Tindersticks
The Something Rain
[City Slang]
Spécialistes d'une musique racée, superbement mise en son, souvent délicate et sensitive, les Tindersticks font un retour feutré, mais qui sera forcément remarqué avec "The Something Rain". Sa flamboyance musicale, parfois traversée d'éclairs plus "énervés" évoque "Elysian Fields", et fait de ce nouvel opus bien équilibré entre splendeur ouatée et plages plus tendues, un immanquable. LE disque s'amorce avec une sorte de spoken words, suivi d'une dualité vocale merveilleuse qui en accroit le charme et l'intensité, générés par un panel instrumental large et chatoyant et une inspiration finalement jamais démentie. La magie opère et se prolonge jusqu'aux derniers instants de l'écoute, que des élans free et une rudesse rock viennent optimiser sur Frozen. Les climats obscurs ou pluvieux de l'oeuvre en présence la rendent plus éloquente encore, et hissent Stuart Staples et ses musiciens sur les cimes d'un rock aux atours fringants, que bien peu peuvent se targuer de tutoyer, et dont personne ne les délogera certainement jamais. On s'entiche vite de cet album, enivrant, générateur d'une forme de dépendance sonore, pour en prolonger l'écoute à l'envi, au gré des humeurs et orientations de ce groupe, est-il besoin de la rappeler, majeur et incontournable.
William Dumont


The Other Colors
Up Up Up
[LAC Records/Believe Digital]
"Up Up Up", clame Marie Möör, tout au long du nouvel album de The Other Colors (ex-Rose et Noire), duo qu’elle forme avec le sensationnel bidouilleur électronique Laurent Chambert. "Up Up Up" , d’une voix toujours aussi voluptueuse et sensuelle, voire résolument lascive (le mot "putain" a rarement eu autant d’impudeur que dans la bouche de l’auteure-interprète). Jouant comme à son habitude avec les mots, les syllabes, les triturant à l’obsession et les répétant comme s’ils étaient dotés de pouvoirs magiques, elle transforme les diverses mélodies de son acolyte en véritables incantations, sortes de poésies élégiaques et sonores. Tour à tour enlevées et rythmées, tels des morceaux de house frivole et faussement enjouées (Up Up Up ou In the Cage), ou encore à la limite de l’acousmatique avec notamment les vibrations importunes et lancinantes d’une mouche, les compositions de The Other Colors peuvent également prendre l’allure de ballades langoureuses ou industrielles rappelant parfois Étant Donnés (L’appel, sublime) ou même, à la limite du spoken words (les inquiétants Métamorphose ou Medusa dans laquelle Marie déclare savoir ce qu’est la "douleur terrible"). L’appel, un des meilleurs titres du disque, enveloppe même l’auditeur d’une sorte de brume épaisse et hautement psychédélique. "Up Up Up" est un album rare dans le paysage français, osé et éminemment personnel, le genre d’œuvre qui vous plonge dans une volupté onirique, érotique et mystique macérant et coulant dans les veines telle la Fée Verte.
Yannick Blay


The Soft Moon
Total Decay
[Captured Tracks]
Solide espoir d'un revivalisme cold-post punk qui, depuis Interpol, n'en finit décidément plus d'enfanter les rejetons plus ou moins légitimes de Joy Division, Echo et compagnie, The Soft Moon avait frappé un grand coup avec son premier album éponyme en 2010. Confirmant haut la main la maîtrise observée sur ce galop d'essai (et les quelques maxis sortis depuis), cet EP recrache avec justesse les résonnances brumeuses empruntées au "Garlands" de Cocteau Twins, drapant ses compositions dans les froideurs électriques d'un Factory moderne, réduisant ainsi trois décennies à peau de chagrin. Difficile donc de ne pas tomber sous le charme de cette cold wave à la fois aérienne et plombée, ciselée dans le spleen d'un autre âge. Ainsi, aux rythmiques à la glaciale mécanique répond un (rare) chant nimbé de delay, perdu entre les entrelacs d'une basse hypnotisante, sur lesquels sanglote guitare maladive et gémissent claviers analogiques. Piochant plus que ne pillant les canons du genre (encore qu'il paraisse assez difficile de ne pas être frappé par les similitudes entre Alive et le premier Dead Can Dance, ou entre Visions et le Splintered in Her Head de The Cure), The Soft Moon peut certes passer pour une sorte de faussaire de la mémoire after-punk, mais le remarquable fluide artistique qui anime ses compositions de bout en bout finit par avoir raison de nos réticences à encenser un groupe aussi appliqué dans la contrefaçon. Tant pis donc pour l'originalité, l'intérêt est ailleurs.
Stéphane Leguay


Therapy?
A Brief Crack of Light
[Blast Records]
Vingt ans au compteur, et les Irlandais de Therapy?, centrés sur le couple indéfectible Andy Cairns/Michael McKeegan, continuent malgré tout de protéger à la fois leur apparence et leur musique sous une solide carapace de gros durs. Mais qui croient-ils tromper ? Andy ressemble toujours à un gros nounours au regard de chien battu et Michael au gendre idéal à qui l'on donnerait le Bon Dieu sans confession. Depuis vingt ans donc, en dépit d'un passage à vide au début des années 2000 (la faute à Graham Hopkins, venu jouer de la batterie en remplacement de Fyfe Ewing, lui-même remplacé par Neil Cooper...), Therapy? mène sa barque tranquillement. Cette cuvée 2012 n'est donc pas une surprise dans la mesure où on se demande ce qui pourrait les pousser à prendre leur retraite, et il en est toujours une lorsqu'on l'écoute, car on se dit que décidément, cette capacité à conserver autant de fraîcheur après autant d'années est vraiment surprenante. En toute logique donc, "A Brief Crack of Light" n'est pas un album de son époque, il reste plongé dans la noise métal-indus du début des 90's, cette époque bénie des Dieux par sa richesse et son bouillonnement créatif. Hormis donc quelques petits effets synthétiques discrets, on ne trouvera ici ni violon ni piano, mais toujours cette énorme basse et cette guitare anti-gencives, sans oublier ce son de batterie inimitable au final très dansant. Si la tortue irlandaise voulait bien baisser le volume et réhabiliter les instruments honteux et inutilisés cités ci-dessus (ce qu'ils avaient par ailleurs un peu essayé de faire par le passé), on aurait là un album profondément triste, pour ne pas dire désespéré, écrasant haut la main toutes les lopettes post-machin qui squattent nos radios. Mais non : la rage côtoie ici en permanence la tension sans jamais baisser sa garde, et on boit son petit lait tout au long des dix morceaux, grâce à ces mélodies parfaites et une énergie qui déclenchent dans nos guiboles des démangeaisons et des rêves de stage-diving. Comme au bon vieux temps.
Frédéric Thébault