The Cure
The Cure
[Polydor]

2004 restera incontestablement comme un grand cru. Une fois encore, les déclarations répétées de Robert Smith précédant la sortie de cet album et concernant ses envies à l'égard du son et de la production n'auront été que des divagations psychotiques. L'insistance de l'intéressé avait d'ailleurs entraîné du côté de ses fans plus d'inquiétude que de raison. Car du "plus heavy" ou "plus hardcore", il ne reste au final qu'un "plus Cure que jamais". Le groupe fait en effet table rase de ces douze dernières années (oubliés le raté "Wild Mood Swings" et le contestable "Bloodflowers") et, sans être non plus dans la continuité de "Wish", réussit à offrir un album véritablement ancré dans le meilleur du son Cure. Le cahier des charges est parfaitement rempli, car on y retrouve toutes les caractéristiques propres à l'identité du groupe, un chant écorché (cette fois-ci souvent teinté de hargne, en particulier sur Us or Them et Never), une basse entêtante, des mélodies en apparence évidentes et des compositions toujours complexes. Mais pour la première fois depuis très longtemps les morceaux sont calibrés d'une façon très classique, pas de titres interminables (hormis The Promise, qui le mérite largement), pas d'effet superflus, juste une production "simple" (et c'est là toute sa richesse) qui laisse toute la place à l'émotion et à la mélodie. Before Three, Taking Off, alt.end, à chaque nouvelle écoute on s'attache à un titre différent, on s'étonne de la force des textes (le deuil avec Going Nowhere, en écho à The Promise sur le même thème mais sous l'angle de la colère et de la frustration), et dès la première écoute on réalise que vraiment rien n'est à écarter. Fini les morceaux ennuyeux, les baisses de rythme ou les effets ratés, l'album est homogène, et peut-être même plus facile d'accès que ne l'a jamais été aucun des albums du groupe. The Cure se sera brillamment relevé de ses dernières années plutôt chaotiques où l'on s'enthousiasmait plus de la sortie de lives ou de compilations que de leurs nouvelles productions. Jamais un album de The Cure n'aura porté aussi bien son nom, celui d'un groupe qui continue à nous fasciner depuis plus de 25 ans.

Christophe Labussière



Aïboforcen
Kafarnaüm
[Alfa Matrix]

Quatrième album du duo belge composé de Benoît Blanchard et Sébastien Dolimont, nos confrères du fanzine Side-Line, "Kafarnaüm" est sans doute leur album le plus cohérent (en dépit de son nom…) et le plus mûr à ce jour. Il faut dire que ce qui se fait bien prend souvent du temps et que le dernier opus du groupe, "Sons Palliatifs", remonte déjà à 2001. Ce nouvel album s'inscrit dans la poursuite d'une recherche d'identité sans doute destinée à créer une sorte de version trance-indus d'un Delerium européen, speed et froid. À l'exception de quelques morceaux instrumentaux oscillant entre indus expérimentale et drum'n'bass (la série très dispensable des Chaos-Society, Chaos-Underworld, etc.), l'ensemble des titres de "Kafarnaüm" trouve paradoxalement une véritable homogénéité, excellant dans une trance-indus féminine ultra-rapide et dominatrice, aux accents parfois de future pop, aux samples peu communs, aux rythmiques recherchées. On apprécie particulièrement le très 242 Hurting You Is Good for Me (entre "Front by Front" et "Off"). On aime également les samples en français du style "Pour moi, c'est l'enfer" sur un fond à la VNV Nation, avec Within the Endless World. On se délecte avec le très envoûtant Psychosomatic Complaints, doté d'une voix féminine à la fois aérienne et combative. Et pour finir, on ne saurait trop vous recommander la déjà culte reprise de Niagara Pendant que les chants brûlent, sorte d'Alizée au pays de Front Line Assembly : de quoi faire entrer l'électro indus à l'Eurovision ! Belle mission, messieurs.

Stéphane Colombet



DAT Politics
Go Pets Go
[Cos Records]

À chaque nouvel album des DAT Politics son lot de délires et de trouvailles en tous genres. Cinquième de la série, "Go Pets Go" n'échappe pas à la règle et compile à la fois le passé dissonant et mélodique du groupe tout en innovant vers un style moins hermétique. Toujours naïves et enfantines, mais plus travaillées et recherchées qu'il n'y paraît, les compositions du trio évoluent entre sonorités cristallines et embrouillamini volontaire. Quant aux trouvailles précitées, elles foisonnent ! Citons par exemple Yha-Hoo Tuning, le neuvième morceau, constitué de samples de voix et d'applaudissements du public, ou le dernier titre, Credits, qui comme son nom l'indique énumère les remerciements et les noms des participants à ce disque. Un titre pour le coup quasiment vocal ! Au fil de l'évolution du groupe, l'insertion de voix dans les compositions semble d'ailleurs davantage assumée, et tout comme sur leur précédent album, les Lillois nous proposent une chanson en français, Si, véritable exercice d'allitération sans queue ni tête. Nathan Michel et Kristin Erickson (alias Kevin Blechdom), en invités de marque, viennent également donner de la voix sur cet album, qui, en plus de sa pochette très similaire, succède logiquement et agréablement à "Plugs Plus".

Carole Jay



Exsonvaldes
Time We Spent Together
[Noise Digger/Chronowax]

Après les premiers jets plus que concluants que furent le 4 titres "Sons/Silences" (2001) et le maxi "Someday If I Want to" (2002), beaucoup attendaient de la part d'Exsonvaldes un premier album qui serait capable de faire rivaliser nos Parisiens avec le meilleur de la scène pop-indie belge ou anglo-saxonne. Et bien c'est chose faite avec ce "Time We Spent Together" qui séduit dès les premières mesures du premier morceau (I Don't Want to Drive) et qui s'avère rapidement être la petite perle qu'on attendait. Entre pop aérienne et mélancolique (difficile en effet de résister à des morceaux comme Going Away, Do You Know What Is Like?, All I Have) et des passages plus rock (Time We Spent Together et ses sonorités post-rock), les Parisiens on réussi à composer un album spleené et élégant, dans lequel le chant de Simon, tout en anglais, fait réellement des merveilles. Un album qui s'écoute et se réécoute avec plaisir, et une belle réussite qui, espérons-le, permettra au groupe de trouver le succès qu'il mérite.

