The Cure
4:13 Dream
[Universal]
Quel cirque ! Quelle farce ! Ça, c'est une certitude. Mais par contre, difficile de se prononcer : Robert Smith en est-il le Monsieur Loyal ou le dindon ? Petit rappel des évènements : quatre singles, sortis chacun à un mois d'intervalle (le 13 de chaque mois, ou à peu près), en préambule d'un concert où le groupe interprète l'intégralité de l'album, "4:13 Dream", avant même que celui-ci ne paraisse enfin quelques jours plus tard. Une régularité parfaitement marketée depuis maintenant six mois, comme autant de raisons de s'intéresser à The Cure, de raviver chez le fan la flamme d'incohérence qui le pousse à chérir démesurément depuis presque trente ans un groupe redevenu pour l'occasion fétiche...
Il faut l'admettre, The Cure est de ces groupes dont le meilleur est derrière lui. Sa seule erreur aura été de rater un album ; un faux pas dont il n'aura jamais vraiment réussi à se relever. Personne ne lui a pardonné "Wild Mood Swings", et, si l'on omet "Bloodflowers", seul "The Cure", paru il y a quatre ans, lui aura permis de sortir, difficilement, la tête de l'eau. Mais le problème est plus profond, depuis "Wish" (sorti il y a maintenant 16 ans !), point d'orgue d'une carrière jusque-là sans faute, personne ne comprend vraiment où Robert Smith veut en venir.
Quel cirque, parce que cet album n'avait finalement pas besoin de tout ça. Il y a pas mal d'effet de manche dans "4:13 Dream" et une intention plus ambitieuse que par le passé (les choeurs de The Reasons Why ou de This. Here and Now. With You, les râles de The Real Snow White ou de The Scream) mais surtout, il y a des mélodies immédiatement accessibles. On ne s'appesantira pas sur les fausses impressions de déjà entendu que les plus aigris qualifieront de réchauffé et qui peuvent handicaper les toutes premières écoutes de l'album. On prendra au contraire un vrai plaisir avec ce disque bourré de repères, parcimonieusement piochés, et avec un vrai discernement, dans le meilleur du groupe. Des guitares qui se font parfois superbement endiablées (Switch) mais qui savent enfin aujourd'hui rester raisonnables (The Hungry Ghost), un chant que l'on peut qualifier de haut vol, voire par moment d'exceptionnel (The Scream), et surtout, un The Cure qui s'est ici totalement débarrassé de ses tics qui l'handicapaient et finissaient par tourner au grossier : finis les morceaux interminables, disparues les longues lamentations et les ambiances psychédéliques qui commençaient à devenir sérieusement fumeuses. Ici, tout est structuré, identifiable, avec cette basse qui n'avait pas été aussi bien exploitée depuis bien longtemps et sur laquelle repose la majeure partie des morceaux, avec des gimmicks tout bonnement irrésistibles comme ceux des deux singles Freakshow ou Sleep When I'm Dead. Parce que l'une des deux facettes de The Cure a toujours reposé sur le côté pop du groupe, parce que c'est ce qui marque, parce que c'est ce qui résiste au temps. Le reste, tout le reste, n'aura peut-être été que le fruit du hasard. Et avec "4:13 Dream", Robert Smith n'a pas laissé de place au hasard. Celui-ci reviendra certainement le moment venu, mais aujourd'hui, c'est le talent qui est au rendez-vous. Et c'est peut-être aujourd'hui le moment de nous réconcilier avec The Cure.
Christophe Labussière


Carbon/Silicon
The Last Post
[Carbon Silicon Records/Exclaim]
Sans avoir même à remonter jusqu'à Clash, on garde un excellent souvenir de Big Audio Dynamite (BAD pour les intimes), le groupe fondé par Mick Jones (guitariste du légendaire combo punk anglais) et qui exista de 1984 à 1990, avant de se transformer en BAD II puis Big Audio entre 1990 et 1998 (période qu'il vaut mieux passer sous silence, en revanche). Durant la seconde moitié des années 80, Mick Jones et son équipe métissée avaient su proposer une fusion racée et accrocheuse entre les rythmes urbains et les samples décontractés du hip-hop originel, les guitares du punk-rock, les mélodies de la pop et les bidouillages électroniques de la techno naissante. Associé aujourd'hui à l'autre survivant du punk de 1977 Tony James (Generation X, Sigue Sigue Sputnik, The Sisters of Mercy), Jones retrouve une parcelle de la flamme qui animait BAD en associant la raideur des machines et le côté incisif des guitares garage. Les mélodies faciles, portées par la voix caractéristique de Mick Jones, ravivent quelques bons souvenirs, mais l'ensemble peine finalement à enthousiasmer réellement. Si le résultat manque parfois de pêche (morceaux un peu trop longs, production sans grand relief), il s'écoute néanmoins sans déplaisir. On dit souvent que ce sont dans les vieux pots qu'on fait les meilleures soupes. Ce potage-ci n'est pas franchement mauvais, mais on l'a connu un peu plus relevé...
