Death In Vegas
Satan's Circus
[Drone]
Plus dépouillé que ce à quoi Richard Fearless et Tim Holmes nous avaient habitués jusqu'à présent, "Satan's Circus" est de fait leur album le plus homogène. Une rupture évidente par rapport à la variété, la diversité et parfois la démesure propres à la musique de Death In Vegas qui caractérisaient leurs trois premières productions ("Dead Elvis" en 1997, "The Contino Sessions" en 1999 et "Scorpio Rising" en 2002). On baigne en effet ici dans une electronica douce-amère et minimaliste, sorte d'électronique old school (qui se permet d'ailleurs un clin d'œil appuyé à Kraftwerk, avec un décalque innatendu de leur Trans Europ Express sur le titre Zugaga), mais d'une vitalité étonnante et parfaitement dans l'air du temps. Les habitués du groupe risquent d'être déconcertés car cet album fera cette fois-ci sans nul doute sa carrière bien loin des projecteurs sous lesquels les entraînaient jusque-là systématiquement leurs prestigieux invités (Iggy Pop, Liam Gallagher, Paul Weller, Hope Sandoval ou encore Bobby Gillepsie) et à mille lieues de la démesure des arrangements des précédents albums. Cette intimité et cette quasi noirceur à laquelle ne nous avait pas habitué le duo est tout à leur honneur, tant l'album est une véritable réussite.
Le disque est disponible dans une version limitée proposant un second CD sur lequel figurent douze titres live.
Christophe Labussière


Alien#Six13
Establishing Alpha
[A Different Drum]
Après douze ans de travail pour d'autres groupes dont The Nine pendant six ans, Geoff Pinckney a décidé de laisser libre cours à ses émotions personnelles et de donner naissance à un projet solo. Et contrairement à ce à quoi on pouvait s'attendre, il ne s'agit pas d'électro pop, car il ne s'agit ni de pop ni vraiment d'électro, mais plutôt d'une techno très variée, conviviale, presque chaleureuse où le groove est roi. Rythmes inhabituels, sonorités nouvelles, mélodies intelligentes, particulièrement variées, tel est le cocktail frais d' Alien#Six13. On appréciera particulièrement Highway to the Sun comme test de dégustation. On pense immanquablement à Moby, aux Chemical Brothers, à Orbital mais aucune comparaison sérieuse n'est néanmoins possible tant le contenu des morceaux est diversifié. On y trouve même de l'électro-jazz ! Globalement, les onze morceaux bénéficient d'une production parfaite. On danse beaucoup, ça swingue dans tous les sens sur Holding onto Something, Away, Above the Stars et sur le carrément disco You've Got the City. Un peu comme avec System 22 et plus encore Wideband Network, A Different Drum s'impose comme un label talentueux, encore capable de dénicher des perles électroniques d'un nouveau genre.
Stéphane Colombet


Assemblage 23
Storm
[Accession Records]
On l'attendait avec une impatience infinie, ce nouvel album d'Assemblage 23. Deux ans ou presque de silence, après "Defiance" le disque parfait, l'Américain Tom Shear, personnage désormais incontournable sur la scène future électro-pop, nous livre un quatrième opus, tout cela en moins de cinq ans. "Storm" est comme son nom l'indique un album fort comme l'orage, plus speed que le précédent, violent et beau à la fois. On apprécie toujours autant la voix conquérante et si personnelle de Tom ainsi que ses mélodies accrocheuses et dansantes. On regrettera peut-être une certaine uniformité des rythmes mais on se consolera avec des couplets/refrains entêtants, toujours aussi magnifiques. Si les morceaux les plus lents et les plus innovants ne se retrouvent pas vraiment sur l'album (à l'exception du grandiose Complacent et du déroutant 30KFT) mais sur le maxi "Let the Wind Erase Me" qui l'a précédé, avec les titres Darker et surtout Tragic Figure, plusieurs morceaux sont non seulement des hits potentiels mais iront tout droit dans les annales des meilleurs morceaux électro de l'année (Human, Skin, You Haven't Earned it et le magnifique Regret). Devant une formule aussi efficace, on se demande pourquoi il faudrait qu'Assemblage 23 cherche à se renouveler. Ne change rien à ta musique Tom, on l'aime ! Et parce que c'est encore meilleur quand ça dure, sachez que cet artiste est plus que productif puisqu'à peine sorti, "Storm" sera immédiatement suivi d'un nouveau maxi, "Ground", encore enrichi de deux nouveaux inédits. Un seul mot : merci !
Stéphane Colombet


Atrium Carceri
Seishinbyouin
[Cold Meat Industry]
On avait découvert Atrium Carceri avec "Cellblock" et son univers claustrophobique, en tout point oppressant et presque désincarné, mais fascinant de par la qualité des ambiances restituées. Cette fois, Simon Heath se révèle un peu plus à travers un texte personnel dans le livret de l’album dont on fera ici peu de commentaires car il ne concerne pas son œuvre mais confirme l'obsessionnelle croisade paranoïaque de l'auteur. Heath tente néanmoins, depuis son repère d’animal traqué, de laisser entrer davantage d’"humanité" sur "Seishinbyouin" ("asile lunatique" en japonais) par le biais de nombreux samples de voix, quasiment toujours déformées et distendues, probablement extraites de drama japonais, qui évoquent la torture ou la rédemption quand elles sont compréhensibles. Mais hormis sur Hidden Crimes, Dark Water et Librarian où un piano distille quelques notes claires au loin, les compositions, moins riches en textures organiques que sur le précédent album, diffusent toujours leur halo malsain et sont comme autant d’échos à la souffrance de leur auteur. Même si, pris individuellement, les morceaux sont digestes, les clichés du genre sont réunis. Voir In Chaos Eternal, et son lot de bruits sourds, coups, vent, et cris féminins étouffés ou encore Illusion Breaks et ses samples d’eau qui goutte, lames qui s’entrechoquent, halètements, voix montées à l’envers, loquet, chœurs éthérés etc. Loin d’être "seulement" un environnement sonore tourmenté qui pourrait toucher nos affects, "Seishinbyouin" devient alors un exercice de dark ambient soporifique, une succession de sketchs glauques mi-médiévaux, mi-japonisants, sans véritable identité, ni fil conducteur.
Catherine Fagnot


