Bérurier Noir
Invisible
[Folklore de la Zone Mondiale]
À dire vrai, et avec le recul, les Bérurier Noir n'ont jamais réellement revendiqué grand chose... Ce qui, avant toute chose, caractérisait le duo, c'était un esprit aussi sombre que leurs textes étaient noirs. Une véritable marque de fabrique. Et s’il était facile de lire entre les lignes, c'est tout de même essentiellement de bûcherons et de renard dont il s'agissait. Bien sûr, le message se voulait solidaire et rassembleur : "Nous sommes les rebelles, rejoins notre raïa" et se posait clairement en réaction au fascisme ambiant, mais la démarche n'a jamais été ouvertement politique, jamais proactive. Nous sommes alors au milieu des années 80, et ce sont à l'époque des skinheads qui se hasardent aux concerts des Béru dont on se préoccupe. Plus tard, quand les 20% du Front National retiennent toutes les attentions, c'est Emperor Tomato Ketchup qui tourne sur la FM et Salut à toi qui devient l'hymne du groupe. Las, le message a fini par être phagocyté par le "concept" Bérurier Noir, son folklore, son cirque, sa cour des miracles bordélique et improbable. En 1989, dépassé par sa propre énergie, le groupe décide de s'autodétruire, non sans investir pour trois soirées consécutives l'Olympia, pur symbole d'un show business abhorré qui avait fini par les digérer.
Le retour de la formation fin 2003 pour une série de concerts, puis l'annonce d'un nouvel album pouvaient sincèrement étonner. Comment pourraient-ils aujourd'hui afficher la même envie que celle qui les animait à l'époque ? Où trouveraient-ils l'énergie de revenir, alors qu'ils avaient littéralement craqués 17 ans plus tôt, en pleine force de l'âge, abandonnant du même coup une jeunesse qui les avait portés jusque-là et qui avait peut-être encore besoin d'eux ?
L'état dans lequel se trouve la France aujourd'hui est au moins aussi inquiétant qu'il l'était il y a 20 ans, les Béru auraient pu "surfer" sur cette vague et rassembler de nouveaux des hordes de jeunes scandant à en crever "La jeunesse emmerde le Front National". Pourtant, c'est en toute discrétion qu'est paru "Invisible", et c'est avec Le cerf, le druide et le loup qu'il démarre. Encore une histoire d'animaux. Et s'il est encore cette fois-ci facile de lire entre les lignes, le groupe se refuse toujours à s'investir dans un message clair, même s'il dénonce toujours en filigrane la globalisation, la torture, l'absence de liberté ou l'impérialisme américain... Dans sa composition, l'album est étonnamment réussi ; la recette n'a pas subi les affres du temps, pas pris une seule ride, riffs de guitares abrasifs et boîte à rythmes en tête. Sur la première partie de l'album, le groupe se permet même d'user d'un ton particulièrement dur, sans concession, avant que l'on retrouve les "lalalala" et hymnes de rigueur (On en a marre, Liberté).
On les aurait sûrement suivis pour un dernier pogo à Paris, tout à la joie de se retrouver propulsé 20 ans en arrière. On en aurait même peut-être profité pour castagner quelques skinheads au passage, mais avant même que ce disque ne sorte, le groupe s'est de nouveau séparé. Reste un tas de bons souvenirs, une légende qui ne risque finalement pas d'être écornée, et la saveur particulière d'un ultime testament qu'on n'espérait plus. Cette fois-ci c'est certain, les bûcherons ont définitivement raccroché la hache.
Christophe Labussière