Renaud Martin



Fixmer/McCarthy
Between the Devil...
[Synthetic Symphony/SPV]

Une légende affirme que Ralf et Florian de Kraftwerk testent le potentiel hypnotique de leurs nouvelles compositions en conduisant une voiture sur une autoroute. À chacun sa méthode ; le DJ Terence Fixmer a eu maintes fois le loisir de peaufiner son esthétique sonore en prise directe avec un public de clubbers. Ses sets, qui rendent un hommage aux aventuriers de la body music, ont contribué au renouvellement du genre tout en puisant dans un certain patrimoine belgo-nordique. Personne mieux que lui n'a su mêler auparavant le minimalisme glacé de Klinik aux complaintes lascives de Crash Course in Science. Demandez donc à un Laurent Garnier d'oser passer un Warm Leatherette de The Normal au beau milieu d'un de ses sets au Rex Club. Pour Terence, on ne fait pas mieux pour faire bouger les foules que de confronter des rythmes binaires à des sons analogiques salis. Comme tout bon DJ qui se respecte, la tentation de créer ses propres galettes était grande. Cette collaboration inouïe concrétise un rêve de gamin, l'occasion pour le Français de retrouver la trace de l'idole Douglas McCarthy, l'excellent brailleur de feu Nitzer Ebb, et de le convaincre de reprendre du service, lui qui ne chantait plus vraiment, à part sur quelques morceaux de son ami Alan Wilder de Recoil. Le résultat est assez séduisant dans l'ensemble, on sent que le "performeur" s'est réellement amusé dans ce projet à forte teneur en testostérone. Son énergie débordante, son registre vocal très riche et son univers littéraire tourmenté ont insufflé à la techno abrupte de Fixmer, une sorte de sensualité animale. Une sauvagerie relevée par des montées puissantes de séquences largement inspirées par les œuvres de D.A.F. À la longue on fini quand même par s'ennuyer tant la linéarité (faiblesse ?) de certaines structures gâche trois ou quatre titres de l'album. On regrette de ne pas pouvoir savourer cet album dans un cadre adéquat, c'est-à-dire dans un club lillois, entouré de body buildeurs en treillis qui n'attendent qu'une parodie version 2004 de Let Your Body Learn pour laisser s'exprimer leur virilité bridée jusqu'à présent par une décennie de techno dance stérile.

Anthony Augendre



Flëur
Magic
[Prikosnovénie]

Taxer Lena et Olga, les deux voix de l'ensemble ukrainien Flëur, de "poupées russes" relève du lieu commun le plus honteux ! Et pourtant, c'est bel et bien vers cette expression que nous ramènent les voix délicates et haut perchées des deux jeunes femmes à travers un second album qui sent le folklore slave à plein nez. Une omniprésente guitare acoustique en guise de fond et une flûte, un violoncelle ou un violon virevoltant autour de chants lumineux et caressants. De la Baltique à l'Oural, du Permafrost et de la Taïga aux rives de la Mer Noire, le voyage est enchanteur, romantique. La poésie lyrique qui se dégage de "Magic" fait de chaque chanson un tableau onirique, terriblement touchant, à la mesure du titre de l'album. Ici, pas de barrière de langue (le duo chante pourtant en russe), les voix et les sons se suffisant pour véhiculer impressions et sentiments bien au-delà du sens des mots. Un disque d'images et d'espace en quelque sorte. Un joli périple en tous les cas à travers cette grande Mère Russie, terre de contrastes si proche et en même temps si éloignée. Flëur nous délivre ici quelques clés vers ce pays, aujourd'hui encore si énigmatique. Il ne tient qu'à nous de pousser la porte…

Stéphane Leguay



Haïku
Synthese
[Parametric]

Haïku ouvre la nouvelle collection 2004 de Parametric sur une politique commerciale et esthétique personnelle. En effet le label spécialisé en musiques électroniques expérimentales lance une série d'albums, habillés de métal brossé (un clin d'œil au Berlinois Chain Reaction ?). Chaque production est agrémentée de pistes multimédia et est vendue à un prix n'excédant pas 10 euros, l'idée étant de motiver les internautes vers l'acquisition de beaux disques/objets.
Haïku, pour revenir dans le vif du sujet musical, porte bien son nom. Vivien Cabrol propose sa lecture sonore des haïkus, ces petits poèmes japonais fortement imprégnés de l'esprit dépouillement du 17e siècle. Dans cette forme poétique, des impressions vives doivent être exprimées avec une économie de moyen (pas plus de dix-sept idéogrammes chinois) sans pour autant négliger la teneur des propos. Si de prime abord l'electronica d'Haïku semble austère, une écoute approfondie révèle l'essence même de la démarche artistique du projet. Haïku évolue d'une manière abstraite où chaque tessiture sonore pourrait se synthétiser sous l'aspect de cercles, de lignes simples et limpides à l'instar des sillons que dessine un moine zen sur le sol d'un jardin de sable. Nous sommes loin des élucubrations sinusoïdales d'un Rioji Ikeda, voire des aspérités de Pan Sonic car "Synthese" est avant tout l'œuvre d'un occidental qui a digéré les œuvres de musiciens généreux, sans doute Boards of Canada ou Biosphere pour ne citer que les plus emblématiques créateurs de la nouvelle école Ambient.

Anthony Augendre



Hypo
Random Veneziano
[Active Suspension]

Avec ses précédents albums, Hypo a déjà marqué les esprits par l’originalité de son electronica expérimentale pour oreilles exigeantes, sans toutefois tomber dans le trop cérébral. Difficile d’ailleurs de comparer Hypo à quoi que ce soit d’autre. Créant sans cesse de l’inattendu, vagabondant au gré de collages sonores qui piochent à tout va dans une profusion de styles et le tout avec un certain sens de la dérision, Hypo se démarque par sa singularité. "Random Veneziano" est une pierre de plus à l’œuvre ; sorte de vaste zapping de fréquences à l’apparence chaotique derrière lequel se cachent néanmoins des mélodies qui donnent corps à l’ensemble. Cet album est aussi le fruit d’une collaboration multiple pour lequel Anthony Keyeux (Hypo) s’est entouré de Momus, Simon Wess (Pierre Crube), Mou Lips, Emmanuelle de Héricourt (vidéaste et musicienne), O.Lamm, et de la chanteuse japonaise Sawako, qui apparaissait déjà sur le précédent album d’Hypo. Le tout mixé en compagnie de Norscq (aussi impliqué dans les projets The Atlas Project et The Grief).
On se laissera entraîner dans ce capharnaüm fourmillant et poétique ou on haïra d’entrée de jeu. Pas de juste milieu en ce terrain d’avant-garde que son créateur décrit lui-même comme un "vrai cirque" dans lequel il aurait tenté : "des accouplements contre nature… DCD sodomisant Joe Dassin par exemple" !

