrick, Laetitia et Éric ? 
u-0176 :
En privé oui, mais sinon, personne ne va rien y comprendre... et puis, pour quoi faire ?

Pour quoi faire ? Juste pour manifester que ce n’est pas au "concept" Celluloide que je m’adresse, mais à de vraies personnes.
u-0176 :
Je comprends, mais pour nous ça n'est pas moins étrange parce que nous utilisons des surnoms et des diminutifs, et notre état civil est surtout utilisé par l'administration... 

Indéniablement, le groupe aime la difficulté, il semble même la privilégier au reste, et, si cette confrontation à la difficulté les affûte, elle rend forcément leur parcours plus difficile.

Vous jouez peu en live, on ne vous voit jamais aux affiches des festivals estivaux, vous avez une réticence à monter sur scène ou bien est-ce qu'on ne vous fait pas de proposition ?
Patryck :
 C'est compliqué de tourner. Ça demande beaucoup de temps et d'organisation que nous n'avons pas.
u-0176 : Je pense qu’on est plutôt un groupe de studio. mais si on nous proposait quelque chose d'intéressant, on pourrait se laisser tenter... qui sait ?

Vous êtes un groupe majeur, car mature, parce que vous savez prendre des risques, parce que vous n'empruntez jamais les sentiers battus, et vous avez évité toutes les ornières, parce que vous privilégiez la qualité à la facilité, comment se fait-il que vous soyez après quatorze ans restés dans la confidentialité ?
Patryck :
 Parce qu'on ne fait rien de commercial. Et c'est aussi un peu la faute à u-0176 qui ne cherche ni à vendre ni à être connu !

Est-ce que vous avez le sentiment que si vous étiez un groupe parisien ce serait plus facile ?
u-0176 :
 Si nous étions un groupe parisien, nous ne ferions pas la même musique.

Tu le penses vraiment ?
u-0176 :
C'était une façon de dire qu'on en sait rien, qu'avec des "si" on peut tout imaginer... si on va par là, je pense qu'ils nous aurait été plus favorable d'être allemands, mais Marseille me convient mieux que Hambourg.

Alors vous confirmez que votre isolement géographique impacte votre musique. Dans ce cas, quelle musique feriez-vous si vous étiez parisiens ?
u-0176 :
En vérité je n'en sais rien, comment savoir ? Je voulais dire qu'avec des "si" tout serait différent. mais c'est vrai qu'à Marseille il y a "toujours" eu une scène électronique, Martin Dupont, Résistance quoique de Dijon, étaient produits par Facteur d'Ambiance, etc., etc.

Vous avez participé à un Tribute à Étienne Daho qui sortira en mars, que représente cet artiste pour vous ?
u-0176 :
 C’est à peu près le seul modèle de pop en français que j’ai écouté...
Darkléti : La première fois que je suis allée à un concert, c’était en 1988, et c'était Daho ! Et j'ai beaucoup aimé son dernier album... C’était un vrai plaisir de reprendre un de ses morceaux !

Et quel titre avez-vous choisi ?
u-0176 :
 Le Grand Sommeil... nous étions aussi tentés par La Peau Dure, mais ça n'a rien donné.