Röyksopp
Junior
[Wall of Sound/EMI]
Quel régal. Il suffisait juste d'être patient pour qu'enfin les deux Norvégiens parviennent à nous convaincre totalement, parvenant à obtenir le parfait compromis entre leurs sonorités clairement nordiques, leur affection 80's vintage, et leurs velléités plus "dance floor". Patient, parce que l'album précédent paru en 2005, "The Understanding", avait cette tentation, mais, on le sait, n'était pas parvenu à tenir le pari, offrant un disque au final sans cohésion. Noyauté par un chant masculin indigeste et ridicule, l'album était en partie sauvé par les trop rares voix féminines, sauvetage qui devenait une évidence lorsqu'on les retrouvait "seules" quelques mois plus tard sur l'excellent EP "Röyksopp's Night Out". Et ce sont aujourd'hui ces voix (celles de Robyn, Lykke Li, Karin Dreijer Andersson et Anneli Drecker) qui tiennent la barre haute tout au long de cet album spectaculaire et contribuent clairement à sa réussite. Avec "Junior", Röyksopp a enfin en main tous les éléments pour entrer dans la cour des (très) grands et parvient à faire cohabiter sa fraîcheur et ses spécificités géographiques avec quelques robustes passages bien plus "chauds" qui étourdissent l'esprit et secouent les membres. Une vraie réussite, un vrai plaisir, un peu comme celui que que procurerait la rencontre avec les enfants survitaminés de Neil Tennant et Chris Lowe des Pet Shop Boys...
Christophe Labussière


The Brotherhood of Pagans
Only Once
[Alone Prod]
Les Français de The Brotherhood of Pagans avaient gagné une certaine reconnaissance avec leur premier album : "Tales of Vampires", sorti en 1995. Ce disque était devenu, au fil du temps, une sorte de classique d'un rock gothique "old school" à la française, à base de guitares héroïques très mélodiques et d'un chant fervent. Presque 15 ans après, le groupe donne enfin une suite à son premier effort. Entre-temps, la formation est passée de quintet à trio : le chanteur et le bassiste ayant vogué vers d'autres horizons, le batteur-choriste assure maintenant le chant à temps complet, le claviériste se chargeant aussi de la basse. De même, la formule musicale a changé : exit les guitares enflammées et les refrains fédérateurs, "Only Once" est plus proche de la cold-wave (ou parfois du death rock), avec quelques passages expérimentaux. Nettement plus retenue, la musique des Brotherhood of Pagans a perdu en flamboyance mélodique ce qu'elle a gagné en qualité sonore. Si la production donne un sentiment de profondeur et de sophistication, on ne retrouve guère les hymnes immédiats de "Tales of Vampires", et les 11 compositions ici présentes ont du mal à accrocher l'oreille aux premières écoutes. On ne peut nier que le groupe a produit là un disque réfléchi et varié, qui dégage un grand parfum de mystère à travers ses ambiances en clair-obscur. Mais en travaillant plus sur l'intériorité et les ambiances, The Brotherhood of Pagans a perdu la spontanéité et le dynamisme qui faisait son charme. Cela dit, on peut supposer que ce second opus ne fera que se bonifier avec l'âge et ne dévoilera ses noirs secrets qu'au fil de multiples écoutes. Car le parcours du groupe le prouve : la patience et l'obstination sont toujours récompensées.
Christophe Lorentz