Laure Cornaire



I Am X
Kiss + Swallow
[Recall]

Entre deux albums des Sneaker Pimps, Chris Corner, chanteur et leader du groupe, s’autorise une petite virée en solo sous le pseudonyme d’I Am X. Délaissant les atmosphères douce-amères et brumeuses façon trip-hop, il s’offre ici le plaisir de compositions légères et s’adresse tout autant à notre libido (par les thèmes des textes) qu’à nos gambettes, que certains titres de ce disque ne sauraient laisser inertes. Ce projet pop électronique a la particularité de brasser large avec des mélodies plutôt accrocheuses, un esprit glamour, un brin de nostalgie 80’s et une production sans aspérité. De quoi réconcilier les fans de Placebo, de Larry Tee et de synthpop ! Seul aux manettes, Chris Corner s’est tout de même octroyé les services de Sue Denim, l’une des deux Robots in Disguise, qui apparaît en guest vocalist sur plusieurs titres. Un juste retour d’ascenseur puisque notre homme n’est autre que le producteur des Robots in Disguise !
Poids plume dans la discothèque, I Am X a cependant des atouts pour se défendre, en particulier la jolie voix de Chris Corner qui avait déjà réussi à assurer le succès des Sneaker Pimps après le départ de leur chanteuse, sur le deuxième album du groupe. Sa fraîcheur et sa facilité en font en tout cas un disque que l’on consommera comme un bonbon fruité...

Laure Cornaire



Images In Vogue
Collection Version 2.0: Chronology
[Carlos Monte Records]

Vous avez dû lire ici et là que la bande de Vancouver composée de Don Gordon de Numb, Kevin Crompton (alias Cevin Key de Skinny Puppy), David Ogilvie et Greeg Reely, respectivement ingénieurs du son pour les chiots malingres et pour Front Line Assembly, a commis ses premières fredaines sonores au début des années 80 autour d'Images In Vogue. La réputation du groupe n'a jamais dépassé les frontières du continent nord-américain, et demeure au même titre que ses compatriotes Rational Youth, un genre de Graal pour les amateurs de techno pop tels les Suédois d'Energy Records qui se réclament de leur influence. Jusqu'à la parution cette année d'une anthologie sobrement intitulée "Chronology", il était impossible de dénicher le moindre vinyle, de glaner la moindre information. Toute l'histoire de ces néo-romantiques est compilée ici en son et en image. Le livret impeccable, signé Steven R. Gilmore, remplit sa fonction de biographie détaillée et d'album photo. Vous y apprendrez entre autre que Images In Vogue, en fan de post-punk, a ouvert les premières parties des concerts canadiens de Roxy Music et Depeche Mode. La première écoute de cette collection de tubes locaux est saisissante ; tous les chanteurs de charme de l'époque semblent s'être invités dans ce chant emphatique à souhait. On croit reconnaître John Foxx d'Ultravox dans la brume, Gary Numan sur un glacier, Steve Strange de Visage juché sur un ours, David Sylvian dans le blizzard. Seule une pointe d'accent américain brise l'illusion. Non, ce ne sont pas les œuvres des résidents du Blitz à Londres en 1979 mais bien les futuristes du grand Nord qui partagent avec leurs homologues de la vieille Europe un goût prononcé pour les synthés obliques, le cabaret berlinois et le design abstrait de l'école de Stijl. Cette "madeleine eighties" comble un vide bien étrange. Si vous êtes toujours un adepte de disco death industriel il vous faudra passer par l'épreuve de la pop flamboyante, un rien poseuse, d'Images In Vogue afin de parfaire votre connaissance sociologique et culturelle du mouvement.

Anthony Augendre



Informatik
Re:Vision
[Metropolis]

Duo américain toujours inspiré depuis ses débuts en 1993, Informatik nous a souvent offert, à travers ses trois précédents albums mais de façon assez inaperçue, des mélodies très soignées, dotées de sonorités étrangement européennes. Mais c'est aujourd'hui le chant, hier relativement trituré, qui crée la surprise en s'éclaircissant sur ce mini-album (dix titres quand même), sorti deux ans à peine après leur dernier vrai album "Nymphomatik", et qui gagne par la même en personnalité et en intensité. On pense à la dernière époque d'Evil's Toy mais aussi et plus encore à l'actuel Assemblage 23 (qui remixe d'ailleurs un des morceaux, A Matter of Time, excellent). En bref, on trouvera sur ce disque quatre nouveaux titres très réussis plus six nouvelles versions ou remixes de compositions plus anciennes. L'ensemble est ultra-vitaminé, on ne risque pas de s'endormir… Ce n'est peut-être pas très original mais c'est en tout cas d'une efficacité rare et d'une fraîcheur étonnante pour un style électro EBM future pop usé jusqu'à la corde. Difficile de rester immobile à l'écoute du remixe d'Over par Iris ou de celui de Flesh Menagerie par Funker Vogt. Du grand art même ! On peut légitimement espérer que le prochain album fera enfin sortir de l'ombre ce duo aussi discret que talentueux.