Christophe Lorentz


Cranes
Cranes
[Dadaphonic]
Cela faisait quatre ans que nous n’avions pas eu de nouvelles de Cranes. Quatre longues années, depuis un "Particles & Waves" particulièrement enchanteur que l’on craignait cependant d'être le dernier de la carrière des Anglais. Et c’est un retour discret qu’effectue le groupe avec un album éponyme ; un choix que font d’ordinaire les groupes lorsqu’il s’agit de baptiser leur premier opus, et qui paraît plutôt curieux lors de la sortie du neuvième LP d’une formation en activité depuis plus de vingt ans. Alison Shaw nous confiait en 2004 aimer particulièrement la formation Four Tet, et cela se ressent dès l’ouverture de "Cranes" et son court instrumental Diorama aux notes presque aléatoires et répétitives. S’ensuivent alors des compositions d’une douceur unique, qui renvoient à la fois au majestueux et cultissime "Wings of Joy", le disque dont personne ne se remit vraiment en 1991, ainsi qu’à "Future Songs", l’album électronique de 2001. L’électronique est d’ailleurs au cœur de ce nouveau cru 2008, parfois minimale (Wires) ou encore ambient (Sleepwalking). Et malgré cette recrudescence de technologie, chacun sait qu’un titre des Cranes n’est jamais complètement abouti s’il n’existe une pointe de rivalité entre électronique et guitares. Il suffit alors à Alison de poser sa voix -cette marque de fabrique inimitable- sur ces délicieuses comptines pour adultes dont nous ne nous lasserons vraisemblablement jamais, et dont High and Low, qui conclut "Cranes", est avec Worlds, l’exemple le plus parfait.
Bertrand Hamonou


Goldfrapp
Seventh Tree
[Mute]
Pour leur déjà quatrième album, Alison Goldfrapp et Will Gregory se sont débarrassés des clichés discos qui avaient envahi leurs précédentes productions, revenant ainsi aux ambiances plus classes de leur premier opus "Felt Mountain" (2000). Les pistes de danse des discothèques sont maintenant bien loin, la démagogie et le suivisme embarrassants sont oubliés. Et ce "Seventh Tree" nouveau cru est alors un merveilleux album d’intimité, magnifiquement orchestré, truffé de bons choix artistiques et de directions réfléchies, devenant du même coup le disque le plus intemporel jusqu’ici enregistré par le duo. Les climats sont feutrés et filtrés, et l’on perçoit subitement une lumière qui traverse ces dix chansons de part en part : celle du petit matin, encore fraîche de la nuit passée dans la brumeuse campagne anglaise. La voix d’Alison murmure, susurre et finalement, rassure. Ce nouveau disque a mis trois ans à voir le jour et dévoile tout naturellement ses mystères écoute après écoute. Clowns qui ouvre l’album résume parfaitement l’ambiance de ce qui va suivre, subtil mélange d’une assurance mélodique établie et assumée (A&E, Caravan Girl), d’une avalanche de cordes (Cologne Cerrone Houdini, Eat Yourself, Some People), d'un apaisement réparateur (Road to Nowhere, Monster Love). S’il ne devait y en avoir qu’un seul, ce serait celui-ci, sans hésiter.
