Fields of the Nephilim
Mourning Sun
[SPV]
Si l'histoire de Carl McCoy et de Fields of the Nephilim a aujourd'hui franchement tourné à la rigolade, c'est pourtant d'une façon plus prestigieuse qu'elle avait débuté il y a plus de vingt ans. Apparu en 1985 avec l'EP "Burning the Fields", le parcours initial du groupe était un véritable sans-faute, grâce à la trilogie magistrale qui lui avait succédé, "Dawnrazor" (1987), "The Nephilim" (1988) et "Elizium" (1990). Le groupe était parvenu à imposer immédiatement un son et un style qui lui était propres, puisant son attitude dans l'esprit d'"Il était une fois dans l'Ouest" ("Dawnrazor" ouvrait d'ailleurs avec le thème de L'Homme à l'harmonica d'Ennio Morricone) et prenant à contrepied le mood de l'époque. Mais après un sommet absolu atteint avec "The Nephilim", c'est "Elizium" qui aura sonné le glas du groupe, Carl McCoy n'étant jamais parvenu par la suite à maintenir vivant le mythe, prenant même en 1996 un virage black métal totalement indigeste, comme un dernier hoquet pathétique. 2003 aura failli être l'année du retour du cow-boy gothique, avec l'album "Fallen", mais un imbroglio pas très clair nous apprenait que de nouvel album il ne s'agissait en fait plus que de démos inabouties...
Il aura fallu attendre 2005, pour que Fields of the Nephilim renaisse enfin de ses cendres. "Mourning Sun" peut enfin prétendre dignement à la succession. On y retrouve en effet tous les éléments propres à ces albums vieux de quinze ans, la classe, l'intensité et le grand guignol. Seulement sept titres, mais une construction qui rappelle en tous points celle de "The Nephilim". Deux points culminants, Straight to the Light et New Gold Dawn, hymnes vengeurs imparables auxquels succèdent de somptueuses plages bien plus calmes, mais parfaitement maîtrisées. Carl McCoy a enfin remis la main sur son cahier des charges et à pu réappliquer point par point la recette du passé. Tout est là, le goût, la saveur, et l'apparence. On ne lui demandait rien de plus.
Christophe Labussière


Andy Bell
Electric Blue
[Sanctuary]
Attention "chef d'oeuvre" : disons le tout net. Ceux qui n'aiment pas l'électro pop sucrée d'Erasure et autres combos synthétiques des années 80 à la Pet Shop Boys, Yazoo et autres Sparks, peuvent passer leur chemin ; les autres peuvent aussi éviter de perdre leur temps à lire la suite de cette chronique pour se précipiter chez leur meilleur disquaire et exiger un exemplaire de cet album. Car ce que vient de nous offrir Andy Bell est mille fois meilleur que ce que Madonna doit rêver toutes les nuits de chanter. Et c'est normal, car Monsieur Bell prêtait déjà sa voix sur les meilleurs hits synthétiques d'il y a plus de vingt ans quand la Madone nous faisait encore croire qu'elle était vierge. Composé avec l'aide du duo de Manhattan Clique, "Electric Blue" est un album hommage aux pistes de danse, à la disco de Donna Summer et Giorgio Moroder, aux meilleurs synthétiseurs et à Propaganda (grâce à deux duos magiques et quasi historiques avec Claudia Brücken). On pense à Erasure évidemment, mais aussi à Soft Cell et Marc Almond ; on pense même à quelques groupes plus underground tels que Covenant (avec les boucles de gros sons saturés sur le titre Electric Blue). Des titres tels que le génial single Crazy, le très trance Runaway ou encore les hyper clubby I'll Never Fall in Love Again et See the Lights Go Out achèvent de rendre cet album, composé de quatorze morceaux de bravoure (excusez du peu ?) totalement indispensable. À côté d'"Electric Blue", "Confessions on a Dancefloor", passe pour un produit surgelé bon marché. Vous êtes encore là : courrez vite !
Stéphane Colombet


Ataraxia
Arcana Eco
[Ark]
Ataraxia + Autunna Et Sa Rose
Ordos Eis Ouranon - La Via Verso Il Cielo
[Equilibrum]
Il n’y a pas une année sans qu’Ataraxia ne vienne ajouter un disque de plus à sa longue et labyrinthique discographie. Ainsi, un an après le magnifique "Saphir" et l’album solo de Vittorio Vandelli, le trio transalpin nous revient avec deux nouveaux projets. Le premier est un livre-CD, "Arcana Eco", qui outre le fait de replonger par trois fois dans les archives de la formation pour en ressortir des versions alternatives (Astimelusa, De Pourpre et d’Argent) ou réenregistrées (Nossa Senhora dos Anjos), nous offre pas moins de quatre inédits. Des inédits qui attestent s’il en était encore besoin de l’extraordinaire prolixité d’Ataraxia ainsi que d’une inspiration toujours aussi vivace malgré les années. Car des très typiques Cobalt et Mirsilo (guitares sèches, synthés, percus) jusqu’au superbe The Island of Docteur Moreau livré aux folles vocalises de Francesca Nicoli, en passant par l’hispanisant Fire in the Wood, aucune de ces nouvelles trames musicales ne sauraient être assimilée à de quelconques vulgaires fonds de tiroirs à l’intérêt limité. Une pièce de choix donc, autant pour le fan transi que pour le profane désireux d’appréhender cette quête onirico-mystique trans-séculaire qui anime Ataraxia depuis près de vingt ans. D’autant que le livre-concept qui accompagne ce beau digipack (articulé autour de six chapitres et agrémenté d’une interview et de splendides photos), reprend soigneusement la longue histoire du trio, de son commencement à aujourd’hui !
Autre actualité pour Ataraxia, ce double split CD live en compagnie de leurs compatriotes d’Autunna Et Sa Rose baptisé "Ordos Eis Ouranon". Avec un disque dévolu à chacune des deux formations, ce séduisant projet nous propose un concert donné en l’église St Michele de Rovigo. Une atmosphère bien particulière donc, qui sied parfaitement à la musique développée par les deux groupes. Car quoi de mieux qu’une voûte, qu’un transept ou qu’une multitude de pierres centenaires pour répercuter les mélodies élégiaques d’Ataraxia qui a choisi pour l’occasion quelques unes des plus belles perles de son répertoire ? Propulsé par le chant puissant de Francesca Nicoli et par les multiples résonances du site, le profond Bonthrop, le maritime Oduarpa, le mélancolique Les Tisseuses Lunaires sans oublier les quelques classiques (Medusa, Fuga Triomphale) mettent ainsi en perspective tout un univers sonore et visuel jusqu’alors souvent engoncé dans la rigidité des enregistrements studio. Une prestation au son impeccable qui nous offre en sus deux nouveaux inédits. Moins flamboyante que celle de leurs voisins, la musique d’Autunna et Sa Rose sait elle aussi profiter du lieu qui lui est ici offert. Plus intimistes et minimales, les nuances baroques de la troupe frôlent souvent la musique de chambre, voire la musique contemporaine en usant des dissonances d’un violoncelle et d’un piano que viennent régulièrement illuminer les vocalises de la soprano Sonia Visentin. Plus difficile d’accès, le set d’Autunna et Sa Rose sait néanmoins se faire lui apaisant et ondoyant notamment lorsqu’il reprend le Egypt de Tuxedomoon ou le Canzona… d’Ataraxia. En résumé, quand le Sacré passe de la nef au support CD, la magie opère, intacte. Et ça ressemble déjà à un miracle !
Stéphane Leguay


