|  |   |  |    | Par Yannick Blay | Photo Dennis Shoenberg |
|  |  |  |  |
|  |
|  | Luis Vasquez, créateur et seul compositeur de The Soft Moon était à Paris il y a quelques semaines pour la promo de son tout nouvel album, "Deeper". Toujours un peu timide et d’apparence sombre et renfermée, Luis reflète aussi bien dans sa personnalité que dans ses chansons l’expression d’une nature dépressive et solitaire, pourtant à la recherche du vrai bonheur, notamment par le biais de son Art. Cela semble un peu cliché, mais l’on sent l’Américain des plus sincères. Il nous a permis ce jour-là, au fil de l'entretien, d’aller au plus profond de l’intimité créatrice de Soft Moon.
Tu habites où en ce moment ? Berlin, Venise ou es-tu rentré en Californie ? Je vis à Berlin. Je pense que je vivais encore aux États-Unis la dernière fois que l’on s’est vus.
Et entre temps, tu as vécu à Venise… Oui, c’est là que j’ai écrit le nouvel album. Je faisais des allers-retours entre Venise et Berlin.
C’était pour bosser avec Maurizio Baggio… Oui, un ami. C’est aussi mon ingé-son sur les tournées depuis un an et demi.
Pour l’album précédent, tu avais déjà travaillé avec un producteur… Oui. Il avait plus bossé sur le mix, même s’il a aussi produit quelques trucs sur l’album. Maurizio, de son côté, a pu explorer un peu plus, car je suis très à l’aise avec lui. On a produit le disque ensemble. J’étais ouvert à ses idées et il me permettait d’obtenir le meilleur pour mon disque.
Tu sais toujours exactement ce que tu veux ? Parfois, je suis un peu vague. Je lui disais souvent, "je veux sentir un peu plus de colère". Et il obtient ce que je désire, comprenant l’humeur que j’avais en tête. Maurizio change alors un son de tom de batterie pour qu’elle sonne plus agressive, ou un effet de basse, ou autre. Il a tous les outils pour obtenir ce que je veux et j’en profite, c’est cool (rires).
Vous partez de tes démos et vous bossez ensemble en studio ? Exactement. Je composais seul chez moi et une fois par mois environ, j’allais à son studio pour quelques jours avec mes chansons afin de les développer un peu. J’en avais pour une heure de route à l’aller, de Venise. C’était assez pratique. Bref, une chouette expérience.
« Je ne voulais pas être trop à l’aise. Je cherchais un endroit inhabituel où je pourrais m’isoler et me centrer sur moi-même afin de laisser sortir des choses me permettant de créer. »
,Mais comment expliquer ce côté toujours très sombre alors que la musique a été composée dans une ville aussi lumineuse ? Je n’ai pas vraiment été influencé par la ville et les paysages, en fait…
Tu es resté enfermé ? Exactement. Je ne voulais pas être trop à l’aise. Je cherchais un endroit inhabituel où je pourrais m’isoler et me centrer sur moi-même afin de laisser sortir des choses me permettant de créer.
Un journaliste de Pitchfork a dit que le morceau Black n’était, ironiquement, pas aussi sombre que tes précédentes productions. Il me semble que si, pourtant… Je suis d’accord avec toi ! Ce que pensent les journalistes peut être parfois très surprenant. Peut-être que ce morceau est un peu sarcastique, mais il est assurément volontairement noir et intense.
Tu es aujourd’hui visiblement plus confiant vis-à-vis de ton chant… Oui. Sur les précédents disques, je ne savais pas bien pourquoi je ressentais telle ou telle chose. Je les exprimais sans comprendre. Aujourd’hui, je crois que je commence à me connaître beaucoup mieux et je peux mettre des mots sur ce que je ressens. Je comprends mieux pourquoi je me sens de telle ou telle manière. Cela me donne plus de confiance quand je chante et je n’ai plus besoin de cacher mes émotions sous les nappes de sons.
