Liars
They Were Wrong, So We Drowned
[Blast First/Mute]

Le premier album des Liars avait largement contribué à focaliser l'attention du public sur la nouvelle scène new-yorkaise. L'album était excellent, original, mais il avait été enregistré avant le 11 septembre 2001. Celui-ci a été enregistré après. Impossible de ne pas prendre en compte ce paramètre. Alors voilà, disons le carrément, "They Were Wrong, so We Drowned" (Ils avaient tort, alors on a coulé) sera l’album de 2004 ou ne sera pas. Dès l'intro, on reste scotché par ces quelques notes de synthé d’outre-tombe. En moins de trente secondes, une batterie monolithique apparaît, disparaît, revient accompagnée d’autres synthés, complètement dissonants, et d’une guitare coupante et sèche. Puis c’est le chant. Froid. Fatigué. Tout cela vient, disparaît, revient encore, la batterie devient de plus en plus violente, et puis il y a ces guitares ahurissantes, et puis ce type qui hurle "Blood, blood, blood" sans s’arrêter, à vous en tirer des larmes d’impuissance. Inutile d’aller plus loin, tout est dit. Sitôt ce premier titre passé, soit vous aurez déjà éjecté votre CD, effrayé par ce que vous avez entendu, soit, et c’est tout le mal que l’on peut vous souhaiter, vous aurez déjà réécouté les dents serrées ce morceau, trois fois, fasciné, avant de vous plonger avec une délectation morbide dans le reste de l’album.
On pourrait parler de no-wave comme en a déjà produite la ville de New York il y a vingt ans, mais force est de constater qu’aujourd’hui, les Liars vont beaucoup plus loin. Jamais depuis "Metal Box" (PIL-1980), "Pornography" (The Cure-1982), ou encore "A New Form of Beauty" (Virgin Prunes-1980) ou "Confusion Is Sex" (Sonic Youth-1983), on n’avait entendu quelque chose d’aussi malsain et destructeur… et aussi réussi. Un album urgent, dans tous les sens du terme, et un groupe avec lequel il faudra désormais compter.

Frédéric Thébault



Andy Partridge
& Peter Blegvad
Orpheus - The Lowdown
[Ape House Ltd]

Bel objet que cet "Orpheus - The Lowdown", résultante de 25 années d’amitié et de travail entre Andy Partridge, leader de XTC, et Peter Blegvad, guitariste de Slapp Happy, groupe de rock progressif d’avant-garde des années 70, puis artiste aux multiples collaborations (la plus connue restant celle de son premier album solo en 1983, "The Naked Shakespeare", avec Andy Partridge à la production).
"Orpheus - The Lowdown", est donc un album conceptuel, décrit par ses auteurs comme un voyage initiatique à travers la tragédie, la comédie, la poésie et l’angoisse. La meilleure façon de l’écouter ? Être mort, car cet album "contient des sonorités uniquement audibles par les morts". Tout un programme ! Mais un programme court, pour un album enregistré en pointillés sur une période de treize années : seulement 32 minutes... Douze morceaux, composés de spoken words sur fond de musique purement expérimentale, planante mais tendue, bruits discrets, synthés, sons en tous genres, peu de rythmes, le tout constituant un univers étrange, bande son idéale d’un film d’art et d’essai : voilà ce qui vous attend. Ce genre de travail est périlleux, car beaucoup trop intellectuel pour être appréhendé comme un disque de rock. Les afficionados de musique contemporaine, musique nouvelle et autres exercices de style tendance musique industrialo expérimentale du début des années 80 (voir les Résidents) constitueront donc un public privilégié. Qui plus est, si vous ne maîtrisez pas parfaitement la langue anglaise, il vous sera impossible d’accrocher aux paroles, spoken words comme précisé plus haut, c’est-à-dire longs textes monocordes, sans doute très intéressants, très poétiques, mais fatigants pour des Français qui parlent seulement français... Reste la musique, parlons plutôt de fond sonore, et ma foi tout l’intérêt réside là : elle n’a pas été baclée au profit du texte, elle reste même très agréable à écouter, on flotte parfois dans des contrées explorées par Death In June ou autres SPK et consorts. "Orpheus - The Lowdown" est donc ce qu’il a l’air d’être : un disque très anecdotique, mais pas inintéressant. Pour fans ou curieux en mal de changement d’horizons sonores.