Attrition
Dante's Kitchen
[Big Blue]
Depuis le début des années 80, Attrition n’a cessé d’être présent sur la scène gothique et électronique. Industrielle, expérimentale, dark, classique, la musique de Martin Bowes a côtoyé tous les genres. Au fil des années le mariage entre musique classique et électronique est de plus en plus présent dans les compositions du groupe. "Dante’s Kitchen", le dernier opus d'Attrition, s’inscrit dans ce registre avec au centre les violons et les voix lyriques de Julia Waller et autres consœurs. Les titres s’enchaînent comme une grande fresque musicale et jouent sur les contrastes entre les vocalises féminines et la voix sombre de Martin, entre les sonorités électroniques et acoustiques. Les violons tissent la toile de fond et les voix aériennes dessinent des volutes qui nous entraînent en dehors du temps. Bien que l’on retrouve avec plaisir cette atmosphère mystique et envoûtante, force est de constater que l’album n’est pas très innovant. On regrette que les morceaux soient façonnés dans un même registre musical et que Martin Bowes ne prenne pas plus de risques. "Dante’s Kitchen" reste néanmoins un excellent album qui possède cette beauté singulière qui nous a toujours tant séduits chez Attrition.
Delphine Payrot


The Birthday Massacre
Violet
[RepoRecords]
Les apparences sont souvent trompeuses. Ainsi serait-on tentés d’esquisser un léger sourire à l’entame de cet album de Birthday Massacre, le premier à atteindre les rivages de l’Europe. Un look entre Marilyn Manson et The Rasmus, une jolie chanteuse brillamment mise en avant, une imagerie freaky-goth savamment étudiée (une nouvelle fois Tim Burton n’est pas très loin) et l’on s’imagine déjà en présence d’un nouveau clone des insupportables Evanescence. Agréable erreur de jugement puisque de ces derniers, The Birthday Massacre n’a copié que la puissance du son et l’ampleur des guitares pour soutenir les treize brûlots de gothic rock moderne et rafraîchissant qui composent ce CD. Loin de se dissimuler derrière une production massive et reconnaissont-le, parfois un peu trop clean, la jeune formation présente en effet un indéniable sens de la mélodie et du refrain qui font de Violet un joli précipité d’efficacité juvénile. Un EP transformé en véritable album pour le vieux continent puisque le sextet de Toronto y a rajouté quatre titres de leur premier opus "Nothing and Nowhere" (2002) dont le formidable hymne Happy Birthday. Alliant une virulence qui n’est pas sans rappeler les Californiens de Sunshine Blind et une touche synthétique à la Suspiria/Rosetta Stone, The Birthday Massacre développe un univers fantasmagorique à la fois poétique et pervers. Dans la peau d’une Alice descendue au Pays des Merveilles, le couteau à la main, la belle Chibi et ses acolytes semblent bien décidés à en découdre avec les mauvais rêves d’enfance et les contes à dormir debout. Et le pire est que l’on se surprend à vouloir les suivre dans leurs folles virées nocturnes et dans ce monde de poupées tout à la fois onirique et inquiétant. Si le terme de "coup de maître" n’était aujourd’hui aussi galvaudé et dépourvu de sens, nul doute qu’il servirait du meilleur résumé qui soit à ce "Violet" tout en passion et en finesse.
Stéphane Leguay


Black Tape For A Blue Girl
Halo Star
[Projekt]
Toujours mené à la baguette par son omnipotent mentor Sam Rosenthal, Black Tape For A Blue Girl approche tout doucement la double décade d'existence avec un neuvième album dans l'escarcelle, "Halo Star". Faisant suite à une compilation rétrospective et surtout au formidable "The Scavenger Bride" (2002), ce douze titres répartit en deux faces (!) continue de faire évoluer lentement le concept romantique et évanescent propre à Black Tape ; sous l'influence de Michael Laird d'Unto Ashes, devenu membre à part entière d'un line-up pourtant toujours un peu flou, les percussions ethniques font irruption flagrante dans l'univers vaporeux de la Cassette Noire. Moins extatique que son illustre prédécesseur, "Halo Star" garde néanmoins le cap vers des horizons éthérés et oniriques, voguant aux vents sereins de guitares acoustiques, de cordes, de flûtes traversières et des éternels synthés du capitaine Rosenthal. En partie tirés du livre que ce dernier s'apprête à sortir dans quelques mois, les textes poétiques aux traditionnelles teintes douces-amères prennent une émouvante forme vocale dans le souffle grave de Bret Helm (Audra) ou celui plus aérien d'Elyzabeth Grant. Il en ressort quelques jolies pièces à la fragilité cristalline telles Your Love Is Sweeter Than Wine ou Indefinable, Yet, donnant à "Halo Star" les couleurs diffuses et enveloppantes qui caractérisent l'œuvre globale du groupe. Malgré d'incessants changements de personnel, la formule définitivement brevetée avec "Remnants of a Deeper Purity" en 1996 fonctionne donc toujours à la perfection, et l'on se surprend encore à s'émerveiller devant cette maîtrise des sons et des émotions qui permet à Black Tape For A Blue Girl de matérialiser le Beau et la Mélancolie au gré de chaque nouvel album.
Stéphane Leguay