Ta voix était utilisée comme un instrument à part entière. Tu ne cherchais pas seulement à mettre le son de ta voix en arrière, c’était aussi pour cacher les paroles ? En fait, il y a plusieurs raisons. Ma voix était un instrument, comme tu viens de le dire, plutôt rythmique, que j’avais tendance à mixer d’une certaine manière, de façon à exprimer une sorte de lutte intérieure, les mots cherchant à sortir, mais n’y arrivant pas vraiment. Aujourd’hui, ma voix franchit les barrières et je me sens plus à l’aise pour chanter de façon plus mélodique, en révélant certaines choses de moi-même. C’est juste une évolution.
Mais bizarrement, tu ne sembles pas évoluer sur le plan des sentiments et j’ai l’impression que tes paroles sont aujourd’hui plus sombres que sur "Zeroes" et rappellent plutôt la noirceur de "Total Decay", notamment sur Far… Au moment où j'ai écrit "Zeroes", j’étais en colère. Sur "Deeper", j’étais plus déprimé. De même à l’époque de "Total Decay", où la peur de la mort m’obsédait. J’ai tendance à traiter des thèmes récurrents tels que la tristesse, la peur de la mort ou autres questions existentielles. En fait, je redis la même chose, mais de manière différente dans chaque chanson. AC/DC avait dit quelque chose comme ça, que toutes leurs chansons étaient les mêmes, mais réécrites à chaque fois (rires).
Cela est plus évident avec Mötörhead ou The Ramones, non ? Oui. J’ai aussi lu une interview de Dave Gahan qui disait que leurs chansons tournaient toujours autour des mêmes thèmes, à savoir l’amour, la mort, le suicide, l’addiction… C’est pareil pour moi, sans doute. Ces thèmes parfois déprimants sont comme une addiction pour moi. Je dois être masochiste. J’aime me torturer, je pense, et c’est pourquoi je continue à devoir faire sans arrêt face aux mêmes choses. J’apprends à envisager la vie de manière plus paisible, mais je pense être accro à la douleur. Je suppose que cela fait partie du processus, mais je continue à essayer de comprendre.
Tu penses que la déprime est le seul moteur de création pour Soft Moon, ou d’autres émotions plus joyeuses pourraient à l’avenir nourrir ton œuvre ? J’ai en tout cas besoin d’une certaine lutte ou d’une sorte de défi afin de pouvoir apprécier ce que j’ai conquis. J’aime me battre, je suppose. Je n’aime pas que les choses soient trop faciles ou pratiques. Il me faut me mettre dans des situations inconfortables. Aller à Venise partait de ce principe-là. Vivre isolé, loin de mes racines dans une ville dont je ne connais pas la langue. Je dois livrer bataille pour créer et jouir de mes conquêtes.
Sauf que Venise est, pour bien des gens, un endroit de rêve qui est plutôt censé agir comme un antirépresseur… Oui, mais le lieu n’avait pas d’importance. Cela aurait pu être en Afrique du Sud ou ailleurs. Il me fallait juste un endroit inédit où je n’ai aucune attache, et Venise est apparue par hasard. J’en parlais à mon manager alors qu’il était temps de bosser sur un nouvel album, et comme il est de cette ville, il m’a suggéré l’idée. Il m’a trouvé un endroit là-bas juste après la tournée et je suis donc parti de New York pour y aller quelques semaines. C’est sans doute une des plus belles villes du monde, c’était donc très ironique d’être dans un tel lieu et de ne pas profiter du style de vie vénitien, si ce n’est la nourriture qui était excellente. J’étais seul, concentré sur ce que j’avais à faire, replié sur moi-même. Encore une fois, tout est question de lutte… et de volonté. Ca ne m’empêchait pas parfois de remettre à plus tard mes velléités de travail ou de prendre de mauvaises décisions. Tout cela fait partie du processus créatif…
Tu y es resté combien de temps ? Un an.
