Sporto Kantes
4
[Green United Music]
Duo né de la volonté de Benjamin Sportès et d'un ex-Wampas de se "frotter" à l'électro, Sporto Kantès se distingue depuis quatre albums dans ladite mouvance en inventant des trames musicales, diverses, qui doivent autant au jazz qu'au rock et imposent, à plusieurs reprises sur ce nouvel opus, des canevas reggae/dub finalement parfois prévisible. Heureusement, le savoir-faire des deux hommes est tel qu'ils sauvent facilement la mise par le biais de morceaux tantôt alertes, tantôt plus retenus, que des colorations gentiment dark rendent d'autant plus intéressants. Les origines rock de la paire sont bien réinvesties, par bribes judicieuses, ou de façon plus délibérée sur l'amorce de "4", et étayent sans l'envahir ce nouvel essai aussi dansant qu'éclaté, également orné de samples décalés ou, à l'occasion, de jolies voix féminines. On se prend donc pour la quatrième fois au jeu et l'éclectisme de l'ensemble n'en altère pas l'intérêt, intérêt grandissant constamment au fil des sorties du groupe. Lequel démontre en l'occurrence qu'en instaurant une attitude, et un genre, potache dans l'esprit, on peut parvenir à un résultat irréprochable, ouvert d'esprit et stylistiquement large.
William Dumont


Dekad
Monophonic
[BOREDOMproduct]
Dekad
Strange Situations - The Singles
[BOREDOMproduct]
À se demander si, plutôt que du talent, ce garçon n'aurait pas un véritable don. L'album "Monophonic", sorti en 2011 et qui depuis tourne littéralement en boucle sur nos platines, offrait une succession de titres que l'on aurait peine à cataloguer de "synth pop" tant les compositions, même si elles se permettaient par moments des clins d'oeil discrets avec quelques sonorités vintage associées au genre, étaient particulièrement généreuses et singulières. Une voix posée, un phrasé soigné, un charme certain, JB mène, maintenant en solo après deux premiers albums réalisés à trois, sa petite entreprise avec une aisance insolente. Ses compositions le suivent sans jamais faillir, ni lasser ou se répéter, et c'est aussi en ça que l'album est exceptionnel ; on ne parvient jamais à savoir si c'est d'elles (ses compositions) ou de lui (sa voix) dont on est addict. L'alchimie est parfaite et le Tourangeau enchaîne des titres entre électro synthétique très blanche, EBM, future pop, et new wave, avec, et cela fait toute sa force, une apparente facilité qui en est consternante. Là où Celluloide, ses cothurnes de label, peuvent parfois paraître hermétiques, Dekad s'est ouvert un boulevard sur lequel il file sans que rien ne semble pouvoir l'arrêter. Darkest Days, So Sorry, What If, Don't Try, Dirty Princess... Un des meilleurs albums de 2011.
Nous ne ferons par contre pas preuve du même enthousiasme vis-à-vis de "Strange Situations - The Singles", la compilation de remixes que vient tout juste d'éditer son label, bien qu'on se doive d'avouer que sa sortie nous donne un prétexte pour chroniquer tardivement "Monophonic". On est en effet bien plus dubitatif en découvrant ce regroupement de titres... quid de la cohérence, quid de la construction, les mixes et les remixes s'enchaînent, certains utilisant les vieilles méthodes à la "maxi 45 tours" (on rallonge, on met dans le désordre, on secoue, et on tire sur la longueur). À éviter absolument pour ne se consacrer qu'à "Monophonic", parce que ça, vous ne le regretterez pas.
Christophe Labussière


Franck Riggio
Psychexcess I - Presentism
[Hymen]
Exocet
Consequence
[Ant-Zen]
Premier volet d'une trilogie à venir, "Psychexcess I - Presentism" est une démonstration du savoir-faire de Frank Riggio, qui n'en est d'ailleurs pas à son coup d'essai. Le grain est polishé, pur, et l'on sent que le franco-sicilien est homme à traquer le son ultime jusque dans ses moindres retranchements, qu'il s'agisse de cordes ou de samples improbables, mais toujours de première qualité. À classer aux côtés des disques d'Amon Tobin, de Ben Frost voire de certains travaux de sound design de Hecq, "Psychexcess I - Presentism" manque cependant de suffisamment de poésie pour faire partie des albums inoubliables et l'on espère que les deux prochains volets viendront corriger le tir pour en faire une oeuvre d'une cohésion exemplaire, tout en continuant d'offrir des pochettes aussi magnifiques que celle-ci.
Une cohésion dont ne manque certainement pas "Consequence", le troisième album d'Exocet, qui est à coup sûr la plus belle sortie Ant-Zen depuis des mois. Rythmique, efficace, avec juste ce qu'il faut de sons saturés et sans en faire des tonnes (on est loin des difficiles et trop abrasifs Synapscape et autre Hypnoskull), avec sa dose équilibrée de samples imaginatifs qui nous épargnent les oreilles, "Consequence" séduit immédiatement. La mise en séquence légèrement martiale ne manque pas de faire preuve d'une certaine finesse, et il n'en fallait pas plus pour nous convaincre et ne jamais trop éloigner le CD de notre platine.
Bertrand Hamonou