Boyd Rice / NON
Terra Incognita: Ambient Works 1975-Present
[Mute]
Depuis 30 ans que Boyd Rice occupe les recoins les plus obscurs des scènes les plus underground, il était temps que soit publiée cette compilation, témoignage de la richesse et de la variété de son œuvre. On n'explorera avec ce CD que le côté ambiant de sa musique, celle basée sur des nappes de bruit, la version "j'étais bien ami avec Throbbing Gristle à leurs débuts". Le côté "je joue de la guitare sèche avec mon copain Douglas Pearce" (dans le cadre de Death In June, avec encore récemment "Alarm Agents") n'est pas du tout évoqué ici, mais on ne le regrettera pas, cela préservant l'aspect conceptuel dudit album. Album ou compilation, d'ailleurs, peu importe. La musique de Boyd Rice est, de prime abord "toujours pareille", mais en se laissant porter on verra bien vite qu'il n'en est rien. À ses débuts, dans les années 70, l'inventeur de la "roto-guitare" (ventilateur branché sur une guitare) dérangeait, et sa musique pouvait être perçue comme une agression sonore quasi insupportable, autant que comme un outil de relaxation parfait... Le temps a passé, nos oreilles d'enfants du XXIème siècle ont domestiqué le bruit et il ne reste plus, aujourd'hui, que le côté apaisé de la chose. C'est ainsi : l'album s'avale d'une traite, goulûment. Nous plongeons éveillés dans les brumes de l'inconscient, et le résultat est, ma foi, très revigorant, seul notre cerveau restant apte à expliquer pourquoi cette musique est tellement envoûtante. Brillant.
Frédéric Thébault


Clan Of Xymox
The Best Of
[Pandaimonium]
Quatre ans après s’être abandonné au jubilatoire exercice de l’album live (un double CD en l’occurrence), Clan Of Xymox s’essaye aujourd’hui à celui nettement plus ardu du best of. Ardu car les bons morceaux ne manquent pas chez la formation hollandaise ! On peut même dire que, sans avoir la puissance de feu d’un Cure ou d’un Depeche Mode, Ronny Moorings aura su pondre, au cours de ses vingt ans de carrière, un nombre finalement assez conséquent de tubes. Comme l’on pouvait s’y attendre, le bonhomme fait l’impasse complète sur toute la période Xymox (88/95) et les albums "Twist of Shadows", "Phoenix", "Metamorphosis" et "Headclouds". Un choix judicieux si l’on considère la platitude de ces trois dernières réalisations, mais qui nous prive malheureusement des superbes hits qu’étaient Obsession et Imagination, extraits du très honorable "Twist of Shadows". Tant pis.
Cette compilation, idéale pour pénétrer l’univers du Clan, se double en outre d’un objet indispensable pour tout fan puisque le groupe en a profité pour réenregistrer cinq titres de l’ère 4AD. Une opération louable puisqu’elle évite la facilité du "disque tiroir-caisse", mais qui laisse malgré tout un petit goût de frustration. Difficile en effet de relifter les perles que sont Louise, Stranger ou Muscoviet Mosquito sans faire glisser le scalpel et sans éliminer les minuscules éléments qui en font toute la beauté. Seule la version 2004 de A Day, quasi identique à l’originale (où est donc l’intérêt ?!) s’en sort sans trop d’égratignures. Un bémol qu’on ajoutera à l’éviction des pourtant cultes Michelle et Going Round mais qui ne nous empêcheront néanmoins pas de vous recommander chaudement ce "Best Of" du plus actuel des groupes eighties !
Stéphane Leguay


Curve
The Way of Curve
[Anxious Records/BMG]
L'histoire n'a pas toujours distingué les phénomènes exceptionnels des phénomènes de foire. "The Way of Curve", l'ultime compilation de Curve retraçant la carrière d'un groupe de "filth-pop" exemplaire et extrêmement bien entouré (Flood, Alan Moulder, Steve Osborne), devrait enfin rendre à Toni Halliday et Dean Garcia toute la reconnaissance qu'ils méritent. Car ils ont sans cesse étoffé ce mur du son si caractéristique que beaucoup leur envient, et les 31 titres présents sur ces deux CD remettront, nous l'espérons, les pendules à l'heure du duo : en avance d'une génération au moins. Le premier CD propose des singles irréprochables ainsi que divers classiques qu'ont enregistrés les Anglais depuis 1990. Tout y est dans l'ordre chronologique : de Clipped à Perish en passant par Horror Head, Missing Link et bien d'autres, la liste (établie par des fans) est longue et pourrait l'être encore plus. Quant au second CD, il s'adresse à ceux frustrés de n'avoir pas trouvé tous les EPs du groupe en temps et en heure. Il propose en effet des faces B et raretés indispensables telles que Low and Behold, la collaboration Wate a Waste avec Ian Dury, et aussi les puissants Triumph, Mission from God, ainsi que l'inédit In Disguise enregistré pour l'occasion. Ce deuxième CD, riche en travaux de qualité, prouve qu'à l'instar de leur presque "homonyme" Cure, le duo n'a jamais bâclé ses inédits, véritables trésors pour collectionneurs avertis. Chacun cherchera alors ce qui a cloché jusqu'ici dans la carrière de ce groupe à la médiatisation improbable, au son extraordinaire et au chant si sensuel. Peut-être trop de talent et d'intégrité, tout simplement.
Bertrand Hamonou


Delerium
The Best of
[Nettwerk]
Intitulé "The Best of" parce que le groupe n'en avait jamais sorti auparavant, malgré une discographie riche de onze albums et d'une belle série de singles, cette compilation de quatorze titres permet de s'immerger avec plaisir dans l'univers bien particulier du side-project de Bill Leeb et Rhys Fulber, habituellement moins sages dans le cadre de Front Line Assembly. Mais le choix des morceaux et des versions est tout de même plutôt contestable ; entre les remixes technoïdes pompiers et les chants grégoriens/ethniques à la Enigma bien trop présents, "The Best of" ne propose, outre les deux titres inédits dont Paris interprété en français par Aude, qu'un intérêt tout relatif pour le fan. Et l'on ne conseillera pas non plus cet album au néophyte, il sera en effet plutôt souhaitable de le diriger vers le récent "Chimera", qui contient à lui seul le meilleur de ce que les deux body men sont vraiment capables et dont l'écoute permettra d'avoir un aperçu bien plus homogène de l'œuvre de Delerium.
Christophe Labussière