Bill Pritchard
By Paris, by Taxi, by Accident
[AZ/Universal]
On l'a rencontré il y a maintenant plus de vingt ans, au hasard d'un de ses incessants passages à Paris, lorsque le dandy Anglo-Bordelais venait nous conter la guitare sous le bras ses histoires d'amour, contrariées ou réussies, mais que l'on aimait plus que tout partager avec lui. On l'a retrouvé plus tard aux côtés de Daniel Darc menant à quatre mains et à deux voix un sublime "Parce que", disque brûlant et étourdissant de génie. En 2005, après quatorze ans de silence, Bill Pritchard donne enfin suite à "Jolie" avec un élégant "By Paris, by Taxi, by Accident". On retrouve dans cet album soigné toute sa classe et son charme unique, mais aussi cette faculté étourdissante à égrener des prénoms féminins tout en délivrant des chansons, en apparence désuètes, toujours bourrées de sentiments. Onze titres produits par Thomas Deligny et Yann Arnaud (Air, Syd Matters) pour lesquels il s'est accompagné d'Olivier Libaux (Les Objets, Nouvelle Vague, Helena) et qu'à mixés Julien Delfaut (Cassius, Étienne de Crécy, Cosmo Vitelli, Phoenix). Une équipe de choix qui sait se faire discrète et dont la présence ne nuit en rien à l'intimité qui se dégage de ce trop court disque, lui apportant en toute simplicité des sonorités contemporaines, mais d'une façon parcimonieuse, accompagnant un chant toujours splendide qui commençait vraiment à nous manquer.
Christophe Labussière


Conetik
Carbon Elektriq V2
[Infacted]
Les mystérieux membres de Conetik ont une imagination débordante et un sens de l’humour bien à eux. Leur biographie ainsi que le livret de "Carbon Elektriq V2" le prouvent d’ailleurs, puisqu’on nous affirme que le groupe est revenu du futur s’amuser parmi nous, tant ses membres s’ennuyaient de la seule compagnie des androïdes. Il n’est donc pas étonnant que leur techno-pop soit à ce point moderne, teintée de big beats ou de drum’n’bass (Turmoil), privilégiant les mélodies simples et efficaces. Elle est aussi humble et sincère, et il suffit d’écouter la reprise du Heart des Pet Shop Boys (très fidèle à l’original) pour s’en convaincre. Les clichés dance et technoïdes sont évidemment présents sur cet album que l’on se surprendra pourtant à charger si souvent dans sa platine. 100% électroniques et garanties sans guitares rajoutées, les quinze chansons qui composent "Carbon Elektriq V2" sont légères et sans prétention, et même si elles rappellent parfois les récents travaux de Camouflage (Lovesong #1,Angel), elles possèdent aussi une couleur, un ton et une originalité qui permettent à Conetik de se démarquer immédiatement d’une scène qui a cruellement besoin de se réinventer. Et si ces joyeux lurons étaient tout simplement allés chercher des réponses et une formule miracle dans notre futur ?
Bertrand Hamonou


Dandy Warhols
Odditorium or Warlords of Mars
[Capitol]
Il est toujours douloureux de voir un groupe que l'on a aimé, que dis-je aimé, adulé, perdre de la vitesse, se chercher, ne plus se renouveler, stagner...
Avec le fabuleux "Thirteen Tales of Urban Bohemia" des Dandy Warhols, sorti en 2000, on avait atteint des sommets de nonchalance débridée et d'humour destroy : le seul et le meilleur groupe punk psychédélique de la fin des nineties savait pondre des chansons magiques d'une pêche sans pareil, qui alternaient avec bonheur avec de longues plages électriques noirâtres et embrumées.
En 2003, "Welcome to the Monkey House" décevait, album trop synthétique qui montrait un groupe en perdition, d'où surnageaient heureusement quelques perles.
Aussi, cet "Odditorium or Warlords of Mars" était très attendu. Dès la première écoute le soulagement est là : la bande à Courtney Taylor a fait machine arrière, et a renoué avec les guitares électriques. Seulement voilà, si le groupe fait mieux qu'en 2003, force est de constater que l'album ne laisse pas un enthousiasme délirant à l'issue de son écoute, comme avaient pu le faire les tout premiers. Pas de "tube" rigolo ici, hormis Down Like Disco, seul titre à vraiment sortir du lot. L'album laisse un goût déprimant, comme si le groupe était fatigué, et d'ailleurs ce sont ici les ballades cotonneuses qui sont privilégiées : Love Is the New Feel Awful (9 mn 36), A Loan Tonight (11 mn49), Easyn (7 mn 32), Holding Me Up (7 mn 15)... Plus c'est long, plus c'est bon, dit-on ? Et bien non, pas forcément, on s'endort un petit peu, même s'il serait injuste de parler de mauvais album ou de mauvaises chansons.
Drôle d'impression. C'est comme si les Dandy ne s'étaient pas assez foulés, comme s'ils n'y croyaient plus. Alors, on réécoute le disque, plusieurs fois, pour essayer de s'enthousiasmer "comme avant", et on y arrive un peu sur All the Money or the Simple Life Honey, pas du tout sur le country-western The New Country, trop américain et "même pas drôle", encore un peu sur Holding Me Up, brillant mais trop long, toujours pas assez sur Smoke It, pourtant vigoureux mais qui manque de quelque chose. Alors heureusement que Down Like Disco, excellent, nous évite la sinistrose, il nous confirme que malgré tous ses défauts, les Dandy Warhols resteront à jamais un grand groupe dans notre coeur, vous savez, le genre de groupe dont on se souvient vingt ans après en disant "ah oui, qu'est-ce que c'était bien ce truc".
Frédéric Thébault