La Sera
Sees the Light
[Sub Pop]
Le revival shoegaze est une réalité on ne peut plus discrète. Depuis plusieurs années, ils sont nombreux à empoigner leurs guitares et à basculer les potars dans le rouge. Sur les cendres de Ride, Lush ou My Bloody Valentine, toutes les tendances sont représentées, du maelstrom de larsens à la pop ciselée alternant avec bonheur guitares sèches et mélodies saturées. C'est le cas avec ce second album de La Sera, groupe DIY de Katy Goodman, ex-chanteuse des Vivian Girls, formation féminine beaucoup plus bruyante. On pense à The Raveonettes, à Stereolab, et surtout, on prend un plaisir fou à ces chansons hyper-mélodiques qui s'impriment immédiatement à l'esprit. Le premier album, paru seulement l'an dernier, était un condensé de perles pop tranquilles, de la dream-pop parfaite pour les fins de soirées fatiguées et les mâtinées d'été ensoleillées, mais la donzelle aux yeux ensorcelants n'a pas pu s'empêcher de revenir à ses premières amours : comment ne pas se lever et pogoter sur Please Be My Third Eye ou Break My Heart qui valent à eux seuls l'achat de ce disque, hélas beaucoup trop court avec ces 31 petites minutes. Les nostalgiques des années 90 seront ravis, les autres découvriront une musique d'une force incroyable qui nous change un peu du post-rock progressif pour barbus maladifs.
Frédéric Thébault


Nehl Aëlin
Le Monde Saha
[Danse Macabre]
En 2002, Prémonition vous avait déjà dit tout le bien que l’on pensait de la Française Nehl Aëlin et de son premier album "Demon Abortion". Aujourd’hui, cette chanteuse atypique à l’univers si personnel sort son troisième opus, et notre enthousiasme ne s’est pas émoussé, bien au contraire ! Toujours marqué par les figures tutélaires de Tori Amos et Lisa Gerrard, "Le Monde Saha" n’en est pas moins un album très représentatif de l’univers si particulier de sa génitrice. On y croise en effet les influences précitées, mais aussi des sonorités à la Danny Elfman ou des passages évoquant certaines chanteuses japonaises qui mixent tradition et modernité (notamment la raffinée Kokia). D’ailleurs, les traditions nippones sont au cœur de ce disque, qui s’inspire du "Sutra du Lotus", œuvre philosophique bouddhiste traduite du sanscrit au japonais il y a plusieurs siècles. Les sonorités asiatiques sont donc présentes sur plusieurs morceaux, mais le reste du CD propose aussi des compositions dominées par le piano, une instrumentation néoclassique et des ambiances world, sur lesquelles viennent se greffer des sons électroniques discrets, mais pertinents. Le côté spirituel et planant de l’ensemble n’empêche pas Nehl Aëlin de faire également preuve d’espièglerie et d’instiller régulièrement son petit grain de folie, comme en témoigne l’électro-tribal Yo Tiende Sona, l’orientalisant et décalé N’cha, ou l’excentrique chanson de fin Je hais les araignées, seul titre interprété en français et qui évoque furieusement les délires du Tim Burton de "Beetlejuice". D’ailleurs, l’aspect cinématographique est indéniable tout au long du "Monde Saha", et ce n’est pas un hasard si l’on retrouve le nom du cinéaste Jean-Pierre Jeunet ("La Cité des enfants perdus", "Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain") comme producteur/superviseur du disque ! Le "Monde" de Nehl Aëlin est donc aussi luxuriant qu’envoûtant, et son exploration n’est pas prête de nous lasser...
Christophe Lorentz


Spleen United
School of Euphoria
[Copenhagen Records]
Ce sera peut-être la meilleure surprise électronique de 2012, tant le choc est énorme ! Les cinq Danois de Spleen United, qui nous avaient déjà largement épatés avec leurs deux premiers albums, reviennent avec "School of Euphoria", plus de quatre ans après "Neandertal", disque génial de pop rock électronique planante. Faisant le choix d'accentuer largement le côté électronique de leur pop, Spleen United a aussi décidé d'envahir le dancefloor avec une techno pop aussi euphorisante qu'euphorique. Car l'énergie de ces cinq Nordiques impose le respect et gagne le pari d'être plus que communicative sur quasiment tous les morceaux qui peuplent ce petit chef-d'œuvre. Leur nouveau single, Days of Thunder, et son refrain victorieux, devrait vous scotcher littéralement au plafond, autant que leur précédent hit Sunset to Sunset, sorti l'an passé, trop confidentiellement d'ailleurs. Intelligence et audace ont rarement rimé aussi bien avec pop électronique, le tout partageant la fraîcheur des dernières expériences de groupes injustement plus connus comme Röyskopp ou Gus Gus. Une voix personnelle, des samples (pour une fois) remarquablement utilisés et des mélodies qui font mouche à chaque nouveau titre, tels sont les principaux ingrédients de cette école de l'euphorie. Du grand art. Retenez bien ce nom qui pourrait peut-être devenir vite incontournable.
Stéphane Colombet