The Dresden Dolls
The Dresden Dolls
[8FT Records/Roadunner]
Non, les Dresden Dolls ne sont pas une réponse batterie-piano à la formule batterie-guitare des White Stripes. Tout juste pourrait-on relier ces deux formations par leur étonnante capacité à occuper l’espace sonore avec aussi peu d’instruments, mais ici s’arrête la comparaison. Car le duo de Boston développe un univers bien à lui qui dépasse le simple cadre de la musique. Reprenant à leur compte l’héritage du Théâtre Réaliste de l’Illusion de Bertold Brecht et Kurt Weill et recyclant avec finesse des influences cabaret, rock, jazzy, et même punk/batcave, les Dresden Dolls se fendent d’un premier album en tout point séduisant. Personnages tout droit sortis d’un vieux Tim Burton, Amanda Palmer et Brian Viglione construisent et déconstruisent une nouvelle forme de piano-rock, tour à tour burlesque (Coin-Operated Boy), gonflée à l’adrénaline (Girl Anachronism), perverse (Missed Me) ou mélancolique (Truce). Avec des tempos volontairement flottants et un jeu très organique, les compositions de la virtuose Amanda défient, aguichent ou subissent la frappe puissante de Brian, donnant à l’ensemble des douze titres une jouissive impression d’exécution live. Car si c’est bel et bien en concert que le petit monde des Dolls prend sa pleine dimension théâtrale, cet album en reste la plus belle des introductions, dans son contenu comme dans son contenant. Avec un artwork à la fois punk et Belle Époque, quelques photos du duo, des textes francs et touchant, le livret même du CD vous plonge dans l’univers de ces passionnantes poupées en tout point pittoresques. Attendez-vous alors à plonger dans un étrange capharnaüm de sons venu d’un autre temps, à caresser de vieilles photos jaunies, à rencontrer les fantômes de Tori Amos, Nico, Nick Cave, Nina Simone ou Violent Femmes et à vous laisser surprendre et surprendre encore par cette musiques pour spooky kids en collants rayés et chapeau melon… Ébouriffant !
Stéphane Leguay


Flowers Made of Snow
Compilation
[Cold Meat Industry]
À la différence de labels tels que Projekt ou Cleopatra, Cold Meat Industry s’est toujours montré plutôt avare en matière de compilations. Une démarche que l’on ne peut cependant que saluer tant il est vrai que cet exercice qui consiste à aligner à répétition une vingtaine d’artistes sur un seul et même CD cache le plus souvent un objectif plus mercantile que véritablement artistique. Sortie plus de six ans après le cultissime "Absolut Supper" (si l’on excepte le double vinyle "Nihil" en série limitée), "Flowers Made of Snow" fait ainsi suite à une dynastie de compilations aussi rares que précieuses dont on retiendra surtout les fameuses "…And Even Wolves Hid Their Teeth" et "Karmanik Collection". Ce qui frappe d’entrée ici, c’est la "variété" des sonorités proposées. En effet, là où les précédentes collections du label alignaient les unes à la suite des autres de longues plages de dark ambient, d’indus rituel ou de noise marécageux, le premier CD laisse cette fois-ci libre cours aux aspirations gothiques, folk, heavenly, mélancoliques ou contemplatives de ses nouvelles signatures : The Last Hour, Hesperos (tous deux ex-Gothica), All My Faith Lost…, Sibelian, Apatheia ou Olen’K (premier groupe français signé chez CMI). Un premier tome en tout point remarquable qui, outre le fait de nous faire découvrir les prometteuses jeunes pousses du label, nous propose d’excellents titres (parfois inédits) des habitués que sont Ataraxia, Coph Nia, Ordo Rosarius Equilibrio ou encore In Slaughter Natives. Quant au second volet de ce bouquet hivernal, il recentre les débats vers des sonorités plus typiques de Cold Meat Industry, à savoir noirceur, profondeur et malaise. Et à ce petit jeu, les Deutsch Nepal, Brighter Death Now, Raison D’Être, MZ 412 ou Skin Area restent les plus forts ! Mention spéciale toutefois pour Desiderii Marginis, Atrium Carcere et Sephiroth qui nous emportent, chacun à leur manière vers d’inquiétants territoires balayés par une bise glaciale et hantés par les murmures de millions d’âmes. Somptueux monument à la gloire de la nuit, "Flowers Made of Snow" apparaît comme un immense miroir tellement opaque que la lumière même n’ose s’y refléter. Une parfaite introduction en tous les cas pour le béotien qui voudrait pénétrer la matière sombre et poisseuse du plus misanthropique des labels.
Stéphane Leguay


Interlace
Imago
[Memento Materia/Dependent]
Deux ans après "Innuendo", un premier album fort remarqué et apprécié des fans à la fois de Skinny Puppy et de Clock DVA, le trio suédois d'Interlace confirme ses premières influences, mieux les renforce et les personnalise. "Imago" est un album plus brutal encore que "Innuendo", où les mélodies d'une grande richesse souffrent face à certaines sonorités carrément indus et des rythmiques parfois déstabilisantes. Si l'album enchaîne dans sa première partie au moins quatre titres très rythmés (dont Master, objet du maxi annonçant il y a quelques mois l'album à venir) et particulièrement efficaces pour les clubs (on pense parfois à l'hypnotisme de certaines percussions simples, si chères à des groupes comme Klinik), la suite de "Imago" est, sauf exception, beaucoup plus lente, presque méditative parfois mais très personnelle et particulièrement marquante, comme si la poésie pouvait naître du chaos (sur Crystalline Hush et surtout sur l'hallucinant Pandora). On regrette d'ailleurs que la voix du chanteur soit si souvent torturée à l'excès car lorsque celui-ci évite parfois ce cliché indus, il révèle une voix superbe que seul Trent Reznor a été jusqu'alors capable lui-même d'assimiler à ce type de musique. "Imago" nous offre quatorze titres d'excellente musique électronique, sombre et complexe, totalement fascinante, à la frontière skinny puppienne de la pop et de l'indus. Une grande réussite à se mettre dans les oreilles d'urgence.
Stéphane Colombet