Depeche Mode
Playing the Angels
[Mute/Labels]
Des sonorités de guitares un peu cradingues, une voix emplie de tristesse, des synthés cotonneux, on avait senti dans Precious remonter une vieille mélancolie, des émotions anciennes et jusque-là enfouies qui nous ramenaient aux débuts magnifiques de Depeche Mode. Ce premier single augurait du meilleur quant au disque qui allait suivre, celui de tous les dangers, qui allait succéder aux productions solo de Dave Gahan et Martin Gore et à leurs déclarations respectives qui avaient un instant remis en cause l'avenir du groupe. Precious est clairement la clef de voûte de "Playing the Angel", placé judicieusement au centre de l'album, celui-ci repose en grande partie sur ce petit bijou. Mais le reste n'est pas en reste et tant d'acharnement dans la recherche de qualité donne l'impression évidente que le groupe et son producteur ont voulu faire oublier l'écart de "Ultra" et "Exciter". Une ambiance plus "pop" dans la forme (le quota de hits potentiels aux mélodies et refrains entêtants est de nouveau parfaitement rempli, Lilian en tête, suivi de près par Nothing's Impossible, Suffer Well, I Want It All (trois titres, splendides, écrits par Dave Gahan lui-même) ou encore A Pain That I'm Used To, The Sinner In Me...), des guitares omniprésentes au traitement rugueux, des sons de synthés "roots" disséminés ça et là, une production et des arrangements à la précision éblouissante. Peut-être un de leurs meilleurs albums.
Christophe Labussière


dEUS
Pocket Revolution
[V2]
dEUS est un groupe qui s'est toujours fait discret depuis ses débuts. Son premier album, "Worst Case Scenario", est sorti en 1994, et seuls deux autres avaient vu le jour jusqu'à "The Ideal Crash", daté 1999. Depuis, silence radio, et le groupe belge le plus sauvage que l'on ait vu depuis longtemps ne donnait plus signe de vie. Les membres s'éparpillaient alors, le chanteur Tom Barman fondait Magnus, se lançait dans le cinéma, le premier bassiste Craig Ward fondait Moondog Jr, le second bassiste Danny Mommens Vive La Fête.
dEUS avait une particularité musicale : leur rock "indé", teinté de punk, de blues, de pop, de techno, fatras d'influences en tout genre sans oeillères alternait avec un bonheur sans pareil les longues plages lancinantes aux morceaux hyperviolents, on passait des ambiances cabaret à la folie totale en quelques secondes, bref, dEUS était un groupe brut et enragé, faisant fi de toute mode, et c'est pour cela qu'on l'aimait tant. 2005, et voici ce "Pocket Revolution" qui arrive sans s'annoncer, avec deux petits nouveaux, Mauro Pawloski et Alan Gevaer. Et c'est la surprise, et quelle surprise. dEUS a mûri, et en a fait profiter sa musique. Si les guitares restent aussi incisives, elles ne brisent plus le reste des morceaux. Tout ici est plus délicat, plus léché, avec pour résultat une musique à fleur de peau, caressante (Include Me Out, splendide, le romantique 7 Days 7 Weeks, The Real Sugar) et enragée (Nighshopping, Cold Sun of Circumstance, hypertendue If You Don't Get What You Want), tout ça à la fois...
dEUS vient de sortir un album grandiose, un album qui fera date et qui permet au groupe de passer du rang d'outsiders sympas à celui de valeur sûre des grands du rock'n'roll.
Frédéric Thébault


Edward Ka-Spel
Fragments of Illumina
[Piehead Records]
Edward Ka-Spel
A Long Red Ladder to the Moon
[Beta-Lactam Ring]
Les albums solo d'Edward Ka-Spel, l'éminent chanteur des Legendary Pink Dots depuis déjà vingt-cinq ans, sont depuis longtemps des séries, des chapitres, des triptyques, des suites sans fin ; en quelques mots : un jeu de pistes dans lequel il est difficile de se retrouver. "Fragments of Illumina" est donc peut-être le troisième volet d'une série amorcée par "Scriptures of Illumina" et "Textures of Illumina" en 1995, mais qui, dans la forme, ressemble plutôt à ses productions protéiformes actuelles. Il s'agit de compositions simples telles qu'il les enregistre depuis "Synaesthesia" (2002) en compagnie de ses Legendary Pink Dots, où la folie et l'ennui côtoient de trop rares moments magiques, cruellement absents de ces cinq titres à la durée maximale. Les plus fidèles de l'ex-prophète s'interrogeront sur l'intérêt d'enregistrer des titres tels que The End of Everything (part 2) et Yet Another Fragment, tant il ne s'y passe absolument rien. Trois mois à peine séparent "Fragments of Illumina" de "A Long Red Ladder to the Moon", le nouveau disque de cet homme obsédé par sa propre musique. Plus cohérent que "Fragments of Illumina", c'est un vrai album dans lequel la boîte à rythmes est reléguée au rang de métronome, car programmée dans l'urgence des milliers d'idées qui germent simultanément dans le cerveau du génie. Les longs titres Black Widow's Kiss ou encore Gone Subterranean rapprochent "A Long Red Ladder to the Moon" de "The Blue Room" (1998) et de "Red Letter" (2000), avec sa production allégée et ses huit titres pour une heure de musique. "A Long Red Ladder to the Moon" ne propose donc rien de bien neuf, mais reste indispensable aux amateurs.
Bertrand Hamonou


Flatline Skyline
Horizon Grid
[Mechanoise Labs]
La musique de Flatline Skyline est née d'un contraste tellement évident qu'elle en est magnifique. D'un côté, les voix claires et parfois fragiles de Robert Andrew Scott (Bulletproof Bones) et Jacen Kemp, deux Américains qui se sont rencontrés en Virginie dans un cours sur la littérature de science-fiction. De l'autre, un minimalisme traité au noir absolu, drapé dans et des échos et un souffle démultiplié, entre microsons et décharges de hautes fréquences. Seulement voilà, il fallait y penser et oser remettre l'humain au centre de la machine, oser insuffler la spontanéité à cette musique d'ordinaire exclusivement instrumentale et robotique. "Horizon Grid" en devient alors tellement dense que l'on ne comprend plus bien s'il décuple les émotions de l'auditeur ou bien s'il s'en nourrit avidement pour l'entraîner encore un peu plus loin. Tout ici semble si fragile et si rigide à la fois, comme le prouve Blue Jaunt, le premier titre improvisé jamais enregistré par le duo, et dont les paroles ont déjà été oubliées. On croit penser à Endraum sur 98 Tiny Reflections of You, on imagine reconnaître le chant de Darrin Huss sur le titre Flatline Skyline, mais les repères s'évanouissent rapidement. Plus qu'une symbiose parfaite entre l'homme et les machines, ce disque monumental prouve que les imperfections et l'âme du premier sont indispensables à la survie des secondes. Un must d'une grande mélancolie et d'une beauté encore plus pure.
Bertrand Hamonou