Bippp...
French Synth Wave 1979-85
Compilation
[Born Bad Records]
Des idées à foison, des synthés minimalistes, glacés, des rythmes synthétiques, robotiques, des voix désenchantées, parfois de grosses basses et même, oui, quelques guitares... cette compilation est la digne continuité, un véritable "tome 2" de "So Young But So Cold", sortie sur Tigersushi il y a deux ans. Elle remet au goût du jour de vieux 45 tours oubliés de tous, sortis à l'aube des années 80.
Alors que trouve-t-on sur "Bippp", idée bienheureuse du label Born Bad ? Pour commencer quelques perles, comme le premier single de A 3 Dans les WC, dans un registre inhabituel pour eux, devenus beaucoup plus "rock'n'roll" par la suite, et dont on attend une bienheureuse compilation pour 2007, ensuite, des groupes barjots comme le duo Comix et son excellent et très drôle Touche pas mon sexe, des illustres inconnus n'ayant plus jamais fait parler d'eux après le 45 tours en question (Act et son très bon Ping-Pong), CKC et son 20h55, quelques "noms" comme A 3 Dans les WC donc, Marie Möör et son génial Pretty Day, Casino Music (le moite Viol AF 015, qui, s'il sortait aujourd'hui, serait probablement censuré immédiatement) ou encore Les visiteurs du Soir (Je t'écris d'un pays, un peu daté néanmoins), et le très doué Polaroid Roman Photo, de Ruth (seul titre déjà présent sur "So Young But So Cold").
Les musiciens concernés doivent halluciner aujourd'hui en voyant leurs oeuvres ressorties du néant et considérées comme des musts, eux n'ayant probablement jamais gagné que quelques centaines de francs pour des disques sans doute distribués à quelques centaines d'exemplaires tout au plus.
Ajoutons enfin que "Bippp" bénéficie d'un livret très complet (ils auraient néanmoins pu faire un effort sur l'orthographe), et qui surtout évoque le devenir de tous ces "jeunes gens modernes", comme on les nommait à l'époque.
Frédéric Thébault


Falling You
Human
[Fossil Dungeon]
Disons-le d’emblée, le deuxième album de Falling You, "Human", est une réussite exceptionnelle. De celles qui sont à la fois si modernes et tellement intemporelles. Falling You, c’est tout ce que ne sont pas les productions dites Heavenly Voices en mal de talent. Certes, "Human" n’est pas très différent de son prédécesseur, "Touch" (sorti en 2005), et, grâce à une profondeur et un écho très particuliers, flirte toujours élégamment avec l’electronica et l’ambient la plus dark qui soit. Les constructions des titres sont à tiroirs, un morceau en cachant un autre, un mouvement appelant un nouveau son ou une nouvelle boucle, tant et si bien que l’on est vite immergé au cœur de ces titres qui durent de six à huit minutes. Des durées qui permettent à John Michael Zorko (le musicien derrière ce projet aux multiples collaboratrices) d’expérimenter, sans obligation de respecter un schéma bien particulier, puisqu’au final, seule compte l’émotion. Quant aux cinq chanteuses invitées ici, leur force est d’être arrivées à trouver un équilibre entre justesse et retenue, ne cherchant jamais à étouffer la musique par quelque sotte démonstration de vocalise. Le charme de ce son spacieux opère immédiatement, et on ne saurait trop conseiller à Delerium de s’exercer à une telle prouesse, parfois proche de Bel Canto (Starshine) ou de certains titres de Dead Can Dance (Bring Down The Stars) ; d’ailleurs, le concept n’est pas si éloigné, mais l’inspiration et la motivation, si.
Bertrand Hamonou


The Frank & Walters
A Renewed Interest In Happiness
[FIFA Records]
Originaires de Cork, les Irlandais The Frank and Walters débarquent sur le label Setanta en 1991 avec une poignée de EP captivants. Leur musique emprunte avec grande classe les ornières tracées par les Anglais de The Chameleons, mixant sonorités pop new wave et guitare acérée, portées par un chant au lyrisme émouvant, associant énergie et mélancolie : c'est dix ans avant Interpol que The Frank & Walters ont réussi ce crossover exquis entre les années 80 et les années 2000. Un démarrage en trombe, préambule à l'excellent album "Trains, Boats and Planes" qui paraît en 1992. Cinq ans plus tard, "The Grand Parade" offre une suite réussie, même si l'excitation du début n'y est plus. Le groupe émigre alors à New York, et les albums qui s'ensuivent, "Beauty Becomes More Than Life" (1999) et "Glass" (2002), ne permettent pas au groupe d'entretenir l'entrain qui l'avait accompagné à ses débuts. Ne restait donc plus qu'un très très bon souvenir, à l'instar du nom de la triple compilation sortie en début d'année ("Souvenirs"). Jusqu'à la parution de "A Renewed Interest in Happiness". La surprise est de taille, il ne faut pas plus d'une seconde pour retrouver l'apparente désuétude de ces mélodies pourtant toujours bourrées d'émotion. Comme si le temps était resté figé. Comme si rien n'avait changé. Si vous avez raté les premiers épisodes, n'hésitez pas, vous ne le regretterez pas. Parfois, avec le recul, il est difficile de comprendre pourquoi et combien un disque ou un groupe nous ont passionnés, avec The Frank and Walters, il n'y a aucun doute, ces gars-là sont de vrais magiciens.
Christophe Labussière