Tu as donc vu l'acqua alta, l’eau envahissant et inondant la ville… Oui, c’était intéressant (rires). Devoir chausser des bottes en plastique pour se déplacer (rires)…
Quel est le line-up pour les concerts aujourd’hui ? Je joue à la Maroquinerie avec le même que lorsqu’on s’est vus la dernière fois à la Machine du Moulin Rouge. Matteo et Matteo, donc (rires) (Vallicelli et Salvatio -ndlr). Je pense que l’on va rester ensemble quelque temps, je n’ai jamais été aussi heureux en groupe. Il y a une très bonne dynamique live, c’est très puissant et très spontané. Et nous avons une relation très forte…
Ce nouvel album est un poil plus électronique que les autres, non ? Je suppose. C’est arrivé comme ça, inconsciemment. Je prends ce qui sort de moi sans chercher à comprendre. Il faut du temps avant que je me repenche dessus et que j’essaie de déterminer le pourquoi de tel choix ou de telle chanson. J’apprends sur moi-même avec le temps grâce à mes disques, mais il me faut toujours un peu de recul. C’est très intéressant.
Sur le plan des rythmes, il y a des choses un peu nouvelles aussi, sûrement inspirées par tes origines cubaines, mais de manière un peu distordue ? Oui. J’ai toujours été fan de percussions. J’ai exploré un peu plus sur ce plan pour ce disque et j’espère poursuivre encore plus loin cette recherche à l’avenir. Je ne prédétermine jamais comment un album va sonner, mais la seule certitude que j’avais avant de commencer ce disque était que je voulais qu’il soit très percussif, bien plus qu’il n’est aujourd’hui, en fait. Mais j’aime que tout vienne naturellement, je n’aime pas me forcer.
On sent un tournant dans Soft Moon, non ? Oui, je crois qu’il y a quelques éléments sur ce disque qui sont des prémisses de l’avenir de Soft Moon, c’est clair.
« Émotionnellement, c’est l’album le plus difficile pour moi. Sa sortie est vraiment cathartique et je suis curieux de voir comme je vais maîtriser cela sur scène. Certaines chansons du disque sont difficiles à écouter pour moi, alors les jouer chaque soir… »
Il y aura des difficultés particulières pour le live, des trucs qui t’angoissent ? Émotionnellement, c’est l’album le plus difficile pour moi. Sa sortie est vraiment cathartique et je suis curieux de voir comme je vais maîtriser cela sur scène. Certaines chansons du disque sont difficiles à écouter pour moi, alors les jouer chaque soir… On verra… C’est pour cela qu’il s’intitule "Deeper", parce que je vais au plus loin de mes émotions.
Au plus profond de ton être et de ton esprit ? Au plus profond, dans tous les sens du terme.
Chaque album est une page de ta vie ? L’ensemble forme une sorte d’autobiographie ? Exactement. C’est le témoignage de voyages très personnels, chacun étant un chapitre de ma vie. Et le fait de rechercher un endroit où je peux être tout seul me permet de rendre mes disques encore plus personnels, et de rendre compte de comment je me sentais à ce moment-là.
Et quand tu réécoutes ton tout premier album, que te vient-il à l’esprit ? Cela me donne une certaine perspective sur mon évolution en tant qu’être humain. C’est intéressant, car cela a commencé dès l’enfance. Je découvre le passé et j’apprends plus ou moins pourquoi ma colère et ma frustration qui ressortent à l’époque de "Zeros" sont liés à mon enfance. Au moment de la création de ce disque, je n’avais pas les données que j’ai aujourd’hui et j’avais besoin d’exprimer ce manque. Aujourd’hui, j’en sais plus et je me sens plus adulte. Et j’espère qu’au fur et à mesure de mon évolution humaine et artistique, je vais découvrir un jour le vrai bonheur.
Tu as eu d’autres groupes avant Soft Moon. Tu peux encore réécouter ce que tu faisais ? Tu en as gardé des traces ? Je dois avoir deux ou trois trucs quelque part. J’ai formé mon premier groupe lorsque j’avais 13 ou 14 ans. J’ai écrit ma première chanson à 12 ans. J’ai eu de nombreux groupes dans lesquels j’essayais de trouver mon son et mon expression, je suppose. Ça m’a pris des années. The Soft Moon est finalement apparu, un projet personnel et unique pour moi qui m’offre le meilleur moyen de communiquer mon état et mes sentiments.