Stéphane Colombet



Land
1988-1997
[Divine Comedy]

Pressentie l'an dernier au cours de l'ébullition qui lui était consacrée, la compilation de démos de Land vient enfin de voir le jour chez Divine Comedy et ce, quelques mois à peine après la sortie du EP vinyle "Praha". Synthétisant durant un peu plus d'une heure le meilleur de ses premiers travaux ("Empires at War", "Labyrinth", "Notre-Dame de Paris" et "Anger"), Land dévoile enfin tout un pan de son histoire encore inconnu pour le plus grand nombre. Une musique déjà fortement marquée d'échos atmosphériques, lorsqu'elle n'est pas tout bonnement cinématographique (A Kingdom Is Falling) et dont les structures abstraites naviguent avec finesse entre percussions martiales, souffles industriels ou rondes enfantines. Une compilation qui nous permet en outre d'apprécier un tout autre versant de Land ; à l'époque où celui-ci était encore un projet multi-membres flirtant avec la cold wave (On the Mountain Peaks). Quelques compositions emmenées par un chant tour à tour masculin et féminin donnent une petite saveur de jeunesse à ce pourtant très sombre recueil de souvenirs. Quant à Die Andere Hälfte des Himmels et Distances saturées, les deux inédits qui clôturent "1988-1997", leurs sinistres oripeaux rituels et dark ambient confectionnés par un Marc devenu seul maître à bord, annoncent d'ores et déjà l'ère de la maturité et de la stabilité. Une ère qui accouchera en 2001 du EP "Idi i Smotri" et en 2002 de l'excellent premier album "Opuscule".

Stéphane Leguay



The Legendary Pink Dots
The Whispering Wall
[ROIR]

En plus de vingt ans et presque deux fois plus d'albums, les Legendary Pink Dots ont côtoyé le sublime et parfois les abîmes, tant et si bien que chacune de leur sortie s'accompagne d'une petite frayeur récurrente : quelle face de leur talent vont-ils choisir d'exprimer cette fois-ci ? C'est un album triste qu'ils nous livrent avec "The Whispering Wall", sur lequel Soft Toy joue l'intox avec sa basse, son orgue et ses guitares. Car dès l'intro du second titre, A Distant Summer, nous nous retrouvons là où "All the King's Horses" s'était arrêté en 2002, avec encore plus de fragilité. Délicat et triste, Edward Ka-Spel l'est assurément sur l'émouvant In Sickness and in Health qui rappelle la mélancolie de Cheating the Shadow présent sur leur "Nemesis Online" de 1998. Lui qui nous confiait avoir récemment réalisé que son groupe ne changerait jamais le monde comme il l'aurait souhaité, se consolerait-il seulement de savoir à quel point il a pu changer la vie de ses fans ? Certes Peek a Boo ressemble à une mauvaise farce, mais The Divide fait suite à la tradition de la longue histoire du quotidien un peu halluciné et sur fond de rock psychédélique, comme celles que le chanteur improvise lors des concerts. Le meilleur de cet album est sans conteste la longue et dernière plage, composée des trois titres Sunken Pleasure / Rising Pleasure / No Walls, No Strings où Edward s'autorise un passage a capella enrhumé de toute beauté, avant de se laisser happer par un véritable mur de nappes new-age d'où sortent des murmures d'un instrument traditionnel, proches des escapades musicales solitaires du Silverman. Cet album est leur disque le plus fragile jusqu'ici.

Bertrand Hamonou



The Legendary Pink Dots
Poppy Variations
[TEKA/Beta-Lactam Ring]

Les disques des Legendary Pink Dots arrivant maintenant par lots, voici le compagnon d'armes de "The Whispering Wall" imaginé par ces Hollandais d'adoption, afin de contrebalancer la tristesse d'un album claustrophobe. Dans le fond, pourtant, "Poppy Variations" est tout aussi triste que son faux jumeau, puisque construit autour du souvenir des émotions ressenties par Edward Ka-Spel à l'annonce du décès de la princesse Diana. Réalisées avec plus de légèreté qu'à l'accoutumée, les compositions n'ont heureusement rien à voir avec l'hymne peu recommandable de Sir Elton John. Le groupe se risque à sortir la tête hors du studio sur L'Oiseau rare, pour y observer le monde extérieur qu'il ne percevra qu'un temps, préférant finir le morceau dans le sien, aux contours flous et où les ondes sonores n'ont pas la même forme qu'ici-bas. Ce disque serait à rapprocher de leur "Synesthesia" sorti en 2002, tant il semble enregistré avec aussi peu de matériel, et sans pistes superflues (The Equaliser, The Hot Breath on Your Neck, Personal Monster). La voix d'Edward Ka-Spel n'a jamais été aussi proche de notre oreille, et malgré quelques flirts avec des ambiances toutes particulières de cornemuse (The Poppy Variations), celui-ci parvient une fois encore à associer des mélodies intimistes et des morceaux à rallonge, nés de la fusion de trois ou quatre autres, solidifiés de bric et de broc. Avec sa jolie et très sobre pochette, ce digipack est peut-être le passeport pour le retour aux origines toutes british de ce groupe qui fuit l'Angleterre dans les années 80, et qui aujourd'hui surprend en rendant hommage à une figure disparue de "sa" monarchie.

Bertrand Hamonou



Lys
Mélisse
[Prikosnovénie]

Faisant suite à "Roi Lune", un premier essai de fort belle facture, "Mélisse" marque le retour de Lys, alias Fred Chaplain, grand sachem du label Prikosnovénie. Tout comme son prédécesseur, cet album laisse largement Mère Nature prendre possession des douze nouvelles pièces, les chants d'oiseaux ou autres clapotis de ruisseaux se mariant à merveille avec les instrumentations organiques (cloches tibétaines, clarinette, guitares) qui émaillent "Mélisse". Quelques rythmes électroniques viennent ça et là renforcer ou remplacer les nombreuses percussions qui servent de toile de fond à des poèmes, souvent en langues imaginaires murmurées, chuchotés par GoR, Liz Van Dort (Faraway), Mihaela Repina (Pink'n'ruby) ou encore Fred Chaplain lui-même. Un travail de sons et d'atmosphère très homogène, qui, s'il flirte parfois avec la new age, ne tombe pour autant jamais dans des ambiances "Nature et Découverte" de trop mauvais goût. Onirique et dépaysant, "Mélisse" ressemble à une jolie aquarelle dans laquelle il fait bon plonger sa mélancolie pour y respirer saveurs de l'Orient et brise méditerranéenne. Entre bleu pastel et rouge vermillon, spleen automnal et transe chamanique, cette immersion au cœur des éléments et des sensations s'avère toute aussi apaisante qu'excitante.