Isis
Panopticon
[Ipecac]
Attendu au tournant après deux excellents albums ("Celestial" et "Oceanic") et une poignée de EP et maxis, on pouvait légitimement se demander si le quintette américain saurait relever le défi de surpasser ses précédentes réalisations. Confirmer tout en innovant, avancer sans se mordre la queue ni s’autoplagier, telle est la lourde tâche qui attend toute formation ayant obtenu en quelques années ses galons de "groupe prometteur" puis "incontournable", voire "culte". Mais autant le dire tout de suite, Isis ne semble pas avoir eu beaucoup de mal à éviter cet écueil tant la puissance et la fluidité de ces sept nouvelles compositions semblent couler de la même source limpide et créatrice. Ce qui frappe d’entrée, c’est ce son de guitare, énorme et écrasant qui dévaste tout sur son passage. Des riffs torturés mais précis qui semblent se fracasser contre les murs de quelques prisons modernes, un chant hurlé qui laisse deviner la rage au ventre et le cœur au bord des lèvres, Isis reste une créature viscérale et violente. Mais qu’on ne s’y trompe pas, "Panopticon" n’est pas une arme de destruction massive, loin s’en faut. Car à l’instar de leurs cousins suédois Cult of Luna ou de leurs pères spirituels Neurosis, Isis dilue son métal-noise dans de longues nappes claires et progressives, transformant au gré d’atmosphères quasi cinématiques ses saturations corrosives en arpèges vacillants et fragiles. Godspeed! You Black Emperor ou Mogwaï ne semblent alors jamais bien loin d’un Altered Course ou d’un Syndic Calls. Un album de contrastes donc, océan démonté puis mer d’huile, tempête électrique puis souffle de vie, claustrophobie puis grand espaces… "Panopticon" est fantastique. Tout simplement.
Stéphane Leguay


Jake Fairley
Touch Not the Cat
[Dumb-Unit/Kompakt]
Personnage un peu farfelu à l’allure dandy du XIXe siècle, Jack Fairley, qui officie aussi dans le groupe The Uncut (dont les premiers maxis sont très prometteurs), est sans aucun doute une valeur émergente de la scène electro-techno de Toronto. Sa techno amphétaminée, chargée de vocaux maladifs et de rythmiques dures, s’illustre élégamment sur ce deuxième album un rien décadent. Le rock’n’roll filtre sous la froideur de l’électro, invoquant un esprit post punk que l’on doit vraisemblablement aux influences du Monsieur, parmi lesquelles figurent en bonne position Joy Division ou Television. Sauf qu’ici, ce sont les machines qui dominent, et qu’elles ont l’implacable pouvoir de faire danser.
Les martèlements métalliques de "Touch Not the Cat" donnent en effet une énooorme envie d’user la gomme de ses souliers sur la piste de danse. Malheureusement, à la longue, ils s’avèrent aussi quelque peu répétitifs, et les rythmes roboratifs deviennent petit à petit rébarbatifs… Ceci dit, à petite dose, on aime beaucoup l’air vicié qui s’échappe du son de Fairley, donnant une ambiance fin du monde au dancefloor.
Laure Cornaire


Lavantgarde
Inside Out
[SPR]
Avis aux amateurs de Depeche Mode, Mesh et autres De/Vision, la concurrence va se renforcer avec Lavantgarde. Ce duo allemand nous offre en effet, après un premier album "Musicment", une techno pop beaucoup plus soignée, dotée d'une jolie voix hybride rappelant parfois celle des Pet Shop Boys, qui vous fait pousser la chansonnette avec une facilité étonnante. Des sons clairs, des mélodies synthétiques presque neuves et surtout une fraîcheur générale qui donne envie de s'attarder sur ce disque pour affirmer que la simplicité en musique n'est pas toujours synonyme de niaiserie. L'ensemble est très dansant, avec de petits hits discrets mais efficaces tels que Recall of Night ou Take Me S.I.M.. Bien sûr les influences précitées sont là et bien là (De/Vision est clairement la référence, ainsi que les vieux Camouflage et la jeune garde d'Iris et de Michigan) et le résultat ne relève pas du génie mais d'un certain talent d'assimilation et de volonté de livrer une production harmonieuse et soignée. "Inside Out", c'est donc onze morceaux de pure synthpop qui vous feront parfaitement passer le temps dans l'attente du nouvel album de Mesh prévu pour début 2005. À noter qu'il vous faudra toutefois passer outre la pochette de ce disque, parfaitement monstrueuse et si décevante en comparaison des efforts consacrés par le groupe à sa musique.
Stéphane Colombet


Melvins/Lustmord
Pigs of the Roman Empire
[Ipecac/Southern]
D’un côté les expérimento-métalleux Melvins, de l’autre un des maîtres ès expérimental ambient : Brian Williams (SPK, Throbbing Gristle), aka Lustmord, non moins avide de collaborations et projets divers que les Melvins. Ajoutez dans le rôle de l’arbitre Adam Jones, ex-guitariste de Tool, et vous obtiendrez cet hallucinant "Pigs of the Roman Empire", un split album qui comblera les fans des deux bords. Même si l’avantage semble donné à Lustmord, d’entrée. III, instrumental dans la pure tradition dark ambient, ouvre en effet les hostilités cauchemardesques avec son grondement inquiétant, un gong au loin et une guitare grinçante posée sur une nappe d’électro menaçante. Même constat pour le dernier morceau, Idolatrous Apostate, et le titre caché qui lui succède. On distingue cependant nettement la patte Melvins dès le second titre avec les riffs lourds accompagnés de la voix si particulière de King Buzzo qu’on retrouvera sur Pink Bat à l’intro pourtant digne de Merzbow, qui laisse ensuite place au rock gras des Melvins ou encore sur Safety Third, cousin éloigné du So What de Ministry. Quant aux 22 minutes opaques qui composent le morceau titre, elles convient l’auditeur à une descente inédite vers un expérimental ambient qui se meut peu à peu en un heavy rock hypnotique, nourri de fulgurances indus, pour revenir au final vers l’obscure majesté du dark ambient. La rencontre des genres était peu probable, c’était sans compter sur le talent de ces protagonistes peu frileux qui ont su transformer ce qui n’aurait pu être qu’une hermétique lubie en un enthousiasmant kaléidoscope mutant.
Catherine Fagnot