Clair Obscur
We Gave a Party for the Gods and the Gods All Came
[Optical Sound]
Après une absence prolongée, de dix ans précisément (suite à la parution en 1999 de "Clair Obscur 2nd Generation"), les frères Demarthe ressurgissent, visiblement décidés à imposer de nouveau l'univers en en demi-teinte de Clair Obscur. Ce faisant, ils offrent à un public avisé et fidélisé un album de choix, qui fait suite à la réédition par Infrastition d'"Antigone" et d'un live de l'époque, enregistrements majeurs et incontournables. Incontournable, cet opus l'est par conséquent tout autant et propose une dizaine de morceaux à l'intérêt constant, bien équilibrés entre cold-wave, élans électro mesurés et plages indus imparables. Des titres rageurs (Es war, It'll Be Allright), plus célestes (Rain qui évoque les Young Gods) ou superbement ironiques (la trame électro à la fois enlevée et rêveuse de Mon ami mon frère) s'invitent à la fête et apportent un plus à l'oeuvre de Clair Obscur, qui trouve en cet opus un renouveau qui, nous l'espérons tous, s'avérera durable et générera des sorties d'un niveau au moins égal sur le plan de la qualité. À cela viennent s'ajouter deux reprises de choix, le Cry No More des Poison Girls puis Decades de Joy Division, dont les Creillois ont pu côtoyer le leader avant sa disparition, qui complètent le tableau et achèvent de faire de ce disque un must de cette année 2009. Un album brillant donc, de caractère, parfait reflet de l'esprit d'un duo audacieux et talentueux.
William Dumont


Larva
Voces Del Laberinto
[Advoxya Records]
Au royaume hispanique dark-electro-indus, Larva, avec ce second opus baptisé "Voces Del Laberinto", peut maintenant prétendre au trône. Signé depuis peu par l'excellent label hongrois Advoxya Records, le groupe est désormais un acteur incontestable de la scène dark européenne, innovant avec un souffle nouveau, associant énergie quasiment bestiale et mélodies originales. Un chant voccodé terrifiant, parfois hystérique, des refrains aux sonorités toxiques, et des samples de films sont au menu. La triste réalité de la société actuelle est passée au vitriole sur fond d'atmosphères lugubres, ornées de beats surpuissants, de résonances synthétiques industrielles singulières, ultra-travaillées, et de paroles tout droit sorties de l'esprit torturé d'un serial-killer (The Devil In Me). Bien qu'étant passé depuis maintenant quelques semaines à l'heure d'été, à l'écoute de Larva, le soleil risque de ne plus vouloir se lever (El Sol Se Ha Puesto) ; écouter "Les Voix du Labyrinthe" de Larva , c'est un peu comme se prendre un coup de blizzard en pleine canicule : qu'est-ce que ça fait du bien !
Jean-Marc Chabrerie


Little Nemo
Vol. 1 - 1987-89
[Infrastition]
Little Nemo
Vol. 2 - 1990-92
[Infrastition]
Est-ce de l'époque dont il faut parler, du groupe, ou bien seulement de sa discographie, que compile aujourd'hui en intégralité, sous la forme de deux doubles CD, le label Infrastition ? C'est avant tout de l'époque, car elle est essentielle. Non pas que Little Nemo n'aurait pu naître à un autre moment, mais simplement parce que c'est d'une "autre" époque dont il s'agit, celle où MySpace et Facebook s'appelaient New Rose et Best, celle où le public underground était connecté grâce aux disquaires, radios, magazines et fanzines ; autant d'acteurs qui avaient chacun leur place et contribuaient à la scène indépendante. Lorsque Little Nemo "apparut" en 1987, avec la cassette "Past and Future" (qui succédait à "La Cassette froide" parue confidentiellement un an plus tôt), puis surtout avec le mini-album "Private Life" l'année suivante, la rumeur enfla rapidement. Il se passait quelque chose d'innattendu, on découvrait une sorte de pop hybride, aux sonorités cold wave/new wave, qui paraissait chatoyantes tout en restant mélancolique, comme au confluent de Go Betweens et de Cure. Des refrains entêtants, des mélodies en apparence désuètes, mais des compositions sombres, profondes et attachantes. Et la rumeur se fit buzz ; un label naissant, Lively Art, mené par Louis Thévenon et étroitement lié à l'incontournable disquaire New Rose signa le groupe, une journaliste de renom, Emmanuel Debaussart, qui officiait dans l'alors incontournable Best s'amouracha du projet, et un autre, pour le moins prescripteur, Bernard Lenoir, auto-déclaré découvreur de talent, voulu faire de celui-ci sien et devint ainsi le grand coordinateur de tout cet engouement. La "carrière" du groupe qui démarra sur la scène du Gibus en 1988 atteint son apothéose en 1990 sur celle du Bataclan, dernier coup d'éclat de la formation parisienne avant le single "Bio Logic" et l'album "World is Flat", ultime production de la formation parue en 1992. Et qu'en reste-t-il aujourd'hui ? Pour ceux qui l'ont vécue, la nostalgie d'une époque. Mais, malgré l'attachement personnel que l'on peut avoir à "cette époque" et aux différents groupes issus de cette scène auto-proclamée Touching Pop (Asylum Party, Babel 17, Mary Goes Round...), il faut bien reconnaître qu'aucune de ces formations ne restera comme un groupe majeur. Et Dieu sait qu'il y en a eu ces 30 dernières années en France, des groupes majeurs. Prémonition comme le label Infrastition n'ont de cesse de le rappeler, mais Little Nemo, pourtant parangon de ces années-là et de la Touching Pop, n'en fait, paradoxalement, pas partie.
Christophe Labussière