The Frozen Autumn
Is Anybody There?
[Pandaimonium]
De retour après près de trois ans d'absence, le duo turinois The Frozen Autumn signe son intronisation au sein du label allemand Pandaimonium (Clan Of Xymox, Morthem Vlade Art) avec un nouvel album "Is Anybody There?". Un contrat qui devrait enfin pouvoir mettre en lumière le travail d'un groupe malheureusement peu connu jusqu'à maintenant. Mais n'est-il pas un peu trop tard ? Non que cette mise en perspective ne corresponde plus à une demande qui confinerait alors la formation au rang de reliquat dark wave, mais plutôt que d'un point de vue strictement artistique, la musique des Italiens semble s'être depuis quelques années vraiment appauvrie en intérêt. En effet, sacrifiant au "tout électronique" sa formule originelle basse-guitare-synthés alors plus proche du Clan Of Xymox des débuts que d'un Perfidious Words actuel, The Frozen Autumn semble du même coup avoir perdu le charme mélancolique qui animait ses deux premiers albums, le superbe "Pale Awakening" (95) et le classieux "Fragments of Memories" (97). La faute au départ en 2000 du guitariste Claudio Brosio, remplacé par la chanteuse et claviériste Arianna, transfuge de l'éphémère et très synthétique side-project du leader Diego Merletto, Static Movement. C'est donc dans les rythmes tempérés d'une synthpop toujours aussi sophistiquée et romantique que s'incarne "Is Anybody There?". Qu'elles soient numériques ou analogiques, les machines mènent ici clairement la danse, laissant aux voix le soin d'humaniser un ensemble malheureusement souvent trop lisse et superficiel. Une électro satinée et toute en douceur qui laisse finalement entrer bien trop de lumière dans des chansons qu'on préférerait voir baigner dans les teintes rouges et blanches d'un automne glacial. Et si cet album se laisse écouter plutôt facilement (quelques jolies mélodies sont heureusement au rendez-vous), il s'oublie également bien vite une fois le moment passé. Les aficionados de De/Vision, Melotron et autres Welle :Erdball risquent certes d'y trouver là leur nouveau héros, mais les fans de cold wave synthétique préféreront eux aller remettre un bon "Medusa" dans la platine. Comme on les comprend.
Stéphane Leguay


Ghost Fish
Ghost Fish
[Prikosnovénie]
L'été 2005 aura été très prolifique pour Prikosnovénie qui, avec ce disque, réalise l'une de ses productions les plus intéressantes de ces derniers mois. Projet regroupant les Grecques de Daemonia Nymphe d'un côté et la décidément très active Louisa John-Krol de l'autre, Ghost Fish brille par l'étonnante diversité de ses compositions. Assez loin des ambiances helléniques propres à Daemonia Nymphe et des mélodies onirico spirituelles chères à Louisa, le groupe semble s'adonner gaillardement et avec une insolente réussite à différents exercices de style. Du rock jazzy de Cigar of the Red King au tribal Kik en passant par le folk tzigane saccadé de D.D.L.M. ou au très Cocteau Twins Skin Meadow, la troupe passe en revue un grand nombre d'atmosphères (et d'instruments) sans jamais toutefois s'enliser dans le piège de structures puzzle, principal danger de ce genre de défi. Une réussite due à une écriture claire et efficace, embellie par le chant d'une Louisa John-Krol que l'on découvre plus pop/rock que sur ses habituels travaux, même si le superbe A Candle in the Sea nous rappelle que c'est dans un registre plus angélique que la belle sait avant tout nous arracher des frissons. Passé maître dans l'art du contre-pied, Ghost Fish choisi d'abandonner la fin d'un album jusqu'alors presque "tout public" à trois pièces plus lugubres et dissonantes, comme un dernier pied de nez vers l'auditeur que rien de saurait plus surprendre. Audacieux ? On ignore encore si Ghost Fish aura une descendance dans les années à venir, mais il est certain qu'avec une telle réussite, ce projet un peu fou mérite que l'on s'y attarde un moment.
Stéphane Leguay


Harvest Rain
Night Chorus
[Season of Mist]
Jason et Jamey Thompkins ont grandi dans les marais de la Caroline du Sud, et leur univers tout entier est emprunt de ce déluge d'humidité, jusqu'au nom même qu'ils se sont choisi : Harvest Rain. Voilà une oeuvre que l'on ne peut que détester ou adorer : quelle profondeur, quel charisme, quelle rigueur ! Puisque leur musique est qualifiée de folk automnal, la sortie de "Night Chorus" respecte à merveille le calendrier et les saisons. Si l'on pense immédiatement à Death in June où à Sol Invictus (Matt Houden a d'ailleurs joué du violon avec notre duo), on devine surtout que les frères Thompkins portent le poids du monde sur leurs épaules, et personne n'a envie de les aider tant cela fait plaisir à entendre. La formule est toujours la même, inébranlable, et ô combien parfaite : une voix caverneuse emprisonnée dans une chambre d'écho et qui vient d'ailleurs, une boîte à rythmes simple, lourde et lente comme une averse qui n'en finit pas, quelques nappes de synthé paresseuses et pures, et une guitare qui semble guider les pas des rares fantômes errant dans les rêves des deux frères. Les amateurs de diversité passeront leur chemin, car les quinze titres réunis sur "Night Chorus" sont de la même trempe, nés des mêmes obsessions et interprétés avec les mêmes instruments. Les plus curieux se délecteront de ces complaintes inspirées par des paysages brumeux, tour à tour lumineux puis ténébreux.
Bertrand Hamonou