Frédéric Thébault



Collapse
Humans
[Lowlight]
[Tripsichord]

Cela faisait quatre ans que l’on n'avait pas eu de nouvelles de Collapse, projet fondé par Amadou Sall (ex-bassiste de Treponem Pal période "Excess and Overdrive") et son acolyte Pierre Gutleben. En effet, depuis le très intéressant album de remixes "Link", le duo d’indus-rock ethnique s’était consacré à la réalisation d’un nouveau disque qui faillit sortir en 2002 mais fut alors entièrement refait par Amadou, ce dernier n’étant finalement pas satisfait du résultat. Après une période de remise en question, "Humans" arrive donc enfin dans nos bacs, et l’on comprend que Collapse a clairement souhaité explorer une nouvelle voie. Les éléments tribaux, tels que didgeridoo, percussions ou instruments rituels tibétains, ont désormais été remisés au placard. Les structures des morceaux se sont, du même coup, faites plus évidentes, les mélodies plus immédiates et les rythmes plus nerveux. Des titres tels que Tidal Wave (un tube en puissance), Addiction, A.I. ou Trapped in Lane sont ainsi d’une efficacité redoutable, avec leurs guitares mordantes, leurs refrains obsédants et leurs sonorités électroniques plus en avant que par le passé. Évidemment, la voix hypnotique d’Amadou reste un élément essentiel de la musique de Collapse, avec sa manière de passer de la psalmodie inquiétante au rugissement rauque. De même, le son de cet album reste aussi compact et ténébreux qu’auparavant, la production étant d’une force et d’une précision remarquables. En résumé, voici sans doute le meilleur album de Collapse à ce jour, et celui qui devrait lui offrir le succès public qu’il mérite.

Christophe Lorentz



The Cure
Join the Dots
B-Sides & Rarities 1978>2001 The Fiction Years
[Fiction/Universal]

Les plus vieux d'entre nous se remémoreront forcément avec nostalgie leur chasse effrénée aux 45 tours hors de prix, d'autres de l'acquisition de bootlegs à des prix prohibitifs et à la qualité souvent approximative, et les plus jeunes de leur traque acharnée au MP3 introuvable... De son côté Robert Smith a trouvé une parade intelligente à la propagation des fichiers MP3 sur les réseaux P2P, et cela en comblant l'ensemble de ses fans. 70 titres sont regroupés sur les 4 CD que contient ce coffret, accompagnés d'un imposant livret, blindé d'informations et de photos. On y retrouve essentiellement des faces B et quelques raretés jusque-là disponibles uniquement sur leur compilation d'origine ("X Files", "Judge Dredd",...), le tout scrupuleusement compilé et organisé.
"Joint the Dots" (comme ce jeu où l'on découvre une image après avoir relié des points entre eux) nous propose une immersion inédite dans l'univers de The Cure. Inédite car c'est cette fois-ci par la porte de derrière que l'on est amené à y pénétrer... Ces chansons, ainsi sorties du contexte plutôt intimiste du single, prennent ici un sens nouveau et permettent d'avoir une vision alternative et vraiment étonnante sur le groupe. The Cure est aujourd'hui, avec New Order, le seul rescapé décent des années 80, et est la référence incontournable de plusieurs générations d'artistes de tous styles : à l'écoute de ces morceaux on en comprend les raisons. On ne peut que constater l'étonnante faculté d'écriture de Robert Smith, ceci se dévoile d'autant plus ici avec ces chansons détachées de la pression encombrante de l'album.
On regrettera juste que le contenu (passionnant) du livret n'ait pas été traduit en français, la redondance de nombreux titres déjà disponibles en album et le prix plutôt prohibitif. Mais au delà de ces considérations de fans, on s'inclinera une fois encore devant le profond et constant respect que Robert Smith porte à son public et à son passé.