Tu peux imaginer un jour composer en groupe ? Oui, je commence à apprécier le fait de jouer en groupe. J’adore la communication qui se crée lorsqu’on joue à plusieurs. C’est dur à expliquer, mais c’est un sentiment agréable. Mais The Soft Moon demeure pour l’instant la vision d’un homme. Encore une fois, le but de ce projet est d’apprendre sur moi-même. Pour ce faire, la musique doit venir de mon corps et de mon esprit.
Tu dis pour l’instant. Cela veut dire que tu peux envisager la présence d’une autre personne composant avec toi à l’avenir ? C’est possible. Si la connexion est telle que l’on se comprend parfaitement, pourquoi pas. Je suis ouvert à cela si ça arrive. Sinon, je continuerai comme avant…
Si tu avais le choix parmi tous les producteurs existants ou ayant existé, qui prendrais-tu ? Ah ah ! J’y ai réfléchi par le passé, mais je crois que je n’ai pas de producteur rêvé. Peut-être que si j’étais membre d’un groupe, j’en aurais un. J’ai toujours le sentiment que je suis le meilleur producteur pour Soft Moon, même si je peux avoir besoin de co-producteurs comme Maurizio pour m’aider dans ma tâche.
Tu faisais attention aux noms des producteurs quand tu achetais un disque ? Oh oui ! C’est comme avec le cinéma lorsque tu fais attention aux metteurs en scène. Des gens comme Steve Albini ou Brian Eno sont les premiers à me venir à l’esprit. Ils ont produit pas mal de disques que j’aime. Leur production est très humaine et très artistique.
La pochette de ton nouveau disque, malgré les 3 couleurs habituelles noir, rouge et blanc, se détache pas mal des précédentes… Oui, mais l’album est assez différent également avec des directions variées. Je pense que lartwork reflète cela. Il est très direct avec pourtant beaucoup de textures pour aller au plus profond des choses. Et aussi beaucoup de références au passé. Tout cela est présent dans cette pochette…
C’est le gros plan d’un mur ? C’est le résultat d’un mélange de plusieurs murs et de pages que j’ai déchiré, une sorte de collage. Je me suis baladé dans Berlin avec mon appareil photo et j’ai capturé diverses images qui m’ont servi à créer cette pochette. Et chez moi, j’ai photographié des photos de magazine et j’ai assemblé tout cela.
Vous étiez une des têtes d’affiche du Wave Gotic Treffen l’an passé. T’as trouvé ça comment ? C’était fantastique, avec tous ces goths partout.
Tu t’es senti à ta place ? Il y a un côté carnaval médiéval. Notre musique est sombre et correspond au style, mais l’apparence vestimentaire ne m’a jamais trop intéressé. C’est la musique qui compte. Mais j’ai aimé notre concert là-bas et j’ai toujours aimé les groupes goths, ce sont mes premières amours. Je suis donc heureux de jouer dans ce genre de festival. Quoique les groupes batcave et autres, je m’y suis mis un peu tard, en fait, lorsqu’on a commencé à me comparer à des groupes que je ne connaissais pas encore.
Ah oui ? Quels groupes, par exemple, as-tu découverts grâce aux critiques de journalistes à propos de ton groupe ? Des trucs comme Front 242 ou Christian Death. Je ne connaissais pas ces groupes, pas même de nom, avant de démarrer Soft Moon. Christian Death est californien pourtant. Et j’adore, maintenant. C’est marrant d’être catégorisé dans un univers dont je ne connaissais finalement pas grand-chose, à la base. Ma noirceur est sincère, tu sais. J’exprime ce que je ressens, c’est tout…
Il y a un autre groupe du genre que tu as découvert grâce aux comparaisons et critiques des journalistes ? Oh, Danse Society. Ce sont les critiques de mon premier album qui m’ont amené à ce groupe que j’adore maintenant. Merci aux journalistes pour ça et pour m’avoir fait découvrir que je n’étais pas tout seul ! Bon, je connaissais bien sûr The Cure ou Joy Division, mais c’était cool de découvrir d’autres artistes grâce à mes disques. |  |  |  | | |  | |
|  |  | |  |