Stéphane Leguay



Ministry
Houses of the Molé
[Sanctuary Records/Mayan]

"Déjà ?!", serait-on tentés de dire devant ce nouvel opus de Ministry. Une réflexion somme toute justifiée tant le groupe n’a jamais brillé par un rythme de production effréné, loin s’en faut. Pourtant, c’est bel et bien un peu plus d’un an après l’imposant "Animositisomina" que paraît aujourd’hui "Houses of the Molé". Libéré de ses sempiternels problèmes de drogue, Al Jourgensen semble donc avoir trouvé son équilibre créatif et ce, malgré le départ de son compère Paul Barker. Un départ qui pèse de tout son poids dans la direction musicale empruntée par le Ministère texan qui du coup en a profité pour relifter une bonne partie de ses troupes. Sans Barker-le-dandy pour juguler ses aspirations métalliques, Jourgensen exhale donc neuf titres qui crachent les guitares sous toutes ses formes (samplées, en soli, en rythmiques, en marteaux pneumatiques…), faisant de cet album une véritable bombe à fragmentation qui n’hésite pas à reproduire certains schémas speed-thrash que l’on n’avait plus entendus depuis les cavalcades de Jesus Built my Hotrod ou TVII sur "Psalm 69". Et si la vélocité d’un Warp City fait immanquablement penser à Lard, il est évident que c’est vers cet album culte paru en 92 que tend à se rapprocher "Houses of the Molé". No W et son discours de Bush Jr se veut la suite de N.W.O. sur lequel intervenait déjà Bush Sr, WTV n’est autre que la suite de TVII et Worthless n’est pas sans nous rappeler Just One Fix. Un parti-pris dans l’analogie qui va même jusqu’au nombre de pistes (69) gravées sur le CD ! Alors hommage à un glorieux passé ou simple auto plagiat d’une formation en manque d’inspiration et de repère ? Et bien il n’est pas la peine d’aller chercher aussi loin la réponse à cette question faussement cruciale. Ministry fait du Ministry avec le son qui lui est propre, la violence qu’on lui sait et tout cet univers white-trash/apocalyptique dans lequel se reflètent tous les excès et les paradoxes de l’Amérique. Un point c’est tout. Cela donne à l’arrivée un album aussi peu original que novateur mais tellement jouissif dans sa brutalité (qu’elle soit frénétique ou écrasante) et dans son efficacité qu’on se demande bien ce que l’on pouvait attendre d’autre que ce "Houses of the Molé" tel qu’il est dans sa forme finale. Les aventuriers de la révolution sonique en seront donc pour leurs frais, les fans, eux, adoreront sans nul doute.

Stéphane Leguay



Nouvelle Vague
Nouvelle Vague
[Peacefrog]

Nouvelle Vague est bien, comme son nom l'indique, un hommage à la new wave, ce genre musical que la plupart d'entre vous connaissent bien. Mais voilà, plutôt que de faire un énième et inutile album de reprises toutes plus sinistres les unes que les autres, Olivier Libaux (entre autres ex-Les Objets) et Marc Collin (entre autres fondateur du groupe Ollano) ont essayé de faire quelque chose de différent. Pour cela, ils ont d'abord sélectionné treize morceaux incontournables du genre (de Joy Division, Depeche Mode, Clash, P.I.L., The Cure, mais aussi de Sisters of Mercy, XTC, Modern English, Killing Joke). Ils les ont ensuite transformés, réadaptés façon pop ou bossa nova (!) et enfin, ils les ont fait interpréter par de jeunes (et qu'on aime imaginer jolies) chanteuses. Et ce n'est pas moins de huit voix différentes que l'on retrouve ici ! Le résultat est de prime abord assez surprenant, et risque bien d'en déconcerter plus d'un tant il paraît éloigné des ambiances noires et froides des morceaux d'origine. Mais une fois la surprise passée, on se prend à trouver attachantes ces reprises sensuelles et originales, et l'on réalise au fil des écoutes qu'il ne s'agit là nullement de trahison, mais bien d'un véritable hommage, fait avec intelligence et un indéniable amour pour ce genre que nous apprécions tant.

Renaud Martin



Omnicore
Mass Murderer
[Divine Comedy]

Ce premier opus du trio lyonnais Omnicore est une nouvelle bonne surprise à mettre à l'actif de la maison Divine Comedy. Suivant les tambours lugubres d'une scène dark folk toujours aussi prolifique en nouvelles productions, ce premier album, "Mass Murderer" déroule ses étendards guerriers au vent glacial venu d'Europe (on s'en serait douté), sans pour autant tomber dans l'équivoque de mauvais goût fièrement arborée par certaines autres formations du genre. Treize morceaux à la géométrie martiale dans lesquels le rituel dispute au mécanique les battements hypnotiques qui rythment le cœur d'Omnicore. Et si l'on retrouve çà et là certaines influences par trop évidentes (l'ombre d'Ordo Rosarius Equilibrio au dessus de Dying in Berlin ou celle de The Moon Lay Hidden Beneath A Cloud derrière Complices ou Strong New World), on ne résiste guère au plaisir de se laisser bercer par ces cadences funèbres et ces cantiques impies. Dommage que le terrible accent anglais d'une des deux voix masculines ne vienne gâcher l'effet grandiloquent de certains passages, qui en perdent du même coup beaucoup de leur superbe. Une ombre qui ne restera à l'arrivée qu'un léger bémol au sein d'une symphonie malgré tout rondement menée par une formation à suivre de très près.