Pet Shop Boys
Yes
[Parlophone / EMI]
Infiniment peu d'albums considérés comme totalement "pop" peuvent se vanter de regrouper autant de titres que de singles potentiels. Or Chris Lowe et Neil Tennant possèdent tous deux ce sixième sens voire, disons-le, ce don pour les mélodies impeccables et évidentes. Et ils font avec "Yes", leur dixième album studio, encore plus fort qu'au temps de "Very" (1993), qui était leur album de tous les records, celui du sans faute et de l'opulence pop. Oui, "Yes" aurait pu sortir sous la forme de onze singles, sans rougir : dans l'ordre ou dans le désordre, tout le monde gagne, et à tous les coups. C'est d'ailleurs peut-être ce qu'ils vont faire, accompagnés d'une cohorte de faces B désormais rituelles, et qu'ils soignent depuis le début de leur carrière. Il est donc difficile de citer des titres ici afin d'orienter le lecteur, puisqu'ils sont tous aussi forts, au détour desquels on croise le fidèle Johnny Marr à la guitare et à l'harmonica, ou encore le quatuor Xenomania à la production. Le mieux est encore d'écouter l'album d'une traite et de savourer à sa juste valeur le plaisir futile, mais réellement divin qu'il procure, cette insouciance et ce détachement total du monde qui nous entoure pendant une petite heure.
Bertrand Hamonou


Skold Vs KMFDM
Skold vs KMFDM
[KMFDM Records]
KMFDM
Blitz
[Metropolis]
Revenu au bercail après sept ans de collaboration intensive avec Marilyn Manson, Tim Skold fête ses retrouvailles avec KMFDM via une coréalisation avec Sascha Konietzko baptisée Skold vs KMFDM, puis en ayant produit et joué sur plusieurs titres du nouvel opus officiel de KMFDM, "Blitz". Sur le premier disque, les deux amis se sont fendus de 22 titres (!), dont environ la moitié sont des "Interludes" instrumentaux de deux minutes. Même s'il peut paraître un peu longuet sur la durée, le résultat est parfois brillant, notamment sur quelques futurs "tubes" électro-dark comme Why Me, Bloodsport, A Common Enemy ou Alkohol, qui nous rappellent que Tim Skold fut notamment l'auteur de l'entêtant Anarchy (sur le "Symbols" de KMFDM en 1997). Mais sur les compositions les plus lourdes et rock (It's Not What, All or Nothing), on retrouve des intonations à la Marilyn Manson qui nous signalent que Skold fut aussi (hélas) le principal artisan du pénible "Eat Me, Drink Me" du Révérend Manson... Hormis ces quelques réserves, reconnaissons quand même que "Skold vs KMFDM" est une œuvre de qualité, variée et inspirée, qui recèle son lot de pépites pour techno-punks noctambules. Du côté de chez KMFDM "le groupe", le retour de Tim Skold n'a pas entraîné de révolution majeure. Le seizième album des germano-américains est en effet bâti exactement sur le même moule que ses prédécesseurs : un titre d'ouverture qui arrache, une brassée de titres électro-pop-dance chantés par Lucia Cifarelli, une reprise (Being Boiled de Human League), et des incursions vers le disco-indus, le metal digital ou le punk de synthèse... Rien de bien nouveau sous le soleil, pas vraiment de titres inoubliables (où sont les nouveaux A Drug Against War, Juke Joint Jezebzel ou Megalomaniac ?), mais un ensemble fun et efficace qui ne devrait pas décevoir les aficionados... même si une certaine routine se fait plus que jamais sentir. Peut-être que lorsque Skold sera nettement plus impliqué dans le processus créatif (ce qui n'était pas complètement le cas ici), la musique de KMFDM redeviendra surprenante. Rendez-vous l'année prochaine...
Christophe Lorentz