Christophe Labussière



Daniel Darc
Crève Coeur
[Mercury/Universal]

Daniel Darc s'est toujours fait particulièrement rare, l'annonce de ce nouvel album en collaboration avec Frédéric Lo avait tout pour nous tenir en haleine. Il aura donc finalement fallu dix ans à Daniel pour ranger les guitares de "Nijinsky" et prendre une posture nettement moins rock'n'roll, l'ambiance musicale est ici en effet bien plus calme que celle créée par les guitares de Georges Betzounis. Mais au final, ce n'est pas vraiment une bonne nouvelle. L'album démarre avec une espèce de trip-hop d'ascenseur (La Pluie qui tombe), et les compositions qui lui succèdent ne sont musicalement pas très inventives non plus. Elles parviennent tout juste à créer un ersatz d'atmosphère intimiste et la voix de Daniel Darc se retrouve bien trop souvent "abandonnée". Seul point positif, on profite ainsi au mieux des textes de cet auteur de génie et de sa voix plus apaisée que jamais. Mais le traitement est parfois particulièrement décevant (comme les ridicules "claps claps" de Mes amis (Tour à tour)). On ne retrouve ni les mélodies imparables de "Influence Divine" ou de "Parce que", ni la noirceur de "Nijinsky". "Crève coeur" est une succession de petites perles du plus grand éclat, mais elles méritaient un bien plus bel écrin.

Christophe Labussière



Fantômas
Delìrivm Còrdia
[Ipecac/Southern]

Fantômas, ce projet réunissant Mike Patton, Buzz Osbourne, Trevor Dunn et Dave Lombardo, quatre musiciens également impliqués dans d’autres groupes bien connus, est de retour avec un troisième album qui vaut la peine qu’on s’y arrête. Il n’est en effet composé que d’un seul titre, mais dans ce cas "qui peut le moins, peut le plus", puisque ce morceau dure presque une heure. Il s’inscrit dans la même logique qu'adopte la plupart des groupes qui décident de plonger dans les profondeurs de l’expérimentation, mais ne soyez pas effrayés, ce disque n’est pas aussi inaccessible que l’on pourrait croire. Cet unique titre est en fait la combinaison d'une série de morceaux individuels qui ont chacun leur propre identité. Certains sont lénifiants avec des sons de cloches très calmes, des chœurs rêveurs, des guitares légères, d’autres sont violents avec des guitares déchirantes, des rythmes de batteries déments, des voix criardes, et d’autres encore sonnent comme les chants bourdonnants d’une ethnie d’un autre monde, accompagnés d’instruments étranges et de chœurs d’opéra lancinants. Mais aussi différents qu’ils puissent apparaître les uns des autres, une alchimie évidente les relie. Cet album rappelle même certains morceaux de l’album "Disco Volante" de Mr. Bungle, un des side-project de Mike Patton. Il s'achève par une boucle de 20 minutes faite de craquements et de grésillements d’un disque vinyle... Vous avez dit "curieux" ?

