La Maison des feuilles
Mark Z. Danielewski
[Denoël & d'ailleurs]
"Je fais encore des cauchemars. D’ailleurs, j’en fais si souvent que je devrais être habitué depuis le temps. Ce n’est pas le cas. Personne ne s’habitue vraiment aux cauchemars". C’est sur ces pensées lovecraftiennes que s’ouvre "La Maison des feuilles", premier roman de l’américain Mark Z. Danielewski, écrit en pas moins de douze années. Il suffit de feuilleter ce livre volumineux (près de 700 pages) pour comprendre qu’il ne s’agit pas d’une œuvre ordinaire. Véritable labyrinthe de récits, de réflexions, de notes, croquis ou citations, trois niveaux de narrations s’y enchevêtrent, se croisent et s’emmêlent au fil des pages. D’abord celui du narrateur principal, Johnny Errand, jeune tatoueur junkie et intellectuel, qui, suite à la mort d’un vieillard aveugle nommé Zampano, découvre dans une de ses malles un curieux manuscrit qu’il va lire, annoter et commenter afin de le publier. Ensuite celui de ce mystérieux Zampano, qui étudie et décrit dans son livre monstrueux le célèbre film expérimental "Navidson Record", réalisé par un certain Will Navidson qui, cessant sa vie dangereuse de reporter, décide de filmer lui même son emménagement dans une maison de Virginie, occasion pour lui de reconstruire sa vie avec sa femme et ses deux enfants. Et c’est de ce film que naît l’horreur, une horreur par le vide, l’infini, le froid, l’invisible, la folie : un jour en faisant des mesures, Will découvre avec incrédulité et effroi que sa maison est plus grande à l’intérieur qu’à l’extérieur. Peu de temps après, alors que toute la famille s’était absentée quelques jours, une mystérieuse petite pièce sombre, vide et glaciale apparaît, et un couloir qui mesurait un jour trois mètres en mesurera une vingtaine le lendemain. Navidson entreprendra lui-même quelques vaines expéditions puis engagera des explorateurs professionnels pour venir à bout de ce qui s’avère être un labyrinthe glauque et interminable. Voilà ce qui est filmé et raconté dans ce "Navidson Record", commenté et analysé par Zampano dans son manuscrit, et enfin lu et annoté par Johnny qui, au fur et à mesure de ses découvertes, sombre dans la démence.
Déjà culte aux Etats Unis (les textes ayant même été publiés par l’auteur sur internet avant leur première parution), ce livre de Danielewski est une excellente alternative aux romans plus traditionnels du genre : changeant de forme en permanence (comme la maison), le lecteur pourra ainsi, en se perdant dans certains passages complexes où le récit est encombré de notes et de citations, passer vingt minutes sur une page, puis lire les vingt pages suivantes en une minute. Remarquablement traduit, à la fois conceptuel et accessible malgré les plusieurs lectures nécessaires pour en venir totalement à bout, "La Maison des feuilles" est au même titre que le pire cauchemar de tout un chacun : inoubliable.

Plus d'info : www.houseofleaves.com
Renaud Martin