In The Nursery
Electric Edwardians
[ITN Corporation]
Nous nous attentions cette année à la sortie d'un album de In The Nursery, un vrai. Pourtant, comme pour casser un rythme installé depuis 1995 et surprendre ses fans, le duo sort "Electric Edwardians", le sixième volet de leur série Optical Music, un an après la parution du cinquième, "A Page of Madness". Il s'agit cette fois d'un travail de commande pour le projet de la collection Mitchell & Kenyon devant accompagner le DVD du même titre, qui est un documentaire sur la vie au quotidien dans l'Angleterre du début du vingtième siècle. Le disque contient 31 courts titres (dont un seul dépasse les trois minutes), comme autant de scènes jouées par des comédiens d'un jour bien malgré eux. Les archives proposent un tour de l'île qui passe par Blackpool, Leeds, Glasgow ou encore Belfast. Loin de l'ambiance plombée et ténébreuse de "A Page of Madness", "Electric Edwardians" est beaucoup plus léger et gai, lumineux et plein d'espoir que n'a pas eu cette génération sacrifiée lors de la Première Guerre mondiale. Pour tout dire, cette fois la musique composée par Klive et Nigel pourrait aussi bien servir un film d'animation japonais. Quatre musiciens accompagnent les frères Humberstone sur ce volume qui n'aura pas de mal à se faire remarquer comme le plus acoustique de la série, voire le plus réussi.
Bertrand Hamonou


Inti Aka
Sensitive
[Subwave]
Premier "véritable" album (après deux CD promo auto-produits) du groupe chaumontais Inti Aka, "Sensitive" est une excellente surprise. Ne vous fiez surtout pas à la pochette, ni au nom du groupe qui reflètent assez peu le contenu du disque. Leur musique est une savante équation dont les composantes rock, électroniques et vocales rappellent par certains aspects l'alchimie trip-hop de Massive Attack. L'énergie rock insufflée par les guitares et la batterie est tempérée par la voix aérienne de Manon, aux mélodies accrocheuses. On se laisse charmer par la recherche des compositions électroniques dont les influences variées apportent un côté onirique à l'ensemble. Chaque titre de l'album est riche en couleur et laisse la part belle aux passages instrumentaux. On ne se lasse pas de réécouter ce "Sensitive" qui est véritablement d'une grande efficacité. Il est étonnant que le groupe n'ait pas encore rencontré le succès qu'il mérite auprès des labels et maisons de disques et qu'il ait dû créer son propre label, Subwave, pour se produire.
Delphine Payrot


Iris
Wrath
[Infacted Recordings]
Iris est un duo américain qui s'est distingué il y a maintenant cinq ans avec un premier album très prometteur à l'époque signé sur le label technopop US A Different Drum. Dès le début, un talent certain pour l'écriture avait été salué, une voix subtile et personnelle, des mélodies accrocheuses même si assez classiques. Deux ans plus tard, un deuxième album venait confirmer les premiers espoirs et renforcer la confiance faite à ce groupe. Et aujourd'hui, "Wrath" s'impose comme l'album parfait, celui qui devrait permettre au groupe d'entrer dans une autre dimension, celle des groupes connus et reconnus à l'image de Coldplay. Cela ne veut pas dire qu'Iris a mis de l'eau dans son vin, mais plutôt que quelques guitares viennent maintenant habilement compléter les synthés au service de structures musicales originales et d'harmonies proches de la perfection. L'ensemble est sans doute un peu moins dansant qu'auparavant -quoique- mais le risque de lassitude a du même coup été totalement gommé. Les intros sont souvent expéditives tandis que les conclusions sont souvent d'une grande intelligence. Un seul regret : dix titres seulement, souvent d'une durée assez courte. Mais le talent ne se mesure pas au poids, contrairement à ce que l'on pense souvent en matière de musique électronique. Les comparaisons, déjà faites dans le passé, avec des groupes comme Mesh ou De/Vision, sont toujours notables, même si Iris peut sans doute encore plus que les deux autres prétendre aujourd'hui au titre de "super groupe". Producteur influent, si tu me lis, fais connaître au monde entier ce groupe hyper talentueux, tu ne le regretteras pas et tu rencontreras le succès sans avoir l'impression de vendre de la soupe à des foules prêtes à avaler n'importe quoi.
Stéphane Colombet


Jad Wio
Nu Clé Air Pop
[Exclaim/Warner]
Annoncé depuis deux ans, notamment à coups de concerts qui en dévoilaient quelques morceaux, ce nouvel album d'un Jad Wio reformé commençait un peu à ressembler à l'Arlésienne. Mais il est finalement bien là, après avoir changé plusieurs fois de titre (il devait s'appeler au départ "Un Drôle de Lord Nu"), de tracklisting, et de date de sortie ! Et il faut bien avouer que la surprise est au rendez-vous. Alors que l'on imaginait Jad Wio revenir en fanfare avec toute l'exubérance et le glamour dont il avait fait preuve sur "Monstre-toi" ou "Fleur de Métal", voici que Bortek et Kbye débarquent presque en catimini, avec un disque étonnamment sobre et ouvragé. Sans revenir forcément aux racines batcave du groupe (quoique), "Nu Clé Air Pop" n'en ressuscite pas moins la période la plus trouble et savoureuse du duo : celle de "Contact", gorgée de sensualité vénéneuse, empreinte de rock incisif et hantée par l'ombre de Gainsbourg. D'ailleurs, celui-ci n'aurait pas manqué de qualifier de "classieux" ce cinquième opus, tant les mélodies envoûtent durablement tandis que les rythmes se font reptiliens. Mêlant finement électronique et guitares, les onze chansons du CD alternent anglais et français tout en développant des ambiances capiteuses sur fond de textes malicieux. Sans oublier, bien entendu, le duo crépusculaire entre un Bortek discret et une Mona Soyoc (KaS Product) enchanteresse sur Beside You. Aucune faute de goût ne vient donc entacher ce disque impeccable de bout en bout, rendant cette résurrection bien plus excitante qu'on aurait pu l'imaginer.
Christophe Lorentz


KMFDM
Hau Ruck
[Metropolis Records/KMFDM Inc.]
Plus de vingt ans de carrière au compteur et KMFDM a toujours la rage ! Là où Ministry connaît une discographie en dents de scie et où Nine Inch Nails déçoit, le groupe de Sascha Konietzko continue de produire des disques quasi irréprochables avec une régularité métronomique. Ainsi, le cru 2005 est à peu de choses près aussi bon que celui de 2003 ("WWIII") ou de 2002 ("Attak"). Refrains qui tuent, guitares chargées, rythmes technoïdes ou punkoïdes, samples efficaces, voix saturée de Sascha, chant irrésistible de Lucia... Tout est à nouveau bien en place pour fournir un autre album imparable de KMFDM, avec ses hymnes crossover pour dancefloors atomiques (Free Your Hate, Every Day's a Good Day, New American Century, Feed Our Fame), ses morceaux plus insidieux où s'exprime pleinement la voix troublante de Lucia (l'électro-punk schizophrénique de You're No Good, le trip-hop métallique Real Thing, le disco trash de Professionnal Killer), et quelques surprises, telle Mini Mini Mini, reprise hilarante du morceau de Dutronc qui prouve que les Germano-Américains n'ont pas perdu leur humour dans leur croisade anti-Bush. Bref, "Hau Ruck" ne montre aucun signe de faiblesse dans la créativité du groupe, et est suffisamment varié et accrocheur de bout en bout pour ravir le fan. Cela dit, il ne fera pas non plus gagner un nouveau public à KMFDM... Mais est-ce vraiment grave ?
Christophe Lorentz