Ron Sawyer



Her Space Holiday
The Young Machines
[Wichita/Chronowax/V2]

Her Space Holiday est le pseudonyme d'un certain Marc Bianchi, originaire de San Francisco. Pratiquement inconnu en Europe, il est pourtant le mentor d'Audio Information Phenomena, un label à l'indépendance américaine dans l'âme (c'est-à-dire capable de signer de la country, du hip hop, comme de la musique industrielle). Auteur d'une douzaine de productions, incluant des remixes pour Elastica, The Faint et Dead Prez entre autres, Marc Bianchi, affublé de ses grosses lunettes de taupe du KGB, a l'allure d'un nerd qui trompe son monde et dissimule une collection de bousilles sur les bras. Les signes d'un passé un tantinet hardcore. Des racines que l'artiste a semble-t-il bien digéré à l'instar du lointain cousin Fugazi. "The Young Machines" est donc la dernière mouture d'une démarche artistique qui tient plus de l'art d'écrire une bonne chanson plutôt que d'essayer d'impressionner la galerie avec des coquetteries sonores. Rien à voir avec la pseudo filiation "Aphex Twinnienne" que la presse essaie de lui coller depuis quelques temps. Il y a bien ici et là quelques touches expérimentales, mais cela semble assez anecdotique, risquant même de dissiper l'attention sur la qualité fondamentale des morceaux proposés sur l'album. Il débute dans une ambiance guillerette, douce-amère, soulignée par des séquences de métalophones, des arpèges de cordes synthétiques et des percussions croustillantes. La suite des compositions révèle un talent avéré de nouvelliste. Humbles, émouvantes, la simplicité des comptines lui confère une sensibilité rare. L'esprit bienveillant de The Beatles planne sur ses jeunes machines. Un bel ouvrage.

Anthony Augendre



I:Gor
Barwy Kolorow
[M-Tronic]

Sous la houlette du label parisien M-Tronic, I:Gor nous livre un album riche en contrastes. Le disque débute avec Domek Na Stadionie, un morceau mélodique à souhait, avec des nappes synthétiques légères et une rythmique aérienne. S'ensuit Samurai qui nous donne un avant-goût des hostilités. La rythmique s'accélère, les percussions se font plus incisives, pour terminer par une avalanche de rythmes débridés. Niekochani et Serwol marquent une trêve avec de douces mélopées synthétiques, incrustées de vocaux, de sons expérimentaux et de bleeps de jeux vidéo. Tout au long de l'album I:Gor va jouer ainsi sur les rapports chauds et froids, les rythmiques rapides et lentes en alternant mélodies chaleureuses et breakbeats dévastateurs, la puissance sonore atteignant son apogée sur Get Da Fuck Out!. Le résultat est un paysage sonore tout en relief où les plages calmes et mélodiques ne semblent être là que pour mieux accentuer les avalanches sonores qui s'ensuivent. Il faut dire que par le passé ce groupe polonais s'est surtout fait connaître pour son appartenance à l'un des courants les plus radicaux de la musique électronique, le breakcore. Avec cet album I:Gor a nettement évolué vers une musique plus proche de l'electronica bien que des reliquats de sa culture breakcore subsistent de part et d'autres des morceaux. On ne se coupe pas aussi facilement de ses racines ! Au final l'album réussit à conjuguer morceaux mélodiques et morceaux plus agressifs truffés de bleeps, de vocaux et d'accidents sonores de toutes sortes dont l'esprit peut être tantôt expérimental, industriel, tribal ou encore technoïde.

Delphine Payrot



In Strict Confidence
Holy
[Minuswelt]