Slam
Year Zero
[Soma/Labels]
Duo fondateur du label Soma (avec Dave Clarke) et actifs sur la scène techno/house de Glasgow depuis plus de dix ans aussi bien en tant que DJ, producteurs qu’au sein de Slam, Stuart McMillan et Orde Meikle mélangent dans leur musique influences techno, house, funk, dub ou même rap. Ceux chez qui leur précédent opus "Alien Radio" avait suscité l’enthousiasme accueilleront les bras et les oreilles grands ouverts ce nouvel album conçu comme un retour aux sources, à cet an zéro où le terrain de la musique électronique restait à défricher. De plus en plus sur un format "chansons", les titres de "Year Zero" conservent toujours un pied sur le dancefloor, comme le prouve le très accrocheur This World, morceau ouvrant l’album et composé en collaboration avec Dave Clarke. Au chant, se succèdent les voix féminines de différentes invitées : l’éthérée Dot Alison, Tyrone Palmer (apparue aussi sur le dernier Felix da Housecat), Ann Saunderson (d’Inner City) ou encore la sensuelle Billie Ray Martin qui apportent de la douceur à cette électro-funk parfois clubbeuse, parfois plus atmosphérique. Derrière l’apparente décontraction de leur musique, Stuart McMillan et Orde Meikle se souhaitent également passeurs de messages et n’hésitent pas à déclarer clairement que Soma est un label de gauche. Un esprit résolument positiviste !
Laure Cornaire


Sol Ixent
Wide Open
[Discordian Records]
On avait pu voir Marc Hurtado (Étant Donnés) et Saba Komossa ensemble sur scène lors de la tournée d'Étant Donnés en 2000, les voici réunis sur un disque monochromatique noir, blanc, et dérivés de gris en tous genres. Ne vous fiez donc pas à l'arc-en-ciel de lettres utilisé sur la pochette, car nos deux protagonistes sont ici enfermés dans un loft mal éclairé, avec un lit pour seul meuble. Le dépouillement sonore de "Wide Open" rappelle Suicide, mais c'est plutôt une version "select" de l'electro-clash (avec préservatif de rigueur) à laquelle nous avons à faire. La voix chaude et grave de Saba donne de la main, que l'on imagine brûlante, ce que Peaches et autres Chicks On Speed balancent vulgairement à la figure. Une boîte à rythmes et une grosse ligne de basse synthétique omniprésentes en guise d'orchestre donnent la réplique à la voix terriblement sexy de Saba Komossa, chanteuse déjà connue pour des travaux similaires avec Gabi Delgado de DAF sur l'abum de Delkom sorti en 1989, et que le label grenoblois Discodian Records, visiblement fan des productions minimales et sensuelles de la chanteuse polyglotte, a récemment réédité en CD. "Wide Open" est en effet la porte grande ouverte sur un monde minimaliste, sorte d'appartement témoin qui reste à peindre, où toutes les langues (français, anglais, allemand, espagnol) sont autorisées. En tout, seize titres d'une homogénéité rare tant et si bien qu'il est de prime abord difficile de dégager un titre parmi les autres, même si Massive Hot Flesh, le premier single disponible accompagné de trois remixes qui ne trahissent en rien la version originale, est hautement recommandable.
Bertrand Hamonou


Terranova
Digital Tenderness
[Recall]
On reprocherait bien à Terranova d'avoir choisi la simplicité (pour ne pas dire la grossièreté) tant les sons utilisés sur "Digital Tenderness" reluquent d'une façon honteuse vers des sonorités simplistes piquées dans celles des années 80, et surtout parce que le combo nous avait jusque-là habitués à une qualité d'un bien plus haut niveau. On peine à reconnaître le groupe qui nous avait offert l'an passé le splendide "Hitchhiking Nonstop With No Particular Destination". Mais si ce n'est pas leur talent de musiciens qui brille ici, reste celui de mélodistes, car l'album parvient malgré cette déconvenue à préserver l'efficacité en proposant une série de morceaux entêtants et charmeurs. On savait Terranova capable de beaucoup plus de finesse lorsqu'ils étaient sur !K7, et tout laisse croire que leur départ de ce label exemplaire pour Recall leur aura offert de nouvelles libertés, tout au moins celle de choisir la facilité. D'ailleurs, la présence de deux titres identiques en ouverture et fermeture de l'album, mais dans des versions complètement différentes, permet pour qui en douterait de comparer les méthodes indigestes (Grounded) utilisées aujourd'hui par le groupe aux anciennes, bien plus excitantes (Ground of Original Nature).
Christophe Labussière