SPC ECO
3-D
[Eco Lab Recording]
Depuis la séparation consommée de Curve, Dean Garcia n'est pas resté les bras croisés. Il a fondé autant de nouveaux groupes qu'il y a de jours dans la semaine (The Black Holes, The Europeans, Rose Berlin, The Chrono Logics, KGC, The Secret Meeting) et plus récemment, SPC ECO (prononcer Space Echo) avec Rose Berlin au chant et Joey Levenson à la guitare. Ajoutez à ce line-up de studio la présence de Debbie Smith et de Steve Monti sur la mouture live du groupe, et annoncez que ce projet est ce qui se rapproche le plus de ce que le Londonien faisait au sein de Curve le transforme alors curieusement en pléonasme : SPC ECO est le Curve des années 2000, tout simplement, ou Curve sans Toni Halliday, si vous préférez. Aussi bizarre que cela puisse paraître, la formation fonctionne parfaitement, réglée au quart de tour, la mécanique est huilée à la corde de guitare et à la pédale d'effet près. Bien évidemment, Rose Berlin n'est pas Toni Halliday, et son chant flirte probablement plus du côté de l'heavenly voices et des murmures de My Bloody Valentine que des vocalises franchement rock de la chanteuse de Curve. Histoire de rester entre amis, c'est le label de Collide (avec qui Dean avait fondé The Secret Meeting en 2007) qui publie finalement "3-D", excellente surprise de ce début d'année, que vous pouvez aussi écouter en intégralité sur le site du groupe.
Bertrand Hamonou
Express
Le Français Sébastien Schuller, qui avait réalisé avec "Happiness" une des toutes meilleures productions indépendantes françaises de 2005, revient en ce printemps avec Evenfall [Green United Music], un deuxième album tout a fait convaincant qui prolonge les ambiances raffinées et mélancoliques de son prédécesseur. Au menu, une voix plus présente, davantage d'instruments (hautbois, clarinette, flûte, vibraphone harmonium, cuivres), une pochette réalisée par Agnès Montgomery (à qui l'on doit la maintenant célèbre pochette animalière de l'album "Person Pitch" de Panda Bear) et surtout cette pop/electro mélodique, douce et délicate dans laquelle on a plaisir à se replonger.
Autre grosse production française de ces beaux jours, Wolfgang Amadeus Mozart [Loyauté], le troisième album des Versaillais ultra-branchés de Phoenix qui devrait rencontrer un certain succès sur la scène indie internationale. Produit par Philippe Zdar, figure de la French Touch et membre du groupe electro Cassius, ce disque est une suite quasi parfaite de pop-songs élégantes et sophistiquées, bourrées de malice, d'énergie et de vitalité. Probablement leur meilleur disque !
Pour terminer, deux disques complémentaires d'un jeune californien cette fois, Jeremy Jay, qui après un déjà très bon premier album plutôt pop sorti l'année dernière, a pris un virage cold tout à fait délicieux. Totalement à l'opposé des grosses machines à la Editors/She Wants Revenge, sa pop est minimale, désabusée, dansante, lente et... totalement froide. Un régal à savourer sans modération dans son album Slow Dance [K Records] et le 4 titres (presque meilleur) Love Everlasting [K Records].
Renaud Martin