Il y a manifestement de la finesse et de la féminité dans ce sixième album d’In Strict Confidence, ce qui ne l’empêche pas d’être une mine de hits dark-électro. Autant le dire tout net, l’empoisonnement est immédiat et l’antidote n’existe pas encore. Le premier single Babylon (seul titre chanté en allemand) remplit son rôle à merveille, et l’utilisation plus fréquente des voix féminines évite au groupe de tourner en rond. Elles parviennent en effet à faire de "Holy" une pièce maîtresse de la discographie d’In Strict Confidence, qui introduit une touche féminine à l’équation homme / machine. Et pour le prouver, Sleepless aurait sa place sur les derniers Delerium, tandis que la voix de Dennis Ostermann ressemble parfois à s’y méprendre à celle de Jean-Luc De Meyer (The Darkest Corridors, Closing Eyes). Il faut cependant bien avouer que les refrains (en duo masculin / féminin ou non) ont gagné en intensité, tout comme les rythmes ultra fouillés d’Emergency sur lequel les Allemands poussent le vice jusqu’à laisser le micro à Antj Schulz -chanteuse de Chandeen- qui doit lutter avec force et précision contre un séquenceur et une boîte à rythmes en parfaite symbiose. Même si l’on peut parfois regretter l’imagerie un peu "cliché" utilisée sur leurs pochettes, le style In Strict Confidence se peaufine au fil du temps pour devenir une valeur sûre. Un disque parfait pour les amateurs de gros son et de production irréprochable, ainsi que de mélodies accrocheuses et pénétrantes comme celles de Heal Me et de Eye of Heaven.

Bertrand Hamonou



Melissa auf der Maur
Auf der Maur
[Capitol]
[Labels]

Pour le moment, Melissa auf der Maur est surtout connue du grand public grâce à son duo "Le Grand Secret" sur le dernier album d’Indochine… Ceux qui s’intéressent un minimum au rock savent aussi (et surtout) qu’elle fut bassiste de Hole durant cinq ans, avant de rejoindre les Smashing Pumpkins sur la fin de leur carrière. Heureusement, ce remarquable premier album solo devrait lui permettre de faire oublier son image d’"accompagnatrice" (de Courtney Love, de Billy Corgan, de Nicola Sirkis), pour la consacrer comme une artiste à la personnalité forte et à la musique intense. D’emblée accrocheur, "Auf der Maur" nous ramène quasiment dix ans en arrière, lorsque que le grunge était encore indompté et que la noisy-pop dévoilait des univers aussi envoûtants qu’inquiétants. La belle Canadienne déroule ainsi douze chansons qui sont autant de dragées au poivre posées sur des lits de guitares ombrageuses et chargées. Traversé de poussées de fièvre noise rappelant parfois le Sonic Youth de "Goo", ce disque vénéneux fascine de bout en bout par cette évidence mélodique qui semble dissimuler des mystères insaisissables. Il faut dire que Josh Homme et Chris Goss (Queens of the Stone Age), James Iha (Smashing Pumpkin) et Eric Erlandson (Hole) ont largement contribué à l’album, ce qui explique en partie comment Melissa est parvenue à obtenir cet équilibre entre violence sourde et mélancolie profonde. Le résultat est donc un disque hautement addictif, qui réconcilie Nirvana, PJ Harvey, Hole, The Cure et Smashing Pumpkins… Coup d’essai, coup de maître !

Christophe Lorentz



Minimal Compact
Returning Wheel
[Crammed]