Trisomie 21
Happy Mystery Child
[Le Maquis]
Ce qui frappe le plus lorsque l'écoute de "Happy Mystery Child" s'achève, c'est à quel point l'album est à la fois imprégné des sonorités propres à Trisomie 21, avec toutes ses spécificités et son approche de la musique extrêmement personnelle, mais en parvenant toutefois à s'en éloigner, prenant ses distances avec un passé extraordinairement riche, ne réutilisant à aucun moment une recette qui aujourd'hui aurait peut-être difficilement encaissé le poids des années. "Happy Mystery Child" n'est donc d'aucune manière un remake ou un ersatz des chefs-d'œuvre qui ont émaillé la carrière du groupe, mais l'on rebondit pourtant de références en clins d'œil, se rappelant avec un bonheur infini au détour de chaque chanson la puissance de "Chapter IV" ou la profondeur de "Million Lights". Mais sept ans après la dernière production du groupe, "Happy Mystery Child" prend de nouvelles positions, avec ce couple basse/guitare entêtant et extrêmement charmeur (que l'on ne parvient jamais vraiment clairement à rattacher à New Order ou à Cure), ou encore avec la voix de Philippe Lomprez qui ne s'est jamais faite aussi distincte. "Happy Mystery Child" est un vrai moment de bonheur qui touchera forcément les fans de la première heure et surprendra certainement ceux qui n'avaient pas encore eu l'occasion de flirter avec les mélodies sombres et mélancoliques de ces prodiges.
Le disque est aussi disponible dans une version accompagnée de deux CD supplémentaires, sur lesquels on retrouve une longue série assez inégale de remixes des titres de l'abum.
Christophe Labussière
Express
Au rayon électro-indus, on démarre avec la deuxième compilation du label américian WTII Resurrection 2 : au programme, de l'EBM en passant par l'électro pop, le tout plutôt lourd, mélodieux parfois, mais grave dans l'ensemble. On apprécie particulièrement HMB et sa reprise de The Metro de Berlin ainsi que La Floa Maldita, mélange enlevé d'heavenly voices et de sonorités future pop. En évoquant la future pop, on relèvera également la présence des petits malins de State of the Union. Pour le reste, on s'ennuie ferme (avec Monstrum Sepsis, Regenerator, PTI et même Beborn Beton) et on se demande où est l'intérêt des remixes franchement médiocres (de Cut.Rate.Box et Stromkern notamment). Dispensable.
Un an après "Power", album tout à fait honorable, le duo canadien de Voice Industrie revient avec un double CD compilation de leurs trois premiers albums ("Psychotica", "The Anatomie" et "Transmission") aujourd'hui pour la plupart introuvables. Et c'est avec un grand bonheur que l'on peut découvrir ou redécouvrir les plus grands morceaux d'un groupe discret mais doué, ayant digéré les meilleures influences de Front 242 (jusqu'à réutiliser quelques très bons samples) et y ajoutant des vocalises proches de Depeche Mode. Ça sent vraiment bon le début des années 90. Très bonne initiative du label américain A Different Drum une fois de plus.
C'est moins le cas pour "Visualize" le premier album de Provision (A Different Drum), groupe US fortement influencé par la new wave du début des eighties mais qui n'a pas vraiment su sortir des clichés de la synthpop à la Alphaville et autre Visage. La voix du chanteur est à peu près aussi sexy qu'un glaçon dans de l'eau plate ; les mélodies ne sont pas totalement dénuées d'intérêt mais les sonorités beaucoup trop entendues. Il faudra mûrir un peu…
Déconcertant, tel est vraiment le qualificatif à donner à "Anapter Ma", deuxième album du duo grec de Blue Birds Refuse To Fly (Decadance Rec.), qui hésite entre une très mauvaise darkwave (comme un clône malhabile de Deine Lakaïen, avec une voix grandiloquente assez insupportable…) et une future pop plutôt fraîche, naïve mais efficace, avec un son très clair parfois proche de Pulcher Femina (sur le même label), beaucoup plus intéressante et dansante sur les plages instrumentales (Lacima di Balena, Quasi Stellar) que sur les titres chantés.
On devient plus sérieux avec le premier album de System Syn, "Premeditated", nouvelle signature d'Out of Line, un trio censé renouveler le genre électro… À l'exception d'un ou deux morceaux vraiment excitants par leur mélange sucré/salé, oscillant entre sonorités et rythmiques dures et agressives et voix claires et émotionnelles sur de jolis refrains, la plupart des titres se perd dans ses références et, en guise d'originalité, nous livre une première œuvre un peu bâtarde, inclassable, pas désagréable (si on fait abstraction de la pochette carrément monstrueuse), assez pop finalement mais pas inoubliable non plus…
On poursuit dans le dur avec le nouvel album de Human Decay, "Disbelieve", chez Accession, sorte d'EBM nouvelle génération, combative, pas toujours convaincante mais globalement courageuse (on pense à Negative Format, God Module et autre Parallel Project). Une voix déjà entendue des centaines de fois mais des structures mélodiques plutôt bien conçues donnent à cet album un certain intérêt. Sûrement pas révolutionnaire mais de très bonnes surprises, grâce notamment à un usage habile des ruptures de rythmes, font de "Disbelieve" un album à découvrir.
On continue dans le costaud avec Mindless Faith et leur nouvel opus "Momentum" chez Dependent. Au menu, rythmiques musclées, gros sons de synthés, parfois à la frontière de la trance, voix hybrides, ambiances futuristes. Quatre ans de silence depuis leur précédent album et le trio de Mindless Faith revient en oubliant ses premières influences coldwave, fournissant une production très riche et variée, pas toujours la plus dansante mais qui, assurément, s'imposera dans la durée comme l'album de la maturité. Encore un coup de maître du label Dependent.
Après le coup de maître, le coup de massue… celui du nouvel EP de Neuroticfish, "The Bomb", titre réellement explosif, résultat parfait de l'addition de tous les meilleurs morceaux future pop de ces cinq dernières années. Une tuerie pour tous les clubs et soirées électro… décliné en quatre versions complémen-
taires. Ajoutez-y deux très beaux inédits et une version symphonique de Care et le tour est joué : un EP indispensable pour patienter dans l'attente de "Gelb", un nouvel album à sortir d'urgence.