Stéphane Leguay



Pan Sonic
Kesto (234:48:4)
[Mute/Labels]

L'annonce de la sortie de ce quadruple album de Pan Sonic avait tout pour attiser notre curiosité, mais avait aussi de quoi nous inquiéter sérieusement. Les Finlandais n'allaient-ils pas en effet abuser des 234 minutes de ces quatre CD pour se lancer dans des expérimentations trop ardues et noyer ainsi leur singularité dans un concept à l'ampleur que l'on était en droit de craindre démesurée ? Fort heureusement, on retrouve dès le premier CD tous les éléments qui ont toujours caractérisé ce son unique : froideur, rythme, relief et distorsion. Le procédé est en apparence le même que celui utilisé depuis leurs débuts, mais cette fois-ci il y a plus d'énergie, plus de punch. Les accidents et les reliefs si caractéristiques de leur électronique sont plus marqués, plus intenses, presque groovy. La froideur à laquelle Pan Sonic nous a accoutumés, même si elle reste omniprésente, voit ses angles s'arrondir. Des moments de quiétude et des titres à la rythmique plus frénétique s'alternent dans une logique parfaite. Le deuxième CD emprunte la même voie que le premier, mais les morceaux se simplifient, deviennent moins complexes, moins vicieux. Avec le troisième CD, le port du casque est obligatoire, car les Finlandais nous entraînent dans une ambient apaisée aux accrocs industriels exquis, un rien bruitiste, offrant 73 minutes d'une fausse quiétude qu'ils maîtrisent comme de savants magiciens. Quant au quatrième CD, dédié à Charlemagne Palestine, il propose un titre de plus d'une heure à l'intérêt discutable, mais qui ne freine en rien l'acquisition de ce coffret incroyablement addictif.

Christophe Labussière



Plastic Noise Experience
Maschinenmusik
Maschinenraum
[Alfa Matrix]

Plastic Noise Experience est un passage obligé pour qui n'a jamais guinché sur de l'Electronic Body Music, la vraie, celle qui transpire de l'acide chlorhydrique, qui s'adresse aux neurones tout en développant votre masse musculaire. Nous ne parlons pas ici de l'immonde soupe trancey matraquée dans les soirées parisiennes, ni de l'electro-clash, revival commercial cynique des pires moments des années 80, mais bien de l'invention de Front 242 et de ses suiveurs gymnastes. Claus Kruse l'homme mannequin de PNE est issu de la seconde génération des cyborgs dansants, un envahisseur particulièrement efficace de discothèques. Avec ses amis costauds, Suicide Commando, :Wumpscut et Gin Devo (Vomito Negro), il est du genre à chanter son amour des matières plastiques et de l'élégance mécanique avec cette voix gutturale, forcément vocodée qui rappelle certains crooners tels que Frank Tovey ou Jean-Luc de Meyer (Prestigeobjekt). Raclage de gorge, articulation de phonèmes agressifs, structures de chansons plus que carrées et mélodies pugnaces sont les ingrédients de ces deux super productions, l'album "Maschinenmusik" et le EP copieux "Maschinenraum". Vas-y que je te colle mon Prestigeobjek électro dans la gueule, tu pourras toujours me répondre avec un Schlafmodus bruitiste bien senti. Un plaisir pour tous ceux qui, pétris des clichés sur la rigueur germanique, jouent toujours au robot devant leur miroir, portent des chemises rouges et des cravates noires, et vivent intensément l'humour de Kraftwerk.

Anthony Augendre



Rajna
Hidden Temple
[Holy Records]

Comme tout droit venu de quelques hauts plateaux himalayens, le quatuor hexagonal Rajna continue depuis près de six ans d'appliquer, avec un savoir-faire qui lui est propre, sa musique profondément transcendantale. Et même si ce "Hidden Temple" semble délaisser pour un temps les rives du Gange, c'est pour mieux se jeter dans les eaux d'un autre fleuve sacré, le Nil. Les mystères de l'Égypte ancienne constituent donc le fond d'inspiration de ce nouvel opus, mais que l'on ne s'y trompe pas : les mélodies rituelles et l'instrumentation orientale restent fondamentalement ancrées entre Inde et Tibet. Que dire de plus de cette nouvelle réalisation si ce n'est que Rajna, sans réellement faire évoluer sa formule à base de fines percussions et de dulcimers fait une nouvelle fois mouche en nous entraînant dans de somptueux périples à travers steppes, forêts et montagnes. Peut-être plus varié dans son approche et sa structure globale, "Hidden Temple" nous offre quelques sublimes perles éthno heavenly telles Dancing With Divinities ou Odyssey, l'enveloppe feutrée de l'orchestration laissant une fois de plus une place de choix aux vocalises de Jeanne. Un cinquième album magique qui réduit le temps et l'espace en une seule dimension, une seule entité, une seule émotion. Une brume méditative, un flou cinématique duquel on a peine à ressortir…
Notons que "HiddenTemple" est livré avec un second CD, "From the Ashes", regroupant inédits et versions alternatives enregistrées entre 1998 et 2002.

Stéphane Leguay



Richard H Kirk
Earlier/Later
[The Grey Area/Mute]

Le parcours du label Mute est irrémédiablement lié à la personnalité du fondateur Daniel Miller et son amour immodéré pour des artistes hors normes. Afin de faire revivre les œuvres des pionniers maison comme Can, Throbbing Gristle et Deutsche Amerikanische Freundschaft, Mute a créé "The Grey Area", une sous-division qui fait figure d'archives pour la culture industrielle internationale. Cette "zone grise" n'offrait, la plupart du temps, que des rééditions digitalisées de vieux vinyles. Voici enfin de l'inédit avec cette anthologie ; les bandes démos de Richard H Kirk de Cabaret Voltaire, des compositions datant de 1974 à 1989. Le vieil ours de Sheffield affirme qu'il n'a jamais joué ces morceaux à qui que ce soit, même pas à son ami le chanteur Stephen Mallinder. En tendant l'oreille, on peut y entendre les menus frottements de bandes magnétiques qui n'ont subi aucun traitement de post-production avant de finir sous la forme d'un double CD, étonnant de maturité. La première partie est constituée par un mélange de funk glacé d'une veine proche des sessions "Black Jesus Voice". Les thèmes sociaux-politiques chers au mentor Kirk sont déjà bien présents (la guerre, la dictature, les armes, la drogue), soulignés par des collages rythmiques obsessionnels. La seconde datant de 1974 est un ensemble de pièces électroniques primitives préfigurant le son des industrieux des années 80 ainsi que la démarche de la génération techno-minimaliste d'aujourd'hui. C'est aussi, selon les dires de l'intéressé, le genre d'album qu'il rêverait encore de produire aujourd'hui. Comme quoi certains avant-gardistes ne s'interdisent pas de regarder vers le passé. Et ils ont raison.