Bertrand Hamonou


Von Magnet
Ni Prédateur Ni Proie
[jarring Effects/Ant-Zen]
Cela faisait à vrai dire pas mal de temps que Phil Von et Flore Magnet ne nous avaient pas procuré autant de plaisir. Sur scène, c'est un fait, les prestations de ce ballet moderne estampillé "électro-flamenco mutant" depuis plus de vingt ans sont toujours, quelle que soit la salle, quelles que soient les conditions, bouleversantes. Et en ce qui concerne leur restitution en studio, ce n'est pas une mince affaire. Il n'est pas toujours aisé de laisser notre imagination se déployer et nos émotions prendre le dessus, pour retourner ce sentiment de frustration que l'absence de spectacle implique. Avec "Ni Prédateur Ni Proie", l'album est construit de telle façon que ce spectacle hypothétique auquel nous assisterons peut-être un jour se construit seul, se trame comme un film à la tension mesurée et à l'intrigue jouissive. Norscq est une fois de plus aux manettes de la production de ce disque, et il n'a peut-être jamais tant excellé dans son travail depuis The Grief. La combinaison entre l'univers éthno culturel du groupe et les ambiances électroniques haut de gamme, dans lequel il a toujours baigné, mais qui ne se sont peut-être jamais aussi bien portées, est époustouflante. L'Espagne et ce flamenco rouge et noir qui coule dans les veines du groupe sont, et c'est une première, mis en retrait, car cette fois-ci, c'est du côté du Moyen-Orient que le voyage nous entraîne. Et qu'elles nous soient contées en Arabe ou en Hébreu, les histoires de "Ni Prédateur Ni Proie" sont captivantes, et elles n'ont pas fini de dévoiler leurs secrets.
Christophe Labussière
Express
De la part des Français de Triste Sire, on pouvait craindre, à première vue, une musique prétentieuse et apprêtée, aux préoccupations adolescentes mal digérées. Pourtant, Attache-Moi [Ariok Records] s’avère plutôt être une bonne surprise. Sans rien révolutionner musicalement et malgré des influences anglo-saxonnes évidentes (Placebo en tête), le trio lyonnais dessine néanmoins un univers personnel où spleen n’est pas synonyme d’aridité mélodique. Ambiances troubles, compositions aguicheuses, chant androgyne, paroles vénéneuses... Une jolie réussite. On n’en dira pas autant de Khôl et de son EP éponyme (myspace.com/kholprojet) qui, malgré d’évidentes qualités instrumentales, souffre d’un chant trop en avant et appuyé pour satisfaire pleinement les amateurs de rock sombre. Dommage, car on sent quand même se dessiner sur la longueur une certaine personnalité. Ne manque qu’un peu d’humilité... et un meilleur mix ! En revanche, le six titres Sins de Dorcel [NSX Project] est une perle de cold-rock qui convoque aussi bien les fantômes de The Chameleons et de la touching pop que les ombres de leurs héritiers américains (Interpol, Heavens). Du revival cold-wave de grande classe. Encore plus remarquable, dans un autre domaine, le Battlefield d’Ez3kiel [Jarring Effects/Discograph] sort totalement le dub de ses clichés enfumés pour l’amener vers de fantastiques paysages sonores, aux confins du rock industriel le plus évocateur, du trip-hop le plus massif, de l’électro-metal le plus épais ou de la musique de film de genre. Un disque profond, inclassable et puissant. Quittons la France pour la Belgique, afin d’y retrouver Grandchaos. Avec son premier véritable album Open Source [Urgence Disk], qui fait suite au maxi "Ionize Me" sorti en 2004 et au double CD de remixes de 2006, l’ex-Ivanovitch Dans L’Ombre continue de creuser le sillon d’une EBM glacée et dépouillée, qui flirte avec la techno minimale et possède de forts relents eighties. On pense parfois aux premiers Die Form, plus pour les sons analogiques sombres que pour la voix de la chanteuse additionnelle, qui œuvre elle dans un registre différent de celui d’Eliane P. Il n’empêche que l’ensemble demeure très efficace et inventif, et séduira particulièrement les nostalgiques de l’électro-dark "old school". Terminons rapidement du côté allemand avec Psycho Luna, qui avec son interminable Göttin [Black Bards Entertainment], s’inscrit dans la lignée des groupes pseudo-dark germaniques sans saveur qui encombrent les festivals et les charts indés teutons : les Zeraphim, Letzte Instant et autres Jesus On Extasy. Vaguement électro, mollement metal, un peu rock, lointainement théâtral ou médiéval... Mais surtout fadasse et ennuyeux.
Christophe Lorentz