Moins dansant mais tout aussi talentueux, le trio suédois de Michigan, déjà remarqué avec un premier album très réussi, revient avec "Ultimate Sky", plus rock, un peu moins synthpop peut-être mais qui vous fera quand même penser aux meilleurs moments de De/Vision, Iris et surtout de Mesh, ainsi remplacé chez Memento Materia. On pense aussi beaucoup à Depeche Mode, période "Ultra". L'ensemble est fort bien produit et impose le respect. Décidément, Michigan, même si assez formaté FM, est un groupe à suivre de près… Une référence confirmée pour tous fans d'électro pop.
On s'adoucit le palais avec le volume 2 de la compilation Electropop Heroes de Memento Materia qui nous livre ici le pire et le meilleur. Le pire pour beaucoup de clones de vieux trucs des années 80 à la Kim Wilde et que la mode electroclash ne peut néanmoins pas racheter (on apprécie quand même une reprise réussie de Shout de Tears for Fears par Sophie Rimheden et Hakan Lidbo). Le meilleur pour quelques perles 100% suédoises comme Hype, le nouveau projet du chanteur d'Elegant Machinery, ou encore pour les beaux morceaux de Michigan, Monofader, Backlash et Z Prochek, souvent dans des versions inédites.
On termine avec un dessert empoisonné : "City", le second album du duo féminin de Client, petites protégées d'Andrew Fletcher de Depeche Mode, chez Toast Hawai/Labels. Dessert parce qu'il s'agit toujours d'électro kraftwerkienne rappelant les eighties, comme un Soft Cell avec des seins, simple, pop, attachante et personnelle. Empoisonné parce que parfois plus tragique, plus sombre, plus triste (avec des boucles émouvantes de piano aérien) que sur le premier album, plus expérimentale aussi, avec quelques participations discrètes mais efficaces de personnalités extérieures dont rien moins que Martin Gore sur le fabuleux Overdrive. Talentueux et juste ce qu'il faut de branché dans l'underground électronique. On en redemande.
Stéphane Colombet
Express
Qu'on se rassure, Vittorio Vandelli n’est pas un cousin éloigné de notre Bruno Vandelli national, inventeur de la quadrichromie musicale. Bien au contraire, ce musicien émérite et virtuose n’est autre que l’une des pierres angulaires du prolifique trio italien Ataraxia. Avec son premier effort solo, "A Day of Warm Rain in Heaven" (Equilibrium Music), directement inspiré de "The Rhyme of the Ancient Mariner" de S.T. Coleridge, Vittorio nous offre un superbe périple à travers les mers et les océans. Une traversée homérique au cours de laquelle les tempêtes septentrionales se meuvent en golfes paisibles et où les fières nefs d’hier croisent au grand large de frêles esquifs en perdition. Sublimé par la voix spectrale de Francesca Nicoli (d’Ataraxia…), cet album relaxant et envoûtant emporte dans son sillage une délicieuse odeur d’embruns et d’ailleurs qui séduit dès la première écoute.
Plus glamour mais nettement moins magique, le sextet germain Der Eremit nous propose son second opus "Das" sur le label helvétique Thunderdome. Des guitares affûtées façon Rammstein (le son en moins), une électronique souvent très cheap et des compositions vertigineusement plates, ne vous fatiguez pas, il n’y a pas grand-chose à tirer d’un album sans grande identité. Les quelques plans aux entournures folkloriques dans la lignée Letzte Instanz / Tanzwut (Lichtbringer ) sont ici les seuls domaines dans lesquels le groupe semble surnager et avec peine encore. Les fans de teutonneries à gros sabots se réjouiront, les autres passeront leurs chemins. Autre livraison du label, la compilation Tanz der Nacht, témoignage sur support CD des soirées du même nom. La méfiance est de mise après la pénible écoute de Der Eremit et devant un tracklisting douteux (Diorama, Cascades, Darc Entries…) et pourtant on se surprend vite à taper du pied et à chantonner à l’écoute de cette collection d’euro-pop synthétique et de gothiqueries entraînantes . Une chouette kermesse dancefloor où les enfants de VNV Nation (Namnambulu, Blutzukker), d’Apoptygma Berzerk (Eurocide, FAQ), d’And One (Diorama) ou d’Anne Clark (Sara Noxx) côtoient quelques formations plus reconnues telles Diary Of Dreams ou The Last Dance dans une joyeuse farandole synthpop, darkwave, gothique et EBM. Peu de titres à jeter à l’arrivée pour une compilation peut-être un peu gênante sur son étagère à CD mais qu’on ressortira en douce dès le premier moment venu ! Autre sampler, en provenance cette fois de Kalinkaland, Lightwaves est un peu l’opposé de son homologue suisse puisqu’il met l’accent sur les mélodies heavenly voices, romantiques et folkloriques de seize formations venues des quatre coins du globe (USA, Australie, Bulgarie, Slovénie…). Homogène et apaisant, ce florilège de sons classiques, aériens ou organiques, nous fait découvrir au côté des Black Tape For A Blue Girl, Unto Ashes, Rajna, Stoa ou Ophelia’s Dream quelques nouvelles formations prometteuses : Irfan, All My Faith Lost, Elane, Teradèlie (et son étonnant conte pour enfants) ou 1972. Pas grand-chose à rajouter pour une compilation qui atteint ici largement son but : séduire le fan du genre tout en lui ouvrant la porte vers de nouvelles promesses musicales. Profitant de l’appel d’air généré par "Lightwaves", le jeune quatuor Elane réalise son premier album, "The Fire of Glenvore". Heavenly d’inspiration, néo-classique dans la veine de celle de Stoa ou de XVII° Vie, la musique d’Elane dessine un univers remplit d’elfes, de fées et de sentiers forestiers obscurs qui évite toutefois soigneusement le piège de l’heroïc fantasy pour nerds boutonneux. Car si la marque de Tolkien se fait parfois pesante, notamment dans la thématique des chansons, la formation allemande parvient sans difficulté à détourner sa musique vers des horizons un peu moins cliché, nous gratifiant même d’une jolie reprise du Moonlight Shadow de Mike Oldfield. Un premier essai, qui pèche souvent dans le manque de personnalité et qui peine à tenir en haleine le long de ses 17 titres mais qui a néanmoins le mérite d’apaiser et de réveiller notre imagination.
Stéphane Leguay