Seize ans après "Live", dernier acte manqué (pour cause de son indigne) d'une carrière pourtant sans faute, Minimal Compact bénéficie enfin d'une épitaphe plus honorable. "Returning Wheel" se présente sous la forme d'un petit coffret, pour une fois facile à ranger, composé de trois CD sans chichi et d'un livret simple mais complet (discographie, lyrics, historique).
Le premier CD, compilatoire, est un véritable révélateur de l'incroyable qualité de l'œuvre de Minimal Compact. De par les morceaux sélectionnés bien sûr, mais surtout pour les morceaux absents, qui auraient tranquillement remplis un deuxième volume de même volée. Quelques exemples de grands oubliés ? The Traitor, Sananat, Nil Nil, Inner Station, This Scent of Love, Losing Tracks, Invocation, Deadly Weapons, Immigrant Song, To Get Inside, It Takes a Lifetime, Everything Is Wonder… ouf, n'en jetez plus, c'est en réalité plus de 50 % de la production du groupe qui aurait largement mérité de figurer sur ce best-of ! À noter que le seul inédit du CD, Dedicated, une balade suave, mérite amplement sa place dans la sélection effectuée par le groupe.
"There's Always Now", CD de remixes, ressemble à la plupart des exercices du genre : quelques vraies réussites, des ratages grandioses et une petite dose d'ennui. Au rayon curiosité, on retiendra Autumn Leaves par International Observer : les sonorités orientales du groupe mixées à la sauce jamaïquaine, il fallait oser ! Mention également à Volga Select (Ivan Smagghe et Marc Collin) pour leur relecture de Next One Is Real.
Enfin, cerise sur le gâteau, "Music From Upstairs", troisième CD de la trilogie, met à jour un pan caché de la carrière de Minimal Compact, celle d'un groupe qui aimait se retrouver pour improviser, expérimenter pendant des heures, sans autre but que celui de jouer et de pratiquer son art. Ce CD s'écoute comme un témoignage historique plus que comme une œuvre structurée. De ces boucles sonores sont peut-être nées certains morceaux, d'autres sont restées à l'état d'ébauches, toutes témoignent en tout cas d'une grande créativité et d'une large ouverture d'esprit. Au milieu de ces démos se glissent trois morceaux enregistrés pour une session radio en 1982, soit deux inédits et Introspection, qui deviendra par la suite la face B du single It Takes a Lifetime.
En guise de conclusion, un vrai cadeau pour les fans, avec cinq morceaux issus d'une tentative de reformation du groupe en 1993. Si le projet n'a pas abouti, le résultat de ces répétitions méritait amplement d'être édité, ne serait-ce que pour le morceau chanté par Malka Spiegel, What You Are et la reprise lumineuse du Lay Lady Lay de Bob Dylan.
Aux dernières nouvelles, après le succès des deux concerts donnés en fin d'année dernière (aux Transmusicales de Rennes et à Bruxelles), une mini tournée semblait se mettre en place. Si ça se confirme, allez-y les yeux fermés.

Eric Semenzin



Seabound
Beyond Flatline
[Dependent]

Que tous ceux qui aiment la pop futuriste se le disent : Seabound est définitivement le digne successeur des Covenant, Apoptygma Berzerk, Assemblage 23 et autres VNV Nation. Mieux, le duo germanique nous offre un second album dans la droite lignée de son premier opus, "No Sleep Demon", déjà d'une maturité remarquable. Tout en respectant le cahier des charges des groupes précités (mélodies synthétiques harmonieuses, rythmiques entraînantes, hymnes supportés par un chant à la fois sombre et humain), Seabound met entre nos oreilles délicates dix morceaux d'une grande diversité, aux accents spaciaux fort prononcés, enclin à une philosophie mélancolique d'une rare universalité, entre désespoir et courage. Comme une odyssée électronique d'une nouvelle ère, la musique de Seabound, plus complexe encore que sur le premier album mais avec des vocalises souvent moins torturées, est à la fois structurée et productrice d'un sentiment de perte de repère, d'évasion interplanètaire. Si des morceaux tels que Transformer, Contact, Poisonous Friend et Go International sont clairement orientés vers les clubs, Souldiver, Torch et, par dessus tout, le sublime Watching Over You sont des compositions progressives, atmosphériques d'une intensité inouïe. L'ensemble correspond donc déjà à l'album de la maturité, c'est-à-dire à un disque qui se réécoutera dans de nombreuses années sans un quelconque sentiment d'épuisement. Aucune erreur, sur toute la ligne. On décolle dès la première seconde et près d'une heure plus tard, on ré-atterrit dans son salon, calme et serein, après avoir vécu une expérience émotionnelle à la fois sérieuse et puissante. Une grande réussite en apesanteur. Déjà un incontournable.