Anthony Augendre



Sanctum
Let's Eat
[Cold Meat Industry]

Huit ans après son premier essai "Lupus in Fabula", Sanctum est enfin de retour pour rassasier la faim de ses supporters, le live "New York City Blaster" paru en 99 n'ayant qu'assez peu suffit à nourrir leur (légitime) appétit. En parfaite symbiose avec l'adage de la maison-mère Cold Meat Industry "nous sommes ce que nous mangeons", le duo Carleklev / Paulsson nous invite à un banquet bien peu ragoûtant dans lequel la chair humaine ne se distingue plus des autres viandes dites "comestibles" (Foodchain). Un banquet macabre dont le tissu sonore, à base de saturations industrielles, de rythmiques martiales et de voix viriles, contraste avec la fragilité des pianos, des touches electronica et autres synthés, sans oublier ce fameux violoncelle qui contribue tant à la forte identité de Sanctum. Moins baroque que son prédécesseur (les chants féminins ont ici quasiment disparu), "Let's Eat" présente le visage d'un groupe qui aura muté durant huit années de purgatoire, troquant la myrrhe contre le soufre dans un album sur lequel dissonance et distorsion se sont largement invitées. Glacial tout autant que singulier, ce disque apparaît du même coup comme une bizarrerie au sein d'un catalogue généralement habitué à des ambiances plus homogènes. L'artwork lui-même, plus proche des collages dada que des flous gothiques ou des rouilles industrielles de mise chez Cold Meat, met d'entrée le couvert pour ce repas, indigeste de prime abord, mais fort goûteux à l'arrivée.

Stéphane Leguay



Tuxedomoon
Cabin in the Sky
[Crammed]

Le label Crammed aurait-il entrepris de remettre sur le devant de la scène les groupes cultes de son catalogue ? Après Minimal Compact, c’est au tour de Tuxedomoon de renaître de ses cendres avec un nouvel album, fruit de la récente reformation de ses trois fondateurs, Steven Brown, Peter Principle et Blaine Reininger. On retrouve le groupe dans toute sa splendeur avec cette façon unique de mener les instruments là où on ne les attend pas, de jouer sur l’équilibre instable entre classicisme et expérimental. Une musique pleine d’émotion et de sensibilité qui se veut tour à tour romantique, rebelle ou fantaisiste. Cordes, cuivres, claviers et chants s’en donnent à cœur joie pour servir l’imagination toujours aussi fertile du groupe et nous livrer un album à la hauteur de nos espérances. On retiendra particulièrement quatre perles sur cet opus : A Home Away met en avant cette faculté du groupe à construire des morceaux d’une émotion rare avec un minimalisme déconcertant, les chants et les violons de Baron Brown et Mysty Blue nous transportent de joie et la touche électronique de Luther Blisset apporte une note originale aux compositions de Tuxedomoon. Il faut noter que l’album a bénéficié de la participation de quelques invités de marque tels que Tarwater, John Mc Entire (Tortoise), Aksak Maboul (alias Hollander et Kenis, les hommes de l’ombre de Crammed), Marc Collin, Juryman et DJ Hell. Aucun doute, la magie est bel et bien toujours présente.

Delphine Payrot



VAST
Live and Electric in Seattle
Live in Seattle-Acoustic
Thrown Away
[2Blossoms]

Peu de groupes peuvent se vanter d'avoir pris un virage aussi radical que VAST, tout au moins dans leur manière de diffuser leur musique. L'opération avait commencé l'été dernier lorsque Jon Crosby, abandonné depuis quelque temps par sa maison de disque, décida de publier les albums de VAST via son site internet pour un prix dérisoire. Le succès de "Turquoise" et "Crimson" fut tel que le label 456Entertainment s'intéressa aux Californiens, et leur permit de publier "Nude" au format CD. N'ayant pas l'intention de s'arrêter en si bon chemin, Jon Crosby semble avoir trouvé là un nouveau modèle économique appliqué au fonctionnement de son groupe, et nous propose depuis fin mai trois nouvelles productions au prix toujours aussi dérisoire sur son site.
La première est l'enregistrement d'un set acoustique donné à Seattle le 10 mai dernier, au magasin de disques Tower Records, devant un petit parterre de fans très probablement médusés. La set-list mélange des classiques et des morceaux récents, plus deux inédits Having Part of You et Punish Me
Ensuite vient un second concert, électrique cette fois, enregistré le même soir, et sans doute pas le meilleur de la tournée à en juger par les ratés et l'essoufflement de Jon Crosby. Celui-ci laisse d'ailleurs bien malgré lui le micro à son nouveau guitariste, Patrick McGuire, sur The Last One Alive. Cet enregistrement laisse tout de même transpirer l'énergie et l'émotion que déploie VAST sur scène. Aucun doute, VAST ne triche pas et propose ses performances "brut de décoffrage" : les fans s’en réjouiront. Le groupe se lance aussi à la conquête du marché des singles digitaux, en privilégiant leur efficace Thrown Away tout droit sorti de "Nude". Malheureusement, c'est le premier vrai faux pas du groupe, qui propose moult remixes (huit titres en tout, dont cinq remixes insipides) aussi peu inspirés que dispensables, qu'il s'agisse du titre phare ou de Turquoise.
Preuve que bien souvent, quantité ne rime pas toujours avec qualité.