Nihil
Figures & Créatures
[Edel/Wagram]
Depuis près de dix ans que Nihil arpente la scène rock indé française, le groupe a grandement évolué d'un metal industriel dur à une pop ténébreuse, mi-électronique mi-organique, et aux guitares acérées. Si le show du quintette en première partie du fameux concert parisien de The Sisters Of Mercy en avril 2006 n'avait pas enthousiasmé grand monde, il faut bien avouer que ce quatrième album est finalement des plus séduisant. Certes, ses mélodies vaporeuses n'accrochent pas forcément dès la première écoute, mais si l'on accorde à "Figures & Creatures" l'attention qu'il mérite, on découvre au final un disque fin et racé, qui s'inscrit dans la veine des derniers albums de Depeche Mode, en un peu plus musclé. Gorgées d'un lyrisme gothique et d'une énergie héritée du rock indus de Nine Inch Nails, les douze compositions ici présentes ont le bon goût d'être presque toutes (très bien) chantées en anglais, et bénéficient d'une production soulignant idéalement leur noirceur et leur subtilité. Si seulement Nihil pouvait détrôner Vegastar dans le cœur des adolescentes, la France y gagnerait une nouvelle crédibilité en matière de production musicale.
Christophe Lorentz


We Got Actions
Compilation
[Southern Records]
Un conseil : pour s'immerger pleinement dans cette compilation de chez Southern Records, il convient en premier lieu de laisser tout a priori à l'entrée et de garder les yeux bien fermés. Car outre le fait de présenter une sélection pour le moins composite (ce qui en soit n'est pas un défaut, mais plutôt une curiosité), la pochette de ce sampler est absolument à vomir ! Passé ce premier obstacle, il reste donc une collection de titres, plutôt intéressante dans sa majorité, mais franchement branlante d'un point de vue de l'homogénéité. Un pari volontaire et audacieux mais parfois déstabilisant. Du coq à l'âne, on passe ainsi en revue le blues de William Elliott Whitmore, le stoner psyché de Lullabye Arkestra, le punk rock de Partyline, la très aérienne electronica d'Alias & Tarsiar, le hip hop minimal de Darc Mind ou encore la noise low-fi de Yikes. Des titres qui suscitent tour à tour ennui ou vif intérêt (Volt, Epsilons, les nappes de guitares de Christina Carter) entourées par les quelques rares "têtes d'affiche" que sont Red Sparrowes, Made Out Of Babies et bien sur Current 93 (que l'on ne s'attendait guère à retrouver sur une telle compilation...). Il est d'ailleurs à parier que ce sont ces trois derniers groupes qui trusteront vraisemblablement le plus de suffrages à la vue de la qualité des morceaux sélectionnés, les circonvolutions post-rock du fleuve Like the Howling Glory et le très tendu Mr. Prison Shanks constituant par ailleurs une excellente entrée en matière pour qui voudrait découvrir respectivement Red Sparrowes et Made Out Of Babies. Quant à Current 93, on ne peut qu'applaudir le choix de Then Killed Caesar, un des sommets du dernier album "Black Ships Ate the Sky". Vous l'aurez compris, "We Got Actions" ne se pose donc pas comme la panacée des compilations, ni comme le plus victorieux des exercices de style ; pour autant, son parti pris de patchwork musical apparaît néanmoins plutôt réussi, éclairant un large panel d'artistes underground qui pourraient bientôt s'épanouir à une échelle bien moins confidentielle.
Stéphane Leguay