Stéphane Colombet



Sophia
People Are Like Seasons
[City Slang/Labels]

Difficile de parler de Sophia sans évoquer God Machine, le précédent groupe de Robin Proper Sheppard, cette formation devenue très rapidement culte grâce à ses prestations scéniques impressionantes et son rock lourd et inventif, et dont la carrière a été tragiquement avortée à cause du décès brutal du bassiste Jimmy Fernandez. Sophia, le projet solo que Proper Sheppard a bâti sur les cendres de God Machine, jouit d'une aura similaire notamment en Belgique et en Allemagne, et ce n'est pas ce nouvel album qui entachera cette réputation : "People Are Like Seasons" est en effet le digne successeur des précédents albums (au nombre de trois dont un live), et les connaisseurs y retrouveront les mêmes complaintes douloureuses du songwriter, mais qui cette fois sont musicalement légèrement moins tourmentées. Mais attention, cette relative accalmie qui est visible sur une bonne partie de l'album (on remarquera surtout Swept Back et I Left You, deux des plus belles et des plus noires ballades du disque) se transforme dès la fin apocalyptique de Desert Song No.2 en une violente tempête, le temps des magistraux Darkness (Another Shade in Your Back) et If a Change Is Gonna Come sur lesquels ont retrouve un rock brûlant et étouffant (presque métal par moments) des plus efficaces : ces dix minutes extrêmement intenses, placées en plein centre de l'album, en constituent le cœur, la main de fer de Proper Sheppard dans son gant de velours en quelque sorte. À ne pas louper non plus, l'impeccable single Oh My Love qui ouvre cet excellent album et qui a tout pour devenir un des tubes pop-rock de cette saison. Vous l'avez compris, si vous êtes amateur de rock ténébreux et que vous ne jurez que par les travaux de Nick Cave ou de Lambchop, on ne saurait trop vous conseiller de vous intéresser de près à ce disque.

Renaud Martin



Stereolab
Margerine Eclipse
[Duophonic]

Trois ans après l'album "Sound-Dust", l'OVNI le plus attachant de la scène indie low fi poppy lounge (!) londonienne refait surface. Et force est de constater que l'ambiance générale de l'album n'est pas entachée par le terrible évènement qu'a été la disparition de la chanteuse Mary Hansen fin 2002. On retrouve dans ce disque toute la créativité, l'énergie, la sensibilité et la bonne humeur du groupe. Plus pop que son prédécesseur, "Margerine Eclipse" est étonnamment produit ; si le son inimitable de Stereolab reste toujours aussi clairement identifiable, l'ambiance est particulièrement soignée, presque soyeuse. Des arrangements vraiment réussis qui donnent une étonnante ampleur à un album riche et varié où la voix de Laetitia Sadier est plus que jamais présente, toujours aussi séduisante, presque envoûtante, habillant avec charme et habileté les mélodies inimitables que le groupe parvient toujours à distiller avec la même aisance. L'écoute de "Margerine Eclipse" est simplement un vrai moment de plaisir.

Christophe Labussière



Unto Ashes
Empty Into White
[Kalinkaland]

New York n'enfante pas que des groupes pop ou noisy barrés. Depuis 98 sévit Unto Ashes, formation dark médiévale folk qui aura su se distinguer de ses nombreux cousins européens par le biais d'influences assumées. Digérées ? C'est une autre histoire. Car il est difficile de ne pas froncer les sourcils sur des morceaux comme I Cover You With Blood, dont l'introduction sort tout droit du Frontier de Dead Can Dance. Idem pour l'instrumental Heralds of War. Passé ce postulat, puisque, après tout, Dead Can Dance n'a jamais eu le monopole des instruments médiévaux et orientaux, force est de constater que ce "Empty Into White" est tout à fait réussi et ne se cantonne pas au genre (on saluera néanmoins l'excellent Spider Song et sa mélodie perse de toute beauté qui ne sera pas sans rappeler leur Mor Te O Merce de l'album "Saturn Return", paru en 2001). Si la reprise curieuse de Beauty Queen de Tori Amos en latin (!) évoque Ronan Quays, on notera des accointances entre le morceau Allu Mari et l'univers des Pink Dots ou encore Current 93 (voir le grave Flayed By Frost) et, de façon plus récurrente, Coil (sur les titres Empty Into White et Gate, instrumental torturé). Un panel d'atmosphères riches qu'Unto Ashes se réapproprie de façon intelligente et parfaitement maîtrisée, aussi bien au niveau des compositions que du chant, féminin et masculin, admirable.