Bertrand Hamonou

Express

Croisement improbable entre la musique de John Carpenter et une sorte de trance goa ambient, "Escape" d'OTX (Brume Records) échoue là où un artiste comme Oil 10 (avec lequel il semble partager le même goût pour les sons synthétiques et les ambiances teintées de SF) était parvenu, avec son album "Arena", à créer quelque chose de particulièrement excitant. Ici OTX donne l'impression de s'être entièrement consacré à l'ambiance mais cela sans vraiment s'intéresser à la façon de la mettre en scène et à ce qui la constitue. Un album véritablement fade et ennuyeux, au cours duquel on subit une succession de "plans" poussifs et superficiels qui s'enchaînent sans vraie logique et surtout sans aucune homogénéité.
Autre mauvaise surprise, l'album de Die Puppe (Kamisori Records), le nouveau projet de Usher, ex-Norma Loy. Rien à redire du côté des compositions, une électro froide soignée à la rythmique trip-hop plutôt digeste, mais le raté concerne la voix et son traitement bien trop en avant qui rappelle plus une Mylène Farmer sous Tranxène, à la diction fainéante et à l'accent approximatif, que quoi que ce soit d'autre de supportable.
On avait vanté les qualités de Grandchaos avec "La Forge" et son EBM old school puisant dans les sonorités de la scène belge des années 80. Avec le plutôt réussi "Ionize Me" (Urgence Disk Records), l'ex Ivanovitch dans l'ombre a fait un bond de... cinq ans en avant et intègre des sonorités plus trance qui le rapprochent cette fois-ci de choses plus musclées comme Kode IV (les connaisseurs se souviendront de Accelerate). Au final, on ne sait pas vraiment quoi penser, car si réviser ses classiques en sa compagnie n'a rien de déplaisant, cela n'apporte à vrai dire pas grand-chose de nouveau.
Au milieu d'une scène gothique poussiéreuse et essoufflée, on est toujours surpris de découvrir quelques résistants qui tentent de redonner un coup de jeune au style. Dans la lignée des Américains de Razor Skyline, les Suisses de Cell Division délivrent avec "Tsunami" une sorte d'agro goth au chant féminin qui parvient sans trop de difficultés à nous proposer quelques titres délicieusement entêtants (Hypnotized, Alien Fantasy). Entre un All About Eve aux guitares gonflées à l'EPO et un Christian Death au charme tout féminin, "Tsunami" est un album tout à fait honorable, particulièrement plaisant.
Si il y a une chose qui manque au "Taking Nothing Seriously" de Klangstabil
(Ant-Zen), c'est l'homogénéité, mais cette variété en fait véritablement tout l'intérêt. On rebondit de titre en titre (huit, écrits entre 2000 et 2004), passant dans l'ombre de Jean-Luc De Meyer (le fascinant You May Start), découvrant des morceaux bourrés d'émotion (Gloomy Day, Push Yourself), d'autres plus enragés ou parfois plus sereins. 45 minutes entre ambient, powernoise et harsh electronic bien trop courtes et vraiment étonnantes.

Christophe Labussière


Express

Si le dernier Front Line Assembly vous a quelque peu décu, si vous attendiez quelque chose de plus musclé et de plus dur pour cette réunion Leeb/Fulber qui a fait la une de la presse du monde entier, et bien nous vous recommandons de jeter un coup d'oreille à "Vanished" (SPV), le nouveau maxi des électro-héros canadiens. Composé de deux remixes relativement rythmés du morceau Vanished et de trois inédits impeccables d'efficacité, ce maxi est une bonne surprise pour ceux qui attendaient de Front Line Assembly une électro-dark moins delerium-esque que sur "Civilization".
En attendant la sortie de l'album "Wrack and Ruin" (prévue pour la fin de cet été), signalons aussi la sortie de "Born to Be Hated" (Out Of Line), le nouveau single de Hocico, disponible en CD single et en vinyl dans une édition limitée. Pas grand chose de neuf à signaler du côté de Mexico City, le duo ne faisant que ressasser les mêmes mécanismes : Born to Be Hated est ainsi un "tube" sans surprise, évidemment accompagné des remixes d'usage et d'un inédit tout à fait honnête (et même presque plus intéressant que le reste) nommé Winds of Treason.
Enfin, saluons la sortie aux États-Unis de "Querschnitt" (Metropolis), la compilation regroupant les morceaux les plus club de Lights Of Euphoria. Une excellente occasion de revenir sur le parcours musical du projet électro-EBM de Torben Schmidt, ce producteur assez prolifique a qui l'on doit, entre autres, les grandes heures des labels Zoth Ommog et Bloodline. Au menu, 17 morceaux qui couvrent la période 1993-2001, dont quelques remixes réalisés par des "collègues" comme Leaether Strip, Psyche ou In Strict Confidence.

Renaud Martin


Express

Hecate, Fanny, Xingu Hill, Axiome, Donna Summer et Duran Duran Duran sont quelques-unes des pointures breakcore et assimilés que l’on trouve sur la compilation "Carbon" (Mirex). Outre les titres des précités, quelques bonnes surprises se détachent du lot, comme la version remaniée d’une célèbre musique de film ("Psychose") par Blaerg sur le morceau Shower Scene. On notera également l’originalité des compositions de Ove-naxx, Sedarka et même Xanopticon (même si malheureusement, celui-ci reste toujours insupportable sur la longueur) et la présence de End qui contraste avec le reste de ce disque explosif.
"Matki Wandalki" (A-musik), le nouvel album de Felix Kubin, ressemble étrangement à du… Felix Kubin. Normal, direz-vous. Tellement normal qu’on ne sait plus trop quoi penser de cet Allemand déjanté (à voir absolument sur scène !), surtout depuis qu’on a écouté ses "Tetchy Teenage Tapes" (sorties il y a peu sur Ski-pp, le label des DAT Politics), une compilation qui regroupe des morceaux écrits lors de son adolescence. Et force est de constater que Felix Kubin faisait déjà du Felix Kubin à 13 ans ! Étonnant, mais évident: Felix Kubin ne fera jamais autre chose que du Felix Kubin, alors autant profiter de sa pop unique et anachronique, de son chant psychotique ("Hit me, provider") et de ses étranges reprises, tel le remaniement neurasthénique du Hello de Lionel Ritchie (en bonus sur le CD).
Le netlabel français Autres Directions In Music nous propose de télécharger (ou d’acheter pour 5 euros) sur son site sa dernière production, un EP cinq titres d’Atone intitulé "Un Jour". Même si sa musique ne soulève pas immédiatement l’enthousiasme (on a un peu l’impression d’avoir déjà entendu la plupart des morceaux ailleurs…), Atone porte bien mal son nom. Ses compositions sont raffinées, et évoluent dans un univers attrayant et limpide, certes très reposant mais relativement éloigné de l’apathie que suggère ce pseudo. Cette electronica très mélodique a peut-être le tort de ne pas succomber à la mode du "tout laptop", mais son élégance fait qu’on réécoutera ce disque avec plaisir.

Carole Jay