Ladytron
Witching Hour
[Rykodisc]
Ce n'est pas parce que l'on parle aujourd'hui beaucoup moins de Ladytron que "Witching Hour", la toute nouvelle production de la formation de Liverpool, ne mérite pas notre attention. Bien au contraire : en un tournemain on oublie le maintenant trop daté "604" et le trop froid "Light & Magic" ; le premier, né dans la tourmente electroclash, et le second qui aura tenté d'en prendre le contrepied pour lui survivre. Cinq ans plus tard, le groupe a mûri, abandonnant le superficiel et les concours de mode, pour revenir à l'essentiel. La majeure partie de leurs compagnons de salon de coiffure sont restés sur le bord du bac à shampoing et ce disque va certainement faire des envieux. Une production soignée qui met parfaitement en valeur leur don pour la mélodie, avec une construction de morceaux toujours aussi ludique, qui laisse aujourd'hui filtrer toute l'humanité et la candeur du groupe. Le cordon est maintenant coupé avec les influences trop ostensibles du passé (mais qu'il fallait impérativement revendiquer à l'époque), et "Witching Hour" déroule d'une façon presque indécente une personnalité incontestablement très forte. Comme l'avait prédit "Light & Magic", les voix sont magiques et les compositions lumineuses.
Christophe Labussière


Moon Far Away
Belovodie
[Prikosnovénie]
Après les Ukrainiens de Flëur, les Bulgares d'Irfan et plusieurs années après le duo russe Rada & Ternovnik, Prikosnovénie poursuit son périple vers l'Est pour nous conduire en Russie, sur les berges de la Mer Blanche. Un lent périple qui nous fait remonter le cours de la Dvina jusqu'à la cité d'Arkhangelsk, berceau glacial du duo Moon Far Away. Le pays de la Mer Blanche (en russe "Belovodie") est le thème central de ce très bel album qui réunit dix airs traditionnels sur lesquels se mêlent chant typiquement slave, synthés et instrumentations folkloriques. Mais attention, folklorique ne signifie pas ici percussions ou instruments à vent à tout va ; non, l'héritage culturel de cette région reculée et hostile se prête d'avantage à de douces comptines aux entournures feutrées, presque discrètes qu'à une avalanche de chansons paillardes. Une musique faite de givre, de forêts enneigées et d'aurores boréales qui sait naviguer entre contes oniriques et mélodies mélancoliques. Difficile alors, à l'écoute du chant suave d'Anastasia, de ne pas s'imaginer emmitouflé jusqu'aux oreilles au coin d'un feu dans une isba au coeur des bois ou de contempler les flots d'une mer glaciale en arpentant une plage désertique tourmentée de vent. Des cartes postales cliché à souhait, mais dont on ne parvient à se détacher tant l'univers doucereux et immaculé du duo sait se faire persuasif... Une étape particulièrement attachante dans l'odyssée Prikosnovénie et vers laquelle on aimera retourner de temps à autre.
Stéphane Leguay


New Model Army
Carnival
[Attack Attack/XIII Bis]
Entre le (bel) album solo de Justin Sullivan en 2003, la tournée acoustique qui a suivi, puis la sortie du double CD de faces B et d'inédits ("Lost Songs"), on aura attendu cinq ans la sortie d'un véritable nouvel album de New Model Army. "Carnival" fait donc suite à "Eight", qui, malgré quelques beaux moments, ne restera pas comme un disque incontournable de la tribu de Bradford. Il faut dire que, depuis le monumental "Impurity", New Model Army n'a jamais véritablement retrouvé la flamboyance de ses enregistrements des années 80. Pourtant, chaque album contient toujours son quota d'hymnes potentiels et de ballades poignantes, même si aucun n'a la force de Get Me Out ou de Green and Grey. Sans inverser la tendance, ce neuvième opus studio est pourtant ce que New Model Army a produit de plus abouti depuis "The Love of Hopeless Causes". Car même si l'on n'y trouve pas de "tube" aussi puissant que Here Comes the War, "Carnival" est pourtant d'une belle intensité et d'une grande homogénéité, notamment grâce à la production tranchante de Chris Tsangarides. Après un début en fanfare via trois titres rock imparables, le rythme se ralentit avec une série de chansons oscillant entre ballades déchirantes, compositions convulsives (sur le modèle de White Lights) et titres atmosphériques à l'ambiance nocturne, entrecoupés par quelques cinglantes réminiscences post-punks. Impeccable de bout en bout, "Carnival", sans être pour autant le chef-d'oeuvre absolu du groupe, montre bien les multiples facettes du talent de New Model Army, et contient une belle brochette de chansons taillées pour faire monter la pression en live.
Christophe Lorentz


Peter Ulrich
Enter the Mysterium
[City Canyons]
Cela faisait longtemps que nous n'avions pas entendu parler de l'ex-percussioniste de Dead Can Dance Peter Ulrich. Six ans après "Pathways & Dawn", il est aujourd'hui de retour avec un second album, "Enter the Mysterium". Un effort qui recèle les mêmes forces mais malheureusement aussi les mêmes faiblesses que son aîné. Ainsi, si Ulrich reste plus que jamais habile dans l'art de reconstituer des ambiances du bout du monde et assez virtuose pour jouer de la quasi-totalité des instruments de cet opus (percussions, dulcimer, synthés etc), il ne peut empêcher "Enter the Mysterium" de s'essouffler rapidement dans des compositions peu passionnantes que ne peut venir sauver un chant toujours aussi limité. On remarquera toutefois une agréable hausse de régime en fin d'album avec en particulier le très subtil Another Day. Notez que ce CD bénéficie d'un système multi-channel SACD qui vous permettra de vous immerger complètement dans l'univers dépaysant de Peter Ulrich, pour peu que vous ne vous y endormiez pas !
Stéphane Leguay