Catherine Fagnot



Willie Cortez
Farsuct
[Delabel]

Sur le papier, Willie Cortez possède déjà de sérieux atouts pour un nouveau venu. Qu'attend-on d'un nomade qui a œuvré en tant que batteur au sein de formations hardcoreuses expérimentales, avant de goûter aux joies du micro dans des sound system jungle ? Un genre de Tackhead ponctué par un flot de slogans socio-politiques dignes d'un MC guerrier ? Du Sonic Youth mécanique axé sur des lignes rythmiques impeccables ? Ou de la drum'n bass mélancolique ? Sur le disque, nous sommes loin du sujet, simplement parce que Willie Cortez invente ici le funk du futur. Sans exagération aucune, il y a du génie dans ce "Farsuct", un premier opus visionnaire où tout est en place ; de l'éclat, de l'impétuosité et de la distinction. Le Catalan cisèle ses arrangements avec des basses gouailleuses dignes d'un Dave Tipper (influences anglaises oblige), des breakbeats bancals empruntés au duo Autechre, dans une version plus limpide et ô surprise du chef, un chant aux accents princiers. Willie Cortez semble bien singulier dans ce bas monde formaté. En effet, rares sont les électroniciens / compositeurs / auteurs / interprètes qui savent aussi bien aiguiser les sens sans oublier le fond. Les thèmes abordés tels que la paranoïa sécuritaire et les systèmes de vidéo-surveillance, rappellent soudainement le spectre de l'écrivain William Burroughs et sa "révolution électronique". "Farsuct" c'est du sexe dans l'électronique, ou des machines qui transpirent, pour reprendre l'expression de Gabi Delgado de D.A.F. Une belle surprise.

Anthony Augendre

Express

Il y a enfin du neuf du côté de The Notwist. En ce moment en pleine tournée aux USA et au Canada, les Allemands ont eu une petite pensée pour tous ceux qui comme nous attendent fébrilement une suite à l'excellent "Neon Golden" (2002), en sortant l'EP "Different Cars and Trains" (Domino). Au programme, un instrumental inédit nommé Red Room (malheureusement assez inconsistant) et quatre remixes (deux réalisés par Console, un par Four Tet et Manitoba en collaboration et un dernier par Loopspool) qui s'avèrent rapidement largement dispensables. Rien de vraiment intéressant en somme. "For Fans Only", comme dirait Belle & Sebastian.
Ensuite, toujours du même côté du Rhin, c'est une remixeuse plus inspirée que nous retrouvons, la DJette Ellen Allien dans "Remix Collection" (Bpitch Control), une compilation très homogène d'une dizaine de remixes très "club" qu'elle a réalisé pour des artistes aussi divers que Sascha Funke, Apparat, Covenant ou le duo Miss Kittin/Goldenboy. Pas non plus indispensable mais très agréable à écouter en remuant la tête, et puis retrouver sur beaucoup de morceaux la voix de la belle ainsi que certaines sonorités utilisées pour l'album "Berlinette" ne gâche rien, bien au contraire.
Autre nouveauté, "Pre-Earthquake Anthem" est le premier véritable album de Circlesquare, le projet mystérieux du non moins mystérieux March21, artiste issu de l'underground de Vancouver. Sorti sur le label anglais Output (Black Strobe, Colder), ce disque distille une pop lente et maladive, le tout teinté de sonorités électroniques minimales (on pense parfois aux atmosphères étouffantes du Mezzanine de Massive Attack). Un premier album des plus réussis et un artiste à suivre de près !

Renaud Martin