Rinôçérôse
Schizophonia
[V2]
Pour leur quatrième album, les Français de Rinoçérose ne s'offrent rien de moins qu'un nouveau concept puisque "Schizophonia" est exclusivement constitué de titres chantés ! Non pas que Jean-Philippe et Patou s'y soient collés, mais ils ont appelé Bnaan (Infadels), Nuutti Kataja (Dead Combo), Dominique Keegan (The Glass), Jessie Chaton (Fancy) et surtout Mark Gardener (ex-Ride) à la rescousse pour un résultat surprenant. Même s'il s'agit d'une révolution pour le collectif de Montpellier, le cahier des charges d'origine est scrupuleusement respecté : la "house-music à guitares" qu'ils ont inventée est toujours extrêmement efficace. Mark Gardener s'offre trois titres de choix avec Skin, Pleasure and Pain et My Demons sur lequel son chant rappelle celui un peu voyou de Liam Gallagher, alors que Bnaan nous fait penser à Frank Black sur Cubicle, un titre qui reprend d'ailleurs une moitié du riff du Vertigo de U2 ; c'est dire si la bande de psychologues déjantés affectionne toujours autant les gros sons de guitare. Les paroles de Fiction Dancer sont d'une bêtise effrayante, mais la chanson s'impose en single potentiel taillé pour faire danser avec des guitares, leur spécialité. Cet album est le reflet des goûts et références très éclectiques de Jean-Philippe et Patou en matière de musique, surtout lorsque l'on sait que Stop It était initialement prévu pour Debbie Harry et que Ian Brown (Stone Roses) s'est vu obligé de déclarer forfait pour cause d'emploi du temps surchargé.
Bertrand Hamonou


Skeletal Family
Sakura
[GePek Records]
De prometteuse, la reformation de Skeletal Family en 2002 s'était transformée en fiasco suite à la sortie d'un live semi-officiel ("Disinterred") au son pourri et d'une prestation irritante à Strasbourg. La principale responsable de cet échec était Katrina Phillips, remplaçante de l'irremplaçable Anne-Marie Hurst, dont le grain de voix et l'attitude sur scène étaient en décalage complet avec la musique du groupe. Exit donc Katrina et bienvenue Claire, nouvelle voix du combo gothique de Keighley. Et si cette "Barbie goth" n'a toujours pas les capacités vocales d'Anne-Marie, force est de reconnaître qu'elle s'en tire plutôt pas mal sur ce nouvel opus studio du Skeletal Family version 2000. Derrière elle, les quatre membres d'origine ont en effet composé des morceaux qui n'auraient pas dépareillé au milieu de The Wind Blows ou So Sure. Même si l'on n'y trouve pas de tube de la trempe de Promised Land, "Sakura" témoigne quand même d'une certaine inspiration et reprend les choses à peu près là où le groupe les avait laissé en 1985 (soit avant l'arrivée de Katrina pour deux singles discutables). C'est donc du goth-rock classique, mais accrocheur, avec des mélodies entêtantes, une basse prenante, des guitares tourbillonnantes, une batterie tribale et une voix féminine mi-ange mi-démon. Dommage qu'une production faiblarde et qu'un son étouffé viennent atténuer l'efficacité des morceaux, car plusieurs chansons vraiment très réussies (Faithless Whore, Lies, Hearts Beating, Delerium, Freak) auraient gagnées à bénéficier de plus d'ampleur. Encore un effort et Skeletal Family nous offrira peut-être un disque enfin digne de son glorieux passé.
Christophe Lorentz


Stromkern
Light It Up
[Dependent]
Premier album du groupe depuis que celui-ci a rejoint l'écurie du label allemand Dependent, "Light It Up" est en quelque sorte l'album de la maturité, bien produit, toujours très personnel (avec une façon de chanter tout à fait atypique, sorte de rap industriel agressif et torturé) et redoutablement dansant. Dix titres, dix hits potentiels pour soirées électro post-apocalyptiques à l'image d'une pochette très réussie reproduisant New York, ses dollars, ses armes et ses télévisions. Les structures musicales et les sons choisis (alternance de séquences très électroniques, même parfois crossover, et de moments subtils au piano) sont parfaitement en adéquation avec le climat combatif et assez cinématographique d'un album très varié et d'une grande modernité. Stefan Herwig, le boss de Dependent, ne s'y est pas trompé : Stromkern apporte réellement quelque chose de nouveau au registre électro. Si le single Stand Up ou Slow Cascade apparaissent comme des valeurs sûres, hyper énergiques, sortes de marque de fabrique du groupe, des morceaux plus nouveaux et sophistiqués à l'image de Televised et Forgiven -et ses ruptures de rythmes- rendent cet album concluant dans la durée. La palme revient au titre Sentinel déjà présent dans la dernière compilation "Septic" du label, grâce notamment au concours de la voix de Franck Spinath, chanteur du talentueux duo de Seabound et du nouveau projet Edge of Dawn. À noter également la participation de Victoria Lloyd, chanteuse de Clair Voyant sur Hindsight, un morceau magnifique et planant qui prouve toute la palette de compositions que Stromkern est capable de fournir après quelques années derrière ses synthés. Une valeur très sûre. Un album hautement recommandé.
Stéphane Colombet


Tennant/Lowe
Battleship Potemkin
[EMI]
Avec un album des Pet Shop Boys qui n'en est pas vraiment un, les faux frères Neil Tennant et Chris Lowe marchent sur les platebandes des vrais jumeaux Humberstone (In The Nursery) et leur série Optical Music. L'intérêt que porte le chanteur des Pet Shop Boys à l'histoire de la Russie n'est un secret pour personne, et le fait qu'il ait accepté de composer une bande originale pour le film muet "Battleship Potemkin" ("Le Cuirassé Potemkine" en français) n'est finalement pas une si grande surprise. Malgré un leitmotiv (presque obligatoire dans ce type d'exercice) et sa mélodie récurrente, le duo n'a pas pu s'empêcher de composer ce qu'il sait le mieux produire : de la pop électronique facile à fredonner, comme sur After All (The Odessa Staircase) et No Time for Tears. Ainsi, pour cet album à part dans leur discographie, enregistré avec l'orchestre symphonique de Dresde, le résultat est effectivement ce qu'il prétend être : un savant mélange d'électronique et de cordes, de mélodies simples et accrocheuses, de mouvements lents et de pop moderne technoïde, tel ce Squadron qui fait penser à The Samourai in Autumn présent sur "Release". Ce disque s'impose comme un modèle du genre, qui respecte à la fois les exigences d'une bande originale et l'univers particulier des Boys -For Freedom en est sans doute la plus belle réussite- et qui permettra de patienter jusqu'au printemps prochain, puisque le nouvel album des Pet Shop Boys est déjà annoncé.
Bertrand Hamonou


Velma
La Pointe Farinet 2'949m
[Monopsone]
Avec seulement douze productions en cinq ans d'existence, le label Monopsone prend beaucoup de soin à sélectionner ses vrais coups de coeur. Leur nouvelle signature est le groupe suisse Velma, auteur de trois albums et déjà connu des fans de Dälek avec qui la formation a partagé un maxi vinyle "Dälek vs Velma" en 2003. Ils sortent aujourd'hui leur quatrième album sur la structure Monopsone installée au Mans, "La Pointe Farinet 2'949m", sur lequel Dälek est toujours présent puisqu'il a coécrit le titre Voices of the Ether. Leur musique est une habile combinaison de rythmes lourds et de lents tourbillons sonores, mais qui ne plongent pas assez profondément à cause de cette voix que l'on imagine en train de "lire" ses paroles... Le chant de Velma doit certainement beaucoup à cette rencontre avec Dälek, mais la voix de Christophe Jacquet est malheureusement loin de posséder le charisme de celle de l'Américain. Pire, sa prononciation de la langue anglaise n'est pas vraiment au point et s'avère être un obstacle de taille pour l'auditeur qui l'aura remarqué. Difficile alors de se replonger dans ce disque sans arrière-pensée lorsqu'arrivent 32 Offices ou encore 100% Sure. Ne pourrions-nous pas envisager une vraie collaboration Velma/Dälek qui prendrait soin de réserver le micro à l'Américain sur les chansons écrites dans sa langue maternelle ?
Bertrand Hamonou
Express
Sympathique formation hollandaise née en 1994, The Dreamside est menée par la voix mi-angélique mi-démoniaque de Kemi Vita, qui n'est pas sans évoquer Julianne Regan d’All About Eve. La musique présente sur "Spin Moon Magic" (Dancing Ferret Discs) mélange goth rock à grosses guitares, heavenly voices énergique et électro gentillette, sur des mélodies sans finesse mais efficaces. Les climats sont variés et l’ensemble s’écoute avec plaisir, à condition de ne pas bloquer sur le caractère grandiloquent des compositions.
Plus ancré dans une tradition goth classique, The Last Dance affiche aussi plus de dix ans d’existence. Ce trio américain métisse également son rock gothique "eighties" de sonorités plus modernes, ses guitares nerveuses et inventives se posant sur des rythmes dansants. "Once Beautiful" (Dancing Ferret Discs) ne révolutionne pas le genre et ne fait pas non plus dans la subtilité, mais reste agréable de bout en bout pour ceux qui ne sont pas réfractaires aux variations actuelles de l’héritage de Sisters of Mercy.
À côté de ça, les vétérans du genre sont toujours vivaces. En attendant son nouvel album prévu en 2006, Killing Joke se fend ainsi d’un live enregistré lors du concert de son vingt-cinquième anniversaire : "XXV Gathering: Let Us Prey" (Cooking Vinyl/Wagram). L’énergie du groupe est toujours aussi impressionnante et le tracklisting est un vrai bonheur pour les fans (Wardance, Pssyche, The Wait, Are You Receiving?, Requiem). Dommage que le son très cru donne un peu un aspect bootleg à l’ensemble… Parallèlement, deux albums récents de la bande à Jaz Coleman sont réédités en versions remasterisées. Le monumental "Pandemonium" (Cooking Vinyl/Wagram) et le sous-estimé "Democracy" (Cooking Vinyl/Wagram) bénéficient ainsi d’une seconde jeunesse et sont assortis de remixes relativement dispensables.
Mais comme il n’y a pas que le goth dans la vie, on jettera une oreille attentive sur le CD-R "Desert" d’Ex_Tension (ex.tension.free.fr), duo électro-indus strasbourgeois qui maîtrise très bien son affaire. Composé de deux morceaux (un de 32 mn et l’autre de 6 mn), ce EP démarre sur une longue plage dark ambient glacée, avant de monter en puissance, passant de rythmes électro-dark à une techno industrielle hypnotique avant de redescendre dans les abîmes après une apothéose bruitiste. Le second titre explore avec une efficacité identique des sonorités cliniques, industrielles et dansantes. Très prometteur.
Christophe Lorentz
Express
On ne sait plus vraiment combien compte aujourd'hui de disques la discographie d'Echo & the Bunnymen, que ce soit sans Ian McCulloch, avec lui, ou encore en solo, mais chaque nouvel album est une occasion en or de retrouver ces sonorités inusables et cette voix si particulière, qui ont forgé le mythe il y a maintenant près de 25 ans. C'est certain, "Siberia" (Cooking Vinyl/Wagram) ne fera oublier aucun des chefs-d'oeuvre passés des Liverpuldiens mais cela ne l'empêchera pas de procurer le plus grand plaisir aux oreilles averties qui retrouveront avec bonheur toute la mélancolie de ce chant inimitable et la magie de ces compositions toujours incomparables.
On a toujours apprécié les Cardigans. Le charme et la personnalité (vocale) de la Suédoise Nina Persson y étant pour beaucoup, mais leur faculté à brouiller les pistes, sautillant d'une pop easy-listening à des ambitions plus... radiophoniques (Lovefool ou encore l'irrésistible My Favourite Game), ne manquant pas non plus de charme. C'est aujourd'hui légèrement transformés qu'on les retrouve avec ce "Super Extra Gravity" (Stockholm Records) qui s'éloigne de l'ambiance trip-hop ou légèrement électronique de ses prédécesseurs, pour se draper d'atours plus classiquement pop. Un résultat plutôt satisfaisant même si trop d'homogénéité ne leur permettra pas de réitérer cette fois-ci l'exploit du passé, avec les millions d'exemplaires vendus de "Gran Turismo", même si l'on décèle ça et là une série de hits en apparence discrets, Good Morning Joan en tête, mais à l'efficacité éprouvée par les multiples écoutes.
Plus tête à claque que jamais, mais aussi toujours plus drôle, l'insolent Katerine s'est associé à Gonzales pour nous offrir un "Robots après tout" (Barclay/Universal) (clin d'oeil au "Human After All" de Daft Punk ?) complètement dément, croisement improbable entre les Little Rabbits (période "La Grande Musique") et une sorte de Daft Punk light. Une espèce mutante de chanson française avant-gardiste et je-m'en-foutiste. Le résultat fait totalement oublier ce que Philippe Katrine a poussivement réalisé jusque-là et a toutes les chances de vous rendre totalement addict.
Christophe Labussière